Chapitre 10
Les aliments les plus intolérés
Selon des enquêtes menées au Royaume-Uni, le nombre de personnes présentant des intolérances alimentaires a augmenté ces dernières années, passant de 30 à 40 % de la population – sans parler des patients présentant des allergies immédiates (les allergies de type I, IgE dépendantes), de plus en plus nombreux également. Mais de quelles intolérances parle-t-on et de combien par personne ? Si l'on en croit ces chiffres, 60 à 70 % ne souffriraient d'aucune. Or selon l'analyse que j'ai menée en deux phases, de 2006 à 2013, sur plus de 1 000 patients qui ont bénéficié du test complet, 5 seulement n'avaient strictement aucune intolérance, et une dizaine en présentaient moins de trois, soit au total environ 1 %.
Il est donc probable que la fréquence d'intolérance alimentaire dans la population est nettement sous-évaluée, si du moins on définit cette dernière comme la production d'au moins un type d'anticorps IgG « anti-aliment » à une concentration supérieure à 7,5 microgrammes par millilitre de sérum, le seuil du premier niveau d'intolérance. Pour le savoir précisément, il faudrait mesurer le taux d'IgG réactives à des antigènes alimentaires sur un « échantillon aléatoire » de la population, c'est-à-dire tel que n'importe quelle personne ait une chance aussi grande qu'une autre d'y figurer.
Le problème, c'est qu'une telle étude est impossible tant que la médecine officielle conteste que l'intolérance alimentaire ait une origine immunitaire, qui s'exprime par la production d'anticorps IgG. C'est pourquoi les évaluations disponibles, telle l'étude britannique précédente, sont indirectes, fondées sur des questionnaires remplis par un échantillon non représentatif de la population, par exemple des patients chez lesquels on suspecte, en raison de leurs symptômes, une intolérance alimentaire. Des études indirectes mais néanmoins utiles car répétées depuis plusieurs années selon la même méthode et donc comparables. Dans la même veine, il me semble intéressant de détailler mon expérience afin de mettre en évidence les aliments le plus souvent intolérés (voir l'encadré « Une étude préliminaire chez des patients d'Île-de-France »).
Une étude préliminaire
chez des patients d'Île-de-France
Depuis 2006, le test sur près de 270 aliments me permet de poursuivre, avec l'aide de trois confrères, une étude qui porte sur environ 1 000 patients âgés de 4 à 85 ans, habitant principalement la région Île-de-France. L'objectif est d'identifier, dans une population de patients non représentative de la population générale, les aliments qui sont le plus fréquemment la cause d'une intolérance. Les personnes sélectionnées pour cette étude souffrent de symptômes variés : troubles digestifs (majoritairement mais pas toujours), ORL, dermatologiques, respiratoires, endocriniens, rhumatologiques, psychiatriques, obésité, surpoids, fatigue chronique, pour ne citer que les principaux. Les symptômes se manifestent le plus souvent depuis plusieurs années (on parle alors de maladie chronique). Ces patients ont généralement bénéficié de thérapeutiques classiques (médicaments, régime alimentaire et autres soins médicaux et paramédicaux) qui n'ont pas apporté une franche amélioration, tout au moins durable, d'où leur demande d'une investigation complémentaire portant sur les facteurs alimentaires.
L'étude (voir aussi le chapitre 11) a été chronologiquement divisée en deux phases distinctes : la première, réalisée entre 2006 à 2008, a réuni 239 patients qui ont été testés sur 267 aliments. Il y a eu depuis 2008 une trentaine de modifications, certains aliments étant retirés, d'autres étant intégrés, d'où une deuxième phase menée avec 671 nouveaux patients jusqu'en septembre 2013. Dans la première phase, tout dosage égal ou supérieur à 7,5 microgrammes par millilitre (µg/mL) d'anticorps IgG était considéré comme positif. Dans la deuxième, nous n'avons caractérisé que les deux niveaux les plus élevés.
Une troisième phase, avec les mêmes aliments que ceux testés dans la deuxième phase, se poursuit actuellement. Pour celle-ci, une simplification a été adoptée puisqu'il s'agit de distinguer un niveau élevé (supérieur à 7,5 µg/mL) et un niveau très élevé (supérieur à 18 µg/mL).
Environ quinze jours après le prélèvement sanguin en laboratoire, chaque patient reçoit les résultats chiffrés sous forme de tableaux explicites, et deux livrets (pour le test complet) comportant toutes les explications utiles à la compréhension de ses intolérances et à la mise en place d'un programme alimentaire personnalisé. Dans la plupart des cas, le patient consulte son médecin habituel pour établir avec lui ce protocole, qui comporte des évictions temporaires d'aliments et un traitement micronutritionnel de soutien (vitamines, minéraux, etc.).
Le top ten des aliments le plus souvent intolérés
Dans la première phase de notre étude (2006 à 2008), réunissant les 239 premiers dossiers, et en tenant compte des quatre niveaux de production des IgG, c'est la vanille qui est l'aliment le plus fréquemment intoléré, suivie par le gluten et les céréales à gluten (avoine, épeautre, une graminée proche du blé), le malt et l'amande (voir le tableau ci-dessous). Touchant près de 40 % de mes patients, on retrouve les intolérances aux produits à base de lait de vache, à l'œuf de poule et au pavot. La moutarde, l'agar-agar et l'écrevisse sont mal supportés par environ 30 % d'entre eux. Moins souvent intolérés dans notre échantillon, mais touchant tout de même plus de 20 % des patients, on note l'arachide, l'huître, le lin, puis la moule, l'ananas, les pousses de bambou et la farine de guar.
Si l'on retire les aliments moins fréquemment consommés de la liste, trois grandes familles de consommation courante apparaissent, que je nomme les « trois majeures » : le gluten et les céréales à gluten ; les produits laitiers, plus particulièrement ceux à base de lait de vache ; et l'œuf de poule (voir l'encadré « Trois majeures en association »). Pour les céréales à gluten, nos chiffres indiquent qu'un patient sur deux y est intolérant. Cela ne signifie pas que, par projection, près de 30 millions de Français aient un problème avec le gluten ! Les personnes testées sont certes des patients manifestant des symptômes divers et variés ou atteints de maladies chroniques, ce qui n'est heureusement pas le cas de la population générale. Malgré tout, on est loin des 1 % d'intolérants au gluten (environ 500 000 personnes) officiellement considérés en France comme malades cœliaques (voir les explications au chapitre 12 mettant en évidence une intolérance partielle au gluten, ou hypersensibilité au gluten de nature non cœliaque).
Le lait de chèvre (16,7 % des patients) et le lait de brebis (12,5 %) sont moins fréquemment à l'origine d'intolérances que le lait de vache (38 %). Ces résultats reflètent bien les habitudes alimentaires des Français, qui, depuis leur naissance, ont toujours majoritairement privilégié le lait d'origine bovine. Dans l'œuf de poule, le blanc (36,2 %) est plus fréquemment mal toléré que le jaune (33,2 %) – un écart à ce jour largement confirmé. De plus, le blanc est associé à des niveaux de réactivité plus élevés (niveaux 3 et 4). Ainsi, si vous faites un régime sans gluten et sans lait de vache (le « régime Seignalet »), vous avez statistiquement de grandes chances d'améliorer votre état. Néanmoins, c'est sans garantie absolue car vous pouvez très bien révéler d'autres intolérances, par exemple à l'œuf de poule, à l'amande, à la vanille ou à l'ananas, en référence aux combinaisons évoquées au chapitre précédent. Voilà qui explique les échecs des régimes d'éviction alimentaire incomplets et préconçus, sans référence aux tests personnalisés désormais disponibles.
Trois majeures en association
Il existe trois familles principales d'aliments intolérés, ou « trois majeures » : les céréales à gluten (G), les produits du lait de vache (V) et l'œuf de poule (O). Toutes les combinaisons d'intolérance sont possibles. On peut n'avoir aucune intolérance à l'une des trois majeures (GVO-) ; être intolérant à l'une des trois (G+VO-, ou V+GO-, ou O+GV-) ; réagir à deux d'entre elles et pas à la troisième (GV+O-, GO+V-, VO+G-). Ou encore ne supporter aucune des trois familles (GVO+), association loin d'être rare, redoutable quant aux effets cliniques et à la mise en place du programme alimentaire qui en résulte. De plus, il est extrêmement rare qu'aucun autre aliment ne soit associé à ces « intolérances majeures ».
Tolérance zéro : pour quels aliments ?
■ Les viandes
Si l'on poursuit l'analyse des résultats de la phase 1 de notre étude, on observe que plusieurs aliments sont très bien tolérés. Il s'agit des viandes rouges et blanches (fréquence inférieure à 3,5 %), des volailles (moins de 4 %) et du gibier (lapin : 5,4 %). Les viandes, plus particulièrement les rouges, sont dans le collimateur des nutritionnistes, pour une autre raison que l'incompatibilité immunitaire – nous n'évoquerons pas ici le cas particulier des végétariens et végétaliens. Il existe en effet une corrélation linéaire entre leur consommation (dès 20 grammes par jour) et le risque de décès par cancer. Ainsi, selon la vaste étude EPIC, qui a suivi 500 000 personnes pendant dix ans, la consommation de viande rouge est susceptible de tripler le risque de cancer du côlon et d'augmenter la mortalité par maladies cardiovasculaires et cancer. On sait aussi qu'il faut éviter l'excès de grillades – de préférence cuites au barbecue vertical, à ce propos – car elles favorisent l'ingestion d'hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) fortement cancérogènes.
■ Les poissons
Si l'on revient à notre analyse, les poissons (anchois, maquereau, carpe, saumon) – mis à part l'espadon (11,7 %), dont il vaut mieux se méfier car il est souvent accusé d'être contaminé par le mercure ! – sont généralement bien tolérés. Les mollusques aussi, sauf l'huître (25,4 %) et la moule (22,4 %). Du côté des crustacés, il semble qu'il faille faire attention à l'écrevisse (29,7 % d'intolérance) et au homard (19,2 %), alors que les crevettes (10,5 %) semblent mieux supportées.
■ Les fruits
Largement préconisés par les nutritionnistes et le Plan national nutrition santé (PNNS), les fruits, c'est une surprise, peuvent être intolérés, du moins certains d'entre eux : l'ananas et le kiwi (plus de 20 % de patients intolérants dans notre étude) tiennent la corde, souvent associés à la banane. La framboise est relevée à 13,8 % et le taux d'intolérance de la figue est légèrement supérieur à 10,5 %. Toutefois la plupart des amateurs peuvent se réjouir, car les autres fruits sont très bien supportés dans notre échantillon (0 à 2 % d'intolérance) : l'abricot, le coing, la mûre, la nectarine, la poire (0 %), la pomme (1,3 %), la prune, le raisin et la fraise. Ce dernier résultat est d'autant plus surprenant que la fraise est l'un des aliments réputés pour provoquer des allergies immédiates de type I, à IgE, et des « fausses allergies » liées à la libération d'histamine (voir le chapitre 8).
■ Les légumes
Les légumes sont assez peu concernés, hormis trois d'entre eux : les pousses de bambou (22,2 %), la rhubarbe (15,9 %), le chou rouge (13 %). Les autres espèces sont mal tolérées par seulement 5 à 10 % de nos 239 patients de phase 1. Quatre autres légumes sont très bien supportés (0 à 2 %) : le salsifis, le chou-fleur, le chou blanc et la betterave rouge. La tomate (agrume), aliment important dans l'assiette des Français, n'est intolérée que par 7,5 % d'entre eux. Quant aux salades, il semble qu'il faille se méfier du cresson (il « passe mal » chez 18 % des patients) et de la roquette (13,4 %), alors que la romaine, la laitue et l'endive passent sans problème (moins de 3 %).
■ Les féculents, légumes secs et champignons
Du côté des féculents et légumes secs, l'amarante (17,6 % de patients positifs) et le maïs (14,2 %) sont à surveiller. Le quinoa et le sarrasin (8 %), ainsi que la lentille (5,9 %) sont mieux tolérés. Ces « pseudo-céréales » et cette légumineuse sont parfois conseillées pour remplacer les céréales à gluten. Cependant, il faut toujours rester prudent dans ces substitutions, et vérifier qu'elles ne sont pas aussi sources d'intolérance. Pas de problème, en revanche, pour deux aliments de base de notre alimentation : la pomme de terre (2,9 % des patients positifs) et le riz (4,6 %). Parmi les champignons, le plus fréquemment consommé en France, le champignon de Paris, est bien toléré, avec seulement 4,6 % de patients réactifs, ainsi que la girolle (1,7 %). En revanche, le champignon asiatique shiitaké, notamment vanté pour ses propriétés immunostimulantes, est assez souvent mal toléré (18,8 % des patients). Le pleurote n'en est pas loin (15,5 %).
■ Les graines et les fruits secs
Nous avons vu que l'amande était, curieusement, intolérée par 43,5 % de nos 239 patients de phase 1, ainsi que les graines de pavot (38,5 % de patients positifs) – attention au sandwich fait avec du pain au pavot ! Mais les semences en général sont des facteurs d'intolérance alimentaire, notamment l'arachide (cacahuète, 26,8 %), les graines de lin (25,5 %), pourtant source intéressante d'oméga-3 d'origine végétale, les graines de tournesol (20 %), la pistache (16,7 %). Les « noix » offrent un paysage plus contrasté : la noix de cajou est assez souvent intolérée (15,9 %) tandis que la noix de Grenoble l'est très peu (2,1 %) ! Celle-ci, comme l'avocat (0,4 %) et l'olive (1,7 %) sont des exemples d'aliments santé complets, des « super-aliments » associant qualités nutritionnelles incomparables et immuno-compatibilité presque totale. Ainsi, concernant les noix, les études suggérant des bénéfices certains sur la santé, notamment cardiovasculaires, sont nombreuses. L'agence américaine de l'alimentation et des médicaments (Food and Drug Administration, ou FDA) et de nombreuses sociétés savantes recommandent d'en manger régulièrement.
■ Les condiments et autres épices
Parmi les condiments, épices et fines herbes, la vanille naturelle ou gousse de vanille (51,4 %) et la moutarde (33,9 %) sont assez fortement mal tolérées par nos patients, la première étant à l'origine, chez près de 62 % des patients de l'étude, de niveaux 3 et 4 (très forts) d'intolérance, comme le blanc d'œuf. En revanche, la noix de muscade (9,2 %), le poivre noir (6,3 %), le poivre de Cayenne (5,4 %), l'ail (5,9 %), le gingembre (5,4 %), le persil (5,4 %), la cardamome (4,6 %) et le basilic (4,2 %) sont en général peu incommodants.
■ Les algues
L'industrie agroalimentaire fait appel à toutes sortes de liants, épaississants ou stabilisants alimentaires. Or, d'après notre étude, deux d'entre eux doivent être considérés avec circonspection. En premier lieu : l'agar-agar (E406) auquel 32,6 % de nos patients se sont révélés intolérants. Une fréquence non extrapolable à la population générale, mais qui interroge les étals des magasins bio ou de santé naturelle. Ce polysaccharide issu de certaines espèces d'algues rouges est utilisé dans la confection des gelées, des purées et des confitures. Il trouve grâce auprès des végétariens, qui le préfèrent à la gélatine, produit d'origine animale. On peut aussi le retrouver dans les produits pharmaceutiques et cosmétiques, et il est parfois prisé de ceux qui souhaitent maigrir. Le nori, autre algue rouge largement utilisée dans la cuisine japonaise, est également mal toléré (voir la phase 2 de l'étude). En second lieu, la farine de guar ou gomme de guar (E412) : 20,9 % des patients de l'étude ne la tolèrent pas. Or cet ingrédient se trouve fréquemment dans les plats préparés, bien qu'il soit connu pour déclencher des réactions assez inconfortables, notamment digestives (voir le chapitre 5).
■ Les boissons
Le café a des bénéfices nutritionnels qui tiennent à ses apports antioxydants : les polyphénols. Il réduirait le risque du cancer du foie et de l'intestin, peut-être du cancer de la prostate. Par ailleurs, une étude a montré (début 2014) qu'il améliorerait la mémoire à long terme. Toutefois, 10 % des patients de notre étude s'y sont révélés intolérants, ce qui n'est pas négligeable. En revanche, les thés vert et noir sont rarement sources d'intolérance (2 %), de même que le thé rouge (3,8 %).
Pour boucler ce tour d'horizon, il nous faut citer le mélange de miels, que 11,7 % de nos patients ne supportaient pas, ainsi qu'une moisissure, Aspergillus niger, que l'on peut parfois repérer dans les fruits secs mal conservés (12 % de patients y sont intolérants). Prudence également avec le sirop d'agave (8,4 %), les châtaignes (7,5 %) et le lupin (5,2 %). Les additifs alimentaires (conservateurs, colorants, exhausteurs de goût et liants autres que l'agar-agar et la gomme de guar) n'apparaissent pas parmi les sources marquantes d'intolérance dans notre étude.
Dans notre échantillon de patients, soulignons que des aliments fréquemment ingérés en France peuvent être très bien tolérés (viandes, saumon, pomme, poire, abricot, chou-fleur, laitue, champignon de Paris, etc.) ou assez mal supportés (produits à base de lait de vache et de blé, œufs de poule, ananas, banane, kiwi, huître, etc.). De même, des produits plus rarement consommés peuvent être aussi bien sources d'intolérance (écrevisse, homard, pousses de bambou, cresson, champignon shiitaké) que consommés sans souci (coing, salsifis). Il n'y a donc pas toujours et systématiquement de lien entre la fréquence de consommation d'un aliment et l'intolérance éventuelle qu'il provoque.
■ Des résultats qui se confirment
Les intolérances mises en évidence sur un premier échantillon de 289 patients se retrouvent-elles sur le deuxième échantillon ? Celui-ci comprenait 671 patients suivis de 2008 à septembre 2013. Pour cette phase, rappelons que nous n'avons retenu que les positivités classées forte et très forte (niveaux 3 et 4, soit des taux d'IgG égaux ou supérieurs à 20 µg/mL), de façon à confirmer la liste des aliments provoquant la plus forte production d'anticorps (voir le tableau). Certains aliments, telle l'algue rouge nori, apparaissent dans cette liste car ils n'avaient pas été testés durant la phase 1. Nous constatons que les « trois majeures » figurent bien dans le top 5, bien encadrées par la vanille et l'amande, ce qui confirme les données de la phase 1.
Le cas de l'avoine
J'aimerais rapidement évoquer la question controversée de l'avoine. Certains estiment que cette céréale, quand elle est « pure », c'est-à-dire non contaminée par le gluten de blé, peut être ingérée par la majorité des malades cœliaques, car elle ne fait pas partie de la même lignée que le blé, le seigle et l'orge (qui appartiennent à la tribu des Triticées). Or, en réalité, l'avoine est non seulement souvent contaminée par le gluten de blé, mais aussi, par elle-même, source d'intolérance. Elle peut, alors que le gluten de blé reste négatif lors du test, être responsable d'une réaction à IgG ciblant l'avénine, une protéine de la même famille que la gliadine du blé, mais différente (voir le tableau ci-après). Ainsi, dans cette étude de phase 2, parmi les 16 patients ayant une intolérance très forte à l'avoine, 3 patients toléraient bien le gluten. Les intolérants au gluten (à commencer par les malades cœliaques) ont donc intérêt à éviter l'avoine.
Exemple de test montrant une intolérance à l'avoine indépendante de l'intolérance au gluten.
Des « ténors » de l'intolérance
Si l'on reprend le tableau des aliments les plus fréquemment intolérés par nos quelque 1 000 patients, on est surpris de trouver la vanille naturelle (extrait de gousses) tout en haut de la liste. Plus de 51 % des 239 patients de phase 1 montraient cette intolérance, et près de 25 % des patients de phase 2 lui étaient fortement et très fortement intolérants. Quelles en sont les raisons ?
L'arôme de vanille utilisé comme additif alimentaire est obtenu soit à partir de gousses d'une orchidée, la vanille (Vanilla planifolia, Vanilla tahitensis ou V. pompona), soit à partir de vanilline artificielle. Des réactions cutanées (eczéma) chez des jeunes enfants ont été associées à la consommation quotidienne de vanille naturelle ou de vanilline. Cependant, l'intolérance observée chez nos patients concerne l'arôme naturel, extrait des gousses de vanille, et non la vanilline. En fait, ce que l'on appelle l'arôme de la vanille naturelle est un mélange de vanilline et de dizaines d'autres molécules aromatiques – c'est ce qui fait d'ailleurs sa qualité et les différences entre ses variétés géographiques. Par exemple, dans la poudre de vanille, la réglementation impose une teneur minimale en vanilline de 2 % ; s'il y a intolérance à la vanille naturelle, c'est sans doute dans les 98 % restants qu'il faudrait en rechercher l'origine.
Restons dans le règne végétal avec l'ananas, que 22 % de nos patients ne supportaient pas (près de 10 % à un niveau élevé, en phase 2). Ce fruit tropical est composé à 95 % de glucides, 4 % de protéines et seulement 1 % de lipides. Il est riche en fibres et en enzymes, parmi lesquelles la broméline ou bromélaïne. Disons-le tout net : on ne sait pas ce qui cause l'intolérance à l'ananas. La broméline a pour propriété de dégrader les protéines, et elle est utilisée pour cette même raison dans l'industrie agroalimentaire, par exemple pour attendrir la viande, et dans l'industrie du cuir. Elle peut provoquer des allergies immédiates cutanées ou respiratoires. En outre, l'intolérance à l'ananas est assez souvent associée à l'intolérance à la banane dans notre étude.
Celle-ci révèle d'autres sources fréquentes d'intolérance alimentaire. Ainsi des graines de pavot : souvent utilisées en boulangerie, elles servent, par exemple en Alsace, à réaliser le sandwich au jambon et pain au pavot, si apprécié. Les graines du pavot noir à graines bleues délivrent une amertume douce et un goût savoureux de noisette. Autre exemple, le malt, obtenu à partir de germes d'orge séchés puis transformés en farine, est principalement utilisé pour la fabrication de la bière et du whisky, mais aussi de produits alimentaires comme le vinaigre de malt, le café de malt, l'orgeat et, en boulangerie, comme exhausteur de goût de la pâte. Parfois, on ajoute au sirop d'orgeat des amandes douces pilées, ce qui rend le cocktail détonant pour les intolérants à l'orge, au gluten et à l'amande !
Quand les intolérances se combinent
J'ai pu constater très régulièrement, et souvent fortuitement, que la positivité d'un aliment au test IgG est souvent associée à celle d'un autre aliment. L'explication tient probablement à l'existence d'antigènes communs, c'est-à-dire au phénomène de l'allergie croisée : une personne sensibilisée à une substance X est allergique à une substance Y parce que X et Y possèdent des protéines similaires. Les exemples classiques d'allergie croisée sont les allergies immédiates (à IgE) à certains fruits (banane, melon, kiwi et pêche), étrangement associées à l'allergie au latex, ou encore l'allergie à l'amande associée à celle aux pollens de bouleau et à l'arachide. Ainsi, dans près de 80 % des cas où l'agar-agar est retrouvé positif au test IgG, le nori l'est aussi ! Logique puisque les deux préparations sont issues d'algues rouges.
Plus curieuse est l'association entre la câpre et la vanille, mais aussi l'ananas : dans 90 % et 69 % des cas où la câpre est positive aux tests, la vanille et l'ananas le sont aussi. On ne connaît pas les antigènes communs de ces aliments. Une autre association singulière, mais fréquente, est celle de l'ananas et de la banane : dans plus de 73 % des cas où le test à la banane est positif, l'ananas réagit aussi. Outre le fait que ces deux fruits sont assez riches en deux acides aminés, l'acide glutamique et l'acide aspartique, neurotransmetteurs excitateurs du système nerveux central, on ne connaît pas d'explication à cette association. Ces observations mériteraient des investigations complémentaires sur de plus larges populations.
Notre étude suggère en outre (ci-dessous, dernière ligne) que l'intolérance aux « trois majeures » – céréales à gluten, lait de vache, œuf de poule, voir l'encadré p. 116 – est présente chez presque un patient sur quatre dans notre échantillon ! L'ensemble des autres aliments viennent possiblement s'y ajouter.
On pourrait dès lors penser qu'il existe une corrélation entre le nombre d'intolérances et les symptômes exprimés par les patients. En fait, nous n'avons relevé que la fréquence de positivité vis-à-vis d'un aliment ou d'associations d'aliments. L'étude ne permet pas de dire que telle ou telle conjugaison d'intolérances est toujours et systématiquement corrélée à tel type de maladie ou à sa sévérité clinique.
Sur le tableau ci-dessus, on note que les résultats de la phase 2 sont en partie différents de ceux de la phase 1 (gluten : 45 %, blanc d'œuf : 36,2 %, lait de vache : 38,2 % ; voir p. 114). L'explication tient au mode opératoire de la phase 1 : initialement, nous avons intégré dans notre analyse une quinzaine de volontaires qui n'étaient pas malades mais nous permettaient d'explorer les possibilités du test. Ce biais a pu tirer vers le bas les taux de positivité observés en phase 1 comparativement à la phase 2, qui n'incluait que des patients ayant des symptômes potentiellement attribuables à des intolérances alimentaires.
Sur le tableau de la page précédente, il faut souligner (première ligne) que la combinaison la plus fréquente retrouvée chez nos patients associe l'œuf de poule (principalement le blanc) et le lait de vache (intolérance à la caséine). Souvenez-vous que le Dr Jean Seignalet préconisait systématiquement le fameux régime « sans gluten-sans caséine » (SGSC) : l'œuf de poule était en quelque sorte le grand oublié des intolérances jusqu'à l'arrivée des tests IgG. Il est important de noter que, lorsque l'œuf est positif (O+ dans le tableau), ce sont majoritairement les niveaux élevés (3 et 4) qui sont relevés, ce qui atteste d'une forte réactivité des IgG à son égard.
À la lumière des données précédentes, il paraît souhaitable de pratiquer des tests d'intolérance alimentaire afin d'établir un diagnostic complet des problèmes de santé des patients liés à l'alimentation. Peut-on encore accepter, alors que nous avons à notre service des outils performants, de rester sur des diagnostics imprécis ? Il est urgent de faire bouger les lignes.