Dimanche 27 septembre 2009
Masilo n’a pu se coucher qu’à 4 heures du matin. À 8 h 07 il est réveillé par un appel de Rajkumar :
– La chef veut nous voir avec nos responsables de département à 10 heures dans la salle d’op.
Masilo se frotte les yeux, s’éclaircit la gorge et déclare :
– Je ne vais pas accepter des critiques injustes.
– On n’a guère le choix, répond Rajkumar, pour l’apaiser.
– Je ne suis pas d’accord, reprend Masilo.
L’informateur et l’opérateur rapprochent leurs têtes, comme s’ils cancanaient. Ils se trouvent dans une ruelle près des tribunes du complexe sportif de Parow, à 300 mètres à peine de la gare où l’informateur est descendu.
– La femme de l’Oiseleur et ses enfants, y sont partis, mon frère, hier y sont montés dans un avion pour le Paraguay ou l’Uruguay. Et là tout le monde y dit que demain l’Oiseleur, y se taille lui aussi, faux passeport, exil permanent. Alors y disent que c’est Terror contre Money Man, c’est la guerre qui vient, je te le dis, mon frère.
– Il est où, l’Oiseleur ?
– Y se planque.
– Mais où ?
– Sais pas, moi. Il a peur que le proc le boucle pour évasion fiscale avant qu’il ne s’envole.
– Et Terror Baadjies ? On ne le trouve pas ?
– Y disent que c’est lui qui doit s’arranger pour mettre l’Oiseleur dans l’avion. Y se planque quelque part, mais personne ne sait où.
L’opérateur sort de sa poche cinq billets de 100 et les glisse dans la main tendue de l’informateur.
– Si tu découvres où ils sont, je te donne 5 000.
– Jésus, mon frère ! Je vais essayer.
Tard dans la matinée, Mme Killian appelle Milla.
– Je sais que c’est dimanche, mais nous avons besoin de vous. Vous pouvez venir au bureau, s’il vous plaît ?
– Mais bien sûr.
Une demi-heure plus tard, elle entre dans le bureau de l’Équipe Rapport. Tout le monde est là… à l’exception de Jessica.
– Que se passe-t-il ? demande Milla.
Donald MacFarland pousse un gros soupir.
– S’ils nous appellent le week-end, explique-t-il, soucieux, ça veut dire que c’est vraiment le merdier.
La Déesse n’arrive qu’une heure plus tard.
– J’étais sur un voilier, nom de Dieu ! Ils n’ont donc pas de vie perso, ces gars-là ?
– Bienvenue dans mon monde à moi ! soupire Mac the Wife.
Journée de chuchotements au sujet de la Grande Confrontation. On compile des petits rapports, lentement, avec des bribes d’info dépareillées qui arrivent de temps en temps.
Oom Theunie travaille sur le profil d’une jeune femme.
– Mais où ils vont dénicher ces gens ? demande-t-il.
Plus tard, en secouant la tête, il teste la phrase « sans laisser de traces ».
– Quoi ? demande Mac, agacé.
– Cornelia Johanna Van Jaarsveld semble être un pisteur professionnel, Mac. Mais l’ironie, c’est qu’elle, apparemment, n’a laissé aucune piste.
Milla sourit. Elle bosse sur un rapport concernant Ephraïm Silongo, connu également comme « Snake ». Les os brisés, une balle dans la tête, il vient d’être retrouvé sur une piste déserte dans les monts Waterberg, province du Limpopo. D’après les renseignements de la police, c’était un bandit dangereux, membre du gang de Julius Shabangu.
– On n’a pas eu ces jours-ci un truc sur Julius Shabangu ? demande-t-elle.
Tout en cherchant, elle pense encore à la bulle dans laquelle elle a vécu jusqu’ici, à son ignorance des courants souterrains de ce pays.
À la suite d’une conversation chuchotée au téléphone, Donald MacFarland leur raconte la Grande Confrontation.
– Apparemment, notre dame de fer a piqué une super-crise ce matin, dit-il.
– Quoi donc ? demande la Déesse, toujours intriguée quand Mac prend des tons de conspirateur.
– Il paraît, ma chère, que ce matin notre directrice vénérée a piqué une colère tout à fait mémorable…
Les trois se rapprochent et Mac répète la rumeur à voix basse, en jetant de fréquents coups d’œil du côté de la Mère Killian.
– Il paraît qu’il s’est passé quelque chose la nuit dernière, une opération totalement loupée. Et ce matin, Janina Mentz aurait convoqué à la salle d’opérations tous les dirigeants, la Mère Killian comprise. Debout devant cette assemblée choisie, fusillant les retardataires du regard, elle aurait attendu que tout le monde ait pris place pour leur passer un bon savon : « Jamais de ma vie je n’ai vu une telle médiocrité, une telle ineptie, une telle incompétence… » C’est comme ça qu’elle aurait démarré, et par la suite ça a empiré, raconte Mac avec délice. Elle aurait jeté des objets, littéralement. Et puis Nobody aurait eu le toupet de se défendre, et après avoir demandé aux autres de sortir, le règlement de comptes a eu lieu à huis clos. Même du fin fond du couloir on les entendait hurler…
Masilo entre chez Janina Mentz, une feuille de papier à la main. Debout devant son bureau, il lui dit :
– Voici ma démission, madame, datée du 13 octobre. Si je n’empêche pas l’attentat, je pars. Si je réussis à l’empêcher, vous pourrez choisir si vous voulez l’accepter ou non.
Mentz le dévisage, son visage est impassible.
– On ne peut suivre aucune piste : ni Willem de La Cruz, ni Terrence Richard Baadjies.
La voix monotone de l’avocat trahit sa fatigue, sa résignation.
– On suppose qu’ils vont tenter d’intercepter les diamants et que de La Cruz attend juste que la transaction avec le Comité suprême soit effectuée pour fuir en Amérique du Sud. On a décidé de contrôler tous les vols internationaux partant du Cap et d’Oliver-Tambo1. Nous sommes en relation avec la police de la circulation de la province du Cap-Occidental : elle va retenir tous les camions Mercedes 1528 qui s’arrêteront à des ponts à bascule pour que nos opérateurs les inspectent. Nous avons intensifié la surveillance de Suleyman Dolly, Shahid Latif Osman et Babou Rayan. L’unité d’intervention se tient prête à agir au moindre contact entre le Comité suprême et les Restless Ravens. L’opération visant à accéder au système informatique de Consolidated Fisheries aura lieu ce lundi, après minuit.
Mentz ne bouge toujours pas – un sphinx.
– Actuellement, nous étudions la faisabilité du projet d’installation d’un micro électroacoustique dans le sous-sol du 15, Chamberlain Street. Mais il faudrait qu’on obtienne que Babou Rayan s’absente de la maison pendant une heure au moins, peut-être en simulant un hold-up au café qu’il fréquente tous les matins. Nous allons devoir être très prudents et discrets, car nous ignorons les règles de sécurité appliquées à l’intérieur de la maison du Comité. Enfin, l’écoute des communications de Julius Shabangu sera maintenue jusqu’au 13 octobre.
Il se retourne et sort.
Aéroport international de Johannesburg.