En descendant la Nørregade, elle se prend à rêver d’une vraie ville. Shanghai, New York, Bangkok, Paris, Téhéran, Le Caire, São Paulo. Dans toutes les villes dont elle rêve, il y a des pigeons sur les places, du pain moelleux ou des crêpes, des crevettes, une exquise odeur d’essence légèrement entêtante, la cohue dans le métro.
Elle se laisse emporter par son imagination. Il doit y avoir des mouettes au-dessus de l’eau. Si l’on partage l’image sonore fantasmée, on entend des cris de mouettes, des chaînes métalliques qui tantôt se tendent et tantôt se relâchent, des conversations à voix basse entre les clients à la terrasse du café du port. C’est le printemps, un soleil précoce, le vent a conservé de sa fraîcheur. Sofie est assise en face de Maggie et elle rit, comme si elle connaissait cette vie dont sa mère a rêvé. Elle connaît le soleil américain, le soleil chinois, elle connaît le petit déjeuner simple mais délicieux dans l’assiette, la boîte en plastique avec quelque chose de sucré et d’exotique à tartiner sur le pain. Elle tient tout cela de sa mère et ne le sait même pas. Elle ignore qu’elle aurait pu avoir une autre mère qui, afin d’épargner sa fille, aurait rêvé tout éveillée et se serait dissoute dans un laisser-faire.