Je suis prise de vertige quand je lis des articles sur ces affaires. Oui, j’ai le vertige lorsque je tombe sur des histoires de sociétés dont les niveaux de propriété se chevauchent, qui s’achètent et se vendent entre elles. L’argent semble changer de mains alors que ce n’est pas le cas.
À l’école primaire déjà, le jour où l’instituteur a retiré les deux bols de boules de son bureau pour dématérialiser en un dessin au tableau le calcul par transfert des boules d’un bol à l’autre, j’ai senti mon cerveau surchauffer. Qu’est-ce que quatre, sinon quatre de quelque chose ? Si on ajoute deux à quatre, on obtient la même chose en n’ayant au départ rien de plus défini qu’un chiffre. J’ai tenté d’expliquer à mon instituteur ce que je ne comprenais pas. Il m’a fait signe de venir au tableau, a ressorti les bols. Que se passe-t-il si je mets deux boules dans le bol où il y en avait quatre auparavant ? demanda-t-il. Ça fait six boules, comptai-je dans ma tête. Alors il recommença sa démonstration au tableau et me regarda comme s’il avait clarifié un point, Regarde, c’est la même chose. Mais pour moi ce n’était pas la même chose. Je devins toute rouge, j’avais mal à la poitrine. Comprends-tu maintenant ? Je mentis, disant que je comprenais. Mais soudain je ne pus retenir mes larmes plus longtemps. Face à toute la classe, je pleurai.
Lorsque je lis des articles sur des transactions, sur des millions de dollars qui sont disséminés et se multiplient, qui disparaissent et se multiplient, la tête me tourne.
J’essaie néanmoins. Je suis de bonne volonté.
Je sais pertinemment qu’il s’agit d’un des moyens d’action de l’homme d’affaires. Son triomphe consiste à opérer dans une langue qui incite au silence. Son triomphe consiste à me faire croire que je suis stupide.