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– Je nous fais un café ? demande Milla devant la grille de sécurité de son immeuble.

– Oui, merci, dit-il.

Elle compose le code et ouvre. Son cœur bat fort.

– Milla, dit-il.

Elle le regarde.

– Vous me raconterez votre vie ?

 

L’opératrice a trente-quatre ans, c’est l’une des collaboratrices les plus fiables de Quinn.

Vers 22 h 48, l’équipe de filature lui fait savoir, dans sa cabine à l’APR, que Becker et Miss Jenny viennent de s’arrêter devant chez elle et que l’écoute va pouvoir commencer.

Elle fonce à la salle d’opérations. Le souvenir des instructions de Quinn est encore vif dans son esprit : pas d’enregistrement dans le système ; juste un fichier audio sur une clé USB qu’elle posera sur le bureau de Quinn, accompagnée d’une note manuscrite pour en indiquer l’importance.

Elle se branche sur le bon canal, prépare l’ordinateur, met le casque sur ses oreilles. Elle ne sait rien de l’homme et de la femme dont elle entend les voix : seulement leurs noms de code.

Elle connaît la sensibilité impressionnante des micros de haute technologie qui captent chaque son avec tant de clarté : un pas feutré sur le sol, une chaise qui grince, un tintement de tasse, un cliquetis de cuiller… Et puis les voix : la femme qui raconte sa vie, l’homme qui lui pose des questions d’une voix douce. Ils parlent des avantages et inconvénients d’une jeunesse passée dans une petite ville, avec des parents qui… là, ils vont dans une autre pièce. La femme dit : « C’étaient des hippies boers, lui et ma mère, très excentriques, très différents des autres parents. Je ne sais toujours pas si cela a eu… quelle influence cela a pu avoir sur moi. À une époque, j’avais tellement honte d’eux… » Bruit d’une voiture qui passe dans la rue.

L’opératrice écoute, l’esprit en éveil, concentrée sur les informations qui pourraient avoir un rapport avec l’Opération Shawwal. Mais elle n’entend qu’un homme et une femme parler de la vie, de l’enfance, des choses qui les ont modelés.

Plus tard, elle entend des bruits intimes – c’est gênant… Après minuit, ça se calme. Puis les sons racontent subtilement le contact physique, les caresses, jusqu’à ce que la respiration de la femme, la mystérieuse Miss Jenny, et sa voix expriment enfin, très doucement, un plaisir intense…

L’opératrice ne trouve pas grand-chose d’érotique là-dedans, sachant que demain, lorsque son patron l’écoutera, il saura qu’elle aussi elle a tout entendu.

Jeudi 8 octobre 2009

L’équipe américaine entre : quatre personnes.

Une surprise pour Janina Mentz, qui n’en connaît que deux.

– Mon Dieu, comme vous avez grandi, lance-t-elle sur un ton taquin.

– Janina ! Comment allez-vous ? Tau, très content de vous revoir ! Puis-je vous présenter deux de mes collègues ? dit le grand chauve athlétique, Bruno Burzynski, chef du bureau de la CIA en Afrique du Sud. Voici Janet Eden, et voici Jim Grant. Mark, que vous connaissez déjà.

Après les salutations, tous prennent place autour de la table.

– Et que font donc vos collègues, Bruno ? demande Janina à Burzynski.

– Attachés aux affaires agricoles, bien sûr.

Elle sourit.

– Au nom du ministre, je vous remercie d’être venus avec si peu de préavis. Il m’a priée de vous transmettre ses amitiés.

– C’est toujours un plaisir… Vous l’assurerez de notre meilleur souvenir.

– Du café ? Du thé ? De l’eau ?

– Ça ira, merci.

– Si vous changez d’avis, servez-vous, ne vous gênez pas : les boissons se trouvent juste derrière vous. Maintenant, si vous le voulez bien, passons aux affaires. Comme vous le savez sans doute, notre gouvernement a soumis hier une demande internationale sous SOLAS clause 5, à propos d’un bateau de pêche. Il s’agit en l’occurrence d’un chalutier à rampe arrière.

Elle clique sur sa télécommande pour activer PowerPoint sur le grand écran.

– L’identifiant du bateau est ERA112 ; il est inscrit sous pavillon namibien. Le nom figurant sur la proue est The Madeleine. Il a été vendu il y a trois semaines par une société de Walvis Bay. Malheureusement, un rapport SOLAS préliminaire indique que son LRIT et son AIS ne fonctionnent pas, ce qui rend les recherches très difficiles. Or il est de la plus grande urgence que nous le retrouvions. C’est pour cela que le ministre m’a suggéré de m’adresser à nos bons amis les États-Unis pour leur demander de l’aide. Le ministre et le président vous en seraient très reconnaissants.

– Mais ce sera pour nous un honneur – si nous en sommes capables, bien sûr… Puis-je vous demander qui sont les nouveaux propriétaires du bateau ?

Mentz attendait cette question.

– Un groupe de personnes peu recommandables qui cherchent à saper notre sécurité.

Comprenant qu’elle n’en dira pas plus, Burzynski demande :

– Et à quel type d’assistance songe le ministre ?

– Mon ministre nourrit la plus vive admiration pour le vaste éventail de merveilles technologiques dont dispose le gouvernement des États-Unis, et en particulier les aptitudes de BASIC, votre Broad Area Surveillance Intelligence Capacity.

– Je vois que votre ministre est très bien informé.

– Il en est très fier. Il se demandait si les États-Unis seraient disposés à aider notre jeune démocratie à se protéger en mettant ce matériel à notre disposition… uniquement pour retrouver ce bateau, bien sûr.

Burzynski hoche la tête lentement, comme s’il devait y réfléchir.

– Janina, comme vous le savez, le gouvernement des États-Unis et en particulier la CIA sont très attachés au maintien et au renforcement de nos liens avec l’Afrique du Sud, un allié très apprécié. Si nous pouvons vous aider de quelque manière que ce soit, nous ferons tout notre possible… comme toujours. Mais vous comprendrez, j’en suis sûr, que si nous acceptions de faire une recherche par satellite, cela entraînerait des coûts importants en termes de ressources humaines et technologiques. Surtout si le LRIT du bateau n’est pas opérationnel. Le bateau n’a pas été localisé depuis des semaines, et le temps presse.

– Veuillez m’éclairer.

– Cela implique une recherche à l’échelle du globe, Janina. Ce bateau peut se trouver n’importe où, ce qui requiert une logistique considérable.

– Je comprends…

– Je ne dis pas que nous ne pouvons pas aider. Mais afin de… disons : motiver mes supérieurs, il me faudra des munitions.

– Bien sûr… C’est la raison pour laquelle le ministre a préparé cette lettre…

Elle place une feuille sur la table et la glisse vers Burzynski.

– Vous constaterez qu’il qualifie l’affaire de nationale et internationale, et d’une urgence extrême.

– Et ?…

– Et il exprime sa reconnaissance la plus sincère.

– Dûment notée. Mais, sauf votre respect, Janina, il va nous falloir un peu plus que ça.

– Comme, par exemple ?…

– La nature de la menace, son échelle. Surtout en ce qui concerne les implications internationales.

– Malheureusement, en l’état actuel des choses, je ne suis pas en mesure de vous en dire beaucoup plus. Mais si vous nous aidez à localiser le vaisseau et si nous découvrons des renseignements susceptibles d’intéresser la CIA, je vous donne ma parole que nous les transmettrons.

– Janina, ça ne va pas être possible.

– C’est tout à fait regrettable. Je pensais que c’était une excellente occasion pour la CIA de… regagner notre confiance.

– Je ne vous suis pas.

– Vous me suivez parfaitement, j’en suis sûre, mais pour l’instant ce n’est pas le plus important. Puis-je vous demander de transmettre notre demande en l’état à Langley ?

– Y aurait-il des problèmes de confiance que j’ignore, Janina ?

– Franchement, je ne sais pas ce que vous ignorez, Bruno. Vous transmettrez donc notre demande ?

– Bien sûr, je ferai tout mon possible.

– Je vous remercie beaucoup.