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Lundi, 1er mars 2010

Il accrocha au mur de son nouveau bureau de Centre Point Building à Milnerton son diplôme de mastère en science policière passé dix ans auparavant. Il se demanda si ce n’était pas un peu trop prétentieux.

Il recula d’un pas. Margaret avait vraiment bien aménagé l’endroit, avec un vieux tapis persan bleu et rouge, le bureau ancien qu’elle avait déniché chez un brocanteur à Plumstead et une élégante paire de fauteuils en acajou et cuir pour les visiteurs.

Sur le bureau, un ordinateur portable côtoyait un bloc-notes acheté chez CNA1 ; contre le mur, une étagère en pin de l’Oregon avec ses manuels de science policière et une photo de lui en compagnie de Margaret et des enfants.

Sur la porte vitrée, on pouvait lire :

Mat Joubert

Enquêtes

Il rectifia l’alignement du diplôme encadré. On frappa à la porte, c’était sans doute Telkom qui venait installer le téléphone.

– Entrez, dit-il.

Un homme ouvrit la porte. Il était de taille moyenne, et ses cheveux coupés court étaient presque incolores.

– Mat Joubert ?

– Exact.

Il ferma la porte derrière lui, se rapprocha et tendit la main.

– Je suis Lemmer, dit-il.

Poignée de main très ferme.

Ce n’était pas le type de Telkom. Quelque chose dans son attitude, dans ses muscles souples, dans la vigilance de ses yeux froids, faisait penser à un prédateur. Il connaissait ce genre d’individu. Cela signifiait généralement des ennuis. Il avait travaillé avec des gens comme ça, il en avait arrêté quelques-uns aussi, souvent avec difficulté.

L’homme mit la main à sa poche de chemise et en sortit un papier qu’il déplia. C’était une coupure de presse qu’il tendit à Joubert, qui la prit et la regarda.

« Le mystère de la pisteuse s’épaissit », annonçait le titre. Il reconnut ce texte, dans lequel il était nommé, et qui remontait à plus d’une semaine maintenant.

– J’ai des renseignements, dit Lemmer.

Joubert leva les yeux et dit :

– Il faudra les donner à la police.

Lemmer secoua la tête.

– Non, dit-il.

Joubert replia la coupure de presse, la rendit à son interlocuteur et se dirigea vers son fauteuil.

– Dans ce cas, prenons un siège.

 

De l’autre côté du bureau, l’homme sortit de sa poche un autre papier qu’il poussa vers Joubert.

– C’est elle ? demanda-t-il.

Il y avait sur un papier semi-brillant la photo d’une jeune fille, déchirée dans une publication imprimée en noir et blanc : l’annuaire d’une école, peut-être, car elle portait un uniforme de collégienne. Les longs cheveux noirs étaient retenus par un bandeau ; elle avait un joli visage… Mais son petit sourire laissait entrevoir la rébellion, le défi.

Joubert prit la photo entre ses gros doigts, examina les traits de la jeune fille. Il s’efforçait de les comparer au visage défiguré qu’il avait vu au champ de tir d’Atlantis. La ressemblance était indéniable.

– Peut-être, dit-il.

– Est-ce qu’elle avait une petite tache de naissance rouge, juste derrière l’oreille gauche ?

– Je ne sais pas.

– Vous pourriez vous renseigner ?

Joubert opina.

– Oui, dit-il. Vous la connaissiez ?

– Non, répondit l’homme.

Joubert leva les yeux de la photo, l’air interrogateur.

– Elle s’appelle Helena Delfosse. C’est elle qui a la tache de naissance. Elle a été vue pour la dernière fois le 21 septembre à Nelspruit, dans la boutique de vêtements où elle travaille. Elle était avec sa cousine, Cornelia Johanna Van Jaarsveld, qu’on appelle aussi Flea. Et je soupçonne que Delfosse était à Loxton dans le Haut-Karroo, la nuit du 26 septembre, pour y récupérer Flea.

Joubert observa de nouveau l’homme et lui demanda :

– En quoi êtes-vous concerné ?

Les yeux gris-vert se posèrent sur le diplôme accroché au mur. Puis Lemmer se leva et dit :

– Vous pouvez garder la photo. L’adresse de ses parents figure au verso.

Il fit demi-tour, se dirigea vers la porte et ajouta :

– Le journal ne dit pas quelle arme à feu était en cause…

Joubert ne réagit pas, il se contenta de croiser les bras.

Il vit la lueur d’un sourire réprimé sur le visage de Lemmer, et l’homme qui revenait sans hâte posa les mains sur le dossier du fauteuil en acajou.

– J’ai passé dix-huit heures dans un camion avec Flea Van Jaarsveld. Une coïncidence, le fruit des circonstances. En tout cas, ça a duré assez longtemps pour qu’elle me mente, m’arnaque et me vole. Je me suis donc lancé sur ses traces afin de récupérer mes affaires.

Joubert croisa les bras.

– Vous l’avez trouvée ?

– Non, répondit l’homme.

– Qu’est-ce que son permis de conduire faisait dans le sac de Helena Delfosse ? demanda Joubert.

Lemmer réfléchit avant de répondre :

– À Nelspruit, on dit que Helena Delfosse était une version domestiquée de Flea – un peu sauvage et rebelle, elle aussi, mais jamais au-delà de certaines limites, juste assez pour être la petite-fille préférée de son grand-père, le Grand Frik Redelinghuys. C’est ce même grand-père qui a refusé de reconnaître Flea. Les cousines n’ont eu aucun contact ces dix dernières années, jusqu’en août de l’année dernière quand, un beau jour, Flea est entrée dans la boutique.

– Que voulez-vous dire ?

– Je dis que pour le permis de conduire, ce n’est pas un accident. Avec Flea, rien n’est accidentel.

Joubert assimila l’information, puis il demanda :

– L’arme à feu de l’affaire d’Atlantis a été comparée, lors d’une expertise balistique, avec celle qu’on a trouvée sous le cadavre de M. Danie Flint, près de Mitchell’s Plain. C’était un Beretta 92 Vertec.

Une ombre traversa le visage indéchiffrable de Lemmer.

– Merci, dit l’homme, qui se dirigea une nouvelle fois vers la porte.

Joubert commençait à comprendre.

– Vous allez rester sur sa piste ? demanda-t-il.

– Si je trouve la piste, répondit-il.

– Vous cherchez les ennuis.

Lemmer ouvrit la porte.

– Non, je ne cherche pas les ennuis, ce sont eux qui me trouvent.

 

 

LE SUCCÈS D’UN BEST-SELLER FONDÉ

SUR DES RUMEURS DE VÉRITÉ

Oussama Ben Laden a-t-il été soigné en Afrique du Sud ?

 

L’éditeur parle de fiction. L’auteur se refuse à tout commentaire. Mais, pour la partie autorisée de l’opinion, le succès du thriller Une théorie du chaos peut être attribué aux rumeurs persistantes selon lesquelles l’auteur, Milla Strachan, l’a fondé sur des faits. Le livre est récemment devenu le best-seller n° 1 en Afrique du Sud.

Une photo de Milla Strachan, femme au foyer à Durbanville, est parue dans la presse dominicale en octobre 2009 en même temps que celle de Lukas Becker, anthropologue et ancien plongeur de la marine nationale, porté disparu. À l’époque, Becker était recherché par la police en relation avec des crimes graves, non spécifiés, perpétrés avec violence, et était décrit comme « armé et dangereux ». Peu après, les autorités ont publié une déclaration admettant que l’implication supposée de Strachan dans les faits résultait d’une « erreur administrative », et lui ont présenté publiquement des excuses.

Le principal personnage masculin du livre, Markus Blom, un ex-militaire, est archéologue. L’intrigue est racontée du point de vue d’une femme au foyer de la banlieue Nord du Cap (Irma Prinsloo), qui accepte un poste à l’Agence présidentielle de renseignement (désormais démantelée), et qui est impliquée dans un complot terroriste international visant à amener clandestinement Oussama Ben Laden en Afrique du Sud pour y recevoir des soins médicaux.

Un porte-parole de la nouvelle Agence de sécurité d’État s’est refusé à tout commentaire, se bornant à indiquer que « l’ASE ne réagit pas à la fiction ». D’après le site web de la CIA, Ben Laden, le cerveau responsable de l’attaque du World Trade Center le 11 septembre 2001, se cache toujours en Afghanistan ou au Pakistan. Le consulat des États-Unis au Cap n’a répondu à aucune autre question.

L’auteur, Milla Strachan, qui, d’après la rumeur, vivrait désormais sur une exploitation agricole entre Philippolis et Springfontein, n’aurait accepté aucune interview depuis la publication d’Une théorie du chaos.

Die Burger, 6 décembre 2010

1.

Grand magasin où l’on trouve des livres, des CD, des jouets, de la papeterie…