Dehors, dans la cour, le soleil tape et tout est figé. Kurt s’arrête net, un instant sa conscience se fige elle aussi, devient un désert écrasé de soleil puis, d’une secousse, se remet en marche. Il se hâte vers son bureau où il tournicote un peu avant de s’affaler dans son fauteuil. En général, il est dans son bureau ou à l’extérieur, et c’est seulement très tard, quand il est assez fatigué pour tomber de sommeil, qu’il traverse le bâtiment principal et entre dans la chambre à coucher.

 

Hier, contrairement à ses habitudes, il a décidé de passer la soirée dans le salon en compagnie de Maggie. Il était clair que cela ne lui plaisait pas. Sur le canapé, raide comme un piquet, elle lui lançait de temps à autre un coup d’œil en coin, ainsi que peut le faire un héron, sans aucun autre mouvement du corps. Il avait envie de dire quelque chose, de tisser un lien entre eux dans la pièce, mais, avant même qu’il ait pu penser un seul mot, Maggie l’avait aspiré dans son silence.

 

Le téléphone se met à vibrer. Kurt a le vertige, on dirait que tout ce qui en temps normal est maintenu en place dans les classeurs sur les étagères, les comptes annuels, les listes de clients, se met en mouvement, dérape.

 

À l’école, lorsqu’il écrivait dans son cahier, il surveillait que les mots restent bien là où il les mettait. S’il n’y avait pris garde, ils auraient pu révéler davantage que lui-même n’avait voulu en dire. Un jour, l’institutrice avait emporté le cahier chez elle pour le week-end et, étendu sur son lit, il avait songé à ce qu’elle y trouverait. Il avait dormi et s’était réveillé avec l’impression qu’elle avait veillé sur son lit toute la nuit. C’est alors qu’il avait commencé à craindre que son visage ne devienne lisible pour les adultes pendant son sommeil.