Ce qui est caché
Non sans pousser un gros soupir, Egwene laissa sur sa table de nuit, près d’un livre ouvert, l’anneau de pierre veiné de bleu, de marron et de rouge. Un peu trop large pour un doigt humain, cet anneau avait une étrange particularité. Si on suivait sa circonférence du bout d’un index, on touchait la totalité de sa surface, comme s’il n’avait eu qu’une face. Bizarrement tordu et aplati, et même si ça paraissait impossible, le curieux bijou n’avait effectivement qu’un côté.
En chemise de nuit, comme toujours quand elle partait pour ce voyage-là, Egwene ne délaissait pas l’anneau parce qu’elle avait envie d’échouer, même si elle savait que sans lui la probabilité de l’échec était très élevée. Mais elle devait essayer sans l’aide de l’artefact. Sinon, alors qu’elle ambitionnait de nager, elle ne parviendrait jamais à faire plus que se mouiller les doigts de pied. Tant qu’à se lancer, pourquoi pas maintenant ? Eh bien, oui, maintenant !
Le gros livre relié de cuir était intitulé Voyage au Tarabon. Écrit trente-trois ans plus tôt – selon la date indiquée par l’auteur, un Kandorien nommé Eurian Romavni –, ce texte gardait tout son intérêt, car rien de très important ne pouvait avoir changé à Tanchico en si peu de temps. De toute façon, c’était le seul ouvrage sur le sujet qui contenait des plans et des illustrations utiles. Dans les autres livres sur le thème, on trouvait une lassante série de portraits de rois ou des scènes de batailles fantaisistes peintes par des gens qui n’y avaient pas assisté.
Alors qu’il faisait noir dehors, la lumière des lampes se révélait plus que suffisante. Une bougie à la cire d’abeille brûlait sur la table de nuit. Egwene se l’était procurée elle-même, parce que ce n’était pas le soir à demander un tel service à une domestique. Presque tous étaient en train de soigner les blessés, de pleurer leurs morts ou de panser leurs propres plaies. Devant la gravité de la situation, il n’avait pas été possible de guérir tout le monde – et très difficile de s’occuper de tous les malheureux qui risquaient de mourir s’ils ne recevaient pas de soins.
Elayne et Nynaeve attendaient près du lit à baldaquin, à côté des fauteuils à haut dossier où elles s’assiéraient, flanquant leur amie endormie. Tentant de dissimuler leur nervosité, elles y arrivaient avec plus ou moins de succès. Si la Fille-Héritière affichait un calme convaincant, elle gâchait tout en fronçant les sourcils et en se mordant la lèvre inférieure dès qu’elle croyait qu’Egwene ne regardait pas. Nynaeve, elle, resplendissait de confiance. Le genre d’assurance qui réconfortait ses patients, à Champ d’Emond, lorsqu’elle les bordait dans leur lit de malade. Mais dans son regard, Egwene lisait très clairement de la peur.
Aviendha était assise en tailleur près de la porte, sa tenue gris et ocre ressortant vivement sur le fond bleu marine du tapis. La guerrière portait son long couteau au côté – plus un carquois sur l’autre hanche et quatre courtes lances qu’elle avait posées sur ses genoux. Sa rondache et son arc en corne, rangé dans un étui de cuir muni d’une lanière, afin qu’elle puisse se l’accrocher dans le dos, étaient appuyés contre le mur, à portée de sa main. Avec ce qui venait de se passer, Egwene ne pouvait pas blâmer son amie d’être armée jusqu’aux dents. Elle aurait elle-même bien aimé avoir en permanence un éclair prêt à zébrer l’air en cas de danger.
Rand, qu’a-t-il fait, par la Lumière ? Bon sang ! il m’a presque autant effrayée que les Blafards ! Et peut-être même plus. Dire qu’il peut faire une chose pareille sans même que je voie les flux !
S’asseyant sur le lit, Egwene prit le livre de voyage sur ses genoux et étudia pensivement une carte de Tanchico. On n’y voyait pas grand-chose d’utile, à vrai dire. Entourant le port, une dizaine de fortins protégeaient la ville bâtie sur trois péninsules : Verana à l’est, Maseta au centre et Calpene du côté grand large. Rien de très passionnant. La carte signalait aussi plusieurs grand-places, des zones dégagées qui devaient être des parcs et une multitude de monuments dédiés à des rois depuis longtemps retournés à la poussière. Parfaitement inutile, ça. Enfin, on indiquait quelques palais et un certain nombre d’éléments des plus étranges. Par exemple, le Grand Cercle, sur Calpene. Sur la carte, c’était un simple rond. Mais maître Romavni décrivait une immense esplanade où des milliers de gens pouvaient se masser pour suivre des courses de chevaux ou assister aux feux d’artifice donnés par les Illuminateurs. On trouvait aussi un Cercle du Roi, sur Maseta, qui se révélait plus grand que le « grand », et un Cercle de la Panarch, sur Verana, à peine plus petit.
La salle capitulaire de la Guilde des Illuminateurs était également indiquée, ce qui faisait comme le reste une belle jambe à Egwene. Sans nul doute, le texte devait avoir aussi peu d’intérêt.
— Tu es certaine de vouloir essayer sans l’anneau ? demanda Nynaeve.
— Sûre, oui, répondit Egwene aussi calmement qu’elle le pouvait.
Son cœur battait la chamade au moins autant que lorsqu’elle avait vu le premier Trolloc, lors de l’attaque. Tenant une pauvre femme par les cheveux, le monstre lui avait tranché la gorge comme s’il s’était agi d’un lapin. La malheureuse s’était d’ailleurs débattue en hurlant comme un lapin.
Tuer le Trolloc n’avait rien changé, puisque ça ne devait pas ramener sa victime. Et Egwene redoutait d’entendre ces horribles cris dans sa tête jusqu’à la fin de ses jours…
— Si ça ne marche pas, dit-elle, je pourrai réessayer avec l’anneau. (Elle se pencha pour faire une marque sur la bougie avec l’ongle de son pouce.) Réveillez-moi quand la cire aura fondu jusque-là. Par la Lumière ! comme j’aimerais avoir une horloge !
Elayne eut un petit rire qui semblait venir droit du cœur, malgré sa tension.
— Une horloge dans une chambre à coucher ? Ma mère possède des dizaines d’horloges, mais je n’en ai jamais vu près d’un lit !
— Mon père a une horloge, marmonna Egwene, la seule du village, et je donnerais cher pour l’avoir avec moi. Vous pensez que la cire atteindra ma marque en une heure ? Je ne veux pas dormir plus longtemps. Il faudra me réveiller aussitôt que la flamme en sera là. C’est d’accord ?
— Oui, c’est juré, dit Elayne d’un ton apaisant.
— L’anneau de pierre…, murmura Aviendha. Puisque tu ne l’utiliseras pas, l’une d’entre nous pourrait s’en servir pour t’accompagner.
— Non, souffla Egwene. Merci d’y avoir pensé, cela dit.
J’aimerais que vous m’accompagniez toutes !
— Toi seule peux y avoir recours ? demanda l’Aielle.
— Non, répondit Nynaeve. Nous le pouvons toutes, y compris toi, Aviendha. Une femme n’a pas besoin de savoir canaliser le Pouvoir, il suffit qu’elle dorme, l’anneau en contact avec sa peau. Pour ce que nous en savons, c’est peut-être la même chose pour un homme. Mais nous ne connaissons pas Tel’aran’rhiod aussi bien qu’Egwene. Il y a des règles à respecter.
— Je vois…, fit Aviendha. Si elle ne maîtrise pas ces règles, une voyageuse peut commettre des erreurs qui risquent de lui coûter la vie et de mettre en danger de mort d’autres personnes.
— C’est ça, confirma Nynaeve. Le Monde des Rêves est un endroit dangereux. Ça, nous le savons toutes.
— Mais Egwene sera prudente, précisa Elayne. (À l’intention d’Aviendha, apparemment, même s’il n’était pas difficile de deviner à qui s’adressait le message.) Elle l’a promis. Elle jettera un coup d’œil, et rien de plus !
Egwene se concentra sur la carte. Prudente… Si elle n’avait pas gardé par-devers elle son anneau de pierre – oui, son anneau, même si le Hall de la Tour, en supposant qu’il sache qu’elle le détenait, n’aurait pas été d’accord –, ne laissant pas Elayne et Nynaeve l’utiliser plus d’une ou deux fois chacune, elle n’aurait pas été contrainte de partir seule. Mais si elle évitait de regarder ses compagnes, ce n’était pas à cause d’un quelconque repentir. La connaissant à la perfection, les deux femmes auraient lu dans son regard qu’elle mourait de peur.
Tel’aran’rhiod… Le Monde des Rêves. Pas les songes des gens ordinaires, même si ceux-ci s’aventuraient parfois très brièvement dans le Monde Invisible, faisant alors des rêves qui leur semblaient aussi réels que la vie. Tout simplement parce qu’ils l’étaient ! Dans Tel’aran’rhiod, tout ce qui arrivait était vrai, mais d’une étrange manière. Les événements qui s’y déroulaient n’affectaient pas la réalité. Par exemple, y ouvrir une porte n’empêchait pas qu’elle reste fermée dans le monde visible. Mais une femme pouvait y être tuée… ou calmée.
L’adjectif « étrange » ne suffisait pas à décrire un centième de cet univers où le monde entier – et peut-être d’autres dimensions – était ouvert, chaque endroit pouvant être atteint à volonté. Ou plutôt, le reflet de chaque endroit. Le tissage même de la Trame pouvait y être lu – passé, présent et avenir – à condition de savoir comment s’y prendre. Et d’être une Rêveuse, bien entendu. Et depuis Corianin, morte cinq siècles plus tôt, il n’y en avait plus eu à la Tour Blanche.
Quatre cent soixante-treize ans, exactement, pensa Egwene. Ou est-ce en fait quatre cent soixante-quatorze, désormais ? Quand Corianin est-elle morte ?
Si Egwene avait pu finir sa formation à la tour, elle aurait sans doute connu la date précise. Et tant d’autres choses en plus !
Dans sa bourse, sur un carré de parchemin, figurait la liste des ter’angreal, presque tous assez petits pour tenir dans une poche, que les sœurs noires avaient volés avant de quitter la tour. Les trois jeunes femmes en détenaient une copie. Treize de ces ter’angreal étaient accompagnés des mentions « usage inconnu » et « dernières étude réalisée par Corianin Nedeal ».
Si Corianin Sedai n’avait pour de bon pas découvert l’usage des artefacts, Egwene était sûre que tous permettaient d’avoir accès au Monde des Rêves. Moins facilement que l’anneau de pierre, probablement, et peut-être pas sans recourir au Pouvoir, mais ils remplissaient cette fonction.
Les trois amies avaient retrouvé deux de ces treize objets sur Joiya et Amico. Un disque de fer de trois pouces de diamètre marqué sur chaque face d’une spirale serrée et une plaque pas plus longue qu’une main – en ambre, semblait-il, mais assez dure pour rayer l’acier – ornée d’une gravure représentant une femme endormie. Amico avait été prolixe sur les artefacts, tout comme Joiya, après une petite séance en tête à tête avec Moiraine qui avait laissé la sœur renégate blanche comme un linge et presque aimable. Un simple flux d’Esprit dirigé sur l’un ou l’autre ter’angreal suffisait pour plonger dans le sommeil puis partir vers le Monde des Rêves.
Elayne avait utilisé très brièvement les deux artefacts. Ils fonctionnaient, même si elle avait seulement pu voir l’intérieur de la Pierre et du palais de Morgase, à Caemlyn.
Egwene s’était opposée à cette expérience – si courte fût-elle – et ce n’était pas par jalousie. Mais elle n’avait pas pu défendre très efficacement sa position, parce qu’elle redoutait que ses compagnes reconnaissent le sentiment qui faisait trembler sa voix.
Il restait donc onze ter’angreal en possession de l’Ajah Noir. Et c’était ça, la base du raisonnement d’Egwene – et la cause de sa terreur. Onze artefacts capables de conduire des sœurs noires dans le Monde des Rêves ! Lors de sa « petite excursion », Elayne aurait pu tomber dans un piège tendu par l’Ajah Noir ou être confrontée aux sœurs renégates par hasard. Dans les deux cas, ç’aurait été dramatique…
Egwene sentit son estomac se retourner. À l’instant même, les sœurs noires pouvaient guetter son arrivée. Enfin, pas vraiment, car elles n’avaient aucun moyen de savoir qu’elle venait, mais là encore, une rencontre fortuite n’était pas moins dangereuse. Face à une adversaire, Egwene pensait pouvoir s’en tirer, sauf si elle était attaquée par surprise, ce qu’elle n’avait pas l’intention de permettre. Mais si trois ou quatre sœurs noires lui fondaient dessus en même temps ? Liandrin et Rianna, par exemple. Avec Chesmal Emry et Jeane Caide ? Et pourquoi pas toutes les autres ?
Toujours penchée sur la carte, Egwene se força à desserrer les poings, car ses phalanges avaient blanchi. Depuis l’attaque, le maître mot en toutes choses était « urgence ». Si des Créatures des Ténèbres pouvaient entrer dans la forteresse – avec un des Rejetés parmi elles, pourquoi pas ? – il n’était plus possible de se laisser miner par la peur. Et les trois jeunes femmes devaient savoir que faire. Pour cela, il leur fallait quelque chose de plus concret que la vague histoire d’Amico. Quelque chose, oui…
Egwene aurait donné cher pour savoir où Mazrim Taim en était de son voyage – dans une cage ! – vers Tar Valon. À défaut, si elle avait pu s’introduire dans les rêves de la Chaire d’Amyrlin et lui parler… Une Rêveuse en était peut-être capable, qui pouvait le dire ? Mais comment ? Hélas, elle l’ignorait. Il lui restait donc Tanchico, et elle allait s’en occuper.
— Je dois y aller seule, Aviendha, dit-elle.
D’un ton calme et décidé, du moins, elle l’espérait. Mais Elayne vint lui tapoter gentiment l’épaule.
Egwene continua à étudier la carte sans vraiment savoir pourquoi. Elle l’avait déjà gravée dans sa tête, intériorisant à la perfection la configuration de Tanchico. Tout ce qui existait dans l’univers réel se retrouvait dans le Monde des Rêves, où on trouvait parfois des éléments supplémentaires, bien sûr. La destination d’Egwene était depuis beau temps choisie. Feuilletant le livre, elle retrouva l’unique gravure montrant l’intérieur d’un des bâtiments indiqués sur la carte. Le palais de la Panarch…
Se retrouver dans une pièce sans savoir où elle était située dans la cité n’aurait servi à rien. Cela dit, toute cette aventure risquait de ne servir à rien. Mais c’était le genre d’idée qu’il lui fallait chasser de sa tête. Elle devait croire au succès de sa mission.
La gravure représentait une grande salle au très haut plafond. Une corde tendue sur des poteaux, à hauteur de la taille d’un homme, interdisait à quiconque d’approcher des objets exposés le long des murs sur des tables et dans des vitrines. La plupart des objets exposés n’étaient pas dessinés dans le détail, à part celui qui se dressait au fond de la salle. Le peintre s’était donné le mal de représenter l’énorme squelette qui semblait s’être pétrifié sur place comme si tout le reste de son corps venait juste de disparaître.
La créature était dotée de quatre pattes, énormes si on se fiait à la taille des os. À part ça, elle ne ressemblait à aucun animal qu’Egwene avait jamais vu. À vrai dire, elle n’avait jamais aperçu de bête qui fasse deux fois sa taille, même s’il en existait. Le crâne rond, qui reposait presque directement sur les épaules comme celui d’un taureau, semblait assez grand pour qu’un enfant se cache dedans. Et sur la gravure, le monstre semblait avoir quatre orbites.
Un tel « objet » distinguait la salle de toutes les autres. Quoi qu’il fût, il était impossible de confondre avec autre chose l’incroyable animal. Eurian Romavni connaissait-il le nom de cette créature ? Si oui, il n’avait pas cru utile de le mentionner.
— Qu’est-ce qu’une Panarch ? demanda Egwene en posant le livre à côté d’elle. (À force d’étudier l’image, elle finissait par la voir en rêve.) Tous les auteurs semblent penser que c’est de notoriété publique.
— La Panarch de Tanchico est l’égale du roi en matière d’autorité, récita Elayne. Elle est responsable de la collecte des impôts, des droits de douane et des diverses taxes. Le souverain, lui, se charge de les dépenser convenablement. Elle commande la Garde Civile et préside les différentes cours de justice, à l’exception de la Haute Cour, qui reste sous la juridiction du roi. Comme l’armée, bien entendu, à l’exception de la Légion de la Panarch. En outre…
— Je ne veux pas vraiment savoir, coupa Egwene.
Elle avait posé la question pour dire quelque chose et retarder un peu ce qu’elle allait être obligée de faire. Mais la bougie se consumait, et elle était en train de perdre de précieuses minutes. En cas de besoin, elle savait sortir d’un songe à volonté – en se réveillant, tout simplement – mais le temps s’écoulait différemment dans le Monde des Rêves et on pouvait facilement y perdre ses repères.
— Dès que la marque sera atteinte, répéta Egwene.
Elayne et Nynaeve lui jurèrent qu’il en serait ainsi.
S’allongeant sur ses oreillers de plume, elle commença par regarder le plafond en trompe-l’œil : un ciel bleu, des nuages et des hirondelles plongeant en piqué. Un décor qu’elle ne vit même pas, tant elle était anxieuse.
Ces derniers temps, Egwene avait fait plus de cauchemars que de rêves. Et bien entendu, Rand les hantait.
Aussi grand qu’une montagne, il traversait des villes en écrasant sous ses pieds des bâtiments d’où sortaient des femmes et des hommes plus petits que des fourmis et hurlant de terreur.
Couvert de chaînes, c’était lui qui hurlait, cette fois…
Alors qu’il bâtissait un mur, lui d’un côté et elle de l’autre avec Elayne et des personnes qu’elle ne distinguait pas, il lâchait d’un ton glacial : « Cela doit être fait, et je ne te laisserai plus m’arrêter. »
Mais toutes ses terreurs nocturnes n’avaient pas le Dragon Réincarné comme personnage principal. Au fil des nuits, elle avait vu des Aiels s’entre-tuer, finir par jeter leurs armes et s’enfuir comme s’ils étaient devenus fous. Puis Mat en train de lutter contre une Seanchanienne qui lui avait attaché autour du cou une laisse invisible. Puis un loup (mais elle savait qu’il s’agissait de Perrin) qui combattait un homme dont le visage changeait sans cesse.
Puis Galad qui s’enveloppait de tissu blanc comme s’il endossait son propre suaire. Et Gawyn avec un regard plein de douleur et de haine. Et sa mère en larmes…
C’étaient ses cauchemars les plus violents, ceux qui devaient avoir une signification, même si elle ignorait laquelle. Des horreurs, en tout cas…
Comment pouvait-elle être présomptueuse au point d’imaginer qu’elle trouverait des indices ou des réponses dans le Monde des Rêves ? Mais quel autre choix avait-elle ? C’était ça ou croupir dans l’ignorance, une éventualité inacceptable.
Malgré sa nervosité, Egwene n’eut aucune difficulté à s’endormir. Dans son état d’épuisement, il lui suffit de fermer les yeux et de réguler sa respiration. Se concentrant sur le palais de la Panarch et la grande salle au squelette, elle prit des inspirations lentes et régulières.
Elle n’avait pas oublié ce qu’elle éprouvait en utilisant l’anneau de pierre. Cette impression de faire un pas qui la propulsait dans Tel’aran’rhiod…
Inspirer. Expirer. Très lentement.
Une main volant vers sa gorge, Egwene recula en poussant un petit cri. De si près, le squelette aux os blanchis semblait encore plus grand. Et elle était juste devant lui, du côté interdit de la corde. Une corde blanche, du diamètre de son poignet et apparemment en soie.
Sans nul doute, la jeune femme était dans le Monde des Rêves. Ici, les détails étaient aussi précis que dans la réalité, même pour ce qu’elle ne voyait que du coin de l’œil. Dans un rêve normal…
Le seul fait d’être consciente qu’il existait une différence entre un songe ordinaire et celui-ci indiquait où elle se trouvait. De plus tout semblait… à sa place.
Egwene s’ouvrit au saidar. Quand on récoltait une coupure sur un doigt, dans le Monde des Rêves, on la retrouvait en se réveillant. D’une attaque mortelle portée avec le Pouvoir, on ne se réveillait tout simplement pas. Idem pour un coup d’épée ou de massue. En conséquence, Egwene n’avait pas l’intention d’être vulnérable un quart de seconde.
Au lieu de sa chemise de nuit, elle portait une tenue qui ressemblait beaucoup à celle d’Aviendha, mais en soie rouge brodée de fil d’or et d’argent. Avec leurs coutures et leurs lacets dorés, ses bottes souples, montant jusqu’aux genoux, étaient taillées dans un cuir rouge qui aurait parfaitement convenu à des gants.
La jeune femme eut un petit rire. Dans Tel’aran’rhiod, les vêtements étaient ce qu’on désirait qu’ils soient. Apparemment, une moitié de son esprit entendait qu’elle soit prête à courir très vite si ça s’imposait, et une autre voulait qu’elle soit parée pour aller au bal. Ce n’était pas très commode. En un éclair, le rouge se transforma en gris et en ocre et la tenue devint une exacte réplique de celle d’une Promise de la Lance.
Guère mieux, comme résultat, surtout dans une ville.
Soudain, Egwene se retrouva vêtue d’une copie conforme de la tenue sombre qu’affectionnait Faile : corsage montant à lacets et à manches longues et jupe-culotte.
Quelle absurde coquetterie ! Personne ne me verra, sauf une poignée de gens, dans leurs rêves ordinaires, un moment égarés ici. Je pourrais tout aussi bien être nue.
L’espace d’un instant, la jeune femme fut bel et bien nue comme un ver. Avant de « remettre » la tenue sombre, elle en rosit d’embarras. Pas par pudeur, puisqu’il n’y avait personne pour la voir, mais parce qu’elle aurait dû se souvenir que les pensées vagabondes, ici, ne restaient pas sans effet, surtout lorsqu’on était unie au Pouvoir. Elayne et Nynaeve la tenaient pour un puits de science sur Tel’aran’rhiod. En réalité, elle connaissait certaines règles du Monde des Rêves, un minimum, et savait qu’il en existait des centaines voire des milliers d’autres qu’elle ignorait. Et si elle voulait être la première Rêveuse de la tour depuis Corianin, elle allait devoir les apprendre toutes.
Egwene regarda mieux l’énorme crâne. Pour avoir grandi dans un village isolé, elle savait très bien à quoi ressemblaient des ossements d’animaux. Tout compte fait, ce crâne n’avait pas quatre orbites. Les deux trous situés sur les flancs de ce qui devait être le nez semblaient avoir jadis servi à recevoir des défenses. La créature était-elle un sanglier géant ? Possible, même si ce crâne n’avait guère de rapport avec aucun porcin, vivant ou mort, que la jeune femme avait jamais vu. En tout cas, le squelette était ancien, elle le sentait. Très ancien, même.
Quand le Pouvoir circulait en elle, Egwene captait des informations de ce genre. Et bien entendu, tous ses sens étaient amplifiés, comme d’habitude. Quinze pieds au-dessus de sa tête, elle sentait les craquelures des moulures en plâtre doré du plafond. Sous ses pieds, elle sentait également la pierre blanche du sol polie par le temps et le passage des visiteurs. Là aussi, il y avait de minuscules craquelures invisibles à l’œil nu.
La salle était immense : deux cents pas de long, sans doute, pour quelque cent pas de large. De fines colonnes blanches se dressaient sur tout son périmètre – tout comme la corde blanche qui défendait les objets exposés –, sauf à l’emplacement des portes en forme d’arches à deux arcs.
D’autres cordes protégeaient les présentoirs en bois poli et les vitrines qui n’étaient pas disposés le long des murs. Au plafond, un ensemble sophistiqué de petites ouvertures laissait entrer généreusement la lumière. De toute évidence, Egwene s’était transportée en rêve dans une Tanchico tout ce qu’il y avait de diurne.
« Une fantastique exposition d’artefacts datant d’Âges depuis longtemps révolus. Celui des Légendes, bien sûr, mais aussi ceux qui l’ont précédé. Et cette fabuleuse collection est ouverte à tous, même les gens du peuple, trois jours par mois et à l’occasion des fêtes. »
Eurian Romavni ne cachait pas son enthousiasme, surtout au sujet de l’inestimable exposition de figurines en cuendillar – six exemplaires conservés dans une vitrine qui trônait au milieu de la salle. Les jours d’ouverture, quatre gardes personnels de la Panarch veillaient en permanence sur ces merveilles. L’auteur s’extasiait également tout au long de deux pages sur les ossements de fantastiques bêtes « jamais vues par un œil humain ». Et il n’exagérait pas. Dans un coin de la salle, Egwene découvrit le squelette de ce qui aurait pu être un ours, n’étaient deux dents de devant longues comme son avant-bras. Dans le coin d’en face se dressait une créature à quatre pattes plutôt fine au cou si long que son crâne arrivait à mi-hauteur du plafond.
Il y avait d’autres extraordinaires squelettes, un peu partout sur le périmètre de la salle, tous assez anciens pour que la Pierre de Tear, en comparaison, soit considérée comme un bâtiment récent. Après être passée du bon côté de la corde, la Rêveuse traversa la salle lentement pour ne rien manquer du spectacle.
Dans une vitrine, au milieu d’une série de statuettes pas plus grandes que sa main, Egwene remarqua une très ancienne figurine. Apparemment nue comme au jour de sa naissance, mais drapée dans sa chevelure qui lui tombait jusqu’aux chevilles, cette femme n’avait rien de différent des autres personnages. Pourtant, il émanait d’elle une impression de douce chaleur que la Rêveuse reconnut aussitôt. C’était un angreal, elle en aurait mis sa main au feu. Mais pourquoi la Tour Blanche ne l’avait-elle pas récupéré d’une façon ou d’une autre ?
Un peu plus loin, Egwene s’arrêta devant un présentoir où reposaient un collier articulé – du travail de joaillier très précis – et deux bracelets, le tout en métal noir mat. Frissonnante, elle capta l’obscurité et la douleur qui émanaient de ces bijoux. Une très ancienne douleur, terriblement forte.
Dans une autre vitrine, un bijou couleur argent – une étoile à trois pointes dans un cercle, semblait-il – paraissait taillé dans un matériau qu’Egwene ne put pas identifier. Rayé et porteur de minuscules trous, ce bijou était encore plus ancien que les plus vieux ossements. À dix pas de distance, la jeune femme avait capté des ondes de fierté et de vanité.
Un objet lui sembla familier, même si elle aurait été bien incapable de dire pourquoi. Reléguée au fond d’un des présentoirs, comme si on n’avait pas été sûr que cet article méritait d’être exposé, la moitié supérieure d’une statuette en pierre blanche brillante dépérissait sur son étagère. Une sphère en cristal dans sa main tendue, la femme immortalisée par un sculpteur affichait un mélange de calme, de dignité et de sage autorité. Entière, la statuette aurait mesuré quelque chose comme un pied de haut. Mais pourquoi cette sensation de familiarité ? Comme si la sculpture implorait Egwene de la prendre…
Alors que ses doigts se refermaient sur la statuette, la jeune femme s’avisa qu’elle avait enjambé la corde.
De la folie, puisque je ne sais pas de quoi il s’agit.
Mais il était trop tard, de toute façon…
Dès qu’Egwene eut la statuette en main, le Pouvoir jaillit de son corps, passa dans la sculpture, revint en elle, puis en sortit de nouveau – un mouvement qui semblait vouloir être perpétuel. La sphère de cristal lança des éclairs aveuglants et avec chacun d’eux, la jeune femme eut l’impression que des aiguilles s’enfonçaient dans son cerveau. Avec un cri de douleur, elle lâcha la statuette et se prit la tête à deux mains.
Quand la sculpture s’écrasa sur le sol et se brisa, la sphère explosa. Aussitôt, les aiguilles disparurent, laissant seulement le souvenir lancinant de la douleur – et une sensation de vertige qui retourna l’estomac d’Egwene, la forçant à fermer les yeux pour que la salle cesse de danser la farandole autour d’elle.
La statuette était sans nul doute un ter’angreal. Mais pourquoi cette douleur, alors qu’elle l’avait seulement touchée ? Parce que l’artefact, brisé en deux, ne pouvait pas accomplir la tâche pour laquelle il était conçu ? Mais quelle tâche ? Au fond, Egwene n’avait aucune envie de le savoir. Étudier le fonctionnement d’un ter’angreal était terriblement risqué. Au moins, l’artefact était maintenant trop cassé pour présenter le moindre danger. Dans le Monde des Rêves, en tout cas.
Mais pourquoi semblait-il m’appeler ?
Le vertige se calmant, Egwene rouvrit les yeux. La sculpture était revenue sur son étagère, aussi « entière » qu’avant sa chute. D’étranges choses se produisaient dans Tel’aran’rhiod, mais ça, c’était un peu trop bizarre pour la jeune femme. De plus, elle n’était pas là pour vivre des expériences de ce genre. Avant tout, elle devait trouver le moyen de sortir du palais de la Panarch. Enjambant de nouveau la corde, elle se hâta de quitter la salle, mais en essayant quand même de ne pas courir.
Il n’y avait pas âme qui vive dans le palais, bien entendu. Pas d’« âme » humaine, en tout cas… Des poissons aux couleurs vives nageaient dans les bassins des grandes fontaines qui coulaient joyeusement dans les cours entourées d’une promenade à colonnes et dominées par un balcon à la balustrade ajourée aux allures de délicate dentelle minérale. Des nénuphars flottaient sur l’eau à côté de fleurs blanches aussi grandes que des assiettes. Dans le Monde des Rêves, un lieu ressemblait en tout point à ce qu’il était dans la réalité – ou ce qu’on tenait pour tel. La seule différence, c’étaient les gens.
Dans les couloirs, Egwene remarqua des lampes dorées très sophistiquées, la mèche encore intacte, et elle sentit une odeur d’huile parfumée en monter. Ses pieds ne soulevaient pas la moindre poussière en foulant le tapis qui n’avait sûrement jamais été battu, dans Tel’aran’rhiod.
Une seule fois, la jeune femme aperçut quelqu’un. Un homme en armure d’apparat dorée et embossée, son casque à pointe également doré surmonté de plumes d’aigrette sous le bras, qui avançait devant elle en appelant :
— Aeldra ! Aeldra, viens voir ça ! J’ai été nommé seigneur capitaine de la Garde de la Panarch. Aeldra !
L’inconnu fit un pas de plus… et se volatilisa soudain.
Ce n’était pas un Rêveur, ni même quelqu’un qui utilisait un ter’angreal comme l’anneau de pierre ou le disque de fer d’Amico. Non, il s’agissait d’un homme dont le rêve s’était égaré dans un monde dont il ne soupçonnait pas l’existence et dont il ignorait les dangers. Les gens qui mouraient inexplicablement dans leur sommeil étaient bien souvent des victimes de Tel’aran’rhiod. Cet inconnu, lui, était tiré d’affaire, de retour dans un songe normal et douillet.
Dans la Pierre de Tear, sur une table de chevet, une bougie brûlait toujours. Le temps imparti à Egwene était compté.
La jeune femme accéléra le pas et atteignit une grande porte sculptée qui donnait sur l’extérieur. Au pied d’un majestueux escalier de marbre blanc s’étendait une grande place déserte. À partir de là, Tanchico se déroulait dans toutes les directions sur les collines environnantes, des centaines de bâtiments blancs brillant au soleil à côté de tours élancées et de dômes pointus, certains de ces derniers étant dorés. Le Cercle de la Panarch, un grand mur rond de pierre blanche, se dressait à un quart de lieue de là, sur un site un peu moins élevé que le palais, bâti sur une des collines au sommet le plus plat.
En haut de l’escalier, Egwene avait une vue parfaite sur l’Ouest et les bras de mer des deux autres péninsules qui, avec celle-ci, composaient la capitale du Tarabon. Tanchico était une plus grande cité que Tear et peut-être même que Caemlyn.
Un si vaste champ de recherche, sans même savoir ce qu’on cherchait… Un indice de la présence de l’Ajah Noir ? Quelque chose qui indiquait l’existence d’une menace contre Rand ? Rien du tout ? Si elle avait été une Rêveuse expérimentée en pleine possession de son don, Egwene aurait sûrement su ce qu’elle cherchait – tout en étant capable d’interpréter ce qu’elle voyait. Mais il ne restait plus personne pour la former.
Les Matriarches étaient censées savoir déchiffrer les rêves. Devant les réticences d’Aviendha, quand elle l’avait interrogée, Egwene avait renoncé à questionner les autres Aiels. Si une Matriarche était en mesure de lui apprendre des choses, elle le découvrirait par elle-même, à condition d’en trouver une.
Alors qu’elle posait le pied sur la première marche blanche, Egwene fut soudain transportée dans un autre endroit.
De grandes flèches de pierre formaient un cercle autour d’elle, l’emprisonnant dans une arène où la chaleur étouffante transformait son souffle en une sorte de vent sec du désert. Ici, la brise semblait sortir directement d’une fournaise. Au-delà de l’arène, des arbres racornis se dressaient çà et là dans un paysage à part ça vierge de végétation.
Même si elle n’en avait jamais vu en chair et en os, Egwene reconnut le lion niché entre deux rochers, à moins de vingt pas d’elle. Le fauve ne la regardait pas, les yeux rivés sur un spectacle qui se déroulait à quelque cent pas de lui. Devant un buisson d’épineux, un grand sanglier couvert de soie retournait la terre avec son groin sans remarquer l’Aielle qui approchait furtivement, une lance prête à voler dans les airs. Vêtue comme ses compatriotes présentes dans la Pierre, la guerrière portait son shoufa, mais elle avait le visage découvert.
Le désert des Aiels ! pensa Egwene, stupéfaite. Je m’y retrouve parce que j’ai pensé à une Matriarche. Quand apprendrai-je à faire attention à mes idées, quand je suis dans le Monde des Rêves ?
L’Aielle s’immobilisa, le regard braqué sur Egwene et non sur le sanglier. Si c’en était un, car il ne semblait pas avoir la silhouette requise…
L’Aielle n’était pas une Matriarche, avait compris Egwene au premier coup d’œil. Ne portant plus la tenue de son ordre guerrier, selon ce qu’avait entendu dire Egwene, une Promise qui voulait devenir une Matriarche devait « abandonner la Lance ». Il devait donc s’agir d’une Aielle égarée dans le Monde des Rêves, comme le militaire dans le palais. S’il s’était retourné, il aurait d’ailleurs lui aussi vu la Rêveuse…
Egwene ferma les yeux et se concentra sur sa seule véritable image mentale de Tanchico : le squelette géant, dans la grande salle.
Quand elle rouvrit les yeux, elle se retrouva devant l’imposante relique. Cette fois, elle remarqua que le squelette reconstitué tenait avec du fil de fer, le travail étant si ingénieux qu’on ne s’en apercevait pas à première vue. La moitié de statuette était sur son étagère, la sphère de cristal intacte. Egwene n’en approcha pas, ce coup-ci, et elle resta également loin du collier et des bracelets dont émanaient tant de douleur et de souffrance. L’angreal, la femme de pierre, se révéla une très forte tentation.
Et qu’en ferais-tu si tu la prenais ? Tu es là pour enquêter, et rien de plus. Respecte ta feuille de route, femme !
Cette fois, Egwene trouva très vite la sortie. Dans le Monde des Rêves, le temps ne s’écoulait pas comme dans la réalité. Elayne et Nynaeve étaient peut-être sur le point de la réveiller alors qu’elle n’avait même pas commencé ses recherches. N’ayant plus une minute à perdre, elle ne devait surtout pas penser aux Matriarches.
Ce simple rappel à l’ordre fit onduler le décor, autour de la jeune femme, comme s’il allait disparaître.
Concentre-toi sur ce que tu fais !
Dans la ville déserte, Egwene marcha d’un pas vif parfois pas très éloigné de la course. Les rues pavées sinueuses montaient et descendaient sans cesse et elles étaient bien entendu désertes. À part quelques pigeons à dos vert et une poignée de mouettes qui s’envolèrent à tire-d’aile à l’approche de la Rêveuse. Pourquoi des oiseaux et pas d’êtres humains ? Des mouches bourdonnaient dans l’air, des cafards et d’autres insectes rampant dans les recoins sombres. Devant Egwene, des chiens de couleurs différentes avançaient dans la rue en agitant la queue. Pourquoi des chiens et pas des hommes ?
Oubliant ces questions, Egwene se focalisa sur sa mission. C’était quoi, un indice de la présence de l’Ajah Noir ? Et de la menace contre Rand, s’il y en avait une ?
La majorité des bâtiments blancs avait des façades plâtrées craquelées sous lesquelles transparaissaient les briques ou le bois des murs eux-mêmes. Seules les tours et les plus grandes structures – des palais, supposa Egwene – étaient en pierre blanche. Là aussi, la jeune femme repéra des fissures minuscules qu’elle n’aurait sûrement pas vues à l’œil nu. Mais quand le Pouvoir était en elle, amplifiant ses perceptions, les choses cachées lui apparaissaient. Ces détails étaient-ils insignifiants, ou montraient-ils au contraire que les habitants de Tanchico entretenaient mal leur cité ? Cette hypothèse ne semblait pas plus absurde qu’une autre…
Egwene sursauta lorsqu’un homme tomba soudain du ciel devant elle en hurlant de terreur. Vêtu d’un pantalon blanc bouffant, son épaisse moustache couverte par une sorte de voile transparent, l’inconnu disparut alors qu’il était à moins de trois pieds du sol. S’il l’avait percuté, on l’aurait retrouvé mort dans son lit.
Mais il n’a probablement pas plus de rapport avec ma mission que les cafards, pensa Egwene.
Et pour le moment, elle piétinait. Devait-elle entrer dans les bâtiments ? C’était un pari un peu fou, mais quand on était désespérée, toutes les tentatives semblaient bonnes. Enfin, presque toutes… Cela dit, combien de temps lui restait-il ?
Elle commença à courir de porte en porte, passant la tête dans les boutiques, les auberges et les habitations.
Dans les salles communes, des tables et des bancs attendaient les clients en bon ordre, tout comme les chopes et les assiettes rangées sur des étagères. Parfaitement en ordre, comme si elles venaient d’ouvrir le matin même, les boutiques n’en étaient pas moins… étranges. Si on trouvait chez les tailleurs des piles de rouleaux de tissu – et toute une collection de couteaux et de ciseaux chez les couteliers –, on ne voyait pas l’ombre d’un morceau de viande sur les étalages et les crocs des boucheries.
Sur toutes les surfaces où elle passa un doigt, Egwene ne ramena pas un grain de poussière. Une propreté qui aurait satisfait sa mère, pourtant maniaque en la matière.
Dans les ruelles où étaient regroupées les habitations – de simples cubes de bois couverts de plâtre et sans fenêtres donnant sur la rue – Egwene découvrit des bancs installés devant des cheminées éteintes et des tables aux pieds sculptés sur lesquelles trônaient le plus beau saladier ou la plus belle coupe à fruits de la maîtresse de maison. Des vêtements pendaient aux patères, des chardons étaient suspendus au plafond et des outils attendaient sur des établis.
Sur une intuition, Egwene décida de revenir sur ses pas et de rejeter un coup d’œil dans ce qui était, de l’autre côté du rêve, des intérieurs de bonnes maîtresses de maison. Presque rien n’avait changé, constata-t-elle. Presque… Le saladier à rayures rouges qui trônaient sur la table était à présent un vase bleu cylindrique, un des bancs placés près de la cheminée se trouvait à présent près de la porte et le harnais cassé qui y reposait, avec les outils requis pour sa réparation, était remplacé par un nécessaire à couture et une robe d’enfant brodée.
Pourquoi ces changements ? se demanda Egwene. Mais au fond, pourquoi n’y en aurait-il pas ? Par la Lumière ! je ne sais rien du tout !
De l’autre côté de la rue qu’elle remontait, Egwene avisa une écurie dont la façade, à travers le plâtre craquelé, se révélait être en brique. La jeune femme traversa, ouvrit un des battants de la grande porte et jeta un coup d’œil à l’intérieur. Comme dans toutes les écuries, le sol était couvert de paille, mais pas une stalle n’était occupée. Pourquoi cette absence de chevaux ? Entendant bruire la paille, dans les stalles, Egwene révisa son jugement. Il y avait bien des occupants : des rats, par dizaines, qui la regardaient sans vergogne, leur museau humant l’air pour capter son odeur. Aucun rongeur ne s’enfuit ni ne tenta de se cacher. À croire que c’était Egwene l’intruse !
Mal à l’aise, la jeune femme recula.
Des pigeons, des mouettes, des chiens, des mouches et des rats… Une Matriarche saurait peut-être pourquoi.
Bien entendu, à cause de cette pensée malvenue, Egwene se retrouva propulsée dans le désert des Aiels.
Elle cria de terreur et bascula en arrière, atterrissant sur le dos, lorsque le sanglier hérissé de soies et de la taille d’un poney la chargea comme un taureau fou furieux – mais se contenta de sauter par-dessus elle et de continuer son chemin.
En fait, ce n’était pas un sanglier, constata Egwene. La gueule était bien trop pointue et remplie de dents bien trop acérées. De plus, l’animal n’avait pas des sabots fendus mais des pattes à quatre doigts.
L’esprit très calme mais le cœur battant la chamade, la jeune femme regarda l’animal s’éloigner en zigzaguant entre les rochers. S’il l’avait piétinée, il aurait pu lui briser les os. Et s’il s’en était pris à elle, ses dents auraient fait autant de dégâts que les crocs d’un loup. Des blessures qu’Egwene aurait retrouvées à son réveil, si elle s’était réveillée…
Le sol rocheux sur lequel elle gisait était brûlant comme le dessus d’un poêle. Se relevant tant bien que mal, la jeune femme se couvrit intérieurement d’injures. Si elle ne pouvait pas se concentrer sur sa mission, elle n’arriverait à rien ! Tanchico, voilà l’endroit qu’elle était censée explorer ! Elle devait se focaliser là-dessus et oublier tout le reste.
Quand elle vit l’Aielle qui rivait sur elle ses yeux bleus, à dix pas de là, Egwene cessa d’épousseter ses vêtements. De l’âge d’Aviendha, donc pas plus vieille qu’elle, la femme portait un shoufa d’où s’échappaient des mèches de cheveux si claires qu’elles en paraissaient carrément blanches.
Quoi qu’il en soit, la guerrière semblait sur le point de propulser sa lance, et à cette distance, il n’y avait aucune chance qu’elle manque sa cible.
Jaloux de leur désert, les Aiels avaient la réputation de ne pas être tendres avec les intrus. Avec un simple tissage d’Air, Egwene pouvait aisément neutraliser la guerrière et son arme. Mais les flux se maintiendraient-ils assez longtemps au moment où elle commencerait à se dématérialiser ? Si la guerrière, furieuse d’avoir été entravée, lançait son arme dès qu’elle recouvrerait sa liberté de mouvement, ne risquait-elle pas de faire mouche ? Revenir à Tanchico avec une lance dans le corps n’était sûrement pas dans les plans d’Egwene. Mais si elle verrouillait les flux – en les nouant, en quelque sorte – la guerrière serait piégée dans le Monde des Rêves jusqu’à ce qu’ils se dissipent. Si le lion ou le faux sanglier s’en prenaient à elle…
Egwene avait en fait simplement besoin que la femme baisse sa lance – juste pour lui laisser le temps de fermer les yeux et de se transporter à Tanchico, où elle avait du pain sur la planche. Car enfin, il y en avait assez de ces déplacements fantaisistes !
Une dormeuse égarée dans Tel’aran’rhiod pouvait-elle vraiment blesser une Rêveuse ? Ou n’avait-elle pas le même potentiel nuisible que le lion ou le sanglier, par exemple ? Egwene n’aurait su le dire, et elle n’avait aucune intention de le découvrir en défiant une pointe de lance aielle. En toute logique, la guerrière allait disparaître dans quelques secondes. Il suffisait de trouver un moyen de la déstabiliser jusque-là.
En changeant de vêtements, par exemple ? Aussitôt que l’idée lui eut traversé l’esprit, Egwene se retrouva vêtue de la même tenue gris et ocre que la Promise.
— Je ne te veux aucun mal, dit-elle à la guerrière.
La femme ne baissa pas sa lance.
— Tu n’as pas le droit de porter le cadin’sor, petite, lâcha-t-elle.
Aussitôt, Egwene se retrouva nue comme dans son bain sous le soleil brûlant, le sol menaçant de lui faire cuire la plante des pieds.
Sautant d’une jambe sur l’autre, elle en resta bouche bée un moment. Modifier des éléments sur quelqu’un d’autre ? Elle n’aurait pas cru ça possible, vraiment… Il restait tant de « règles » et de virtualités dont elle ignorait tout.
Dès qu’elle se fut ressaisie, Egwene se vêtit de nouveau de la tenue de Faile et, dans le même temps, fit disparaître les habits de la guerrière. Pour cela, elle dut puiser dans le saidar, sans doute parce que l’autre femme se concentrait pour la garder nue comme un ver.
À tout hasard, elle garda un flux prêt à immobiliser la lance, si l’Aielle décidait de la propulser.
La confusion changeant de camp, la guerrière baissa son bras armé. Egwene en profita pour fermer les yeux et s’en retourner sans délai à Tanchico, devant le squelette du sanglier géant. Enfin, de la créature qui y ressemblait. Cette fois, fatiguée des animaux qui paraissaient être des sangliers mais n’en étaient pas, elle n’accorda pas un regard au monstre.
Comment a-t-elle fait ça ? Non, plus de pensées parasites ! C’est à cause de ça que je me détourne sans cesse de mon chemin. Ce coup-ci, pas question de dériver !
Egwene hésita pourtant. Au moment où elle fermait les yeux, il lui avait semblé voir une autre femme, derrière l’Aielle, qui les regardait toutes les deux. Une femme aux cheveux blonds qui tenait un arc d’argent.
Tu te laisses emporter par ton imagination, ma fille ! Voilà ce qui arrive quand on a trop écouté les histoires de Thom Merrilin.
Birgitte était morte depuis longtemps et seul le Cor de Valère pouvait la ramener à la vie. Aucune morte, fût-elle une héroïne de légende, ne pouvait se projeter en rêve dans Tel’aran’rhiod.
Egwene ne s’appesantit pas sur le sujet. Oubliant les spéculations futiles, elle retourna le plus vite possible sur la place. Combien de temps lui restait-il ? Une cité entière à fouiller, un compte à rebours entamé et aucun résultat jusqu’à présent. Si au moins elle avait eu une idée de ce qu’elle cherchait. Et de l’endroit par où elle devait commencer. Par bonheur, dans le Monde des Rêves, courir ne semblait pas la fatiguer. Cela dit, elle n’avait aucune chance de tout explorer avant que ses amies la réveillent. Et si possible, elle aurait aimé ne pas avoir à revenir.
Une femme apparut soudain parmi les pigeons rassemblés sur la place. Sa robe vert pâle, très fine et moulante était du genre que Berelain appréciait. Les cheveux coiffés en une multitude de petites nattes, elle portait sur le visage un voile transparent semblable à celui de l’homme qui tombait du ciel.
Les pigeons s’envolèrent et la femme les imita, se dirigeant vers les toits les plus proches avant de disparaître sans crier gare.
Egwene sourit. Presque chaque nuit, elle rêvait qu’elle volait comme un oiseau. N’était-elle pas dans un songe ? Bondissant dans les airs, elle prit elle aussi son envol en direction des toits. Pensant au ridicule de sa situation, elle perdit un peu d’altitude. Voler ? Les gens ne volaient pas, voyons ! Peut-être, mais elle oui, et cette idée, lui redonnant confiance, lui permit de redresser son vol. Dans ce rêve, elle avait les mêmes talents qu’un oiseau, et voilà tout ! Sentant le vent lui fouetter le visage, elle eut envie de rire aux éclats.
Elle survola le Cercle de la Panarch, une arène de terre battue entourée de gradins. Comment imaginer tant de gens rassemblés au même endroit ? Par exemple pour regarder un feu d’artifice donné par la Guilde des Illuminateurs ? À Champ d’Emond, les feux d’artifice étaient un événement rarissime. Dans sa vie, elle en avait vu peut-être deux ou trois, et chaque fois, les adultes étaient au moins aussi excités que les enfants.
Comme un faucon, Egwene survola des palais, des manoirs, des boutiques, des entrepôts, des écuries et d’humbles habitations. Elle passa à côté de dômes surmontés par un minaret doré et une girouette en bronze et de tours dont les balcons, de loin, évoquaient autant de cols de dentelle. Dans les cours, des chariots et d’autres véhicules attendaient le bon vouloir de leur propriétaire. Le port débordait de navires, comme les bras de mer, entre les péninsules. Comme ailleurs dans la cité, tout semblait en assez mauvais état, mais aucun détail, dans tout ça, ne portait la marque de l’Ajah Noir. Du moins, selon Egwene.
Un moment, elle envisagea de se représenter Liandrin avec l’espoir d’être automatiquement attirée vers l’endroit où se cachaient les sœurs noires. Connaissant trop bien le visage de poupée, les nattes blondes, le regard satisfait et la bouche à la moue supérieure de son ennemie, elle n’aurait aucun mal à l’imaginer. Mais si ça fonctionnait, elle risquait de tomber sur Liandrin ici, dans le Monde des Rêves, et de rencontrer en même temps d’autres traîtresses. Pour ça, elle n’était pas assez préparée.
Vraiment ? Dans ce cas, si des sœurs de l’Ajah Noir étaient à Tanchico – dans le Monde des Rêves –, ne s’exposait-elle pas dangereusement ? Un seul coup d’œil leur suffirait à repérer une femme qui volait avec les pigeons et ne disparaissait pas en quelques instants. Troublée, Egwene perdit de nouveau de l’altitude, mais volontairement, cette fois. Volant plus bas que le niveau des toits, elle remonta les rues moins rapidement qu’avant, mais toujours plus vite qu’un cheval lancé au galop. Si elle se précipitait vers les sœurs noires, tant pis ! Mais elle ne pouvait pas s’arrêter et attendre qu’elles lui tombent dessus.
Idiote ! s’admonesta-t-elle. Si elles savent que tu es ici, elles t’ont peut-être déjà tendu un piège.
Egwene envisagea de fuir son rêve pour se retrouver en sécurité dans son lit, à Tear. Mais elle n’avait rien découvert. S’il y avait quelque chose à découvrir…
Une grande femme apparut soudain dans une rue, devant elle. Vêtue d’une large jupe marron et d’un ample chemisier blanc, l’inconnue portait un châle marron sur les épaules et une écharpe pliée autour du front afin de retenir la crinière de cheveux blancs qui cascadait jusqu’à sa taille. Bien que sa tenue fût des plus ordinaires, elle arborait une multitude de colliers et de bracelets en or ou en ivoire – et parfois en un mélange des deux. Les poings plaqués sur les hanches, les sourcils froncés, elle regardait intensément Egwene.
Une autre imbécile qui s’est égarée en rêve dans un endroit où elle n’a aucun droit d’être et qui n’en croit pas ses yeux.
Egwene avait la description de toutes les complices qui avaient accompagné Liandrin. Cette femme ne correspondait à aucune. Pourtant, elle ne se volatilisa pas, restant bien campée sur ses jambes tandis qu’Egwene approchait.
Pourquoi ne disparaît-elle pas ? Par la Lumière ! elle est vraiment…
Egwene saisit les flux afin de tisser la foudre ou d’emprisonner la femme dans un filet d’Air. Dans sa hâte, elle faillit tout emmêler.
— Pose-toi, gamine ! cria la femme. J’ai eu assez de mal à te trouver pour que tu ne me fasses pas le coup du fichu oiseau qui fiche le camp !
Egwene tomba comme une pierre, ses pieds percutant rudement les pavés. Secouée et titubante, elle reconnut cependant la voix de l’Aielle rencontrée plus tôt. Mais cette femme était bien plus âgée – sans être si vieille que ça, contrairement à ce que laissaient penser ses cheveux blancs. Mais la voix et les yeux bleus perçants n’autorisaient aucun doute. C’était bien la même personne.
— Ici, on peut avoir l’apparence qu’on veut, dit la femme, semblant très légèrement embarrassée. Parfois, j’aime me souvenir de… Mais oublions ça ! Tu appartiens à la Tour Blanche ? Voilà longtemps que les sœurs n’ont plus eu de Rêveuse. Très longtemps. Je suis Amys, du clan des Neuf Vallées des Aiels Taardad.
— Une Matriarche ? Oui, c’est ça ! Vous connaissez les rêves et Tel’aran’rhiod. Vous pouvez… Moi, je me nomme Egwene al’Vere. Je…
La jeune femme prit une grande inspiration. Amys n’avait pas l’air d’une personne à qui il faisait bon mentir, mais…
— Je suis une Aes Sedai de l’Ajah Vert.
L’expression d’Amys ne changea pas, à un froncement de sourcils près, peut-être. De fait, Egwene paraissait un peu jeune pour être une Aes Sedai en titre.
— J’avais l’intention de te laisser toute nue jusqu’à ce que tu demandes à porter des vêtements appropriés. Revêtir le cadin’sor comme tu as osé le faire, à croire que tu es… Mais oublions ça aussi ! Tu m’as surprise en te libérant, comme si tu avais retourné ma lance contre moi. Mais tu n’es pas encore formée, n’est-ce pas, même si tu es puissante ? Sinon, tu n’aurais pas fait intrusion en plein cœur de mon terrain de chasse – où tu n’avais à l’évidence aucune envie d’être. Et cette façon de voler… Es-tu venue dans le Monde des Rêves – oui, Tel’aran’rhiod ! – pour découvrir cette ville, où qu’elle se trouve ?
— C’est Tanchico…, soupira Egwene.
Elle ne sait pas où elle est…
Mais comment Amys avait-elle fait pour la suivre ou la retrouver ? De toute évidence, elle en savait plus sur le Monde des Rêves que la jeune femme. Et de loin !
— Vous pouvez m’aider… Je cherche des sœurs de l’Ajah Noir. Des Suppôts des Ténèbres. Je pense qu’elles sont ici, et si j’ai raison, il faut que je les trouve.
— Ce n’est pas une légende, donc…, fit Amys, presque dans un murmure. Il existe un Ajah ténébreux à la Tour Blanche. (Elle secoua la tête.) Tu es comme une jeune fille unie à la Lance qui se croit capable de lutter contre les hommes et de sauter par-dessus les montagnes. Pour elle, le risque est de récolter quelques contusions et de recevoir une salutaire leçon d’humilité. Pour toi, en ce lieu, la mort peut être au bout du chemin.
Amys regarda les bâtiments blancs, tout autour d’elle, et fit la moue.
— Tanchico ? Au Tarabon ? Cette ville agonise parce qu’elle se dévore elle-même. Le mal s’y tapit – une forme d’obscurité. C’est pire que ce que peuvent générer les hommes et même les femmes. (Amys dévisagea Egwene.) Tu ne vois rien et ne sens rien, pas vrai ? Et tu voudrais chasser des sœurs noires capables de marcher dans les rêves ? Dans Tel’aran’rhiod, qui plus est ?
— Le mal s’y tapit ? Et si c’étaient mes proies ? Vous êtes sûre de ce que vous dites ? Si je vous donne leur description, serez-vous certaine qu’il s’agit bien d’elles ? Je peux vous transmettre tous les détails sur chacune de ces femmes.
— Une gamine…, marmonna Amys. Une sale gosse qui fait un caprice pour que son père lui offre sur-le-champ un bracelet d’argent, alors qu’elle ne sait rien du marché et du mode de fabrication de ces bijoux. Il te reste beaucoup à apprendre. Bien plus que ce que je peux commencer à t’enseigner. Viens dans la Tierce Terre. Je ferai savoir à tous les Aiels qu’une Aes Sedai nommée Egwene al’Vere doit être conduite jusqu’à moi, à la forteresse des Rocs Froids. Donne ton nom et montre ta bague au serpent, et on te laissera passer. Je ne suis pas là-bas en ce moment, mais avant ton arrivée, je serai revenue de Rhuidean.
— S’il vous plaît, aidez-moi ! Je dois savoir si les sœurs noires sont là.
— Comment pourrais-je te le dire ? Je ne connais pas ces femmes, ni cette ville, d’ailleurs. Ce que tu fais est dangereux – plus encore que tu le crois. Tu dois… Mais où vas-tu ? Reste !
Une force sembla tirer Egwene vers une lointaine obscurité.
— Tu dois venir me voir et apprendre…, dit la voix d’Amys tandis qu’Egwene se laissait entraîner.