Dehors, dans la cour, Fatih et Lars sont occupés à trier des pièces détachées et des outils. De sa fenêtre, Maggie les voit entourés de bric-à-brac et de caissons. Elle sait, car Kurt le lui a raconté, qu’il emploie uniquement des gens comme lui, qui en plus de savoir conduire un bus comprennent aussi ce que c’est, un bus. Mais elle ne se donne pas la peine de saisir quel genre de connaissances possèdent les trois hommes. Cela donne lieu à un pêle-mêle de pièces détachées et la seule pensée de tous ces petits composants menace sa raison. Dès lors qu’elle accepte l’idée qu’on puisse désosser un bus, elle trouve que c’est de la folie qu’il puisse à nouveau sillonner en un seul morceau les routes de campagne. Elle reproche à Kurt ce regard qui démonte les objets. Le four qui autrefois était entièrement le sien et ce, sans discussion, se dissémine soudain en radiateurs et en fils pouvant être connectés et déconnectés ; elle n’ose pas penser à la cafetière, quoi mène à quoi et vient d’où, non, que le récipient se remplisse est le résultat magique d’accords qu’elle ne se soucie pas de déranger. Soit ça marche, soit ça ne marche pas. Maggie préfère penser avec fatalisme car, si elle mettait ça en cause, où cela la mènerait-il ?
Il lui faut s’éloigner de la fenêtre, s’asseoir dans le fauteuil et tenter de recouvrer son calme. Une chose à la fois, se rappelle-t-elle en cherchant du regard dans le salon un objet auquel elle pourrait donner sa préférence. Mais tout se brouille, pas un seul instant il ne lui vient à l’esprit d’arroser les plantes, de taper les coussins du canapé ou de ranger enfin son manteau d’hiver. Ceci est donc ma vie, pense-t-elle comme une sorte de titre. Et, avec le fin sens théâtral qui est le sien, cela lui renvoie une version déformée, clownesque, de son existence.
Elle reste un peu assise, revient ensuite à la fenêtre sur une impulsion soudaine et observe les hommes. Fatih soulève quelque chose, échange deux mots avec Lars, puis place la chose dans le caisson qui correspond à la conclusion à laquelle ils en sont venus. Elle voit et enregistre ces faits et gestes, mais serait bien incapable de raconter ce qu’elle a vu. Pour elle, ces deux-là sont simplement une version plus pâle de Kurt, une émanation de sa personne. Tout comme pour eux elle n’est que l’arrière-plan d’où émerge Kurt, lui donnant une résonance qu’il n’aurait pas sans cela.
Une idée, petite, fugitive, et dure comme une noix qui tombe d’un arbre, s’insinue en Maggie et vient s’installer sur ses genoux : elle a été jeune autrefois.