Tout au long des années 1980, SeaEscape avait connu un nombre remarquablement élevé d’incendies à bord de ses bateaux de croisière. Le Scandinavian Star, le Scandinavian Sea, le Scandinavian Sun, tous furent la proie des flammes. Des sinistres qui se déclarèrent et se propagèrent suivant un mode similaire au scénario du Scandinavian Star le 7 avril 1990, les victimes en moins.

 

Le 7 avril 1990, 159 personnes périrent des suites de l’incendie, dont 28 enfants. Le plus jeune avait à peine quelques mois.

 

Je pense au mien, que je vais bientôt aller chercher à la crèche, et me mets à pleurer. Ce sont des pleurs étranges. Où se mêlent de la colère, du chagrin et de l’amour.

 

Si le Scandinavian Star a bien été incendié pour que SeaEscape touche la prime d’assurance, il n’était nullement prévu qu’il y ait des morts. Cela a été une erreur. Les passagers devaient être évacués et, ensuite seulement, le bâtiment pouvait être réduit en cendres.

 

Mais il faut payer pour que quelqu’un établisse un plan d’évacuation. Et il faut du temps, des heures de travail, des salaires pour organiser un exercice d’incendie. Cela n’a pas été fait.

 

Devant le tribunal maritime et du commerce, Henrik Johansen, Ole B. Hansen et Hugo Larsen, le commandant du Scandinavian Star, furent tous condamnés à six mois d’emprisonnement pour avoir enfreint les lois en vigueur sur la sécurité à bord des navires.

 

Ole B. Hansen ne purgea pas sa peine. Il partit en exil en Espagne, où il incarna l’impunité réservée à sa seule classe sociale.

 

Cent cinquante-neuf personnes périrent. Il est malheureusement vraisemblable qu’elles soient mortes parce que d’autres désiraient réaliser une plus-value financière.

 

Il est impossible de puiser dans l’aspect exceptionnel de cette affaire un motif de consolation.

 

Le seul aspect exceptionnel de ce dossier, c’est que les victimes du capitalisme (si l’on ne tient pas compte de celles qui ne sont pas considérées comme des victimes : les plantes, les champignons, les poissons, les insectes) ne se trouvent généralement pas en Scandinavie.

 

On a érigé une statue à Oslo à la mémoire des victimes de l’incendie criminel du Scandinavian Star, mais nulle part en Scandinavie on n’a élevé de pierre commémorative en souvenir des ouvriers du textile victimes d’effondrements d’usines au Bangladesh et au Cambodge.

 

Même s’il y avait aussi des sociétés scandinaves pour les faire tourner jusqu’à l’effondrement.

 

Et, pourtant, quoique rien dans cette version du monde ne soit équitablement partagé, quoique l’Occident ait largement externalisé la douleur, il arrive aussi qu’à l’intérieur des frontières du Danemark quelques-uns paient de leur vie pour que le système puisse être maintenu en place : la classe ouvrière vit moins longtemps. Ici aussi.

 

Non. La mort n’est pas une erreur. Elle fait partie de l’ordre des choses.

 

Lorsque tout un village est atteint par le cancer après avoir employé des pesticides dans une bananeraie aux mains de capitaux américains, l’objectif n’était peut-être pas la maladie et la mort ; il n’empêche que ce sacrifice, l’entreprise de bananes était prête à le faire dès le départ.

 

La mort n’est pas une erreur. Un meurtre est un meurtre, même si le meurtrier en avait après l’argent et non pas après la vie d’autrui.

 

S’il est vrai, et je le crois, que l’incendie du Scandinavian Star fut déclenché dans un but de gain financier, les 159 personnes ne sont pas mortes seulement en raison du goût du risque de quelques-uns, elles sont mortes pour une idée.

 

Certaines choses et quelques personnes peuvent avoir à disparaître pour que d’autres puissent y gagner. Telle est l’idée.

 

Pour ajouter, il faut soustraire ailleurs.

 

Le capitalisme est un massacre.

 

Mais nous sommes vivants et nous pouvons y mettre fin.