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De sa voix rauque, avec le défaut d’élocution qui empêchait les lèvres déformées de prononcer les occlusives, K.D. Snyders répondit à contrecœur à quelques questions, brièvement, le moins possible, les yeux pleins de haine et de fureur, les mains agitées d’un léger tremblement.

Johnny October lui demanda :

– Qui conduisait la Mercedes quand le bus vous est rentré dedans ?

– Mannas Vinck.

– Le chauffeur de Terror ?

K.D. opina.

– Maintenant, tu vas nous dire où il faut aller creuser, K.D.

Snyders regarda ailleurs.

– Tu n’as qu’une chance, K.D.

– Montagu’s Gift, à Philippi.

– Près de Mitchell’s Plain ?

Un hochement de tête pour toute réponse.

– Où, à la ferme ?

– À côté de la dune d’Olieboom. Du côté de la route de Morgenster.

October acquiesça, comme s’il savait où ça se trouvait. Il ajouta :

– Et le corps que vous avez enterré près d’Atlantis ?

– À la grille du champ de tir. Dans le coin, derrière les 900 mètres.

– Les 900 mètres ?…

Autre signe de tête.

– Qu’est-ce que ça signifie ?

Snyders indiqua d’un hochement de tête que sa trahison s’arrêtait là. Il ne répondrait plus.

– Qui est enterré là, K.D., au champ de tir ?

Silence.

– Qu’est-ce qui est arrivé ? Comment avez-vous tué Flint ?

Le gangster se tourna et regarda le mur.

– Qui a laissé sa voiture là-bas, à Virgin Active ?

Rien.

Et puis October dit alors :

– Je respecterai ma partie du contrat, K.D. Mais si tu nous mens…

Ils se levèrent. October téléphona à son commissariat, demanda du renfort, car il allait falloir creuser. Mat Joubert appela sa femme et lui dit de ne pas l’attendre.

La nuit serait longue.

 

Ils se rendirent d’abord à la ferme à Philippi. Ils frappèrent chez le fermier, et se rendirent en convoi jusqu’à l’endroit où October leur montra où creuser.

Il était 2 heures du matin, la scène était éclairée par les phares des voitures de patrouille de la police et du minibus des scientifiques, rendu encore plus sinistre par les ombres des chiens policiers qui aboyaient en frétillant de la queue, flairant et cherchant. Les pelles des agents montaient et descendaient. Les maisons de Westridge et de Woodlands n’étaient qu’à deux kilomètres, Mitchell’s Plain était endormie. Une vache laitière meuglait dans le lointain.

Le cri retentit à 3 h 07. Ils posèrent tous leurs outils et accoururent. À la lumière des torches et des projecteurs, deux hommes dégagèrent un ballot pris dans le sable. C’était un corps, enveloppé dans ce qui avait dû être un dessus-de-lit noir avec des motifs fanés de fleurs orange.

Le corps était suffisamment préservé pour que Joubert puisse examiner le visage et l’impact de balle entre les yeux.

– C’est lui, c’est Danie Flint.

Sous le ballot, il y avait une arme à feu. Johnny October demanda qu’on la range avec précaution dans un sac à preuves en plastique.

Joubert savait qu’il devait appeler Tanya Flint. Elle avait le droit de savoir. Mais il lui accorda quelques heures de sommeil de plus avant de chambouler sa vie encore une fois.

 

La fouille près d’Atlantis commença à 5 h 15, alors que l’horizon, à l’est, changeait de couleur et que le vent du sud-est se mettait à souffler, un vent lugubre qui détachait des pelles des panaches de sable.

« La grille », d’après la description minimaliste de K.D. Snyders, était l’entrée principale du champ de tir du cap de Bonne-Espérance des Forces sud-africaines de défense nationale. Le lieu était ouvert à tous les vents, en permanence, en dépit des pancartes faiblement dissuasives : Ongemagtige toegang verbode – « Entrée interdite à toute personne non autorisée ».

Juste de l’autre côté de la grille, sur la gauche, l’endroit où les tireurs d’élite pouvaient s’installer pour viser les cibles très loin sur la droite, à 900 mètres. C’était une plateforme de blocs de béton, de sable et de gravier, surélevée, à hauteur de la tête de Joubert. Elle s’étendait sur une vingtaine de pas, et derrière, « dans le coin », toujours d’après la description de K.D., deux clôtures et la plateforme délimitaient un triangle de 150 mètres carrés de sable recouvert d’herbe. C’était un excellent endroit pour enterrer un cadavre car, en l’absence de militaires, il suffisait d’une personne pour surveiller l’unique route d’accès pendant que deux autres creusaient le sable meuble, dissimulées derrière la haute plateforme.

Sous la direction de Thick et Thin, les Laurel et Hardy de la Brigade médico-légale, les agents en tenue d’Atlantis et de Table View se mirent à creuser sur la limite nord.

Il était déjà 6 heures, on n’avait encore rien trouvé.

À 6 h 30 , Joubert ne put plus remettre le moment de téléphoner. Il alla s’asseoir dans sa Honda, à l’abri du vent, et donna son coup de fil.

Elle répondit aussitôt, comme si elle avait été debout depuis déjà longtemps.

– Tanya, dit-il, les nouvelles ne sont pas bonnes.

Le son qu’elle produisit lui indiqua que, en dépit de tout, elle espérait encore.

– Je suis vraiment désolé, dit Joubert, conscient de l’inanité de ses mots.

– Comment est-il mort ? demanda-t-elle.

– Il a été abattu avec une arme à feu.

Il y eut encore un silence au bout du fil, et finalement elle demanda :

– Qui a fait ça ?

Il tâchait de gagner du temps, dit qu’on n’en savait pas encore assez mais qu’avant la fin de la journée il serait en mesure de tout lui expliquer.

– Je veux savoir, dit-elle.

 

À 6 h 50, ils trouvèrent le premier corps.

La tombe était peu profonde, au milieu du triangle, à tout juste un mètre sous le sable fin.

Joubert s’agenouilla à côté d’October et de Butshingi, observant l’équipe médico-légale, armée de balayettes et de brosses, qui travaillait tout autour du corps, dégageant le sable avec soin. Dans la lumière douce du matin, d’autres hommes étaient occupés à élargir le trou, enlevant des seaux de sable pour le mettre en tas plus loin.

– C’est une femme, dit October, surpris.

Il l’avait déterminé à cause des sandales et de la forme de son corps, auquel adhérait le sable grisâtre. Les techniciens brossèrent son visage précautionneusement, avec respect. Les traits n’étaient pas reconnaissables, à cause des trois blessures par balles. Seule la longue tresse brune n’avait pas été abîmée.

– Ils ne l’ont même pas couverte.

Une minute plus tard, un agent retira un sac jaune du sable. October, enfilant des gants de caoutchouc, l’ouvrit, y trouva un petit sac de femme qui contenait un permis de conduire.

– « Cornelia Johanna Van Jaarsveld », lut October à voix basse.

La vraie surprise, ce fut le second corps. Il était à même pas un mètre de la femme, à la même profondeur, mais le haut du corps était enfermé dans un sac en plastique noir. Quand les gars de l’équipe légale l’eurent découpé, October reconnut la victime.

– Seigneur ! s’exclama-t-il, stupéfait. C’est Tweety l’Oiseleur !

 

Johnny October demanda au groupe d’intervention de la police nationale d’arrêter Terrence Richard Baadjies et son chauffeur, Mannas Vinck, au domicile de Baadjies à Wynberg, avec un grand déploiement de forces, et de ramener les deux hommes dans des véhicules différents.

Au commissariat de Wynberg, à 11 h 09, on maintint les deux gangsters séparés. Terror Baadjies, impérieux, criait de temps à autre dans sa cellule : « J’ai droit à un avocat, putains de cons nazis ! » et grimaçait avec suffisance. Ils avaient bouclé Vinck dans la pièce où on faisait le thé, la seule qui se prêtait à un interrogatoire.

« Je ne suis que le chauffeur », ne cessait-il de répéter.

Il était petit, il parlait vite, ponctuant ses propos de gestes animés. Sous un panama d’un blanc jaunissant, son visage était profondément ridé ; ses bras musclés étaient tatoués.

Butshingi et Joubert s’assirent et écoutèrent. Doucement et poliment, October lui dressa un tableau de la situation.

– Là, vous êtes dans le pétrin, Mannas, et jusqu’au cou.

– Mais je ne suis que le chauffeur, répéta-t-il.

– Vous êtes complice de trois meurtres, Mannas. Nous avons une vidéo qui nous permet de faire le lien avec vous. Vous savez, ce Danie Flint qui a fait chanter Terror ? Vous êtes impliqué, ça ne fait pas un pli.

– Je ne connais pas Flint, tenta-t-il.

– Vous avez aidé à l’enterrer, Mannas, là-bas, à Montagu’s Gift. Mais ce n’est pas votre plus gros problème. Vous avez participé au meurtre de Tweety. Vous ne tiendriez pas une heure à Pollsmoor. Or c’est là que je vais vous envoyer maintenant.

– Je ne suis que le chauffeur, répéta-t-il encore.

Mais, désormais, ses yeux dardaient un peu partout.

– Je vous mène à Pollsmoor, et je vais montrer la vidéo à toute la prison, Mannas, et au ralenti.

– Grands dieux !

Les mains s’étaient soudain immobilisées.

– Mais nous pouvons nous entraider, Mannas.