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– Des coups de feu, je répète, des coups de feu, c’est une zone chaude ! crie la voix stridente de Mazibuko dans le micro.

– On vous tire dessus ? demande Quinn.

– Négatif, nous sommes à la grille, pas de visibilité, nous entrons…

Le bourdonnement d’un véhicule militaire remplit la salle d’opérations.

– Deux à terre, milieu de la route, deux métis…

– Merde ! dit Quinn.

– La bande de Terror, dit Mentz, qui se tient à côté de lui.

Le bruit des coups de feu relayé par la radio est atténué, on dirait des craquements.

– On nous tire dessus, dit Mazibuko. Formation de combat !

Janina Mentz prend le micro des mains de Quinn.

– Je veux cet ordinateur, Tiger. Je le veux intact.

– D’accord. Terminé.

 

À mi-chemin du haut de la dune, cachés dans l’épaisseur de la végétation, ils entendent la fusillade s’intensifier. Lukas est juste devant, elle voit les semelles de ses chaussures… Puis il s’immobilise soudain, écoutant l’aller et retour des détonations.

– Mon Dieu ! dit-il en regardant en arrière. Ça va ?

– Oui.

Sa voix lui semble étrange, tremblotante.

– Oui.

Nouvelle tentative, un peu plus affirmée… Parler lui donne quelque chose à quoi s’accrocher. La conscience se fraye un chemin à travers l’angoisse et le choc : Alors, c’est à ça que ça ressemble, d’être en danger de mort…

Lukas accélère l’allure. Milla se glisse à sa suite. Elle a les mains et les bras couverts d’éraflures.

 

Silence de mort dans la salle d’opérations ; les minutes passent.

Tout d’un coup, un crépitement d’électricité statique envahit la pièce, puis une vague de bruit. La voix de Mazibuko, fébrile :

– Numéro 27 sécurisé, nous avons un homme blessé, sept attaquants hors de combat, cinq morts et deux blessés, dont un gravement : des ados, Quinn, tu te rends compte ! Des jeunes métis avec des semi-automatiques !… Nous avons un ordinateur portable, bousillé ; aucune trace de Becker et de la femme, mais ils ont dû être là récemment, il y a des restes de nourriture, quelques vêtements, un téléphone mobile. Je pense qu’ils sont sortis par-derrière, maintenant nous sécurisons tout le complexe. À vous…

– L’ordinateur, dit Mentz. Je veux savoir à quel point il est endommagé. Mais, d’abord, faites venir Raj.

 

Elle voit Lukas se dresser sur la crête de la dune et couvrir les environs du regard. Il repère quelque chose à droite.

– Là, dit-il d’une voix feutrée.

Elle se lève, regarde dans la même direction. Entre les branches, elle distingue, à 500 mètres au sud, le centre commercial, le grand logo rouge et blanc de Shoprite couronnant le mur. À leurs pieds, un sentier sablonneux, blanc comme neige, serpente sur le flanc de la dune.

Il lui prend le bras, la regarde avec intensité.

Elle s’efforce de sourire.

– Ça va, dit-elle.

Il attend encore un moment, puis hoche la tête.

– Il va falloir courir.

Il se retourne et descend la dune en se faufilant entre les buissons.

 

– Il a été transpercé par trois balles de 9 mm, dit le major Mazibuko.

– Vous pouvez voir si le disque dur a été touché ? demande Rajhev Rajkumar.

– Je ne sais pas…

– Ça fait à peu près six ou sept centimètres sur quatre ou cinq, probablement la pièce la plus grande que vous voyez là-dedans…

– Un boîtier métallique qui brille ?

– Oui, c’est ça.

– Yebo, il est touché.

– Merde ! La balle l’a traversé ?

– Non, c’est sur le devant, là où des petits fils se connectent, seulement ils ne sont plus connectés.

– Il n’y a que ça : des fils fichus ?…

– Non, la coque aussi est un peu tordue.

– Juste le devant ?…

– Yebo

Rajkumar lève les yeux vers Mentz.

– Peut-être qu’avec de la chance…

– Dites-lui de nous l’envoyer d’urgence.

 

Ils courent le long du mur du centre commercial jusqu’au trottoir de la grande rue qui le borde. Là, Becker s’arrête, pose d’abord le sac de toile et ensuite son arme. Il ouvre la fermeture Éclair du sac. Milla voit qu’il contient d’autres armes : deux grands fusils automatiques, et le pistolet qu’elle connaît déjà.

Il sort ce dernier, le glisse dans son dos sous la ceinture de son pantalon et referme le sac.

Puis il regarde derrière l’angle du mur.

– Maintenant, nous allons marcher calmement. Nous n’avons pas beaucoup de temps…

Il lui tend la main gauche.

– Où va-t-on ?

Elle lui prend la main.

– On a besoin d’une voiture. Il faut qu’on se tire d’ici.

Il commence à marcher sur le trottoir vers le centre commercial.

– Où vas-tu trouver une voiture ?

– Il va falloir en voler une, Milla.

– Ah…

 

Quinn pointe le laser sur le plan de la zone projeté sur le grand écran :

– Là, vous avez des dunes, jusqu’à la R27, à peu près à un kilomètre. Voici le centre commercial ; ici, un lotissement municipal. L’autre option, c’est le nord ; il y a une petite zone résidentielle juste à côté du Big Bay Beach Club. Tiger va essayer de couvrir la zone résidentielle, et nous avons demandé à la police de fermer l’accès au lotissement, la R27, Otto Du Plessis nord et sud, et Cormorant Avenue à l’est. Mais ça va prendre un petit moment pour boucher tous les trous.

– Un petit moment ? Combien de temps ? demande Mentz.

Quinn hausse les épaules.

– Dix, quinze minutes…

– Il sait ce qu’il y a sur cet ordinateur, Quinn. Il l’a dit à Osman au téléphone…

– Il faudrait qu’on obtienne aussi des hélicoptères. Toute cette partie, jusqu’à Melkbos, c’est de la dune. Et il est tard, la nuit commence à tomber.

 

Becker choisit une vieille Nissan Sentra blanche datant du début des années 1990, avec un pare-chocs cabossé.

Dans le lointain, des sirènes hurlent.

Il se place à côté de la portière arrière et regarde autour de lui.

Milla voit que les passants les plus proches se trouvent à une centaine de mètres.

Lukas tire le pistolet de sa ceinture, l’empoigne par le canon et frappe la vitre avec force.

Le verre éclate avec un bruit sourd. Il passe son bras à l’intérieur, ouvre la portière. Milla court côté passager, voit Lukas enlever son sac à dos et le lancer dans la voiture, suivi du sac en toile, puis ouvrir côté conducteur et se glisser sur le siège. Il se penche, déverrouille la portière passager et la pousse. Elle monte.

Il pose le pistolet par terre devant lui, prend à deux mains un cache en plastique qui se trouve sous le volant et l’arrache. Une nasse de fils pendouille ; ses doigts fouillent fiévreusement, remontant les fils jusqu’au contact ; il choisit un fil, l’arrache, se penche et mord l’isolant pour l’enlever. Il fait la même chose avec un second fil.

Milla lève les yeux vers le centre commercial. Un homme et une femme s’approchent, poussant un chariot plein.

Le moteur de la Nissan tourne.

Lukas saisit le volant à deux mains et d’un coup brusque le tourne violemment à droite.

On entend un bruit sec : quelque chose a craqué.

Lukas passe une vitesse, la Nissan démarre en trombe dans un grand crissement de pneus. Comme une flèche, ils passent devant le couple au chariot, ébahi. Les sirènes se rapprochent.

Lukas fonce vers la sortie, hésite seulement un instant, puis tourne à gauche, le dos à la mer, vers la R27.