Un soir, elle frappe chez une amie qu’elle n’a pas vue depuis longtemps. La mère de l’amie en question lui ouvre ; entre donc, Maggie. Elles sont assises à table, c’est une chaude soirée, les fenêtres sont ouvertes. Le quartier de Nørrebro, qui un instant plus tôt ressemblait à un désert, berce à présent Maggie telle une houle apaisante, au rythme des bruits de la rue. La mère de son amie fume sa cigarette lentement. Elle a une expression douce, attentive et indulgente. La joie qu’elle éprouve à se voir fumer lentement, tout en accueillant cette gamine étrangère et sauvageonne sous son toit, tremble presque autour d’elle. Mais Maggie comprend qu’elle ne pourra pas rester longtemps. C’est une question de jours avant que la joie née de cette image ne soit refoulée par l’agacement non dit, mais palpable, d’être mère célibataire et d’avoir à nouveau un enfant à charge, de cuisiner pour plusieurs, et il y aura ce canapé en désordre que Maggie oubliera de refaire le matin.

 

Le lendemain, au bureau des affaires sociales, elle s’assied et joue de façon convaincante l’enfant seule qu’elle est aussi vraiment, mais c’est tout un art de se présenter de telle façon que les bonnes cases soient cochées sur la feuille. Elle y parvient, l’assistante sociale la prend par le bras et elles longent ensemble le boulevard Å. On peut lui donner une chambre, un endroit pour jeunes filles sans domicile fixe.

 

Elle va vivre à côté de Tina, une fille qui passe son temps allongée sur son lit à écouter en boucle la bande originale du Livre de la jungle. Maggie entend à longueur de journée la chanson de Baloo. Parfois, les parents de Tina lui rendent visite, ils s’assoient en face de leur fille dans la salle commune et Tina feuillette des revues en leur montrant ce qui lui plairait. Des barrettes, une bourse en forme d’étoile de mer. Sa voix est trop ténue pour extérioriser la colère qui habite son corps lorsque les parents rejettent ses désirs ; elle se brise, devient de l’air. Maggie ressent pour Tina une compassion qui, dès qu’elle a envahi son corps, se mue en répulsion.

 

De l’autre côté, c’est la chambre de Lone. Il est si rare que Maggie soit avec des filles qu’une sensation de bien-être tourbillonne dans sa tête quand elle passe une journée entière avec Lone. Elles lisent chacune son livre, mettent à tour de rôle une casserole d’eau à bouillir pour le café. Est-ce que tu sais, demande Lone, qu’Elsa Morante a été coréalisatrice de plusieurs films de Pasolini, et Maggie répond non, ou si, elle l’avait entendu dire en effet, elle l’avait oublié, puis elle a honte et regrette de n’avoir pas su s’en tenir à son non, maintenant ça fait encore plus stupide. Elle oublie tout quand Lone se met à califourchon sur elle et l’embrasse, d’abord sur la bouche puis sur le ventre. Tu imagines, si Tina nous voyait ? pouffe Lone, et Maggie n’a pas le temps de rire que Lone écarte déjà les lèvres de son sexe, et ensuite c’est comme si s’ouvrait un chemin chaud et large.

 

Sauf qu’elle ne parvient pas à faire la même chose avec Lone. Le visage entre ses jambes, sa bouche fait la grimace comme à la pensée d’un bonbon acidulé et, dans ces conditions, ce n’est pas si facile pour Lone et elle de se revoir.