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Rajkumar et Mentz sont debout au fond de la salle d’opérations. Le tintamarre des turbos du Super Lynx 300 éclate dans la radio, puis la voix de Mazibuko lance :

– En route, temps estimé d’arrivée : sept minutes.

La voix de Quinn est calme, chaque mot distinct.

– Major, j’ai une nouvelle directive ; je répète : j’ai une nouvelle directive. La cargaison pourrait être humaine, et d’une très grande valeur ; l’ordre est d’intercepter et de protéger, protéger à tout prix ; veuillez confirmer.

– D’accord, Op, cible possible cargaison humaine, valeur très grande, intercepter et protéger à tout prix.

Rajkumar lance à Mentz un regard plein d’espoir : va-t-elle enfin partager avec lui ce qu’elle sait ? Mais elle ne dit rien, son visage reste impassible.

– D’accord, major. Attention : une BMW X5 noire avec à son bord l’avocat Tau Masilo et un membre de la CIA est en route, à cinq ou six minutes. Non armés, ils approchent la zone de largage par l’est, descendent Beach Road et vont s’arrêter à l’angle de Portswood et de Beach, où ils attendront la confirmation visuelle de votre arrivée. Veuillez confirmer.

Silence.

Rajkumar n’y tient plus. Il chuchote à la directrice :

– « Haidar » veut dire « lion », c’est tout ce que j’ai pu trouver.

– Essayez donc « lion cheik », répond-elle, provocante, la tension transformant son visage en masque.

Il essaie d’abord l’approche phonétique, « lion check », et finit par revenir à « cheik ». Il file vers un ordinateur inoccupé, règle le navigateur sur un moteur de recherche et tape les mots.

Le troisième lien lui fait sortir les yeux de la tête. Il clique dessus. Une simple page web en écriture arabe apparaît, il doit la dérouler avant de voir la photo, le visage bien connu, et la traduction en anglais : Du Lion Cheik Usama ibnu Laden qu’Allah le protège.

– Meeerde ! lâche Rajhev Rajkumar.

 

Le géant à la porte de l’ambulance, celui qui a abattu Lukas, a un visage lourd, taillé à la serpe, d’épais sourcils broussailleux. Il baisse son arme, les yeux remplis de haine.

De l’intérieur, Milla le dévisage avec mépris.

Le médecin prend le flacon de la perf, le suspend à un crochet et croise les mains sur ses genoux. Les porteurs se retirent.

– L’argent de Lukas, dit Milla.

Personne ne réagit.

Elle lève l’AK et d’un geste convulsif l’approche du visage du patient, passe du nez à la bouche. Le médecin hoquette, le géant rugit, mais c’est sa voix à elle qui domine, un hurlement de rage presque hystérique :

– Apportez l’argent de Lukas !

Ils hésitent encore. Puis le géant crie à un comparse qu’on ne voit pas :

– Apportez la mallette en alu !

– Et le sac à dos ! ajoute-t-elle, d’une voix mieux maîtrisée.

– Enlevez-lui son sac à dos ! ordonne le géant.

Du sang coule du nez du patient sur sa moustache grisonnante. Le médecin s’en aperçoit et lance à Milla un regard interrogateur. Elle secoue la tête.

Quelqu’un – encore une paire d’yeux abasourdis – passe une mallette au géant et disparaît aussitôt.

– Ouvrez-la.

Le géant approche, place la mallette métallique sur le plancher de l’ambulance, défait les attaches, la retourne, lève le couvercle.

Des dollars, en liasses serrées.

Elle acquiesce.

Le sac à dos arrive. Le géant le prend et le place à côté de la mallette.

Elle y voit les éclaboussures de sang, les particules de chair. Un bruit s’échappe de sa gorge. Elle lève les yeux, rencontre le regard méprisant sous les gros sourcils. Elle lève l’AK, se penche en avant comme Lukas le lui a enseigné et tire sur le géant, trois coups qui claquent staccato. Projeté sur le côté, il titube et s’effondre. Le médecin hurle, prenant le Ciel à témoin, le patient tente de sortir ses bras des couvertures, elle tourne l’arme contre lui et dit :

– Démarrez, maintenant. Démarrez !

Devant les portes ouvertes, les porteurs ne bougent pas.

Elle frappe le patient sur la pommette avec le canon du fusil. Le médecin crie, désespéré :

– Que quelqu’un prenne le volant, par pitié !

L’un des porteurs se ressaisit, un homme jeune. Elle sent les suspensions du véhicule bouger, la portière qui claque, et la fenêtre coulissante qui s’ouvre dans son dos.

– Où va-t-on ? demande-t-il.

Dans le lointain, on entend des hélicoptères.

 

Le parking du centre commercial de Tyger Valley est désert, plongé dans l’obscurité.

Elle indique au conducteur de s’arrêter à côté de sa Clio. Les yeux du patient sont fixés sur elle, un regard intense et haineux.

Le conducteur obtempère.

– Ouvrez, dit-elle au médecin.

Il hésite.

– Je veux descendre, dit-elle. Ensuite, vous pourrez repartir.