Chapitre 7
Rhinopharyngites et sinusites :
la piste alimentaire
Quand je les ai rencontrés, Jeffrey et sa sœur Jasmine, âgés de 8 et 6 ans, étaient de beaux enfants en bonne santé… Enfin, pas tout à fait : leur maman était désespérée de les voir en permanence ou presque sous antibiotiques pour des rhinopharyngites, des otites, des bronchites, etc. Un cercle infernal, cause d'un absentéisme scolaire répété, et sans thérapeutique efficace.
Elle décida de leur faire passer le test. Jeffrey ne présentait que 15 intolérances sur 270 aliments, un peu moins que la moyenne, qui se situe autour de 20. Mais ses intolérances fortes ne concernaient pas n'importe quels aliments, mais seulement les céréales à gluten et les œufs, plus particulièrement le jaune d'œuf. Un syndrome de l'intestin perméable aurait sans aucun doute créé des intolérances variées. Or Jeffrey ne présentait, par ailleurs, strictement aucune intolérance aux fruits et légumes (72 testés), ni aux condiments (40 testés), ni aux poissons, mollusques, crustacés, viandes, salades et champignons. Un étrange profil, donc… Selon moi, Jeffrey souffrait d'une intolérance hypersélective dont on ne connaît encore ni les causes ni les mécanismes. Toujours est-il que, après quelques semaines d'exclusion du gluten et des œufs de son alimentation, ses affections oto-rhino-laryngologiques et pulmonaires disparurent comme par enchantement.
Cinq fruits et légumes par jour… oui mais !
Les résultats de Jasmine furent d'une tout autre nature. Le test détecta 117 intolérances alimentaires ! Elle était, comme son frère, intolérante au gluten et au jaune d'œuf, mais aussi à toutes les salades, à 18 condiments sur les 40 testés, à quelques graines et noix, aux huiles de tournesol et d'arachide, et encore, mais plus modérément, au lait de vache. Surtout, 28 légumes étaient intolérés sur 35 testés (dont 17 de niveau 3 ou plus), et 24 fruits sur 37 testés (dont huit supérieurs au niveau 3). Un véritable paradoxe quand on sait que le Programme national nutrition santé (PNNS) recommande de consommer au moins cinq fruits et légumes par jour. Certes, c'est là une utile et judicieuse recommandation d'un point de vue général, tout le monde en convient, mais elle est individuellement risquée.
Entendons-nous bien : il est incontestable que les fibres, contenues notamment dans les fruits et les légumes, sont bénéfiques pour la santé. Selon une vaste analyse1 effectuée en 2013 au Royaume-Uni, la consommation quotidienne de sept grammes de fibres alimentaires diminuerait de 9 % le « risque cardiovasculaire », c'est-à-dire la probabilité de contracter un accident cardiaque (un infarctus par exemple). Sept grammes de fibres, c'est une portion de céréales complètes et une portion de haricots ou de lentilles, ou bien deux à quatre portions de fruits et légumes. Selon une étude de l'université de Lausanne et du centre de recherche de Nestlé, publiée début 2014, une alimentation riche en fibres solubles – en pectine des fruits et légumes par exemple – pourrait en outre protéger de l'asthme, en modifiant les qualités de la flore intestinale ou microbiote. Ses auteurs concluent : « La composition de notre alimentation peut influencer notre système immunitaire à un niveau fondamental, elle peut façonner la génération de cellules immunes (cellules dendritiques) dans la moelle osseuse. Ces cellules immunes migrent alors dans divers tissus, y compris les poumons, ou elles influencent le développement des réponses allergiques. » Dans une autre étude récente, NutriNet-Santé2, menée par des chercheurs de l'Inserm, le respect des mesures nutritionnelles préconisées par le PNNS est associé, en particulier chez les hommes adultes, à un moindre risque de syndrome métabolique, un ensemble de troubles des fonctions vitales associés au surpoids, au risque de diabète et de pathologies cardiaques.
Que donneraient de telles recherches si l'on tenait compte individuellement des intolérances alimentaires ? En d'autres termes, si l'on personnalisait notre alimentation en fonction des intolérances qui seraient détectées chez chacun de nous ? On aimerait que les financements publics puissent aussi soutenir une étude qui intégrerait ces allergies retardées dans l'analyse du lien alimentation santé, et que l'on puisse comparer ensuite les différents résultats. On aurait quelques surprises, croyez-moi ! Une alimentation riche en fibres n'est pas, d'ailleurs, une stricte garantie de bonne santé. Ainsi, Jean-Luc, végétalien convaincu de 38 ans (il refuse de consommer les chairs animales et les produits provenant d'animaux : œufs, produits laitiers, etc.) s'est révélé intolérant à 99 aliments sur 270 aliments testés, dont 93 % d'origine végétale (ce qui confirme que les positivités du test reflètent majoritairement les habitudes alimentaires de chaque consommateur…). La suppression des principaux végétaux incriminés par le test a eu un effet si bénéfique sur les souffrances chroniques qu'il endurait depuis des années, qu'après son épouse, c'est très récemment pour son jeune fils que j'ai prescrit un test Immuscreen 134.
Les laitages aussi !
Si le régime fruits et légumes recommandé par le PNNS ne réussissait pas à Jasmine, pour Caroline, 32 ans, c'est l'ingestion de produits laitiers, qui provoquait, quatre ou cinq heures plus tard, des crises à répétition de rhino-pharyngite et de sinusite. Les antibiotiques tenaient le premier rang dans sa boîte à pharmacie. De plus, son ventre lui menait la vie dure : alternance diarrhée/constipation, spasmes et colites. Elle réalisa le test et je reçus rapidement ses résultats. Pour tous les produits laitiers, sauf le lait de chèvre, mais aussi pour le gluten, l'intolérance était maximale ! L'histoire est assez cocasse : l'ayant au bout du fil pour lui annoncer ses résultats, j'eus peine à reconnaître sa voix, faible et nasillarde, « prise du nez pour la nième fois » durant la nuit. Quand je lui demandai ce qu'elle avait mangé la veille au soir, elle s'étonna :
« Pourquoi ? Rien de bien extraordinaire, j'étais en Suisse et avec ma collègue on a dégusté une bonne fondue savoyarde. »
Du fromage… en plein dans le mille !
Pour Caroline, l'éviction de tous les produits laitiers s'est révélée rapidement efficace, au bout d'un mois, avec disparition de ses troubles ORL et digestifs. Chez elle, il s'agit bien d'une réaction, non pas d'allergie immédiate de type I, « IgE dépendante » comme il est habituel de la concevoir, mais d'une réaction allergique retardée survenant plusieurs heures après l'ingestion de l'antigène : une intolérance alimentaire donc. Cela dit, expliquer à mes confrères médecins, notamment ORL, que des sinusites ou d'autres affections respiratoires communes peuvent être déclenchées par des aliments lactés, c'est loin d'être gagné d'avance ! En effet, peu d'études existent sur le sujet, et elles sont anciennes. Notons enfin que ces intolérances aux protéines de lait n'ont rien à voir avec l'intolérance au lactose (voir ci-après « L'intolérance au lactose »).
L'intolérance au lactose
Le lactose est un sucre naturellement présent dans le lait des mammifères. Il se trouve donc essentiellement dans les laitages. Les yaourts et les fromages en contiennent toutefois assez peu car il est dégradé par les lactobactéries qui y sont présentes. On le trouve aussi dans d'autres produits alimentaires : boulangerie, gâteaux industriels, chips, pommes de terre frites, charcuterie, hamburgers et dans les médicaments, utilisé comme excipient ! Ce glucide est dégradé dans le tube digestif par une enzyme nommée β-galactosidase, ou lactase, qui le décompose en deux sucres simples tolérés par l'organisme, le glucose et le galactose. La lactase est présente chez les enfants durant les premières années de vie, mais progressivement sa sécrétion diminue jusqu'à disparaître chez la majorité des adultes. Le lactose n'est alors plus digéré, mais il est transformé par certaines bactéries intestinales. La production d'hydrogène et de gaz de fermentation qui s'ensuit entraîne douleurs et ballonnements abdominaux, gaz et flatulences.
Cette intolérance d'origine enzymatique, et non pas immunologique, provoque aussi nausées et vomissements, crampes d'estomac, diarrhées plus souvent que constipation, parfois maux de tête, fatigue intense, vertiges, douleurs et raideurs articulaires, perte de mémoire et trouble de la concentration. Près de six millions de Français seraient affectés ! Les personnes qui ne supportent pas les produits laitiers et qui ont un test d'IgG négatif sont, par déduction, intolérantes au lactose. Un test peut mettre en évidence cette intolérance : il mesure l'hydrogène expiré après ingestion de 50 grammes de lactose (un gramme par kilogramme chez l'enfant). Une recherche génétique peut aussi confirmer ce diagnostic.
De l'hyperperméabilité intestinale aux symptômes ORL
Alors que dire de notre petite Jasmine, de Jeffrey et de Caroline ? Quels liens existe-t-il entre leurs intolérances alimentaires et leurs rhinopharyngites et sinusites ? Dans le cas de Jasmine, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la consommation de fruits et de légumes ne faisait qu'aggraver ses problèmes de santé. Par quels mécanismes ? Selon moi, compte tenu du nombre de ses intolérances, Jasmine présentait vraisemblablement un intestin hyperperméable, qui favorise anormalement la pénétration de molécules alimentaires indésirables et les réactions inflammatoires qui en découlent. Quoi qu'il en soit, l'exclusion des aliments intolérés – une gageure vu leur nombre – a également permis, en quelques semaines, de faire cesser les infections récurrentes dont se plaignait la jeune fille et de ranger les antibiotiques au fond du placard. (Au passage, félicitons la maman qui s'est arraché les cheveux pour concevoir les repas de sa fille à la maison et, encore plus difficile, à l'école !)
Pour Jasmine mais également pour Caroline, il semble qu'un état d'allergie retardée quasi permanent, lié à une hyperperméabilité intestinale généralisée, ait entraîné une fragilité vis-à-vis des infections ORL et pulmonaires. Par quel mécanisme ? On peut proposer l'hypothèse suivante : l'hyperperméabilité intestinale secondaire à l'absorption d'aliments intolérés était responsable de l'entrée d'allergènes alimentaires dans la circulation sanguine. Ces derniers, une fois transportés jusqu'aux voies aériennes supérieures, pouvaient y entretenir une hypersensibilité et une inflammation des muqueuses propices à leur invasion par des micro-organismes pathogènes (les parois des muqueuses devenant plus « poreuses »). De surcroît, les antibiotiques, prescrits notamment chez l'enfant pour les infections ORL ou pulmonaires, altèrent le microbiote et fragilisent progressivement la muqueuse intestinale, ce qui peut être à l'origine de l'hyperperméabilité.
Nous sommes devant un cercle vicieux, une véritable quadrature du cercle difficile à contourner : soigner l'infection (indispensable) par les antibiotiques aggrave l'hyperperméabilité, qui constitue elle-même un terrain propice aux infections respiratoires. On est ainsi amené à comprendre les motivations des thérapeutes qui se tournent vers des médecines alternatives telles que l'homéopathie ou la phytothérapie, sans toutefois rechigner à prescrire des antibiotiques quand cela s'avère indispensable.