Il y avait deux façons d’expliquer une disparition : ça pouvait être un coup tordu ou bien une disparition volontaire. Mais, pour les proches désemparés, les deux hypothèses étaient également difficiles à admettre. Joubert décida donc de commencer par les questions faciles.
Son portefeuille et son téléphone mobile étaient-ils dans la voiture ?
Non, ils avaient disparu.
Est-ce que d’habitude ses cartes bancaires étaient dans son portefeuille ?
Oui.
Est-ce qu’il y avait eu des transactions sur ces cartes après la disparition ?
Non, elle avait bloqué les cartes trois jours plus tard.
Qu’y avait-il dans le sac de sport ?
Seulement la tenue de gym de Danie.
Des vêtements manquaient dans son armoire ?
Une ombre douloureuse passa sur son visage. Non.
Des objets à lui qui auraient disparu de la maison ?
Non.
Quelque chose qui ne serait plus dans l’Audi ?
Rien, à sa connaissance.
Pas trace des clés de la voiture ?
Non, elle avait dû aller chercher le deuxième jeu de clés à la maison, dans le placard de Danie.
Pas d’appels téléphoniques bizarres pendant la semaine précédant la disparition ?
Non.
Danie aurait-il eu une dispute sérieuse avec quelqu’un à ce moment-là ?
Pas à sa connaissance.
Un conflit au travail ?
Rien qui sorte de l’ordinaire. Il travaillait dur, il y avait parfois du stress…
Quelle sorte de stress ?
Ils avaient fait grève, l’année précédente. Il y avait toujours des trucs avec le personnel. Les chauffeurs de bus… Il arrivait qu’ils ne viennent pas travailler, quelquefois ils étaient en retard et quelquefois ils avaient des accidents. Parfois, Danie avait dû mettre des gens à la porte.
Il n’y avait pas un cas particulier dont il aurait plus parlé que d’autres ?
Danie ne rapportait jamais de travail à la maison. Il cachait bien son stress, il était toujours de bonne humeur. Alors, non, elle ne se rappelait pas qu’il ait mentionné quelque chose de particulier.
Alors Joubert lui dit doucement, avec respect :
– Je suis désolé, mais comprenez-moi, il y a des questions que je dois vous poser, même si c’est difficile…
Elle hocha la tête, et ses yeux disaient clairement qu’elle savait ce qui allait venir.
– Étiez-vous heureux ?
– Mais oui ! répondit-elle en exprimant pour la première fois de l’émotion, comme si elle essayait de se convaincre elle-même.
Redressant les épaules, elle poursuivit :
– On se chamaillait, bien sûr, comme tous les couples mariés, mais pas souvent. À propos des trucs habituels, mais on en discutait toujours après. Toujours. On avait une règle : ne jamais aller se coucher fâchés.
– Vous savez bien… Par exemple, je voulais faire refaire le salon, mais lui voulait un coin bar ; ou bien il voulait aller à un match de cricket à Newlands et moi, je voulais aller au cinéma…
– Et il ne rentrait jamais un peu tard ?
– Avec son travail, ça arrivait parfois. Mais alors il appelait, deux fois, trois fois même. Il était vraiment plein d’égards, toujours.
– Vous dites que vous êtes allée le chercher au Cubana et au Sports Pub. Il y allait souvent ?
– L’année dernière… En juillet-août, Undercover m’a beaucoup occupée. Je l’appelais pour lui dire que je serais en retard, et il répondait : « T’en fais pas, mon chou, j’irai boire un coup au pub avec les copains. » Ensuite, j’allais le rejoindre et on buvait quelques verres. Il n’y est jamais allé sans me prévenir. C’était la personne la plus délicate qu’on puisse imaginer…
– Un ou deux mois avant sa disparition, son comportement n’a pas du tout changé ?
– Pas du tout. Danie, c’est Danie. Égal à lui-même. Je… Avec toute cette histoire, je me suis demandé si j’avais pu passer à côté de quelque chose. Pendant trois semaines après sa disparition, je n’ai pas pu dormir, j’ai fouillé ses affaires, sa veste, ses poches de pantalon, sa penderie, sa table de nuit, sa voiture, les factures, les papiers… Mais je n’ai rien trouvé, absolument rien.
– Et votre situation financière ?
– Mon affaire ?… On savait que ça serait dur, mais on avait confiance, on savait que le jour arriverait où les choses s’arrangeraient une fois pour toutes. L’année dernière, on a ramé. Mais on en parlait toujours et on ne s’est jamais chamaillés là-dessus, jamais. Il me disait toujours : « On y arrivera, mon chou, on y arrivera, tu verras. » Mais maintenant… Je ne sais pas combien de temps ABC continuera de verser son salaire…
– A-t-il un ordinateur ?
– Il en a un au travail, et à la maison on partageait mon portable, on avait une adresse e-mail commune pour nos affaires privées.
– Vous avez les relevés de son téléphone mobile ?
– Oui. Il n’y avait rien. La dernière fois qu’il a appelé quelqu’un, c’est vers 3 heures et quart l’après-midi du 25, Hennie Marx, l’un de nos amis. Hennie a dit que Danie l’avait rappelé à propos de nos projets pour le week-end : nous avions l’intention d’aller manger des sushis avec lui et sa femme.
– Vous avez signalé le téléphone mobile ?
– Non. Qu’est-ce que vous voulez dire ?
– En avez-vous signalé le vol ou la perte ?
– Non, je… Je ne voulais pas le faire avant de savoir ce qui s’est passé.
– C’est bien, dit-il sur un ton rassurant. Vous pouvez me donner le numéro du mobile et le numéro IMEI ?
– Le numéro e-mail ?…
– Non, le numéro d’identité internationale d’équipement mobile : International Mobile Equipment Identity. Chaque téléphone portable a le sien, il figure généralement sur l’emballage du téléphone, en tout cas quelque part dans la documentation. Chaque fois qu’un téléphone est enregistré sur le réseau, l’IMEI est testé, pour voir si l’appareil figure sur la liste grise ou la noire.
Il vit à son regard qu’elle ne suivait pas.
– Quand un téléphone est volé, son propriétaire peut le faire inscrire sur la liste grise, ou bien sur la noire. La liste grise, c’est pour les téléphones qu’on peut encore utiliser ; alors on peut les tracer. La liste noire, c’est pour les téléphones dont l’abonnement a été annulé et que personne ne peut plus utiliser.
– D’accord. Mais qu’est-ce que vous voulez dire par « tracer » ?
– On peut retrouver le téléphone dans un rayon de 80 mètres.
– Comment ça ? demanda-t-elle avec une pointe d’espoir.
– On s’adresse au prestataire. S’il s’agit de votre téléphone personnel, il vous suffit de le demander. Si c’est le téléphone de quelqu’un d’autre, il vous faut une assignation en vertu de l’article 2-0-5. Il y a aussi d’autres possibilités, des indépendants qui acceptent de tracer le téléphone.
– On pourrait faire ça ?
– Quand avez-vous appelé le mobile de Danie la dernière fois ?
– J’appelle tous les jours.
– Que se passe-t-il quand vous appelez ?
– Ça dit seulement : « Le numéro que vous avez demandé n’est pas attribué. »
– Ça pourrait signifier plusieurs choses. Si la carte SIM de Danie est toujours dans le téléphone… Il faut comprendre que si le téléphone a été éteint, on ne peut pas le tracer. Mais en revanche on peut savoir si on s’en sert ou non.
– On peut essayer ça ?
– Il faut le numéro IMEI.
Elle se leva.
– Je vais le chercher, dit-elle.
– Tanya… il faut que je vous dise, vous allez avoir des frais en plus : une décision du tribunal, faire appel à des indépendants…
Elle se rassit lentement.
– Combien ?
– Je ne sais pas exactement. Avec l’aide de la police, on ne paie pas pour l’assignation. Je vais devoir vous établir un devis.
Ses épaules s’affaissèrent.
– Les 30 000, dit-elle avec du désespoir dans la voix, c’est tout ce que j’ai, monsieur Joubert. Il s’agit d’une autorisation de découvert, je n’obtiendrai pas plus.
– Mat, dit-il. Tout le monde m’appelle Mat.
Elle acquiesça.
– Tanya, dit-il avec la tendresse qu’elle lui inspirait, vous devez bien comprendre que ça fait déjà trois mois…
– Je sais, murmura-t-elle d’une voix presque inaudible. Je veux juste être… sûre.