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Elle dit à Mat Joubert qu’elle ne savait pas d’où cet argent venait. Elle n’avait jamais entendu parler d’un M. Marshall, ni de HelderbergUp.

Il lui demanda si Danie aurait pu vendre quelque chose ; si Gusti Flint aurait pu donner ou prêter de l’argent à son fils ; enfin, si elle n’avait pas une idée, même bizarre, de cette source d’argent : le loto, par exemple. Et chaque fois, elle répondait par le même « Non » désespéré. Finalement, elle ajouta :

– Mais comment a-t-il pu me cacher tout ça ?

Le chagrin, le sentiment de trahison lui déformaient le visage.

Avant que Joubert ait eu le temps de répondre, on entendit quelqu’un appeler dans la cuisine :

– Hello-o-o-o…

Quand il était arrivé, Tanya lui avait dit que le technicien pour les empreintes était à l’œuvre dans le garage, mais elle avait tellement hâte d’entendre les nouvelles que Joubert n’avait pas eu le temps d’aller le saluer. Il se leva.

– Jannie Cordier ? dit-il.

Cordier ressemblait à une publicité pour Edgars1 dans son pantalon de coutil bleu, sa chemisette à carreaux bleus et jaunes, avec une fine ceinture marron sur ses hanches étroites. Il était debout, sa mallette d’aluminium à la main, et regardait le visage de Tanya sillonné de larmes.

– Excusez-moi… dit-il.

– Mat Joubert. Vous avez trouvé quelque chose ?

– Cette voiture a été essuyée. Il n’y a qu’une série d’empreintes, sur la portière et sur le volant, dit-il de sa voix haut perchée, assortie à son visage juvénile. Je vais devoir prendre les empreintes de Mme Flint pour vérifier.

– « Essuyée », qu’est-ce que vous voulez dire ? demanda Tanya.

– Essuyée de fond en comble. Le coffre est propre, la radio aussi, l’habitacle, tout. Quelqu’un a fait du bon boulot.

Tanya Flint avait l’air assommée par les nouvelles.

– Qu’est-ce que ça signifie ? demanda-t-elle.

Joubert s’assit lentement, parce qu’il allait devoir lui expliquer avec une bonne dose de diplomatie ce que cela impliquait.

– À mon avis une mauvaise nouvelle, madame Flint, dit Cordier. Très mauvaise.

Elle lança un regard à Joubert. Il secoua la tête, mécontent du manque de tact de Cordier. Puis il acquiesça, avec un soupir :

– Effectivement, ce n’est pas bon.

 

Cordier attendit patiemment que Tanya Flint se calme avant de relever ses empreintes. Elle alla ensuite se laver les mains pendant que Joubert raccompagnait le technicien à la porte.

– Le tact n’est pas votre fort, lui dit-il.

– Quoi ? rétorqua l’autre. Je suis honnête, c’est tout.

Joubert le regarda sans répondre.

– Tôt ou tard, il allait bien falloir que quelqu’un le lui dise !

– Plus tard, ça aurait peut-être été mieux.

Cordier se hérissa et tourna les talons, aboyant par-dessus son épaule :

– J’enverrai ma note !

Il s’éloigna, furieux, vers sa fourgonnette. Joubert ferma la porte, revint lentement vers le canapé.

Il allait maintenant devoir aborder la question de l’autre téléphone mobile et des clés. La soirée s’annonçait difficile.

 

Quand Tanya se rassit, ses mains tremblaient encore. Les rides de son visage semblaient s’être creusées, les cernes autour de ses yeux étaient plus foncés.

– Tanya… commença Joubert.

– Il y a autre chose, dit-elle avec certitude.

– Oui.

– Dites-le-moi, qu’on en finisse.

– Il avait un autre téléphone mobile.

Joubert lui parla de la carte prépayée Vodacom et du chargeur Nokia. Elle restait assise, immobile, en fixant le tapis. Elle finit par demander :

– Quoi d’autre ?

Il prit les clés dans sa poche et les posa devant elle. Elle les regarda à contrecœur.

– Vous les avez aussi trouvées dans le tiroir ? demanda-t-elle.

– Oui.

Elle les prit. Elle tremblait, les clés cliquetaient.

– Vous savez ce que c’est ? demanda-t-elle, désignant le logo SS.

– Non, mais je…

– Self Storage, répondit-elle.

Une image lui vint à l’esprit, un grand panneau publicitaire qu’il avait vu quelque part, sur le bord d’une route qu’il empruntait parfois : le logo SS en bleu, une publicité pour des espaces de stockage.

– Vous êtes au courant ? lui demanda-t-il.

– Je connais le logo, dit-elle. Ils ont un entrepôt à Montagu Gardens, près de mon bureau.

– Alors, il va falloir que j’aille voir ça, dit-il.

Mais elle ne lui donna pas les clés. Elle referma ses doigts dessus, comme s’il s’était agi de quelque chose de précieux, un trésor.

– Je viens aussi.

 

L’entrepôt de Self Storage était entouré d’une haute clôture. Il y avait une grille à deux battants dans le coin de droite, et un gardien dans sa cahute. Debout, dans la lumière des phares de la Honda, Joubert essaya, sans succès, les deux clés dans l’énorme verrou. Ses chaussures crissèrent sur le gravier tandis qu’il se dirigeait vers la fenêtre du gardien, un Noir à la chevelure grisonnante qui lisait un tabloïd étalé devant lui.

– Je peux vous aider ? demanda-t-il en anglais.

– La clé ne rentre pas, dit Joubert.

– Faites voir.

Il prit les clés et les examina.

– Ce n’est pas notre dépôt. Où les avez-vous trouvées ? demanda-t-il, d’un ton courtois.

– Elles sont au mari de cette dame. Il a disparu, répondit Joubert.

– C’est moche, ça, dit l’homme. C’est triste… Ça vient peut-être de l’un des deux autres entrepôts, précisa-t-il.

– Où se trouvent-ils ? demanda Joubert.

– Il y en a un à Kenilworth et un à Salt River.

Salt River… près du dépôt d’ABC où Danie travaillait. Ça devait être celui-là.

– Merci beaucoup, dit Joubert.

– J’espère que vous allez le retrouver, lui dit l’homme en lui rendant les clés.

 

Dans Otto Du Plessis Drive, un peu au-delà de Woodbridge Island, Tanya dit :

– Ça doit être pour quelqu’un d’autre.

– Qu’est-ce que vous voulez dire ?

– Danie… Je connais Danie. Je le connais. L’argent… Il a dû aider quelqu’un, protéger quelqu’un. Ça doit être ça. Il est comme ça, Danie. Il s’occupe des autres.

– Peut-être, répondit Joubert.

Il n’avait pas mieux pour le moment.

 

Elle resta la main plaquée sur la bouche tandis que Joubert déverrouillait la porte roulante du n° 97B, se penchait et la relevait.

Il y avait quelque chose à l’intérieur, dans l’obscurité, dans un espace légèrement plus large qu’un garage simple. C’était l’avant d’une voiture.

Joubert repéra un interrupteur sur le mur et alluma.

Tanya était encore dehors, les yeux fixés en silence sur la voiture rouge et gris, stationnée avec l’avant face à eux, ses deux phares qui les fixaient comme des yeux. Joubert l’identifia aussitôt, mais commença par en faire le tour, regardant par les vitres pour voir s’il y avait quelque chose à l’intérieur.

Juste les clés sur le contact.

– Il y a quelque chose ? demanda-t-elle.

– Non.

Elle entra, désignant la voiture du doigt.

– Porsche, lut-elle sur le logo jaune, rouge et noir du capot.

– C’est une Carrera 911, dit-il. N’y touchez surtout pas, je vous en prie. Je vais chercher des gants.

Il retourna vers sa voiture pour y prendre son kit de scène de crime qu’il avait rangé dans le coffre le matin même.

Tanya était debout, à côté de la portière du conducteur, une expression bizarre sur le visage, à la fois stupéfaite et désemparée.

– Danie, dit-elle, Danie, mais qu’est-ce que tu as fait ?…

1.

Chaîne de magasins de vêtements.