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Pièce photocopiée : Journal de Milla Strachan

Date d’enregistrement : 19 septembre 2009

Mon livre n’avance pas. L’histoire est mince, prudente, timorée. Tout comme ma vie.

De : « mailto:t.masilo@pia.gov.org »

À : « mailto:quinn@pia.gov.org »

Cc : « mailto:directeur@pia.gov.org » ; « mailto:raj@pia.gov.org »

Envoyé le : 19-09-2009, 11 h 31

Observation : Urgent

Opération Shawwal

Quinn,

Veuillez noter que désormais les activités de surveillance du Comité suprême, des Restless Ravens, de Julius Shabangu et de notre expédition de pêche à Walvis Bay seront référencées sous l’intitulé « Opération Shawwal », qui fera l’objet de toute notre attention et bénéficiera de la plus haute priorité. De brefs rapports quotidiens seront indispensables.

En outre

1. Veuillez vous assurer que Reinhard Rohn comprenne bien l’urgence de cette opération. Il dispose de six opérateurs, mais possède-t-il un plan détaillé ? Qu’il en élabore un ; qu’on lui fournisse tout ce dont il aura besoin. Nous devons absolument intercepter ce chargement d’armes.

2. Nos renseignements au sujet des Restless Ravens ne me satisfont pas. Je veux un plan d’action qui permette de modifier de façon décisive cet état de choses, et ce avant lundi 21 septembre en fin de journée.

3. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre chaque semaine trois journées d’écoute des appels de Shabangu, surtout pendant les deux à quatre semaines à venir. Comment remédier à cette situation ?

4. Veuillez me présenter avant mercredi 23 septembre un rapport complet sur les mesures prises pour assurer la sécurité au stade du Cap lors de la visite de la FIFA le 12 octobre.

Lundi 21 septembre 2009

– L’équipe américaine de foot ? De la spéculation, Tau. Où sont les preuves ? demande Janina Mentz.

– On ne peut pas ne rien faire. Les risques sont trop élevés.

– Que voulez-vous faire ? Vous adresser aux journaux ?

– Nous devrions parler au directeur général de la police, lui dire ce que nous savons.

– Autant s’adresser à la presse.

– Mais, madame, on ne peut pas ne rien faire !

– Alors que proposez-vous, Tau ?

– D’arrêter le Comité suprême, le sortir de la circulation, l’embrouiller dans des procès, braquer un projecteur dessus pour tirer toute cette affaire au clair.

– Non, dit-elle.

– Mais pourquoi pas ?

– Parce que nous aurions l’air d’imbéciles, Tau ! réplique-t-elle, agacée. C’est vous le juriste, vous devriez vous en rendre compte. Et si le juge nous donnait tort, comment ferions-nous ? Parce que c’est ce qui risque d’arriver. De quoi aurions-nous l’air ? Avec nos amis très mécontents au Moyen-Orient, un président qui aura perdu toute confiance en nous, et des extrémistes musulmans devenus encore plus clandestins qu’avant. Est-ce cela que vous voulez ?

– Je veux empêcher l’attaque, voilà, parce que les dégâts d’une action terroriste seraient bien pires !

– L’empêcher bêtement, c’est ça ?

– Vous êtes injuste !…

– Si vos gens avaient fait leur travail correctement, nous n’en serions pas là.

– Mes gens font tout ce qu’ils peuvent…

– Tout ce qu’ils peuvent, Tau ? « Navrés de ce bain de sang, monsieur le président, navrés de l’humiliation et de la honte, mais nous avons fait tout notre possible ! Vous pouvez procéder à la fusion car nous sommes aussi nuls que les services de renseignement officiels… »

– C’est ce qui est en jeu ?

– Puis-je dire quelque chose ? intervient Raj en anglais.

Il n’avait jamais vu le flegmatique Masilo si remonté, et ça le troublait.

– Qu’est-ce que vous insinuez, Tau ? demande Mentz.

– Mais je n’insinue rien du tout, madame, je pose une question.

– J’ai une idée, insiste Rajkumar.

– Et quelle est votre question ? répond Janina Mentz.

– Je me demande ce qui est le plus important pour nous.

– Nous pouvons tracer les bateaux, dit Rajkumar.

– Vous suggérez que… Qu’est-ce que vous avez dit ?

Tout d’un coup, elle se tourne vers Rajkumar.

– Nous pourrions suivre la piste des bateaux de pêche de la Consolidated, à Walvis Bay.

– Comment ?

– Nous avons un peu sondé leurs systèmes. Leur sécurité numérique n’a rien d’extraordinaire, et ce n’est pas vraiment surprenant. Après tout, leur métier, c’est d’attraper du poisson…

– Raj…

– Ils utilisent le MUI de la Lloyd’s, et spécifiquement l’Automatic Identification System Fleet Tracker, l’AIS. C’est un système en temps réel : on se connecte au site web de la Lloyd’s avec un mot de passe pour voir où se trouvent les bateaux à un moment donné. Ça marche sur satellite – une sorte de traçage GPS, version pour adultes, très avancée, archi-précise. Si nous arrivions à y entrer, nous pourrions voir où leurs bateaux ont été, où ils se trouvent à n’importe quel moment donné, et, avec de la chance, déterminer où ils se rendent Bien sûr, il nous faudrait leur mot de passe. Ensuite, il suffirait de masquer notre IP, ou d’utiliser la leur…

– Mais comment allez-vous vous procurer leur mot de passe ?

– Il suffit d’installer un enregistreur de frappe. Mais, j’y pense, nous pourrions éventuellement faire bien mieux que ça… Je veux dire – sans vouloir vous offenser – que nous avons six opérateurs là-bas, mais aucune garantie… Alors, pourquoi ne pas mettre le paquet ? Introduisons carrément une sonde dans leur système pour voir le tableau tout entier.

Mentz réfléchit longuement. Enfin elle hoche la tête.

– D’accord.

Rajkumar est radieux.

Juste avant de sortir, elle dit à l’avocat :

– Je vais parler au ministre, au sujet du 12 octobre.