Tau Masilo ne s’occupe pas beaucoup du passé. Il se préoccupe surtout de l’avenir. Mais il laisse dans son agenda une trace du 18 septembre.
Depuis que Janina Mentz l’a coincé la veille avec sa question sur Baadjies, il ne se sent pas bien. Il est avocat, et c’est une question d’honneur que d’être préparé, informé, d’explorer tous les coins et recoins de l’affaire en cours, pour pouvoir donner un avis pondéré, réfléchi. C’est pour cela que Mentz l’a nommé.
Il sait pourquoi il s’est laissé prendre au dépourvu avec cette histoire de Baadjies. En fait, c’est très simple : trop de choses se sont produites en même temps. Mais Masilo ne croit pas aux justifications ni aux excuses. Après toute l’excitation des écoutes et l’interception des e-mails, c’est seulement aujourd’hui, en milieu de journée, qu’il a enfin eu le temps de vraiment réfléchir. Il relit alors le document de l’Équipe Rapport sur la criminalité organisée, il passe en revue toutes les transcriptions pertinentes, il réfléchit, s’autorise à spéculer… Hâtivement, il griffonne sur son agenda, de son écriture presque illisible, des mots clés sur les espaces libres de la page de ce vendredi.
Grâce à ce processus, il élabore sa grande hypothèse :
Le Comité suprême en sait plus long sur le fonctionnement interne des Restless Ravens que l’Agence présidentielle de renseignement.
Ce n’est pas Tweety l’Oiseleur qui a pris la décision d’envoyer Terror Baadjies négocier avec le Comité suprême.
D’une façon ou d’une autre, tout cela importe.
Il va falloir démêler tout ça.
Janina Mentz et Rajhev Rajkumar, eux aussi, se souviendront de ce jour où les gens de Raj ont intercepté un e-mail.
Dans le bureau de Mentz, Masilo est en train d’informer sa patronne de la conversation entre Shabangu et Hendricks. L’Indien entre en trombe, agitant une feuille de papier.
– Ça, vous n’allez pas le croire !…
Dans un premier temps, cette intrusion dérange Mentz.
– Quoi donc, Raj ?
– Un de ces babouins s’est gouré. Il a retransmis un mail qui est non encrypté mais daté.
– Tu plaisantes ?… dit Masilo.
– Regardez donc ceci.
Rajkumar plaque le papier entre eux.
– Le message d’origine venait du Comité suprême, sécurisé, encrypté et tout. Et puis un des destinataires a dû avoir une absence…
Mentz lit lentement le mail, qui est très bref, puis lève les yeux et regarde l’homme surexcité en face d’elle.
– C’est une date, ça ?
– Le 23 Shawwal 1430 correspond au 12 octobre 2009 dans le calendrier musulman. C’est dans moins d’un mois, ajoute-t-il, comme si Mentz ne pouvait pas trouver cela toute seule.
– Je sais, Raj. Mais ça veut dire quoi ?
– Que c’est à cette date que ça va se passer.
– Que c’est quoi qui va se passer ?
– Mais la transaction, les armes !
– D’après Ismail Mohammed, c’est prévu pour septembre.
– Ils ont peut-être changé… Oh, merde. Vous pensez que ça pourrait être la date de l’attaque ? De l’action terroriste ?
– Il vaudrait mieux que nous le sachions, non ?
Samedi 19 septembre 2009
Tau Masilo est arrivé à son bureau à 9 heures du matin. Le samedi celui-ci est calme, il n’y a que le personnel indispensable.
Il commence par lire le rapport de Reinhard Rohn, leur homme en Namibie. Rien à signaler. Ça le préoccupe.
Ensuite, il relit ses notes de la veille, sur les Restless Ravens, avec le même sentiment de malaise. Il lit le rapport de Rajkumar : 23 Shawwal 1430, 12 octobre 2009.
Poussant les papiers de côté, il se tourne vers son ordinateur portable, ouvre le navigateur, puis la page Google. Il tape : 12 octobre 2009, Le Cap.
Ses yeux parcourent la liste des possibilités. La sixième attire son attention. Il clique dessus : c’est un entrefilet dans un quotidien local. Son sang se fige.
Le Cap – L’équipe de foot américaine qui participera à la Coupe du Monde en 2010 effectuera une visite éclair le mois prochain au nouveau stade de Green Point.
Leur arrivée coïncide avec l’inspection des travaux de construction, prévue le 12 octobre, quand Sepp Blatter, grand patron de la FIFA, assistera au premier coup de pioche avec une délégation d’une soixantaine d’officiels.
– Bon Dieu ! dit Masilo.
Il fixe l’écran longuement, imprime l’entrefilet et appelle Janina Mentz.