Il venait de se donner à moi. J’avais rêvé de partir quelque part loin avec lui, mais il trouvait que nous devrions rester dans le pays, alors j’ai choisi l’île de Møn. On s’est promenés près des falaises ; sous certains angles, le soleil les rendait d’une blancheur aveuglante. C’est moi qui marchais devant, le long des sentiers étroits. Après nous sommes allés en ville. Il m’a acheté une robe, elle est violette, je l’ai toujours. Nous avons trouvé une auberge où nous avons mangé des pommes de terre avec des lardons et des oignons. Je me souviens qu’il me regardait amoureusement quand j’ai versé la sauce béchamel sur les pommes de terre. Je n’avais pas compris qu’il y avait autant de sauce. Alors on s’est mis à rire, tous les deux. Je le trouvais craquant quand il était au volant, une cigarette au coin de la bouche. Cela faisait très américain, je me sentais chanceuse et jeune. Il est un de ceux dont on peut lire immédiatement les émotions en regardant leur visage. Le sien pouvait être complètement fermé et puis, au moindre événement, une flopée de canetons ou bien la remarque agréable d’une vendeuse, il se retournait comme un gant. J’adorais ça chez lui. Un soir, il s’est assis sur une souche d’arbre. Il paraissait torturé et j’ai cru qu’il regrettait tout ça. Mais il est revenu vers moi et voulait tout me donner.

 

Je me souviens particulièrement d’un soir. Nous étions à une fête qui avait lieu sur deux étages reliés par un large escalier. Je me suis éloignée de Kurt quelques minutes. J’avais un mal fou à me détacher de lui, mais je voulais sentir l’effet que ça faisait d’être séparés. Mon corps était comme traversé par un ruissellement alors que je dansais seule sur la piste. Nous étions pris dans un tourbillon, mais liés l’un à l’autre par une force insensée.

 

Peut-être sans que j’en aie tout à fait conscience, la situation s’est-elle retournée à peine six mois plus tard. Nous étions partis à l’île de Samsø, il avait une tante qui vivait là-bas. Un jour, l’envie m’a pris d’escalader une clôture électrifiée pour aller dans le pré. C’était un grand terrain, j’avais marché assez loin quand soudain le bélier s’est mis à me charger. J’ai pris mes jambes à mon cou, j’avais peur, oui, mais j’étais heureuse, j’avais l’impression de courir dans un immense éclat de rire. J’ai attendu d’être de nouveau de l’autre côté de la clôture pour me retourner. Alors que j’étais là à reprendre mon souffle, Kurt est arrivé. C’est difficile à expliquer. Comme si sa simple vue m’avait séparée de ce qui venait de se passer. C’était vide. Rien à raconter. Il m’a demandé ce qu’il s’était passé et je me suis contentée de hausser les épaules.

 

Cela faisait seulement quelques semaines que nous étions ensemble. Il se réveillait toujours très tôt avec l’envie de faire l’amour. Ce matin-là, je n’ai pas voulu, je préférais dormir encore un peu. D’abord, je n’ai pas compris qu’il puisse se mettre dans une colère pareille. J’ai cru qu’il jouait et j’ai cherché de ce côté en lui. Il devait bien y avoir de l’amour quelque part derrière ce visage furieux, mais je n’ai pas réussi à le trouver. Il m’a balancé les oreillers à la tête, je me suis redressée dans le lit ; c’était une confusion, un trouble à nu. Quand je suis rentrée cet après-midi-là, il avait acheté des fleurs et du champagne. Il m’a priée de ne pas cesser de l’aimer. Cela ne m’avait même pas traversé l’esprit. Je n’en aurais pas eu la force. Je n’y comprenais rien. Je pensais qu’il forçait un peu le trait dans le rôle de l’amoureux. Mais aussi que sa violence était touchante, magnifique.

 

Cela a comme glissé hors de moi. C’était la même confusion lorsque, un soir, furieux que je l’aie fait partir d’une fête plus tôt que lui n’aurait voulu, il m’a poussée et fait tomber du lit. Je voulais que ce soit une sorte de jeu, alors je suis remontée dans le lit et il m’a poussée de nouveau. Je me suis sentie telle une tortue sur le dos quand, pour la seconde fois, je me suis retrouvée par terre. C’était peu commode et humiliant de me hisser dans le lit encore une fois. Le lendemain, c’est moi qui l’ai consolé et lui ai demandé pardon. J’ai essayé de traduire : il avait peur de me perdre, c’est ce qui le mettait en colère, il m’aimait trop, tout simplement. Et j’avais forcément fait une erreur si l’homme que je pouvais rendre heureux était malheureux.

 

La première fois qu’il m’a craché dessus, nous avions échangé des souvenirs du collège. Il m’avait parlé des mauvais et je lui avais raconté l’un des miens. J’avais fait l’amour avec un garçon un peu plus âgé, et le lendemain il m’attendait à la sortie du collège et voulait m’inviter. C’est ce qui avait lancé la campagne de dénigrement. Les gens trouvaient que j’étais une putain et que je devais être punie pour ça. Le pire, c’est quand quelqu’un avait arrêté ma mère dans la rue et lui avait demandé, en lui soufflant au visage, si elle savait ce que sa fille fabriquait. Kurt est resté silencieux après mon récit. J’ai remarqué qu’il se crispait autour d’une sensation qui n’augurait rien de bon. Puis on n’a pas été d’accord sur quelque chose, il s’est levé, m’a craché au visage et m’a traitée de sale pute. Il y a eu un vaste silence après son départ. Puis il est revenu et m’a demandé si je ne voulais pas faire l’amour avec lui. J’étais pleine de dégoût de moi-même et n’avais aucun désir lorsqu’on s’est allongés dans le lit, c’était comme si je m’apprêtais à vomir. Mais j’ai senti son désespoir quand je l’ai repoussé, alors j’ai cédé, on a fait l’amour, cela m’a fait mal parce que mon corps refusait. Je ne m’étais jamais sentie une pute, comme on dit, mais là oui. Si j’ai un conseil à donner aux jeunes filles, c’est de ne jamais coucher avec un homme qui les traite de ces noms-là, pas si elles l’aiment. Ça vous détruit.

 

J’aimais Kurt. Je l’aimais à la folie. Il était la seule personne, pensais-je, qui puisse vraiment me comprendre. Parfois il me témoignait une tendresse que, je crois, personne avant lui n’avait eue envers moi. C’était un abandon total, comme si je vivais réellement en lui, comme si mes paroles agissaient sur lui quand je lui parlais. Je retrouvais ma propre vie dans ses mouvements, mais elle avait été transformée. Une fois qu’il se l’était appropriée, il me la rendait et elle me devenait supportable à moi aussi. Et j’avais une tendresse infinie pour lui. Je voulais tout faire. Je voulais tout supporter, et consoler.

 

La deuxième fois qu’il m’a craché dessus, il revenait d’un entretien d’embauche qui s’était mal passé. J’ai voulu l’enlacer et il m’a craché dessus. La troisième fois, c’était parce que je lui avais dit sur un ton qui ne lui avait pas plu qu’il fallait prendre la prochaine sortie. Il s’est rangé sur le côté, m’a craché dessus et a recommencé à me cracher dessus quand je me suis mise à pleurer. Les larmes coulaient toutes seules. Il me plaquait fermement contre le mur ou me maintenait sous lui dans le lit, détruisait mes affaires, menaçait de mettre le feu à l’appartement. Un matin, il a brandi un couteau de cuisine, je ne sais toujours pas si c’était pour me menacer, se tuer avec ou me tuer. Il pouvait entrer dans une rage folle, pas seulement si je n’avais pas envie de coucher avec lui, mais également si je n’avais pas envie de faire l’amour de la manière qu’il voulait, lui. Il disait que j’étais vieille et moche ; il m’a laissée tomber parce que je refusais le sexe anal, il a dit qu’il avait hâte de faire l’amour avec des filles moins ennuyeuses que moi. Je pouvais choisir entre deux types d’humiliation, sa fureur si je ne voulais pas, ou bien céder. J’avais oublié qu’il y avait une troisième possibilité. Je l’aimais. Je ne voulais pas mettre fin à cette histoire. De temps à autre, nous étions si heureux, comme dans une tempête de rire et de courage. Je n’arrivais pas à y mettre un terme.

 

Mais quelque part en moi le doute a germé. On aurait dit qu’il travaillait dans une pièce à part, fermée. Sans pouvoir s’accorder avec mes sentiments amoureux, ni y toucher. Et si le doute parvenait malgré tout, de temps en temps, à remonter à la surface, Kurt le savait avant moi. Tu ne m’aimes plus. Je suis détruit si tu ne m’aimes plus. Autant mourir. Alors je le rassurais, le consolais. J’avais peur, mais cela tenait davantage d’une lassitude ouatée, comme d’avoir oublié quelque chose. Pourtant je n’avais pas seulement peur, je me sentais aussi maternelle et forte. Et flattée ; il me donnait l’impression que moi, je tenais sa vie entre mes mains, je pouvais pardonner ou condamner. Je choisissais le pardon, qui me donnait un sentiment de supériorité propre à adoucir aussitôt les pertes causées par les humiliations.

 

Lentement, quelque chose d’autre a aussi commencé. Quelque chose de rigide et d’inexorable qui a transformé Kurt à mes yeux. Un soir où nous étions à une fête, il se sentait indisposé, et il était seul à une table quand je suis revenue de la piste de danse. Nous sommes allés dehors ensemble, je voyais bien qu’il s’en voulait. Je lui ai dit que nous pouvions faire exactement ce qu’il souhaitait, rentrer à la maison ou rester, faire un tour dans la nuit, n’être que tous les deux. Il m’a regardée droit dans les yeux et m’a répondu que, si nous pouvions faire exactement ce qu’il souhaitait, il voulait me sodomiser. Je ne sais pas pourquoi c’est à ce moment précis, c’est en tout cas la première fois, que j’ai remarqué une chose différente. Je l’ai quitté, je voulais rentrer à la maison le plus vite possible. Mais c’est surtout le lendemain, à la vue de son visage torturé, que j’ai ressenti ne plus en avoir la responsabilité. Il n’avait qu’à souffrir.

 

J’ai dû m’imaginer que cela s’arrêterait pendant la grossesse. Qu’elle me protégerait. Ce fut un nouveau choc quand ça s’est reproduit au cours d’une des premières semaines. Il m’a traitée de pute et m’a craché dessus, m’a arraché l’assiette que je portais et m’en a renversé le contenu sur la tête. Il devait y avoir du riz, car je me souviens d’être restée silencieuse, embrasée de haine, à enlever un à un les grains de riz de mon pull-over. C’était différent d’être humiliée à présent que j’étais enceinte. Cela semblait sans limites. Je pensais à l’enfant qui grandissait, et ce cauchemar n’en finissait pas. Je suis partie et il a couru pour me rattraper, puis m’a tendu la main. Je connaissais par cœur l’expression de son visage : à la fois une prière et une menace. En silence, nous avons marché jusqu’au cinéma, c’était son idée. Pendant le film, j’ai été prise de terribles douleurs. J’ai cru que j’allais perdre le bébé, et je le souhaitais aussi, cela me paraissait une vengeance adaptée. Debout dans les toilettes du cinéma, j’ai ressenti une victorieuse douleur tandis que mon bas-ventre se contractait, et soudain j’ai eu peur. Je veux bien de toi, je veux bien de toi, ai-je promis en posant une main sur mon ventre, comme pour garder l’enfant à l’intérieur.

 

Je suis partie à Berlin. Je suis montée dans le train sans avoir d’autre plan que de survivre à l’angoisse de ma vie. J’ai réussi à trouver une chambre à louer quelques mois pour pas trop cher. Au téléphone, Kurt a menacé de se suicider, j’ai raccroché. J’ignorais comment je réussirais à sortir de la cabine téléphonique et à marcher les dix mètres jusqu’à l’entrée de l’immeuble. Je me suis assise par terre sans même avoir la force de pleurer ; j’ai dû m’endormir. Une femme qui devait téléphoner m’a tendu la main pour m’aider à me relever. Du bist schwanger, ja ? Tu es enceinte, c’est ça ? Je n’ai pas osé croiser son regard. Une fois en haut dans la chambre, je suis restée allongée des jours durant et n’ai rien fait d’autre que regarder la cime des arbres bouger dans le vent derrière la fenêtre. C’était une pièce poussiéreuse, haute de plafond, ça sentait fort la pisse des toilettes communes à côté. Un jour, je suis allée au zoo et, dans une cage beaucoup trop petite pour elle, une martre a poussé des cris aigus en me regardant. J’ai senti que l’enfant cherchait à communiquer à travers elle. Maintenant que je sais que c’était Sofie ou ce qui allait le devenir, c’est difficile à admettre, mais j’ai tout fait pour provoquer une fausse couche. J’ai bu sec et fumé à la chaîne. J’ai monté et descendu des escaliers en courant et je ne me suis pas arrêtée en sentant les élancements de douleur dans le ventre. Je m’étais procuré les numéros de médecins, plusieurs fois je suis entrée dans la cabine téléphonique avec le papier à la main, j’ai laissé le téléphone sonner deux trois fois avant de lâcher soudain le combiné. J’ai regretté et voulu à tout prix avoir cet enfant. Au lit, je n’ai pas cessé de me retourner et je lui ai demandé pardon. Pardon, petit bout adoré, pardon, pardon.

 

Mais, oui, je suis rentrée de Berlin. Pour la première fois depuis longtemps, j’avais peur d’être seule. Et besoin de Kurt. Me rendre compte que je n’étais plus amoureuse de lui mais que j’avais besoin de lui pour survivre m’a terrorisée. Ce qui jusqu’alors m’avait protégée était l’illusion de ne pas avoir besoin d’un homme, d’avoir plus de chances de m’en sortir seule. De pouvoir à tout moment prendre un train et, au bout d’un moment, tout considérer comme une fleur lointaine et farouche, un mystère parmi tant d’autres. À présent je me jetais la tête la première dans des querelles avec un désespoir que je n’avais encore jamais ressenti. Il n’y avait plus trace de la joie empreinte de piété et de masochisme que j’avais éprouvée en me taisant et en pardonnant. Il n’y avait pas de limites, pas de point final, nous étions tous les deux terrorisés, nous entraînant mutuellement toujours plus loin.

 

Alors nous avons décidé de déménager. Kurt ne supportait plus la ville et moi aussi je voulais partir, peu importe où. Un jour que je rentrais, il était soudain de bonne humeur. Son visage longtemps resté mort s’est complètement déformé de joie. Son cousin de Nyborg vendait la ferme de l’oncle décédé. Nous pouvions partir sur-le-champ, prendre ça comme un pique-nique. Je me rappelle parfaitement la première fois que j’ai vu la ferme. Mon ventre s’alourdissait à mesure que je découvrais toutes les petites pièces du bâtiment principal. Ensuite son cousin nous a montré la grange. Il a poussé la porte sur le côté en nous regardant par-dessus son épaule comme si nous avions acheté un billet pour une expérience particulière. Il régnait à l’intérieur un silence à cause de je ne sais quoi. Du métal, de l’herbe sèche, tassée.

 

Je n’ai jamais raconté ça à quiconque. À un moment, je suis allée à un groupe de parole de femmes à Odense. Il y avait longtemps eu un bout de papier affiché chez le boulanger. On était toutes les bienvenues, il suffisait de se présenter à la réunion. J’avais dû plusieurs fois détourner les yeux de ce papier. La seule pensée qu’il puisse n’y avoir que des femmes dans une pièce, me disais-je, était épuisante. Puis un jour j’ai pris le bus jusqu’à Odense. J’étais complètement paralysée pendant le trajet. J’avais en moi une prière si grande et si troublante que j’étais obligée de la transformer en colère. Ce seraient sûrement des snobs, elles me détesteraient. J’ai manqué trébucher en entrant dans la salle, qui n’était pas spécialement grande ; c’est du moins l’impression que j’ai eue quoique j’aie presque dû ramper pour atteindre un fauteuil. Lorsque mon tour est arrivé de me présenter et de raconter pourquoi j’étais là, j’ai prétendu venir à cause de la relation que j’avais avec quelqu’un. Et je n’ai pas réussi à aller plus loin ; je me suis tue. J’aimais Kurt, je ne pouvais pas le donner en pâture. Je me suis excusée et j’ai quitté la réunion malgré les protestations.

 

Tout paraît si simple quand on est à distance suffisante. Pourtant, si on zoome, si on interroge son cœur, il devient impossible de savoir à quoi on a affaire. On peut dire qu’on a aimé, mais ce n’est pas une réponse. Au contraire, c’est une nouvelle question encore plus impossible. Les accès de colère de Kurt se sont arrêtés. Soudain, sa dernière crise remontait à des années. Mais mon angoisse et ma colère n’ont pas disparu avec ses crises. Je continuais à me sentir humiliée. Dès lors que la cause de mes émotions disparaissait dans le passé, c’est comme si tout devenait encore plus difficile à supporter. Il s’agissait de restes honteux, je me tuméfiais avec eux. J’en étais prisonnière, je regardais ma vie de l’extérieur, comme d’une autre vie qui n’avait plus d’importance.

 

Malgré cela je suis restée et je me suis persuadée d’avoir de bonnes raisons et surtout des raisons pratiques de le faire, qu’en restant je pourrais épargner quelque chose à Sofie. Mais je crois que l’amour m’a tout autant retenue. L’amour, même si j’ignore ce que c’est, et si on le porte aux nues. C’est presque une douleur gorgée de lait qui m’envahit quand je pense à quitter Kurt.

 

Tu aurais dû le voir danser la fois où on s’est rencontrés. Il était très, très beau. Je ne sais pas s’il danse encore, ni même si on danse encore à Nyborg. Je ne connais pas tous ces gens-là, Bent et les autres. Autrefois, ça leur arrivait de passer comme ça de temps en temps, mais je les mettais dehors. J’étais beaucoup trop brutale, je disais à Kurt qui ouvrait de grands yeux effrayés : Ta vie est ridicule, tu le sais bien.

 

Il y a une vulnérabilité en lui. Si je l’aime vraiment pour quelque chose, c’est pour ça. Les gens s’imaginent toujours qu’on les aime pour autre chose. L’autre jour, il m’a soudain promis une maison en Espagne, et je ne comprenais pas ce qui pouvait lui faire croire que j’avais envie de ça. Non, c’est sa vulnérabilité, son abandon qu’on peut si facilement blesser parce qu’ils sont sans réserves. Il suffit de penser au nid d’hirondelles. Nous avons eu beaucoup de couvées, pourtant il est chaque fois aussi indigné ou aussi triste lorsque certains oisillons ne survivent pas. J’adore ça. Il ne supporte pas non plus de voir dépérir une plante en pot. Contrairement à moi qui néglige, oublie les choses qui m’entourent. C’est vrai, je n’aurais pas cru qu’on puisse être jaloux d’une plante verte, mais il m’est arrivé de l’être.

 

Je n’ai plus la force d’en raconter beaucoup plus. Cela m’a demandé un tel effort. Je ne crois pas que cela changera quoi que ce soit. Pendant que je parlais, une sorte de grimace, un sourire n’a cessé de flotter sur mes lèvres. C’était un jour où j’avais dit des paroles dures à Kurt. Il était tout à fait ouvert et épuisé par une gueule de bois carabinée, je savais, je pense, que je l’atteindrais profondément. Contrairement à ses habitudes, il n’avait rien de blessant à rétorquer. Il m’a regardée avec un visage évoquant celui d’un enfant, puis ses lèvres ont esquissé un sourire tordu.