Lundi 14 septembre 2009
À 6 h 46, pendant qu’il prend son petit déjeuner avec sa femme et ses deux fils adolescents dans sa maison de Nansen Street, à Claremont, dans la banlieue du Cap, Quinn reçoit un SMS. Il jette un coup d’œil à l’écran de son téléphone, s’excuse, quitte la table de la cuisine, va dans sa chambre et appelle Masilo.
– Osman se trouve à l’aéroport, il part pour Walvis Bay, dit-il lorsque Masilo répond.
– Le vol est à quelle heure ?
– Probablement dans l’heure qui suit.
– Il faut qu’on se magne, alors.
– Nous n’avons qu’un opérateur en Namibie. À Windhoek. Je vais l’appeler pour savoir dans combien de temps il pourra être à Walvis Bay.
– Merci, Quinn… Walvis Bay ? Qu’est-ce que le Comité suprême peut avoir à faire à Walvis Bay ?
– Mais pourquoi donc Walvis Bay ? demande Janina Mentz, assise à la table ronde de son bureau.
Il est 8 h 41.
– C’est un port. Importation, des armes, dit Tau Masilo.
– Vous spéculez…
Masilo s’est préparé.
– Bien sûr. Le principe d’Occam, madame : l’explication la plus simple se révèle généralement juste. Après sa débâcle avec Ismail Mohammed, le Comité suprême va vouloir attirer l’attention au Cap le moins possible : ils sont de plus en plus méfiants. Ils savent qu’il va être difficile de débarquer des armes ici ; si quelque chose va de travers, ils se retrouveront sous le feu des projecteurs. Alors, il faut reconnaître que le choix de Walvis Bay est intelligent : niveau de sécurité moins élevé, pots-de-vin moins chers, bonnes liaisons en direction du Gauteng en passant par le couloir du Kalahari. Et si une erreur intervenait, leur implication ne serait pas évidente.
Mentz soupèse cet argument, hoche la tête.
– Possible… Alors, que fait-on ?
– Osman fait escale à Windhoek, où il a une correspondance. Nous n’avons qu’un opérateur là-bas. Il est déjà en route pour Walvis Bay, en voiture ; il devrait y être une heure avant Osman.
– Osman arrive à quelle heure ?
– À 13 heures.
– Qu’est-ce qu’il vaut, notre homme là-bas ?
– Il s’appelle Reinhard Rohn, trente ans d’expérience, un vieux renard. Ses rapports sont toujours minutieux. Et ponctuels.
– Où donc est-ce que nous les dénichons, ces gens ?…
Mais Mentz fronce les sourcils.
– Si nous avions eu quelqu’un à l’intérieur, Tau, nous aurions pu placer trois de nos meilleures équipes là-bas, à attendre Osman.
Masilo se borne à hocher la tête, cette question n’étant pas à son goût. Il change de sujet :
– Nous savons qui va acheter les diamants envoyés par Johnson Chitepo.
Il faut un moment à Mentz pour comprendre.
– Ah bon ?
– Oui : la distribution des rôles dans ce drame devient de plus en plus intéressante. Pendant le week-end, Inkunzi Shabangu a appelé encore une fois le Comité suprême pour leur communiquer la nouvelle. Le nouveau venu est apparemment M. Willem Tweety l’Oiseleur de La Cruz, chef de bande dans la Plaine du Cap1.
– Vous plaisantez ?…
– Allons, Mac, on a du boulot, dit Mme Killian peu après 10 heures, en faisant rouler son fauteuil jusqu’au bureau de Milla.
Elle attend que MacFarland rapproche également son siège, puis pose les gros dossiers sur la table.
– Milla, c’est votre premier gros enjeu, et il faudra que ce soit prêt demain matin, dit-elle. Mais ne vous faites pas de souci, Mac sera votre filet de sécurité…
Mme Killian donne à Milla le premier dossier.
– Bandes criminelles de la Plaine du Cap. Ici il y a pas mal de matériel : le défi est de faire tenir tout ça dans trois ou quatre pages, une pour le contexte… mais il faudra se concentrer sur la dernière décennie, le reste n’est pas vraiment pertinent. Une page sur l’état actuel des choses : encore une fois, les grandes lignes seulement, un bref survol. Puis une page sur un gang spécifique : les Restless Ravens. Pas plus d’un paragraphe ou deux sur leur historique ; il faut se focaliser sur ce qu’ils combinent en ce moment, leur configuration actuelle. Ce qui m’amène à toi, Mac. Tu vas t’occuper d’un M. Willem de La Cruz, alias « Tweety l’Oiseleur » ou « Willy »…
– Eh bien, ça, ma chère…
– Non, ce n’est pas le moment, Mac, s’il te plaît. De La Cruz est le caïd des Restless Ravens, c’est lui qui nous intéresse le plus…
– Comme il se doit. Vous savez ce que l’on dit : au bal des oiseaux apporte donc du blé…
– Pitié, Mac !
– Allons, maman ! Tweety l’Oiseleur, Ravens, Willy2… Ça fait très freudien, pour dire le moins…
À 12 h 25, Quinn passe la tête par la porte du bureau de Masilo.
– Reinhard Rohn, notre homme en Namibie, vient d’appeler. Il se trouve dans la salle des arrivées à l’aéroport de Walvis Bay et attend Osman.
– Il sait sûrement qu’il faut être très discret.
– Oui.
– Comment va-t-il reconnaître Osman ?
– J’ai envoyé trois photos sur son portable.
Masilo est satisfait.
– Tenez-moi au courant.
– Bien sûr… (Quinn hésite.) Maître, cette affaire de Tweety l’Oiseleur de La Cruz…
– Oui ?…
– Si le Comité suprême… cette affaire pourrait déclencher une guerre dans la Plaine du Cap. Si Suleyman Dolly se met à souffler dans les oreilles de PAGAD…
– Je ne pense pas que Dolly serait aussi bête. Il veut les diamants, et s’il provoque des troubles, les contrebandiers pourraient chercher d’autres acquéreurs.
Quinn opine du chef.
– Espérons que vous ayez raison.
À quatorze kilomètres à l’est de Walvis Bay – et deux kilomètres seulement de la frontière du parc national Namib-Naukluft – se trouve l’aéroport, oasis minuscule dans l’étendue sans bornes du désert du Namib.
Le bâtiment moderne, toiture de métal gris et murs crépis couleur saumon, est entouré de palmiers et de petits carrés de gazon vert. Pour Reinhard Rohn, opérateur de l’Agence présidentielle de renseignement, le plus gros avantage, et inconvénient, est que le bâtiment est relativement petit et l’aéroport plutôt tranquille. Les salles de départ et d’arrivée étant contiguës, il est facile de les surveiller, mais il n’y a pas grand-chose en matière de cachettes.
À cinquante et un ans, Rohn est un ancien. Il se poste devant la baie vitrée qui donne sur la piste pour être sûr d’identifier Osman lorsqu’il débarquera de l’avion et s’acheminera à pied vers le bâtiment. Rohn se remet en mémoire ses traits, la couleur beige de son costume coupé sur mesure, sa chemise bleu pâle à col ouvert, et la petite valise noire à roulettes.
Puis il sort du bâtiment et suit le chemin dallé conduisant au parking où il a laissé son pick-up, un Toyota blanc. Il monte à bord, sort des jumelles de la boîte à gants, les focalise sur l’entrée et attend.
Sept minutes plus tard, il voit Osman sortir ; il remarque qu’il n’a pas d’autres bagages que sa valise à roulettes. Il le suit des yeux quand il s’achemine vers le parc de stationnement d’Avis, où il disparaît de sa vue.
Rohn met le contact et positionne le pick-up pour pouvoir surveiller le bon chemin d’accès.