Milla lit les e-mails échangés entre Osman et un certain Sayyid Macki.
Chargement arrive lundi 23 Shawwal 1430 à 02:00 (GMT + 2).
Après-demain, à 2 heures du matin.
Elle ouvre le dossier « Envoyés » et trouve la réponse d’Osman :
Alhumdulillah1. Nous serons prêts. The Madeleine jettera l’ancre à S33 49.517 E17 53.424, notre navire de transbordement sera là, afin de remettre Haidar au groupe de réception dûment équipé à S33 54.064 E18 24.921, OPBC.
OPBC ? C’est quoi, ça ? De l’arabe, comme Haidar, qui signifie « lion » ?
Elle se rappelle le mot de passe de l’ordinateur : Amiralbahr. Encore un mot du Moyen-Orient.
Les mots, c’est son domaine, elle va tenter de faire parler celui-ci. Il faudrait aller dans Google, comme Lukas. Mais comment fait-on ? Elle n’a pas l’habitude de son nouveau téléphone.
Elle se lève, va chercher le mode d’emploi. « Utiliser votre téléphone mobile comme modem pour accéder à l’Internet », voilà tout ce qu’elle a pu trouver. Elle suit les instructions, branche le câble USB, active le modem.
Connexion réseau réussie.
Ravie, elle ouvre Internet Explorer sur l’ordinateur, va sur la page Google et tape Amiralbahr.
Vous voulez dire amir al-bahr ?
Peut-être… Elle clique pour accepter.
Des faits sur amir al-bahr : étymologie (comme pour amiral, officier naval). Le titre d’amiral remonterait au-delà du XIIe siècle chez les Arabes musulmans, qui combinèrent emir (ou amir), « commandant », l’article al, et bahr, « la mer »…
Ça veut donc dire « amiral » en arabe.
Elle tape dans la fenêtre de recherche de Google : « signification du lion chez extrémistes musulmans ».
Elle lit les résultats en diagonale. Un seul est intéressant :
Babour, missile de croisière Pakistan. Le missile Babour (Babour veut dire « lion » en langue turcique chaghatay ; il a été soutenu également que le missile porte le nom du premier empereur mogol, Babour) est le premier missile de croisière mis en service par le Pakistan. Le vecteur, capable d’emporter une ogive conventionnelle ou nucléaire, aurait une portée de…
Puis, tout d’un coup, une nouvelle fenêtre s’ouvre sur l’écran, cachant le navigateur : Command prompt : running e-mail decryption script.
Elle voit des lettres en blanc sur fond noir, des lignes de code qui défilent à toute vitesse l’une après l’autre, et puis la fenêtre se ferme automatiquement.
Une petite notification, en bas à droite : nouveau message.
E-mail. L’ordinateur l’aurait donc chargé automatiquement dès la connexion à Internet.
Elle active Microsoft Outlook.
Tout en haut, un nouveau message, de Macki.
Elle l’ouvre.
Allahu akbar, amir al-bahr.
Sommes d’accord avec votre évaluation. Arrivée de The Madeleine et Haidar avancée de 24 heures, à 02:00 (GMT + 2) dimanche 22 Shawwal 1430.
Ils ont donc avancé d’un jour l’arrivée du bateau. Puis un flash : c’est donc aujourd’hui, cette nuit… demain matin… Elle a des palpitations en regardant sa montre : 19 h 17.
Puis elle entend une portière claquer. Lukas : il faut le lui dire immédiatement. Elle bondit vers la porte d’entrée, voit la Golf stationnée, et Lukas qui ouvre le coffre. Elle sort à sa rencontre.
Un mouvement attire son œil, sur la droite. Des hommes arrivent en courant, de la grille, à 200 mètres. Ils sont armés.
– Lukas !
Il apparaît subitement de derrière la Golf, la voit tendre le bras et tourne brusquement la tête.
– Rentre, Milla !
Elle hésite, clouée sur place, ses yeux sur les hommes qui sprintent vers elle, cinq, six, sept jeunes métis… Lukas sort quelque chose du coffre.
Il a un fusil dans les mains, court, mastoc.
– Rentre !
Elle voit les hommes lever leurs armes, Lukas qui arme la sienne. Des coups de feu claquent, un projectile s’écrase contre la Golf, du verre éclate derrière elle. Elle reste pétrifiée, un cri coincé dans la gorge. Lukas tire. Deux hommes tombent, les autres obliquent à droite, se mettant à l’abri derrière les voitures en stationnement.
– Nom de Dieu, Milla !
Cette fois, elle réagit, pivote et court vers la porte d’entrée, les jambes en coton.
De derrière les voitures, des coups de feu tonnent, une balle se loge dans le chambranle.
Puis elle se retrouve à l’intérieur.
Au fond de la salle d’opérations, Janina Mentz écoute la liaison radio entre Quinn et le major Tiger Mazibuko.
– Heure d’arrivée prévue : cinq minutes.
– D’accord.
Elle attendra donc jusqu’à ce que Mazibuko lui confirme personnellement qu’ils ont Becker et l’ordinateur. Alors seulement, elle autorisera Masilo à informer les Américains.
Elle se lève et rejoint Quinn, lui parle doucement mais d’un ton ferme :
– Tiger a l’autorisation d’utiliser toute la force qu’il faut. Nous voulons seulement l’ordinateur intact.
Quinn hoche la tête et branche le micro de liaison radio.
Elle est dans le salon, son cœur battant à se rompre, la respiration creuse, les mains sur la tête pour se protéger, instinctivement, car ce sont sans doute les hommes d’Osman. Lukas entre en courant, le fusil dans une main et dans l’autre un sac de toile crasseux.
Il se retourne, pointe le fusil par la porte, tire une rafale.
– Viens, Milla !
Il est à côté d’elle, visage impassible. Il la saisit par le bras, l’entraîne vers la chambre…
– Prends le sac à dos.
Avec le canon du fusil, il indique le sac à côté du lit. Il tire violemment sur la porte-fenêtre coulissante pour l’ouvrir.
Elle saisit le sac à dos et son sac à main. Lukas est déjà dehors, tournant la tête vers elle.
– Viens !
Elle court.
Il y a devant eux une haute clôture en fil de fer, et au-delà une grande dune de sable recouverte d’une végétation dense.
Lukas balance le sac de toile par-dessus la clôture, lui prend le sac à dos des mains et le lance.
– Grimpe !
À son tour, elle lance son sac à main. Mais pas assez fort : il rebondit contre le haut de la clôture et retombe.
– Merde ! dit Lukas, le ramassant et le renvoyant au-dessus du grillage. Grimpe, maintenant !
Des coups de feu claquent dans l’appartement.
Elle escalade le grillage comme elle peut, propulsée par l’adrénaline, une partie de son esprit s’étonne qu’elle ne se blesse pas contre le fil de fer et qu’elle progresse si vite. Puis elle arrive en haut, enjambe et se laisse glisser jusqu’en bas, se retrouvant dans d’épais buissons feuillus ; l’odeur de bois et de plantes envahit subitement ses narines, des épines l’égratignent. Elle reste un instant désorientée, tente de se remettre debout, son corsage est déchiré.
Lukas est à côté d’elle, il la tire par la main, lui fourre son sac dans les bras, ramasse le sac à dos, l’ajuste à son épaule, prend le sac de toile et se faufile dans la végétation.
– Reste près de moi.
Elle cramponne son sac.
Des coups de feu claquent à nouveau, elle entend des balles siffler, regarde en arrière, ne voit que des buissons verts, tourne la tête et regarde devant. Lukas est en train de ramper comme un serpent, sous les branchages.
Elle plonge à sa suite.
« Que le seigneur soit loué », en arabe.