Maggie ne parvient plus à se lever seule de son lit. Pour éviter les escarres, on doit souvent la retourner, ce qui lui donne l’impression d’être un ingrédient dans une recette de cuisine. Hier, alors qu’il fallait l’aider à sortir du lit pour la conduire aux toilettes, l’infirmière l’a fait tomber par terre. Après avoir réussi à grand-peine à la remettre en position assise, celle-ci s’est confondue en excuses et Maggie a répondu que ce sont des choses qui arrivent. C’est seulement quand, plus tard dans la journée, elle a dû expliquer à Sofie l’origine de ses bleus, puis qu’elle l’a vue lutter pour ne pas pleurer parce qu’on avait fait tomber sa mère, que Maggie a pris conscience de s’être sentie comme un morceau de viande inutile lorsque cette étrangère, à laquelle en aucun cas on ne saurait reprocher d’avoir, une fois sur mille, commis une faute, s’est excusée platement une fois encore et a refermé la porte derrière elle.

 

Parfois, Maggie pense que la mort peut bien venir et faire d’elle ce qu’elle veut au plus vite, mais à présent Sofie est dans sa chambre d’hôpital et Maggie prie elle ne sait qui de lui accorder le maximum de temps possible. Elle soulève lentement un bras du matelas, le tend, et Sofie lui présente le verre de jus de fruits en lui demandant si c’est ce qu’elle veut. Mais Maggie ne veut pas de jus de fruits maintenant. Elle veut dire à Sofie qu’elle va lui manquer. Sofie lui prend la main et la serre, détourne les yeux et les pose sur la télévision qui diffuse ses images juste au-dessous du plafond. Toi aussi, tu vas me manquer, répond-elle.

 

Sans parvenir elle-même à donner un nom au chagrin, Maggie sent que Kurt lui manque aussi. Mais ce n’est pas maintenant non plus qu’il pourra lui rendre les rêves qu’elle avait projetés sur lui autrefois. Son langage disparaît ensuite dans la morphine et les douleurs, elle évolue dans un monde de pensées que je ne connais pas et, après y être restée quelques jours, elle meurt.