Les autres formes de combat

Les historiens qui se sont intéressés au fait militaire à l’époque romaine sont évidemment tous d’accord pour reconnaître l’importance de la bataille et du siège. Pourtant, la lecture attentive des textes montre que les légionnaires et leurs collègues connaissaient de nombreuses formes de combat, approximativement la plupart de celles qui sont connues actuellement.

LE COMBAT EN MILIEU URBAIN

Les Romains ont aussi pratiqué le combat en milieu urbain, également appelée guerre urbaine ou guerre de rues. Il pouvait éclater soit à l’issue d’un siège, soit dans d’autres circonstances, notamment dans le cas d’une guerre civile, par exemple dans les heurts qui opposèrent les bandes de Clodius et de Milon dans Rome, ou encore quand des citadins se révoltaient, comme firent les Juifs de Jérusalem ; dans ce cas, la répression était toujours aussi féroce : le pillage suivait le massacre ; le fouet précédait la croix309.

Le succès d’un siège se déroulait en deux temps, d’abord la prise du rempart, indispensable, même si une porte avait été enfoncée par un bélier, et ensuite le combat en milieu urbain, à moins évidemment que les assiégés n’aient préféré la reddition après la perte de leur enceinte. Dans quelques cas, au contraire, quand la ville possédait une citadelle ou donjon, il fallait un deuxième siège ; les assaillants durent ainsi prendre la forteresse Antonia puis le Temple dans Jérusalem, et plus tard, dans Rome, le camp des prétoriens dans la guerre civile qu’animaient les flaviens310.

Avant de tuer les vaincus, il fallait progresser dans un réseau viaire, ce qui était un art bien connu des Romains. Devant Rome, le flavien Antonius répartit son armée en trois colonnes (tripartitum agmen), l’une passant par la voie Flaminienne, l’autre par les bords du Tibre, la troisième par la voie Salaria ; pour leur faire face, les vitelliens adoptèrent le même dispositif311. En avançant, chaque soldat devait tenir son bouclier sur la tête pout éviter les pierres et les tuiles jetées depuis les toits312, parfois par des civils, des femmes et des enfants (dans Japha, ce furent les femmes qui bombardèrent les Romains depuis les terrasses313) ; les prétoriens possédaient un armement spécial pour ce genre de combat, mais nous ne savons pas précisément en quoi il consistait314.

Comme dans le combat en plaine, il fallait des éclaireurs315. La progression se faisait avec lenteur, car chaque maison était inspectée, avec ses toits et ses fenêtres, et, au besoin, débarrassée de ses défenseurs316. L’incendie pouvait constituer un recours contre ces risques ; il nettoyait la ville317. Dans un autre cas, des auxiliaires tuaient les civils à coups de gourdin et les achevaient sous les sabots des chevaux318. Des archers sauvèrent des légionnaires en difficulté dans Jérusalem319. Les ennemis pouvaient tendre des embuscades dans les rues320 et des corps-à-corps violents s’ensuivaient321. En 193, Didius Julianus avait bien fait des préparatifs pour contrer la progression des hommes de Septime Sévère ; mais ce dernier, apparemment expert aussi dans ce domaine, avait infiltré des commandos dans Rome322.

C’est le siège qui a provoqué les batailles en milieu urbain les plus connues, qui se sont déroulées en 146 avant J.-C. dans Carthage et dans Corinthe. César sut en mener avec talent, dans Avaricum, en Gaule, et dans Alexandrie d’Égypte323. La prise de Jérusalem par Titus et celle de Rome par les flaviens ont aussi représenté des épisodes intéressants de cette guerre urbaine.

LA BATAILLE DE NUIT

Parmi les combats compliqués, il faut ajouter la bataille de nuit à la bataille en montagne, au point que quelques historiens ont assuré qu’elle n’était pas possible. Mais de nombreux exemples prouvent le contraire327. Bien sûr, elle ne pouvait avoir lieu qu’avec une pleine lune, ou à un moment proche de celle-ci ; de plus, ce combat n’était pas très aimé par les soldats, qui voyaient toutes sortes de cauchemars et même de fantômes les assaillir, par exemple en Germanie328. D’ailleurs, les Romains n’ont pas été les seuls à la pratiquer. Car, s’ils ont donné l’assaut contre Avaricum après le coucher du soleil329, l’armée de secours des Gaulois, qui avait été envoyée à Alésia pour aider Vercingétorix, n’a pas attendu le jour pour se lancer à l’assaut du rempart de bois des Romains ; en vain, au demeurant330. Dans la guerre civile qui a suivi, le césarien Curion, en Afrique331, et les pompéiens, à Dyrrachium, n’ont pas hésité non plus devant l’obscurité332. Les Thraces, eux aussi, avaient attaqué les Romains de nuit333. Dans la guerre civile de 68-69, Terracine fut visée par un raid nocturne mené par des cohortes légèrement équipées334. Devant Crémone et devant Xanten, on se battit toute la nuit335. La guerre contre les Juifs a vu également des épisodes analogues ; de même, durant la guerre dacique connue par la colonne Trajane336. Et le combat ne fut pas la seule activité engagée dans ces circonstances ; César, en Bretagne, a ordonné une marche de nuit337 et le renseignement sur mer était recherché par la marine de jour et de nuit, du moins si l’on en croit Végèce (IV, 45).

LA GUERRE BIOLOGIQUE ET CHIMIQUE

Il est surprenant, s’agissant de l’Antiquité, de parler de guerre biologique et chimique. Les anciens savaient pourtant pratiquer quelques formes de guerre biologique et chimique – évidemment sans s’appuyer sur des données scientifiques qu’ils ne possédaient pas – de manière complètement empirique338. Les barbares sont accusés d’y avoir eu recours ; c’était un trait de leur esprit de traîtrise ; les Romains ont aussi pratiqué ce genre d’activités, ce qui prouvait leur intelligence. Ils étaient malgré tout gênés par des moyens qui semblaient assez éloignés du combat loyal, de l’honneur et de la fides, et on retrouve ici la distinction qu’ils avaient établie à propos du stratagème. Mirko Grmek, qui a découvert dans ses recherches ce type d’entreprises, a d’ailleurs conçu ces activités comme des stratagèmes.

On distingue cinq types majeurs de produits et un assez grand nombre de sous-produits : pour la biologie, le poison, le venin et les microbes et, pour la chimie, le gaz et le feu.

Les hommes de l’Antiquité savaient fabriquer des poisons végétaux339, à partir de la mandragore, de l’ellébore et de l’aconit. Ils en enduisaient des flèches et des pointes de bois cachées dans des entonnoirs recouverts de branchages, qui formaient des pièges340. Ils les mélangeaient à de l’eau, du miel ou du vin. L’eau, qui jouait un rôle stratégique et tactique très important341, était particulièrement exposée à ces « armes ». Il était très facile de jeter une charogne dans un puits ou une citerne. Marc Aurèle en a fait l’amère expérience lors des guerres danubiennes, et il a fallu une pluie providentielle, miraculeuse aux yeux des contemporains, pour sortir son armée de ce mauvais pas342. Ce n’était pourtant pas un phénomène nouveau. Les points d’eau, sources et oasis, étaient sous la protection de fortins dans les zones désertiques, en Syrie et en Égypte, sur la route qui unit le Nil à Myos Hormos sur la mer Rouge343. Dans ce cas, la tactique rejoint la stratégie.

Proche du poison, le venin était peut-être moins souvent employé, car il était d’un maniement délicat pour celui qui voulait y recourir. Il fallait en effet trouver des bêtes venimeuses en grand nombre et en bonne santé, serpents, scorpions, abeilles et surtout guêpes, qui ont été parfois efficaces344 ; elles étaient enfermées dans des vases en céramique scellés avec soin et projetés sur l’ennemi avec des balistes.

Avec les microbes, on entre dans l’empirisme absolu, un empirisme qui n’était pas sans danger pour celui qui y avait recours. Des animaux malades, notamment des rats, et des cadavres étaient lancés dans le camp ennemi345.

Le recours aux gaz est attesté quand il fallait chasser un ennemi d’une grotte ou d’une mine, qui était simplement enfumée. Corbulon fit appliquer cette tactique un peu particulière346.

Ces gaz étaient produits par le feu, qui pouvait être employé dans d’autres conditions. Les soldats remplissaient et scellaient des vases de céramique qui contenaient de la poix, de l’huile, du soufre, du bitume, préalablement enflammés ; ils les lançaient sur l’ennemi à l’aide de balistes. Ou ils les projetaient par des pompes, ce qu’on appelait le feu grégeois ; ces instruments étaient les ancêtres de nos lance-flammes, et ils sont attestés sur terre et sur mer347. Ou encore ils envoyaient des brûlots contre la flotte ennemie. Le feu était ainsi une arme contre des hommes (antipersonnel), contre des navires, ou contre des pièces d’artillerie (des torches faites de poix et de résine ont été employées avec succès)348.

LA GUÉRILLA ET LA CONTRE-GUÉRILLA

Une fois de plus, il convient de commencer par le vocabulaire. Le mot espagnol guerrilla, francisé en guérilla, traduit l’expression « petite guerre », plus traditionnelle dans notre beau langage349 ; elle est néanmoins faite par des guérilleros. César l’appelle alia ratio, « l’autre moyen » (de combattre), insidiae, « les pièges »350, et Végèce parle de combats occultis fraudibus, « avec des ruses secrètes », cachées, opposés à l’aperto conflictu, « le combat ouvert351 ». Le latin possède un vocabulaire assez riche pour décrire ce que des ennemis ont fait subir aux légionnaires : cunctatio, « la temporisation », excursio, « l’incursion » (violente), « le raid », levia certamina, « les petits combats », insidiae, « les pièges » ou « les embuscades », et leve ou minus proelium, exactement « le petit combat », « la petite guerre »352.

Si la définition est complexe, la réalité ne peut pas être simple. La guérilla relève à la fois de la tactique et de la stratégie ; nous reviendrons donc sur ce thème au chapitre suivant. Restons ici au niveau de la tactique qui est néanmoins très liée à la stratégie : si le coup de main relève de la tactique, la petite guerre dans son ensemble est un choix stratégique, soit conscient, soit imposé par les circonstances. La petite guerre a lieu quand une des parties en présence refuse la grande guerre, la guerre ouverte, en général parce qu’elle sait qu’elle n’a pas les moyens de vaincre ; elle est faite de coups de main, de harcèlements, de raids, etc.

Ici, c’est la contre-insurrection ou contre-guérilla qui nous retiendra, toujours dans le domaine de la tactique ; mais on ne peut pas les aborder sans parler au préalable de l’insurrection et de la guérilla.

On devine que les Romains, en raison de leur maiestas, ne recouraient à la petite guerre et aux formes voisines que dans des cas exceptionnels et sans s’en vanter, car ils pensaient ne pas en avoir besoin, étant normalement les plus forts. De toute façon, ils préféraient la bataille rangée, plus conforme à leur sens de l’honneur. C’est pour ces raisons qu’ils ont été amenés à pratiquer davantage la contre-guérilla que la guérilla elle-même.

La petite guerre présente des aspects variés, et les artisans de ces mouvements choisissent ce qui leur paraît le plus opportun suivant les circonstances, créant des combinaisons infinies. Une distinction majeure oppose des formes militaires et des formes économiques. Les techniques de guérilla purement militaires sont elles-mêmes nombreuses et définies par un vocabulaire également riche.

Au commencement est l’insurrection, qui débute par un massacre et qui est souvent accompagnée par un pillage ; c’est ce que firent les Juifs sous Néron353.

L’embuscade354 (insidiae) nécessite la surprise, donc l’effet psychologique, et elle anticipe sur une mauvaise application du principe de sécurité, sur le fait que le général ennemi aurait oublié d’envoyer des éclaireurs. Le chef essaie de l’organiser avec peu d’hommes et en tenant compte de la topographie ; il recherche surtout les hauteurs boisées, accessoirement les gués, les défilés et les marais. Des Bretons cachèrent des hommes dans des bosquets et ils attaquèrent des Romains venus couper leur blé355. Les Bellovaques placèrent des fantassins d’élite dans une forêt et, par des mouvements de cavalerie, ils y attirèrent des Rèmes, alliés des Romains, qui subirent beaucoup de pertes356. Dans les derniers jours de la guerre civile entre César et les pompéiens, des Lusitans, alliés de ces derniers, tuèrent le chef césarien Didius en le faisant tomber dans un piège357. En Bretagne, des Silures organisèrent des embuscades358. Cestius, déjà en déroute devant des guérilleros juifs, tomba en plus dans une chausse-trape359. Pendant la guerre civile de 69-70, les Germains tendirent des pièges aux Romains360.

Le désastre ainsi organisé pouvait être terrible. Celui qui a été subi par deux légats de César devant les Éburons en 54 avant J.-C. vit périr 7 500 hommes ; il y avait eu pire, au Trasimène, en 217, avec 15 000 morts, et il y eut pire encore, au Teutoburg, en 9 après J.-C., avec 20 000 morts. Mais ces trois graves défaites, en raison du très grand nombre de victimes, échappent peut-être au domaine de la guérilla. En 238, quand Maximin le Thrace voulut descendre en Italie pour réprimer une révolte, donc lors d’une guerre civile, ses ennemis avaient prévu de le faire tomber dans une embuscade ; finalement, les Italiens eurent peur, ils ne firent rien, et l’empereur disparut à la suite d’un soulèvement de ses propres soldats361. L’attaque par surprise, qui joue de la psychologie, est proche de l’embuscade, et d’ailleurs la surprise est nécessaire pour une embuscade ; on peut toutefois essayer de distinguer l’une de l’autre, cette dernière étant plus complexe362.

L’escarmouche est différente de l’embuscade ; un chef peut en provoquer une avant une grande bataille en plaine ; un autre commandant choisira d’en engager plusieurs à des moments très rapprochés pour épuiser l’adversaire. C’est ce que firent les Bretons contre Septime Sévère en 208-211, mais sans succès. Les Germains tentèrent les mêmes manœuvres contre l’armée de Maximin le Thrace363.

En revanche, le harcèlement ressemble assez à l’escarmouche, mais, dans ce cas, le chef recourt à toutes les formes d’action possibles et ne laisse aucun repos à l’ennemi. Cette méthode repose sur le principe du « hit and run », « frappe et sauve-toi » ; elle est choisie quand les conditions géographiques (montagne, forêts) et le manque d’hommes l’imposent. Des Bretons, les Silures, firent subir aux Romains leur harcèlement364. Cestius, dans la guerre juive, s’était avancé avec trop peu de troupes ; ses ennemis s’en aperçurent et sa colonne dut faire retraite, en proie à d’incessants coups de main. Les Romains, qui n’ont pas toujours gagné leurs conflits, durent fuir en abandonnant leur artillerie, leurs bagages et même leurs blessés365.

Les raids (irruptio au singulier) sont une autre forme de la guérilla, mais ils peuvent aussi appartenir à la grande guerre366. Ils impliquent la rapidité et la légèreté. Germanicus veut venger les morts du Teutoburg et il part avec une armée légèrement équipée, expeditus exercitus367 ; durant la guerre civile de 69-70, des cohortes expeditae, allégées de leurs bagages, sont envoyées de nuit pour vite frapper l’ennemi et revenir368. Les Germains savent organiser des raids. Ils attaquent un camp romain de nuit, pénètrent dans l’enceinte en suivant un cours d’eau et ils coupent les cordes des tentes. Les Romains réagissent en mettant l’épée à la main, ce qui est conforme à leurs traditions369.

D’autres formes de guérilla sont plus originales. L’évitement est à la fois stratégique et tactique : le chef qui le pratique fuit tout contact pour épuiser et désorienter l’ennemi ; c’est ce que le latin appelle la cunctatio, « la temporisation »370. Elle ressemble à la déception, qui, également, relève soit de la tactique, soit de la stratégie, et qui a été pratiquée par les Vénètes en 56 avant J.-C.371. Il y a déception quand les insurgés laissent l’ennemi faire de vastes préparatifs et fuient juste avant l’attaque. Les Gaulois, conscients de la force des Romains, refusèrent la bataille en rase campagne. En un premier temps, ils installèrent leurs forces d’infanterie dans des agglomérations du bord de mer. Ils regardaient les Romains qui faisaient d’importants travaux de siège. Puis, juste avant que ne soit donné l’assaut, ils s’embarquaient pour un autre port. Voyant qu’il ne parviendrait à rien en poursuivant de la sorte, César fit construire une flotte. Mais les Vénètes pratiquèrent de nouveau la déception, cette fois sur mer. Pourvus de vaisseaux à haut bord et à fond plat, ils ne pouvaient pas être atteints par l’abordage, les assaillants ne réussissant pas à atteindre le pont de l’ennemi, ni par l’éperonnage, l’éperon glissant sous le bateau. Pour que César obtienne le succès, il fallut une intervention divine (Neptune fit tomber le vent) et le génie d’un centurion qui inventa une sorte de faux capable de couper les cordages des navires armoricains.

On voit que de nombreuses possibilités de guérilla s’offraient aux ennemis des Romains. Et, outre ces programmes militaires, ils pouvaient utiliser l’économie de manière peu théorisée mais bien connue.

L’aspect le plus simple et le plus répandu de cette guérilla économique était la razzia ou le pillage, qui n’était pas le propre de la guérilla, loin s’en faut. En revanche, il n’était pas courant de couper les routes et les ponts ; ces interruptions n’avaient lieu que pour faciliter d’autres opérations tactiques plus vastes. Une troisième possibilité était bien plus répandue et mieux connue : la terre brûlée, considérée tantôt comme une tactique, tantôt comme une stratégie ; c’est en réalité une tactique mise au service d’une stratégie (les manuels parlent souvent seulement de stratégie). En 52 avant J.-C., Vercingétorix avait réussi à chasser César du nord de la Gaule par ce moyen ; il avait fait détruire toutes les réserves de grain, et il faisait attaquer tous les convois qui venaient du sud. Les Romains étaient en pleine retraite, même si César ne veut pas le reconnaître, quand le chef gaulois eut la mauvaise idée de l’attirer devant Alésia372.

Depuis le milieu du XXe siècle – surtout mais pas exclusivement il est vrai –, deux nouvelles formes de petite guerre sont apparues, la guerre du peuple et la guerre révolutionnaire. Elles ont été théorisées notamment par le général Giap373, par Mao Tse Toung (aujourd’hui écrit sous la forme Zedong) et par Che Guevara. Giovanni Brizzi a défendu une thèse novatrice : les Juifs ont pratiqué contre Rome une guerre du peuple, ils n’avaient pas établi de front défini, ils se dressaient individuellement, par organisations ou par groupes, animés par une idéologie, par le nationalisme et la religion374.

Quatre points posent problème, un peu plus que les autres. D’abord, le stratagème est considéré par les uns comme propre à la guérilla, par les autres comme caractéristique de la grande guerre. En fait, il y a eu deux sortes de stratagèmes, pour chacune de ces occurrences. Ensuite, l’intoxication (psychologie) a été peu utilisée, bien que les Romains aient senti toute l’importance de la psychologie. De plus, les émeutes et les attentats (domaine militaire) comme éléments de la guérilla urbaine sont également rarement attestés375, même si de nombreux combats en milieu urbain sont connus ; on l’a vu. Enfin, les sabotages économiques semblent ne pas avoir été très fréquents comme éléments de ce type de conflit.

Quand ils s’estimaient victimes de la petite guerre, les Romains mettaient en place des mesures de contre-guérilla ou de contre-insurrection, comme on voudra, qui visaient à réduire la guérilla ou l’insurrection. La violence l’emporta souvent, et pas toujours avec succès. La guerre des Gaules a fourni plusieurs exemples de guérilla et de contre-guérilla. Les Morins et les Ménapes (Flandres actuelles) n’avaient pas demandé la paix à César et ils se terraient dans des forêts et des marécages. Le proconsul fit raser la plus grande partie de la forêt ; il fit tuer le bétail et brûler les bourgs et les fermes376. Les Éburons avaient pris au piège 7 500 soldats. César ne le leur pardonna jamais ; il donna la chasse à leur chef, Ambiorix, et il fit disparaître leur peuple : le territoire fut démembré, partagé entre les voisins qui furent appelés à piller les biens, et beaucoup d’humains furent vendus comme esclaves377. En Afrique, contre Tacfarinas (17-24 après J.-C.), les Romains échouèrent d’abord ; ils ne connurent le succès qu’en divisant leurs forces en trois puis quatre colonnes formées de troupes légèrement équipées (milites expediti) et de petites unités378. Contre l’Iran, qui préférait la guérilla à la guerre, Corbulon lui aussi divisa ses forces, confiées à des légats et à des préfets, qui attaquaient dans des endroits divers379. Le même recourut à des barbares contre d’autres barbares, Hibériens contre Mardes380. Devant les embuscades et raids des Juifs, Cestius appliqua le 36e stratagème de l’anonyme chinois : il prit la fuite381. Peu après, en réaction, les légionnaires égorgèrent en moins d’une heure 10 500 Juifs382.

Dans une tactique de contre-guérilla, les Romains aussi savaient tendre des embuscades quand il le fallait. Ils le firent au détriment des Juifs. Une fois, 8 000 d’entre eux furent pris au piège et tués ; et ce ne fut pas la seule chausse-trape de ce conflit383. Dans la guerre civile de 68-69, les vitelliens se signalèrent par leur recours à cette tactique. Caecina cacha une infanterie nombreuse dans des bois touffus ; il envoya des cavaliers provoquer les othoniens, avec ordre de reculer jusqu’au bois (c’était la fuite feinte). Le piège fut éventé et une contre-embuscade fut organisée, avec des unités placées sur la gauche et sur la route, appuyées par une réserve ; elle échoua elle aussi384. Les othoniens ne furent pas en reste. Apprenant cette embuscade, Celsus organisa, si l’on peut employer ce mot, une contre-contre-embuscade ; il envoya des cavaliers qui, avec la plus extrême prudence, encerclèrent l’infanterie ennemie et lui tuèrent beaucoup de monde385.

Les Romains organisaient également des raids contre leurs ennemis, surtout quand ces derniers s’étaient conduits de manière traîtresse, contre les lois de la guerre, car le raid n’entrait pas dans leur éthique. Ils recouraient à des commandos, analogues à nos modernes forces spéciales, les numeri de Germains surtout, et aussi de Bretons, et des socii divers, des archers osrhoéniens et des lanceurs de javelots maures. Lors de ces raids, les Romains détruisaient hommes et biens : « Toute la Galilée était à feu et à sang », dit Flavius Josèphe. Contre les Ordoviciens de Bretagne, qui avaient attaqué un camp et en partie détruit une aile, un raid fut mené et ils furent presque totalement anéantis à leur tour386. Sous Sévère Alexandre, des légions reçurent la consigne de se conduire avec discrétion pour une entreprise de ce genre387. Les soldats choisis étaient équipés à la légère ; on disait que le soldat était un miles expeditus388 ; mais on pouvait avoir toute une armée dite exercitus expeditus389. Là encore, on appliquait le « hit and run ». Les Romains l’utilisaient volontiers pour punir des ennemis considérés comme des traîtres.

En conclusion, une extrême violence, déchaînée par les chefs, réussissait à écraser les insurgés dans des circonstances telles que la contre-guérilla se transformait en un terrorisme d’État. Pour réduire un mouvement insurrectionnel, l’État romain donnait au chef qui commandait sur le terrain, toute licence d’agir, jusqu’à recourir aux actes les plus cruels, sans épargner les civils, vieillards, femmes et enfants compris. Il n’agissait pas ainsi par pur sadisme, mais parce que le guérillero s’était mis de lui-même hors la loi. Toutefois, les responsables essayaient aussi de séduire ceux des ennemis qui pouvaient l’être et ceux qui n’étaient pas encore des ennemis déclarés mais qui risquaient de le devenir.

Quoi qu’il en soit, et s’ils ont parfois perdu des batailles en rase campagne, les Romains ont normalement remporté toutes leurs opérations de contre-guérilla.

LE COMBAT NAVAL

Après la terre, la mer.

Pour comprendre la bataille navale, il n’est pas utile de revenir sur les navires de guerre, liburnes, trières, « 5 », « 20 », « 30 », « 40 », etc., ni sur leurs qualités exceptionnelles. Il faut peut-être, en revanche, rappeler que leur équipement était de grande qualité. Du point de vue de l’armement collectif, ils étaient pourvus d’une artillerie placée sur le pont et sur des tours ; on y trouvait les armes qui ont déjà été vues (chapitre 3), des balistes, des onagres, des scorpions, et les hommes utilisaient aussi des frondes et des fustibales390. Elles projetaient des dauphins (masses de plomb, de pierre, ou d’autre chose), des poutres (asser au singulier), des madriers de 2 à 2,5 m, couverts de fer et qui étaient lancés dans le gréement de l’ennemi (le célèbre harpax)391. Le feu occupait une place importante dans cet attirail, comme on l’a dit, avec le recours à des pompes analogues à nos lance-flammes, le feu grégeois, et des brûlots392.

L’armement individuel n’était pas moins efficace que l’armement collectif. Les marins, qui s’appelaient soldats rappelons-le, utilisaient des faux, des haches à deux tranchants et des grappins pour l’abordage, et les mêmes armes que les fantassins une fois qu’ils étaient passés sur le pont du navire ennemi, l’épée et le javelot.

Il était relativement aisé de construire 1 000 navires393, et la destruction de cette flotte par une tempête ou par un échouage ne constituait pas un grand désastre394. Mais il y avait un inconvénient : les marins, au moins dans la flotte de Germanie, avaient acquis une réputation de médiocrité et de lâcheté ; Cerialis n’en utilisa pas moins leurs navires pour lui et pour ses hommes395.

La marine romaine avait une raison d’être396 ; elle en avait même plusieurs, comme il l’a été dit à propos de la logistique des armées, de l’appui aux forces terrestres et des voyages officiels, notamment. Elle transportait des biens, des armées ou des personnages importants, car le voyage par voie de mer (ou de fleuve) fatiguait moins que par voie de terre397. C’était surtout en cas de guerre contre l’Iran que le trajet vers Séleucie de Piérie était activé398. De très nombreuses opérations mixtes, terre-mer, sont attestées dans l’histoire romaine. Comme on l’a dit, elle remplissait des missions variées. Elle devait être prête pour affronter un ennemi encore inconnu. Et surtout, elle permettait la projection de forces (troupes) ou de puissance (parfois sans la présence de soldats).

Plusieurs entreprises de César ont impliqué le recours à la flotte, notamment ses débarquements en Bretagne et l’expédition de Curion en Afrique399. Les généraux d’Auguste chargés de conquérir la Germanie s’en sont servis. Toujours sous le même prince, et pour faire disparaître le réduit galicien, la marine débarqua un quatrième corps, qui vint se joindre aux trois premiers chargés d’attaquer trois objectifs ennemis400. Tibère l’utilisa pour une opération combinée terre-mer qui le mena jusqu’à l’Elbe401. Ainsi fit aussi Germanicus contre les mêmes Germains. Quarante cohortes gagnèrent le pays des Bructères puis l’Ems ; des cavaliers marchèrent sur le territoire des Frisons ; quatre légions furent transportées par bateaux et, finalement, tous ces corps se réunirent402. Quand Claude voulut conquérir la Bretagne, il a bien dû faire traverser la mer à ses fantassins et à ses cavaliers. Pour atteindre l’île de Mona, les fantassins furent transportés dans des barques à fond plat ; les cavaliers passèrent à gué ou à la nage403. Dans la guerre civile, Mucien proposa à Vespasien de prendre l’Italie par terre et par mer, dans une opération combinée qui se poursuivit en tenaille404. Pour achever la conquête de l’île de Bretagne, Agricola organisa un déplacement des troupes par terre et par mer ; la flotte portait les bagages et les marins participaient à des raids ; ils ravageaient le littoral405. Septime Sévère utilisa la marine dans son conflit avec Pescennius Niger406. Enfin, la flotte travaillait pour le renseignement, par exemple en envoyant vers l’avant des navires camouflés (catascopium d’Aulu-Gelle, picati ou picti de Végèce)407.

Il lui arrivait aussi de participer à des batailles sur mer, sur un fleuve, sur des lacs, des canaux ou des estuaires ; elles mettaient en jeu leur armement collectif et devenaient des batailles d’escadres si les effectifs étaient suffisamment importants. Au temps de César eurent lieu des rencontres contre les Vénètes (une)408, contre les Marseillais (deux) et contre les Alexandrins (trois dans ce dernier cas)409. Sextus Pompée, fils du grand Pompée, engagea une vraie guerre sur mer contre Octave, futur Auguste, et la perdit410. Quant à l’empire, il est né d’une des grandes batailles navales de l’histoire romaine, qui eut lieu à Actium, en Épire, le 2 septembre 31 avant J.-C.411. Elle n’eut pas d’équivalent avant le Bas-Empire (bataille d’Eleous qui se déroula en 324, non loin d’Andrinople, au débouché de l’Hellespont puis dans l’Hellespont même). La flotte d’Octave, que secondait avec brio Agrippa, comptait 400 navires de petite taille, allant des « 2 » aux « 6 ». Elle encerclait l’île de Leucate et le littoral d’Actium, et elle s’appuyait sur un camp à terre, proche de la ville. Antoine possédait moins de bateaux, mais des bateaux plus gros, allant des « 6 » aux « 9 ». Il avait pour alliés surtout l’Égyptienne Cléopâtre et aussi des peuples de l’Orient, notamment Arabes et Sabéens. On pense en général que la victoire vint de l’artillerie d’Octave, de ses projectiles, enflammés ou non, et des éperonnages. À un moment donné, Cléopâtre prit peur et s’enfuit. Antoine ne put résister seul et il la suivit après un temps de lutte. Ses soldats l’abandonnèrent. Velleius Paterculus considère que ce combat fut une victoire des petits bateaux sur les gros412.

Un combat naval oublié eut lieu sur le lac de Genesareth, opposant des navires juifs, en fait des petites barques, et des radeaux montés par les Romains ; ces derniers l’emportèrent et ils massacrèrent leurs adversaires413. Pendant la guerre civile de 69-70, Cerialis opposa sa flotte fluviale à celle que possédaient les Germains de Civilis ; il possédait des avantages : l’expérience des rameurs, l’habileté des pilotes et la taille des vaisseaux414. Mais, quelle qu’ait été la qualité des navires et des hommes, des échecs survenaient parfois. À la même époque, les Germains réussirent à prendre 24 navires aux Romains415.

En outre, la marine assurait la surveillance du littoral pour empêcher le retour de la piraterie ; telle fut la mission de Corbulon sur le Rhin et ses affluents416. Étant données les circonstances, à savoir la totale maîtrise de la terre que possédaient les Romains, les pirates n’étaient pas nombreux. Et, au mieux, ils pouvaient piller les villes côtières ; il leur arrivait rarement d’attaquer des navires en haute mer. Contre eux, s’il y en avait, il restait deux recours possibles, le blocus et la course ; il était peut-être plus facile d’envoyer des forces terrestres qui prendraient d’assaut leurs bases. Ajoutons que le mot « pirate », comme le terme « brigand », désigna des ennemis politiques plus souvent que de vrais truands. Sextus Pompée fut ainsi promu chef de pirates par Octave417. Il proposa à son adversaire « une bataille navale décisive » ; en vain418.

Sur mer surtout, les navires pouvaient être impliqués dans des combats individuels ou collectifs, le combat collectif se terminant toujours par une multitude de combats individuels, comme c’était le cas sur terre au demeurant. Comme sur terre également, le recours aux stratagèmes n’était pas interdit ; il était seulement mal vu des Romains traditionalistes. Quand deux navires s’affrontaient, ils avaient le choix entre l’éperonnage et l’abordage.

L’éperonnage419, le choc d’un éperon sous la ligne de flottaison d’un bateau pris par le flanc, nécessitait un équipage bien entraîné : il fallait frapper vite et fort, puis effectuer un retrait très rapide, faute de quoi l’assaillant était tiré vers le fond par l’assailli quand celui-ci coulait. En ce qui concerne l’abordage, il a donné matière à quelques sottises, puisque des auteurs ont écrit que les Romains brillaient dans cet exercice car il leur permettait d’appliquer sur mer la tactique qu’ils avaient apprise sur terre. Cette idée est absurde pour deux raisons. D’abord, les marins, ne se battant jamais sur terre, ne pouvaient pas connaître cette tactique. Ensuite, il est strictement impossible de pratiquer la triplex acies sur le pont d’un navire, même s’il est très large. Dans ce cas, donc, les soldats sautaient à bord du navire ennemi, puis ils se livraient à un corps-à-corps qui était sans aucun doute un moment terrible et cruel, qui se réduisait à une série de duels à l’escrime (c’est cela qui est « comme sur terre »). Appien assure que les navires à haut bord avaient un avantage, parce qu’il est plus facile de descendre que de monter et parce que les projectiles sont plus efficaces dans ce cas420 ; on le croit sans peine.

Les combats d’escadres, eux, pouvaient se dérouler suivant deux modèles différents. Pour leur ordre de bataille, les navires, contrairement à ce qui a parfois été dit, ne se rangeaient jamais sur une ligne droite, mais ils adoptaient la forme d’un croissant, voire d’un demi-cercle, avec ici aussi deux possibilités. Dans l’échelon concave, ils présentaient la concavité à l’ennemi, et leurs navires les plus puissants étaient placés aux ailes. Dans l’échelon convexe, le dispositif était inverse : convexité vers l’ennemi et gros navires au centre. Ensuite, pour l’engagement proprement dit, l’amiral avait le choix entre le diekplous et le periplous, deux mots grecs – ce qui n’a rien d’étonnant – et qui désignaient des manœuvres. Le periplous était la manœuvre enveloppante des armées de terre transposée sur l’eau : une aile de la flotte qui voulait attaquer se déployait autour de l’aile qui lui faisait face pour l’encercler, puis ses navires tentaient de détruire chacun un adversaire dans une suite de duels421. Dans le diekplous, les bateaux agresseurs avançaient tout droit, ils passaient entre les lignes de leurs ennemis, bord contre bord, en brisant leurs rames au passage, puis ils revenaient pour attaquer tranquillement, par l’arrière ou par le flanc, cet adversaire qui était immobilisé422. Dans les deux cas, l’éperonnage a dû être la meilleure solution, mais l’abordage n’était pas impossible. Un objectif était de pousser le navire ennemi contre la côte pour gêner ses mouvements et le détruire au cours d’un duel423.

L’embuscade, possible également sur mer, imposait une particularité ; les navires se cachaient dans des îles et ils prenaient de flanc le convoi ennemi. C’est ainsi que finit la première guerre punique, par un piège que les Romains tendirent aux Carthaginois dans les îles Ægates, en 241.

Et les civils…

Les militaires vaincus n’étaient pas les seuls à souffrir après la défaite. Un aspect du problème, que nous avons appelé « le visage de la bataille » ou « de la guerre » pour les civils424, et qui n’a jamais été étudié, mérite d’être connu, ce qui est difficile, il est vrai, en raison des lacunes de la documentation. Chaque armée en déplacement, a-t-il été dit plus haut, était accompagnée par une foule de civils, domestiques, artisans, commerçants, prostituées, épouses et enfants.

Pendant une bataille, ces civils étaient partagés entre la peur et l’espoir. Si leur camp l’emportait, il ne se passerait rien pour eux, ce qui était la meilleure solution possible. S’ils étaient du côté des vaincus, ils subiraient une tétralogie de maux : le vol, le viol, le meurtre et l’incendie ; c’étaient là les « dommages » ou « dégâts collatéraux » de l’Antiquité, le vrai soir de bataille. Comme nous l’avons dit, une sorte de droit international, coutumier et non écrit, entérinait ces pratiques ; s. Augustin, dont on ne peut mettre en doute le sens moral, avait écrit au début du Ve siècle que c’était normal ; c’était le ius belli, la consuetudo bellorum (ce point a été examiné plus haut).

Après une victoire sur des Juifs, les Romains limitèrent leurs exactions au massacre et à l’incendie425. La guerre civile ne limitait pas toujours les horreurs. Turin et d’autres villes d’Italie subirent des meurtres, des viols et des incendies426. Au sac de Crémone, 40 000 soldats accompagnés de valets, de calones et lixae, se laissèrent aller aux mêmes pratiques, avec plus d’ampleur que d’habitude427. Nous avons vu plus haut d’autres exemples de cruautés.

Le butin, nous l’avons dit, représentait la partie la plus attractive d’une guerre pour les soldats ; c’était le salaire de la peur428. Ils s’emparaient de tout ce qu’ils pouvaient prendre, mais suivant une organisation propre à l’armée romaine. Le pillage ne passait pas pour une injustice, ni pour un crime, aux yeux de tous, même des victimes.

Ensuite, les femmes étaient violées429 : peut-être était-ce une façon, pour les vainqueurs, de se défouler après la peur du combat ; on peut supposer qu’ils éprouvaient aussi le plaisir d’humilier le vaincu, et enfin le besoin d’apprendre à la femme qu’elle avait perdu sa liberté et qu’elle était devenue une esclave. Non-combattante, et pourtant vaincue et victime.

Puis les soldats tuaient des civils430, parfois pour leur faire avouer où ils avaient caché leur magot, parfois pour le plaisir du meurtre431 ; peut-être était-ce aussi une autre forme de défoulement. Quand ils étaient très irrités, ils s’en prenaient même aux femmes, comme ils le firent en Bretagne sous les ordres de Suétonius Paulinus432. En Judée, il leur arriva de tuer des vieillards, en plus des femmes et des enfants433. Que ce fait ait été remarqué prouve qu’ils étaient épargnés en temps normal ; mais on ne devait pas être en temps normal. Surtout, ils massacraient (presque ?) sans pitié ceux qui leur avaient résisté. À la fin de la guerre contre les Juifs, peuple qui leur avait causé de sérieuses difficultés, les militaires romains les soumirent à un traitement spécial : beaucoup avaient été ou furent alors mis à mort, et ceux qui restaient furent condamnés à l’exil, dispersés dans l’empire, ce qui augmenta considérablement la diaspora434.

Enfin, et par tradition, ceux qui l’avaient emporté allumaient des incendies435 ; le plus célèbre de ces feux de joie fut très probablement celui qui détruisit Carthage en 146 avant J.-C. C’était à l’issue d’un siège, moment où se déchaînaient des cruautés sans nom.

Onesandros recommanda bien d’être humain avec les vaincus ; c’est la preuve qu’il connaissait mal la guerre436.