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Jeudi 10 septembre 2009

Ils fixent l’écran de télé, tendus. Seul Rajkumar est assis. Quinn et Tau Masilo restent debout.

On voit sur la vidéo les membres du Comité suprême arriver les uns après les autres au 15, Chamberlain Street, Suleyman Dolly en dernier. Grâce au MEA dissimulé dans le support de l’antenne parabolique, on entend leur conversation. Le son est creux, brouillé, mais plus tard Rajkumar va l’affiner en le traitant avec ses logiciels. C’est déjà assez clair pour qu’on entende les extrémistes se saluer en posant gentiment des questions convenues sur la santé des uns et des autres.

– Venez. Ce matin, l’ordre du jour est bref.

C’est sans doute la voix de Suleyman Dolly qui leur parvient… Les trois investigateurs dressent l’oreille, pleins d’espoir.

– Ça se comprend, Cheik, dit un autre membre du comité.

– Pourquoi est-ce que nous n’avons aucune nouvelle ? On n’a plus de temps, dit un autre.

Seul Tau Masilo est frappé par l’étrangeté de ces propos de conspirateurs tenus en afrikaans : cela donne une impression d’invraisemblance ; on dirait une série télévisée.

– Il suffit d’avoir la foi, dit Dolly.

– Allahu Akbar !

– Allons-y, dit Dolly.

Quinn regarde Masilo.

– Ça veut bien dire ce que je pense ? demande Rajkumar en anglais.

– Un instant… dit Masilo.

Les haut-parleurs transmettent un bruit de pas sur le sol.

– Ils se déplacent, dit Raj en regardant le plan de la maison du n° 15, ouvert devant l’écran de télé. La grande question est : où ? Est-ce que le MEA sera à la hauteur ?

Les haut-parleurs sont muets.

– Merde ! s’exclame Raj. Ils descendent à la cave.

Quinn règle le volume. On entend un sifflement, de vagues échos d’une voix d’homme, malheureusement incompréhensibles.

– Vous pourriez nous filtrer ça ? demande Quinn.

Rajkumar secoue la tête, très déçu.

– Probablement pas.

Ils attendent, guettant les haut-parleurs. Leurs derniers espoirs s’évanouissent.

– Allez, Raj, dit Masilo pour l’encourager. Nous savions tous que les chances étaient limitées. Ils ne sont pas idiots.

– Oui, je sais. Mais, merde, on a juste besoin d’un peu de veine. Je veux dire, on mérite bien d’avoir un coup de bol, quand même, non ?

– Tout vient à point à qui sait attendre, persifle l’avocat.

Raj complète le proverbe, pessimiste, comme d’habitude :

– Tout vient, effectivement… mais souvent trop tard.

Vendredi 11 septembre 2009

Janina Mentz se rend au bureau du ministre de la Sécurité publique, trois rues plus loin ; elle a rendez-vous à 11 heures.

Elle marche sous la pluie, droite comme un I, d’un pas assuré. Elle a bien préparé cette rencontre : dans sa serviette se trouve le rapport, produit de tant de soins. Elle a tout prévu, visualisé le jovial ministre au crâne rasé, volontiers souriant, qui la recevra chaleureusement et lui proposera une tasse de thé ; elle acceptera en le remerciant. Elle prendra place et composera avec une lenteur délibérée la combinaison de la serrure de sa serviette, ensuite elle sortira le dossier, mais le gardera sur ses genoux.

Le ministre demandera si elle va bien, puis : « Comment vont les affaires de l’Agence ? » Elle répondra : « On ne peut mieux, monsieur le ministre », tout en le remerciant de lui avoir accordé de son temps avec si peu de préavis… Mais, aussi intempestif que cela puisse paraître, elle se voit obligée de porter à sa connaissance sans délai une affaire à laquelle de récents développements donnent un relief tout particulier.

Elle attendra sa réaction : le sourire du ministre qui se fige, ses sourcils levés… Puis elle dira, en choisissant ses mots, que l’affaire est sensible, très sensible. Une affaire trop… (comment dire ?) gênante pour que l’on en discute moins confidentiellement, à la réunion hebdomadaire sur la sécurité.

Là, elle marquera une pause pour lui laisser le temps d’absorber les non-dits. Le ministre est intelligent : il en tirera les conséquences. Elle pourrait l’aider un peu en soulignant que seule l’ARP dispose de cette information (mouvement de la tête pour indiquer le dossier) et que la confidentialité n’est donc pas menacée.

C’est alors qu’elle révélera au ministre qu’il s’agit du commerce d’armes.

Elle compte sur la portée de ce dernier mot, chargé de sous-entendus, que le parti au pouvoir et le candidat à la direction du nouveau service de renseignement ne pourront pas ignorer. Sous-entendus ressuscités par une polémique toute récente, opportunément déchaînée par l’opposition. Cela donnera un bon coup de fouet au rythme cardiaque du ministre. Janina Mentz compte là-dessus.

Alors, elle marquera une nouvelle pause, avant de procéder à la révélation suivante, plus compliquée.

« Monsieur le ministre, des extrémistes musulmans sont impliqués dans cette affaire… Tout indique qu’ils organisent un attentat terroriste… Ici, au Cap… en utilisant des armes importées… »

Ce qui lui donnera matière à réfléchir.

« Nous allons focaliser toutes les ressources possibles là-dessus, monsieur le ministre… Car nous sommes conscients que cela pourrait mettre le président dans une position très délicate. »

Le ministre saisira tout de suite que cette « position délicate » a trait à… ces maudites ventes d’armes à l’Iran et à la Libye.

Puis elle soulèvera lentement le dossier qu’elle aura laissé jusque-là sur ses genoux pour le placer solennellement sur le bureau ministériel.

« Si, après avoir pris connaissance des détails, vous désirez discuter de cette affaire, nous sommes évidemment à votre disposition vingt-quatre heures sur vingt-quatre. »

En traversant Parliament Street, Janina Mentz lève son bras gauche, qui porte la serviette, pour pouvoir consulter sa montre. Elle est un peu en avance. Elle ralentit son allure, tenant fermement son parapluie sous la pluie froide qui tournoie autour d’elle.