CHAPITRE 7
Ils roulèrent en silence pendant une bonne demi-heure. Au début, Sin savoura le calme jusqu’à ce que, happée par le tourbillon de ses pensées, elle se rende compte de la gravité de son problème. Lycus, ce traître perfide, cachait bien son jeu ! Elle avait toujours su qu’il n’était pas digne de confiance, mais avait espéré qu’il userait de son influence considérable pour la protéger. Sans qu’elle ait à jurer de s’unir à lui.
En plus, il se trompait ; elle ne faiblissait pas. Certes, l’idée de partager le fardeau indissociable de sa position la tentait, mais elle ne pouvait pas se lier à quelqu’un, et sûrement pas à un enfoiré comme lui.
Bordel. Entre ses hommes qui voulaient sa tête sur un plateau et les Carceris qui voulaient la pendre dans une cellule, elle avait l’impression d’être un cerf en pleine saison de chasse. Alors, quand son portable se mit à sonner sans interruption – des appels et des messages de Lore, Eidolon, Shade, et même de Wraith – elle sentit ses nerfs surmenés craquer comme une corde, et n’y tenant plus, elle éteignit l’appareil.
— Ils s’inquiètent pour toi. (Conall jeta un coup d’œil à son téléphone.) Tu devrais répondre.
— Ils n’ont pas à se soucier de moi.
— Je ne te savais pas si égoïste, répliqua-t-il sur un ton acerbe.
Oui, elle était égoïste. Et alors ? Depuis que Lore et elle avaient vécu la transition qui leur avait laissé des tatouages, des besoins sexuels incontrôlables et la faculté de tuer, elle avait été forcée d’abandonner le monde des humains. Par conséquent, elle avait tiré un trait sur la douceur, la compassion et l’amour afin que ces sentiments ne la blessent pas. L’univers dans lequel elle avait été propulsée par un démon marchand d’esclaves quelques jours après le départ de Lore avait fini de l’endurcir.
Elle avait passé un siècle avec des créatures qui torturaient comme elles respiraient, et sans l’impénétrable carapace – physique comme émotionnelle – dont elle s’était armée, elle n’aurait jamais survécu. Puis, trente ans plus tôt, elle avait retrouvé Lore, et le dévouement dont il avait fait preuve à son égard l’avait un peu ébranlée. Et si elle ne décrochait pas, ce n’était pas parce qu’elle n’avait pas besoin que ses frères se tracassent pour elle, même si c’était le cas, mais parce qu’elle s’inquiétait du sort réservé à Wraith et Eidolon pour l’avoir aidée, que cela lui plaise ou non.
Mais elle ne l’avouerait jamais à Conall. L’énoncer à voix haute l’ancrait dans la réalité et inspirait la pitié ainsi que des phrases futiles comme « je suis désolé » et « ça va aller ».
Elle eut soudain la chair de poule. Sa grand-mère, qui les avait élevés, Lore et elle, depuis leur naissance, la rassurait souvent ainsi. « Ça ira, Sinead. Ta maman t’aime. Elle est perturbée, voilà tout. » « Ça ira. Les gens sont parfois cruels, mais je serai toujours là pour toi. » Mamie avait menti. Maman ne l’aimait pas, Sin n’avait pas toujours pu compter sur sa grand-mère, et rien ne s’était bien passé.
La radio de l’ambulance se mit à grésiller et la voix crispée d’Eidolon perça le silence.
— Conall ! Réponds !
Ce dernier enfonça un bouton sur le tableau de bord.
— E. On va bien.
— Grâce aux Dieux ! (Le soulagement d’Eidolon fut perceptible à travers les ondes.) Ne me dis pas où vous allez. La ligne est peut-être sur écoute. Sin, reste éloignée de tous les endroits où tu as pu te rendre.
— Ouais. Promis. (Un inhabituel sentiment de culpabilité lui tenailla l’estomac, et elle se racla la gorge.) Au fait, euh… Wraith et toi, vous êtes… Enfin… Est-ce que…
— Ne t’en fais pas pour nous, l’interrompit Eidolon. Planquez-vous en lieu sûr, on en reparlera plus tard.
Il raccrocha, laissant Sin et Conall de nouveau dans un silence pesant.
Pendant une heure interminable. Elle passa le temps à observer les voitures par la fenêtre, regrettant de ne pas se trouver dans l’une d’elles, derrière le volant, roulant en direction d’un avenir qu’elle aurait choisi au lieu d’être menée vers un destin imposé par un dhampire arrogant.
Un dhampire arrogant dont les longues jambes musclées se contractaient quand il appuyait sur la pédale de frein ou l’accélérateur. Dont les biceps massifs roulaient et gonflaient pendant qu’il conduisait. Ses larges épaules emplissaient l’espace, et elle s’imagina soudain agrippée à lui tandis qu’il allait et venait entre ses cuisses. Elle avait une telle conscience de sa présence, elle était si sensible à sa chaleur, son odeur, et même au son de sa respiration, qu’elle avait beau détourner le regard, ses yeux finissaient toujours par se poser sur Conall, et elle se penchait vers lui sans s’en rendre compte.
Quel sacré salopard !
Enfin, lorsque les banlieues cédèrent la place à des pâturages et des champs, Conall quitta la voie principale et s’engagea sur une route gravillonnée bordée d’arbres.
— J’en déduis que tu ne te rends pas au travail en voiture.
— Une Porte des Tourments se trouve à moins de cinq cents mètres dans les bois, donc, non, je ne conduis pas souvent. Un trajet de deux heures, ce serait l’enfer.
Ils roulèrent sur le gravier pendant près de huit cents mètres avant que Conall ne se gare dans l’allée d’une maison de style ranch, vieille mais bien entretenue, adossée à une colline et entourée d’une forêt qui semblait destinée à assurer l’intimité. Sin descendit du véhicule et sonda les alentours tandis que Conall sortait un bolide noir du garage afin de faire de la place pour l’ambulance. Il possédait également une moto, une motoneige et un 4 × 4. Un vrai fan de jouets à moteur.
Conall entra avec la grosse camionnette. Le véhicule y était à l’étroit, et Sin crut entendre le raclement caractéristique du métal. Shade allait leur chier une pendule lorsqu’il verrait toutes les éraflures écopées en une seule journée.
— Belle bagnole, lança-t-elle tout en faisant courir son doigt le long de l’élégant pare-chocs de la décapotable, encore munie de la plaque d’immatriculation du concessionnaire.
Conall haussa les épaules.
— Elle fera l’affaire jusqu’à l’année prochaine.
— L’année prochaine ?
— J’en change chaque printemps.
À travers la vitre teintée, elle reluqua les sièges en cuir.
— On aime l’odeur du neuf, hein ?
— Ce n’est pas ça, répondit-il en enfonçant le bouton de la porte du garage. Je me lasse de conduire la même chose.
— Tu devrais peut-être acheter un avion, marmonna-t-elle, et il hocha la tête, comme s’il l’avait prise au sérieux.
— J’y travaille. J’ai déjà mon brevet de pilote.
Quelle surprise !
Une fois la porte redescendue, il désactiva le système de sécurité et mena Sin dans la maison. Une véritable garçonnière. Le mobilier était vieux mais en bon état. Des vêtements recouvraient les chaises et le canapé, et elle se demanda si les carreaux avaient déjà été lavés. On aurait dit l’appartement de Lore, mais en plus neuf. Et plus grand. Et avec une vraie touche personnelle.
Les étagères et les murs croulaient sous des objets d’apparence ancienne : poteries, croquis de cathédrales, armes. Elle s’approcha d’une pièce magnifique, un arc suspendu entre une hallebarde et un katana.
— Impressionnant ! (Elle caressa la douce surface en bois d’if.) Je ne t’imaginais pas vivre dans une maison.
— Et tu croyais quoi ? s’enquit-il d’une voix amusée. Que je créchais sous une tente ?
Elle haussa les épaules et se retourna vers lui.
— La plupart des mecs célibataires habitent dans des appartements. Et les wargs optent souvent pour un mode de vie plus rustique.
À son tour, il haussa les épaules.
— Les pricolici préfèrent les étendues sauvages, mais beaucoup de varcolac sont restés assez humains pour aimer se mêler à eux.
— Jusqu’à ce qu’ils se rendent compte que leurs voisins sont de la nourriture, et que s’enchaîner dans un deux-pièces, ça fait du bruit.
— Ce n’est pas faux.
Il jeta les clés de l’ambulance sur la table de la salle à manger.
— Qu’en est-il des dhampires ? Votre transformation s’opère bien après la naissance.
Les mains sur les boutons de sa chemise, Conall la cloua d’un regard distant et détaché. Bon sang, si seulement elle pouvait lire dans ses pensées !
— Où veux-tu en venir ?
Elle sentit qu’il évitait de répondre sans déterminer toutefois ce qu’il cherchait à cacher.
— Tu te situes où sur l’échelle warg ? Qu’est-ce que tu fais ? À la pleine lune, je veux dire ?
Il ôta le haut de son uniforme, et elle faillit se décrocher la mâchoire à la vue de ses muscles saillants et robustes. Elle avait l’habitude des mâles qui veillaient à leur forme – aucun assassin digne de ce nom ne se laissait aller –, mais Conall possédait un corps d’athlète, fuselé et puissant, qu’il devait utiliser souvent et à bon escient. Ce type était fait pour courir un marathon.
« Je les fais durer des heures, les préliminaires. »
Oh, oui ! Un marathon.
— Je ne m’enchaîne pas, ça, c’est sûr ! (Il jeta sa chemise sur le dossier d’une chaise.) Je rentre chez moi. Là où je suis né.
Elle arracha avec peine le regard de son torse pour le poser sur son visage.
— C’est où ?
— En Écosse. Notre patrie d’origine. Les Dearghuls – le seul clan encore existant – y possèdent un sanctuaire. Des hectares de terres sur lesquelles on peut chasser lors de la fièvre lunaire.
Dans les yeux, Sin… dans les yeux…
— Combien de dhampires se trouvent là-bas ?
— Nous sommes si peu nombreux que c’en est pathétique. À tel point que pendant la période de reproduction, la participation de tous les mâles et femelles célibataires est obligatoire.
Sin se mordit la joue pour ne pas gémir. Elle en avait plus qu’assez de ces histoires d’union.
— Alors, vous ne vous accouplez pas comme les wargs ? Engrosser une femelle pendant ses chaleurs ne vous lie pas à elle pour la vie ?
— Non, répondit-il d’une voix rauque, et Sin se demanda si le sujet l’avait affecté autant qu’elle. En fait, il est très rare que les mâles prennent une compagne.
Il était si bronzé…
— Pourquoi ?
— Parce qu’on a tendance à les tuer.
Ah, d’accord. Pas cool.
Elle arpenta le salon et le couloir pour jeter un coup d’œil aux chambres. Oui, elle fouinait, et alors ? Conall ne semblait guère s’en soucier.
— Tu fais quoi de tout cet espace ? Tu organises des fêtes ?
Il finit d’écouter le répondeur et leva les yeux sur elle.
— Non. La plupart de mes amis sont humains. Ils poseraient trop de questions.
— Humains ? Tu es proche des humains ?
— Pas en ce moment. (Il s’avança vers la fenêtre et tira les rideaux.) J’ai dû dire adieu à mon dernier groupe de potes. Quand ils commencent à remarquer que tu ne vieillis pas, il est temps d’accepter un « boulot permanent » dans une contrée reculée, dépourvue de moyens de communication. Là, j’étudie les nématodes en Antarctique.
— Espèce de crétin !
Plus sérieusement, c’était bizarre qu’il traîne avec des humains. Il avait tout l’air d’un ardent représentant des Enfers. Le genre puriste, en somme.
Le portable de Conall se mit à sonner, et il le sortit de la poche latérale de son treillis.
— E ? Ouais. Vous êtes où ?
Il raccrocha et se dirigea vers la porte d’entrée. Planté sur le seuil, en uniforme d’hôpital, se dressait Eidolon. Shade se tenait à son côté, habillé en cuir des pieds à la tête, de ses bottes de motard jusqu’à sa veste, des lunettes de soleil dissimulant ses yeux noirs. La vache, il ressemblait à Terminator.
— Comment nous avez-vous retrouvés ? demanda Sin.
— Je suis doué pour les devinettes, répondit Eidolon tandis que Shade et lui entraient. (Il balança un sac de sport à Sin.) Des vêtements de rechange. Je me suis dit que tu en aurais besoin après avoir été blessée par la fléchette.
Conall referma derrière eux après avoir sondé les alentours avec attention.
— Runa va mieux ?
— Pas vraiment. (Shade rangea ses lunettes dans sa poche.) Elle m’a forcé à partir. Il paraît que je la rendais chèvre. De toute façon, j’avais des courses à faire.
Sin imagina le grand méchant démon en train de pousser un chariot entre les rayons légumes et couches d’un supermarché, et se retint d’exploser de rire.
— J’ai du mal à croire que tu l’aies laissée seule, malade, avec trois bébés.
— Elle n’est pas seule. Gem et Tay sont avec elle.
Tayla, la compagne d’Eidolon, et sa sœur jumelle, Gem, étaient toutes deux à moitié déchiqueteuses d’âme – des démons de la pire espèce –, mais avec leurs neveux, c’étaient de vraies tatas gâteaux. Gem était enceinte, et d’après Sin, Tayla ne devrait pas tarder à tenter cette folle aventure.
Shade s’approcha de Sin.
— Tu vas bien ? E a dit que tu avais été touchée par une fléchette verrou.
— Je survivrai.
Elle posa le sac par terre et se dirigea vers la cuisine.
— Conall m’a rafistolée avant que les assassins n’attaquent.
Shade et E braquèrent sur elle des yeux étincelants de rage, et elle comprit aussitôt qu’elle avait commis une énorme erreur en ouvrant la bouche.
— Des assassins ? grognèrent-ils à l’unisson.
— Ouais.
Conall sortit un pack de blondes du réfrigérateur et lança une bouteille à chacun. Obnubilée par les abdos d’acier de Conall, Sin laissa tomber la sienne.
— Votre sœur ne peut pas faire un pas sans causer une catastrophe.
Shade décapsula sa bière et en versa un peu dans l’évier.
— À qui étaient-ils ?
— À moi. Je suis une cible mouvante.
Sin leva la main gauche et agita les doigts. L’anneau en argent de Detharu scintilla à la lumière.
— Celui qui me tue et s’empare de ma bague hérite de mon boulot. Vous avez devant vous l’ennemie publique numéro un de Sheoul.
— Par les cloches de l’Enfer ! marmonna Shade. Comment peux-tu te protéger ?
Elle fronça les sourcils.
— Grâce à mon incroyable aptitude au combat et mes techniques d’autodéfense. Pourquoi, tu pensais à autre chose ?
— Ouais, répondit Shade avec froideur. En effet.
Bon sang, son frère manquait cruellement de sens de l’humour !
Je pourrais m’unir à Lycus jusqu’à la fin de mes jours.
Elle haussa les épaules.
— Tout ce que je peux faire, c’est garder une longueur d’avance. La plupart de mes hommes ne seront pas capables de me retrouver, mais quelques-uns peuvent sentir ma présence. Il est même possible qu’ils aient passé le mot à tous les mercenaires des Enfers. Je dois rester en mouvement.
— Tu devras en faire de même pour échapper aux Carceris, ajouta Eidolon.
— Tu séjourneras dans la grotte avec Runa, annonça Shade comme si la décision avait été prise et que Sin devait s’y conformer. L’accès est caché, et même s’ils te pistent jusque-là, ils ne pourront jamais entrer.
— Tu ne connais pas mes assassins. Fais-moi confiance, ils trouveront un moyen. Je ne mettrai pas ta compagne et vos petits en danger.
Eidolon se passa la main dans les cheveux.
— Dans ce cas, on devra se relayer.
— Vous relayer ?
— Tu as quatre frères, lui fit remarquer Eidolon comme si elle ne savait pas compter. L’un de nous restera avec toi en permanence.
— Hors de question. (Elle tordit la capsule de sa bouteille.) Je peux me débrouiller seule. Inutile de me couver. De plus, ajouta-t-elle, joviale, enserrant les bras de Conall, j’ai ce robuste dhampire pour veiller sur moi.
L’intéressé se crispa, ses muscles brachiaux et pectoraux durs comme le fer contre Sin. L’espace d’une seconde, elle pensa qu’il allait protester, mais sa réponse l’étonna au plus haut point.
— Je n’ai pas le choix. J’ai besoin de son sang pour éliminer le virus présent dans mon organisme.
— Ouh, là ! Calme ta joie, vieux !
— Crois-moi, répliqua-t-il sur un ton glacial. Je fais de mon mieux. J’ai d’autres obligations.
Shade avala d’un trait la moitié de sa bière.
— Conall peut rester. Ça te fera deux gardes du corps.
Sin s’éloigna du dhampire, en partie pour s’approcher de Shade, mais surtout parce que la vision de Conall torse nu la déconcentrait, et qu’elle s’en serait bien passée.
— Vous ne comprenez pas le mot « non » ? Je ne veux pas être responsable de vous !
— Responsable ? (Shade faillit s’étouffer avec sa bière.) De nous ?
— Ouais. Et si mes assassins vous utilisaient pour me mettre le grappin dessus ? Ou s’ils vous tuaient ?
— Il me semble, reprit Shade d’une voix posée, que tu nous sous-estimes.
Non, en vérité, elle savait que ses frères étaient tout à fait capables de se défendre. Mais personne n’était invincible.
— Et vous oubliez l’embrouille avec les Carceris, leur rappela-t-elle.
— On ne s’inquiète pas pour ça, déclara Eidolon, mais Sin secoua la tête.
— Moi, si. J’ai dit non.
Shade se planta devant elle avant qu’elle ait pu dire « ouf ». À côté d’elle, Conall se raidit de nouveau, et elle se demanda si, par hasard, il se préparait à prendre sa défense.
— Il n’est pas question d’en débattre, grogna son frère. Dans cette famille, on se serre les coudes, et on ne te laissera pas tomber.
Elle se dressa sur la pointe des pieds, mais le seminus la dépassait toujours d’une bonne tête.
— J’ai… dit… non. Si j’étais un mec, vous n’insisteriez pas pour me protéger coûte que coûte, et vous le savez. Je refuse d’être traitée différemment parce que je n’ai pas de bite.
— Sin…
Eidolon n’eut guère l’occasion de finir sa phrase. Sin reposa sa bouteille sur le comptoir si fort qu’elle renversa de la mousse partout.
— Je refuse de vous faire courir le moindre risque.
La dernière fois qu’elle avait accepté l’aide d’un frère, cela avait coûté à Lore des décennies de souffrance aux griffes de Detharu. Plus jamais elle n’infligerait cela à ses frangins, et elle se garderait de se rapprocher d’eux. Si elle était coincée avec eux vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept…
Elle frissonna. Ils étaient assez envahissants et protecteurs comme ça. S’ils apprenaient à la connaître, elle était foutue.
— Rien ne t’oblige à affronter ça seule. (Shade lui étreignit le poignet, un geste doux, mais aussi ferme qu’une chaîne.) Tu es nôtre…
« Tu es mienne. » La voix de son premier maître, celui qui l’avait ramassée dans la rue alors qu’elle mourait de faim et brûlait d’un besoin qu’elle ne comprenait pas, résonna dans son crâne. Il dirigeait un réseau criminel infernal dont les opérations se déroulaient pour la plupart sur Terre. Jeux d’argent, prostitution, tueurs à gages, trafic de drogue et d’esclaves. Il avait été le premier à la posséder, et malheureusement pas le dernier.
« Tu es mienne. Tu m’appartiens. Tu es nôtre. » Les paroles des anciens maîtres tourbillonnaient dans sa tête, puis sa gorge se serra et son cœur se mit à cogner contre ses côtes.
— Vôtre ? (Sin s’arracha à la prise de Shade et recula si vite qu’elle percuta Conall.) Je n’appartiens à personne !
Bon sang, elle tremblait comme une feuille. Submergée par l’angoisse, elle suffoquait presque.
— Hé là ! (Shade leva les mains.) Doucement, du calme !
Conall posa les paumes sur les épaules de Sin, et bizarrement, son contact la rassura alors qu’elle aurait dû se sentir acculée.
— Je crois que vous devriez vous éloigner, les gars.
Eidolon et Shade fusillèrent Conall du regard, leurs iris noirs se nimbèrent de paillettes d’or lorsque la colère les assaillit.
— J’apprécie ce que tu as fait pour elle, déclara Eidolon d’une voix d’outre-tombe, mais c’est notre sœur, et on peut régler ça.
Le sang de Sin ne fit qu’un tour. Elle ouvrit la bouche pour leur dire d’aller se faire voir, mais Conall la devança.
— Elle a besoin de vous, reprit-il avec douceur pour apaiser les esprits.
Il avait déjà fait le coup à Sin dans l’ambulance.
— Vous le savez. Elle le sait. (Conall lui pressa l’épaule, message silencieux pour lui demander de jouer le jeu.) Mais il serait sans doute préférable que vous me laissiez seul avec elle pendant que vous gérez la situation depuis l’UG.
Ils l’observèrent, sans bouger, jusqu’à ce qu’Eidolon avale une grande gorgée de bière et hoche la tête.
— Tu nous donneras des nouvelles toutes les deux heures.
Sin serra les poings, agacée par son ton impérieux, mais elle résista à l’envie de riposter. Provoquer E et Shade serait stupide, d’autant qu’Eidolon pouvait se raviser à la dernière minute.
— Il ne me reste que deux jours, voire quelques heures, avant de devoir partir pour régler un problème de clan, mais je ferai de mon mieux d’ici là, promit Conall.
— Bien.
Eidolon s’adossa contre l’îlot de la cuisine et jura avec irritation lorsque la bière renversée par Sin mouilla son pantalon.
— Comme vous comptez vous déplacer beaucoup, pourrais-tu l’emmener dans les zones wargs susceptibles d’être contaminées ? Je peux te fournir la localisation des meutes auxquelles appartenaient mes patients.
Conall se rembrunit.
— Pourquoi ?
— Avant que les Carceris ne nous interrompent, on travaillait à inverser le processus pathologique chez un malade. Sin a échoué, en partie parce que la concentration du virus dans le sang du warg était trop importante. Il s’était beaucoup trop dégradé pour nous être utile en laboratoire. Si elle pouvait retenter l’expérience avec un sujet infecté depuis peu, elle aurait une chance de réussir. Il me faut un échantillon du virus intact, fraîchement éradiqué.
— Intéressant.
Conall lui coula un regard quasi approbateur, et sans pouvoir se l’expliquer, elle se sentit comme un chiot ravi qu’on le félicite d’avoir fait pipi dehors et non sur le tapis. Agaçant.
— Ouais, on peut faire ça, lui concéda Conall.
— Lore a entré tous les cas dans un logiciel développé par le X pour localiser les foyers de contamination et les comparer aux populations connues de créatures infernales d’espèce canine…
— Je croyais que seuls les wargs créés étaient touchés ? l’interrompit Sin. Pourquoi surveiller les autres ?
— Simple précaution, au cas où le virus muterait. Comme ça s’est produit chez Conall. (Eidolon lui tendit un morceau de papier avec l’écriture de Lore gribouillée dessus.) Voilà le nom d’utilisateur et le mot de passe.
Le cœur de Sin bondit dans sa poitrine.
— Comment va Lore ?
Shade arqua un sourcil noir.
— Il est sur des charbons ardents.
Elle se frotta le visage. Seigneur, elle donnerait n’importe quoi pour mettre un terme à cette histoire.
— Je m’en doute. Écoutez, les gars. Retournez donc à vos occupations. Conall et moi, on se débrouille.
Les deux frères lui décochèrent un regard sceptique avant de braquer les yeux sur le dhampire, l’air de dire : « S’il lui arrive un pépin, tu es mort. »
Conall prit acte de leur menace voilée d’un nonchalant hochement de tête qui en disait long sur son état d’inquiétude. Sin se demanda si son assurance découlait de ses aptitudes à la protéger, ou si, tout simplement, les frères seminus ne lui inspiraient aucune crainte.
— Donne-moi ta main, dit Shade en tendant la sienne à Sin. Puisque Conall va devoir se repaître de toi, je vais procéder à un petit ajustement afin que ton organisme produise davantage de sang. Après, tu devras t’hydrater souvent. Boire beaucoup d’eau.
Sin s’exécuta. Aussitôt, une vague de chaleur lui picota la pulpe des doigts avant de l’assaillir tout entière. Elle chancela, et Eidolon et Conall se hâtèrent de la rattraper. Conall fut le plus rapide, et lorsqu’il l’attira vers son corps robuste, la tension envahit de nouveau la pièce.
Seigneur, ces types étaient impossibles ! Lore ne s’était jamais montré aussi agaçant, mais il est vrai qu’il marchait sur des œufs quand Sin était dans les parages. Son jumeau était hanté par cette effroyable nuit, et la culpabilité le rongeait encore après toutes ces années.
Sans compter que Lore avait compris depuis longtemps ses besoins de succube, ce qui à l’évidence échappait totalement au joyeux trio. Eh bien, l’heure était venue de leur ouvrir les yeux.
Elle s’éloigna de Shade et, d’un geste délibérément sensuel, agrippa la nuque de Conall.
— Écoutez, les gars. Vous semblez me prendre pour une petite poupée, douce et innocente.
Elle effleura la peau de Conall du bout des ongles, et il siffla. Ses crocs étaient d’un sexy…
— Or je ne suis rien de tout ça. Je suis un succube. Réfléchissez un peu à ce que ça signifie.
Shade blêmit, arborant un teint grisâtre singulier. Eidolon grimaça.
— Eh ouais ! Sans sexe, je dépéris. Alors, cessez de jouer les chaperons, car ça m’horripile. Je n’ai vraiment aucune envie que vous soyez dans le coin quand il faudra que j’assouvisse mes besoins, et vous non plus, d’ailleurs. (Elle leur décocha son plus beau sourire.) Et dès que vous serez partis, je chevaucherai Conall jusqu’à ce qu’il implore ma pitié, sachez-le.
Eidolon soupira. Shade jura. Et Conall marmonna quelque chose qui sonnait bizarrement comme « pitié ».
L’atmosphère se détendit après le départ de Shade et Eidolon, mais la tension régnait encore dans la pièce, moins violente, mais non moins dangereuse. Sin incarnait une sacrée menace, et personne n’était en sécurité à ses côtés. Surtout pas Conall.
« Je chevaucherai Conall jusqu’à ce qu’il implore ma pitié. » Seigneur ! Il avait de la chance que les seminus ne l’aient pas éventré sur-le-champ. Les paroles de Sin avaient suffi à le bouleverser. À présent, de la lave en fusion coulait dans ses veines, sa peau le brûlait et le démangeait, et sa queue était dure comme l’acier.
Sin se tenait dans la cuisine, sa bière serrée dans la main.
— C’était marrant, chantonna-t-elle.
— C’est quoi, ton problème ? aboya-t-il.
Elle aurait dû sursauter, mais, non, Mademoiselle Après-moi-le-Déluge s’apprêtait à contre-attaquer.
— Pardon ?
Il s’avança vers elle, et plus il comblait la distance qui les séparait, plus elle relevait le menton avec défi.
— Tu m’as très bien entendu.
Il lui arracha la bouteille et la reposa sur le comptoir avec fracas. Sin poussa un cri outré lorsqu’il la plaqua contre l’îlot, les poings plantés de part et d’autre de sa taille.
— C’est quoi le souci avec tes frères ? Pourquoi te montres-tu aussi hostile ?
Elle s’appuya contre son torse nu, mais il ne bougea pas d’un poil.
— Pousse-toi.
— Réponds.
Il l’écrasa de tout son poids, et ce mouvement les rapprocha davantage. Peau contre peau, ventre contre ventre… Cette proximité ne déplaisait pas totalement à Conall, et Sin ne mettrait pas longtemps à le deviner.
— Je ne suis pas hostile.
Elle se tortilla. Lorsqu’elle remarqua qu’elle se collait toujours un peu plus à lui, et que la friction de leurs corps attisait son désir, elle s’arrêta et lâcha dans un soupir :
— Je ne les connais pas, c’est tout.
— Pourquoi ?
Elle se dévissa le cou pour le regarder dans les yeux.
— Tu n’es pas au courant ?
— De quoi ?
— Il y a quelques semaines, j’ignorais jusqu’à l’existence de Shade, Eidolon et Wraith. Ils ont appris la mienne le mois dernier.
Elle tenta à nouveau de le repousser, en vain. À présent, ils étaient plaqués l’un contre l’autre, et elle n’avait pas l’avantage.
— Dégage !
Pourquoi diable son imagination s’était-elle emparée de ce mot pour en tirer un film interdit aux moins de dix-huit ans ?
— Qu’est-ce qui se passe ? Tu n’as pas envie de mettre en pratique la charmante petite annonce faite devant tes frangins ? Parce que je te préviens, c’est toi qui vas implorer ma pitié.
Bien sûr, il cherchait à la provoquer, mais il avait déjà été en elle, il connaissait les sensations qu’elle procurait. Il avait goûté à Sin, et comme tous les péchés, celui-ci rendait accro.
Littéralement.
La réalité se chargea, par chance, d’éteindre sa concupiscence et le ramena vite à la raison.
— Il n’a jamais été question de passer à l’acte, rétorqua-t-elle. Je déconnais parce que ces deux couillons avaient besoin qu’on leur remette les idées en place !
— OK, mais la prochaine fois prends en étau les noix de quelqu’un d’autre.
— Mais c’est tellement plus poilant avec toi, répliqua-t-elle d’un ton enjoué en battant des cils.
Soudain, elle se rembrunit. Son dermoire étincela, et Conall sentit son torse le picoter.
— Il faut que tu te nourrisses.
— Non.
— Il ne s’agit pas forcément de faim. Le virus est en train de se reconstituer.
— Ça peut attendre, répliqua-t-il. Tu n’as pas encore récupéré de la dernière fois, et je ne mentionne même pas tout le sang que tu as perdu à cause de tes blessures.
Shade avait fait le nécessaire pour que l’organisme de Sin en produise davantage, mais Conall ne voulait pas insister. Et moins il passait de temps les lèvres pressées contre elle, mieux il se portait.
Elle haussa les épaules, et sa soyeuse crinière noire lui effleura le buste.
— C’est toi qui vois. Après tout, ce n’est pas comme si on allait se balader de meute en meute. Moi, je t’aurai prévenu. Ne viens pas me tenir pour responsable des infections que tu auras causées.
Une colère soudaine remplaça le désir résiduel qui courait dans ses veines, et il la repoussa avec un grognement féroce, mettant une distance de plusieurs mètres entre eux.
— Je te tiens pour l’unique responsable !
Furieuse, elle fronça les sourcils, les yeux réduits à deux fentes d’obsidienne.
— Oui, tout est ma faute. Tu vas cesser de me le rappeler un jour ?
— Quand mes amis ne mourront plus à tour de bras, peut-être.
Il serra les poings à s’en abîmer les jointures et fit volte-face pour éviter de la regarder, incapable d’admettre la haine et la convoitise qu’elle suscitait en lui. Il sentit ses tempes bourdonner alors qu’il combattait l’envie de l’attraper, de la secouer comme un prunier, puis de la déshabiller pour la prendre à même le carrelage de la cuisine.
Soudain, elle se mit à tambouriner contre son dos.
— Espèce d’enfoiré ! J’ai merdé et contaminé un tas de personnes, mais tu n’es pas obligé d’en faire autant !
Elle le poussa si fort qu’il percuta le frigo, ce qui acheva de lui faire perdre son sang-froid, brouillant la frontière entre concupiscence et colère. En proie à un violent sursaut d’adrénaline, il tournoya sur lui-même, l’agrippa par les bras et la souleva de terre. Ses yeux brillaient comme un miroir, et Sin devait y voir le reflet de sa propre terreur. Ses crocs saillirent, sa queue durcit, et merde, il était sur la corde raide.
Sin ne semblait guère paniquée. Au contraire, son regard ne contenait que de la provocation.
— Vas-y, connard, le nargua-t-elle. Mords-moi. Qu’est-ce que tu attends, bordel ?
Conall la plaqua contre le mur et enfonça les dents dans son cou. Elle haleta avant de gémir tout bas. Lorsque le sang sucré coula dans sa gorge, sa libido se réveilla en fanfare, comme cela avait été le cas dans le bureau d’Eidolon, mais puissance mille. Était-ce parce qu’ils étaient seuls ? Ou parce qu’ils étaient blottis l’un contre l’autre et que sa rage l’avait emporté sur son bon sens ?
Ou peut-être qu’à chaque morsure l’addiction revenait au galop.
— Conall…
Elle susurra son prénom, et le souffle de Sin contre son oreille le fit gémir à son tour. Surtout quand elle souleva les jambes pour les enrouler autour de sa taille, pressant le ventre contre son membre turgescent.
Elle enfonça les ongles dans ses épaules.
— Baise-moi, murmura-t-elle.
Pour la plupart des dhampires – et des vampires – nourriture et sexe allaient de pair, c’est pourquoi Conall préférait se repaître de femelles. La majorité de ses congénères ne se montraient guère pointilleux sur le choix de leurs partenaires, de sexe comme de sang, mais Conall avait remarqué depuis longtemps qu’une femelle, douce et agréable, lui convenait le mieux.
Sauf qu’il n’y avait rien de doux ou d’agréable chez Sin, et pour une raison qui lui échappait, cela semblait l’exciter encore plus. La lutte, l’intensité… Rien ni personne ne le bouleversait autant.
Oui ! Non ! Ah, bon sang ! Son corps brûlait de la posséder, mais le doute régnait dans son esprit. Nouer avec elle une relation plus intime était inenvisageable à bien des égards. Il veillerait à sa sécurité parce qu’il était redevable à ses frères et parce qu’elle pouvait mettre un terme à cette épidémie, mais il ne s’impliquerait pas davantage.
— Conall.
Elle posa contre sa joue ses lèvres veloutées, et le désir brut contenu dans sa voix annihila ses bonnes résolutions.
— J’en ai besoin.
Exact. Ouais. Succube. Il devait garantir sa sécurité et sa santé. Trouver une excuse pour s’envoyer en l’air n’avait jamais été aussi facile.
Il ne parvint pas à ouvrir sa braguette assez vite.
Sin déboutonna son pantalon tout en enroulant le bras autour de la nuque de Conall. Sans délicatesse, il la fit asseoir sur le comptoir, retira ses crocs et la déshabilla de la taille aux pieds. Son string se coinça dans ses bottes, et Conall grogna d’impatience, tirant sur ses vêtements pour les lui arracher.
— Dépêche-toi ! pantela-t-elle.
Manifestement, l’heure n’était pas à la délicatesse, et il ne l’épargna pas lorsqu’il lui écarta les cuisses et s’enfonça profondément dans sa douce intimité. Leurs cris de passion se mêlèrent. Il la sentait partout, sur sa peau, dans son sang. C’était comme sombrer dans l’extase, et il lui était impossible de se rappeler pourquoi il lui avait résisté aussi longtemps.
— Plus fort, gémit-elle.
Par l’Enfer, elle était un rêve devenu réalité.
Face à Sin, il pressa les paumes contre le mur, au-dessus de sa tête, et elle recula, prenant appui sur ses bras, sur son dos, enserrant la taille de Conall entre ses jambes dans cette étreinte qu’affectionnaient tous les mâles. Une gouttelette de sang s’échappa des perforations sur son cou et ruissela sur sa poitrine, et il plongea entre ses seins pour l’essuyer d’un coup de langue. L’arôme manqua de le faire jouir.
— J’adore le goût de ton sang, gronda-t-il contre sa gorge. Je veux te goûter partout.
Il voulait la déshabiller et passer des heures à l’embrasser des pieds à la tête. Lécher, mordiller et sucer la moindre parcelle de sa peau, en s’attardant sur le délicat triangle entre ses cuisses.
— Oui ! soupira-t-elle avec ardeur. Viens, Conall ! Maintenant !
Comme le sperme agissait sur elle comme un déclencheur, l’idée de la torturer en se retenant un peu n’était pas sans le titiller, mais il était bien trop excité pour chercher à avoir le dessus, alors que son sexe l’épousait comme un gant, l’enserrait et le massait jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus.
Il poursuivit son va-et-vient effréné, bien plus torride que lorsqu’il l’avait culbutée dans la remise, quand ils n’étaient que deux étrangers profitant d’un coup rapide avant que les frères seminus les attrapent pour lui broyer les couilles.
Il frotta la hanche contre le fourreau de Sin, fixé à sa cuisse, et une sensation érotique singulière l’assaillit. Lorsqu’elle banda ses muscles, l’étui s’enfonça dans la chair de Conall, le propulsant au septième ciel. Un torrent de lave brûlante déferla en lui, remontant le long de sa colonne vertébrale et arrosant chacun de ses membres. Il se déversa en Sin qui se raidit en jouissant à son tour, et se joignit à lui dans un silence sidérant. Elle refusait de lâcher prise, tout comme la première fois.
Quand ce fut terminé, il prit appui sur les coudes et posa le front contre celui de Sin dans l’espoir de reprendre son souffle. Elle aussi respirait avec difficulté, et son vagin se contractait pour absorber jusqu’à la dernière goutte de sperme.
Elle remua, se redressa, et délogea Conall avant de lui agripper l’épaule. L’espace d’une seconde, il pensa qu’elle cherchait à le retenir, mais son dermoire s’illumina, et le dhampire comprit qu’elle vérifiait la concentration du virus. Lorsqu’elle jura tout haut, il sut que les nouvelles étaient mauvaises.
— Tu n’as pas bu assez de sang. Le virus est presque parti. Si tu en prenais encore un peu, peut-être que…
— Non. (Il recula d’un pas et se rhabilla.) On va te laisser une journée pour récupérer.
— En un jour, le virus risque de se multiplier, et on ne pourra plus intervenir.
— On verra.
Il baissa les yeux sur ses cuisses crémeuses, encore ouvertes, sur son sexe gorgé de ce fabuleux nectar, et sa queue gonfla de nouveau. Il se hâta de détourner le regard.
— Je vais me doucher et me changer. Tu peux utiliser la salle de bains des invités, si tu veux. Sinon, tu pourrais te connecter à l’intranet de l’hôpital et imprimer la carte des foyers de contamination. L’ordinateur est dans mon bureau. Après, on pourra lever le camp.
Il s’éloigna sans attendre sa réponse.
Après s’être lavé, il enfila un jean et un tee-shirt blanc. Il trouva Sin dans son bureau, les cheveux mouillés, et vêtue du pantalon en cuir et du chemisier noir à manches courtes apportés par Eidolon.
— Voici la localisation de tous les wargs infectés connus, annonça-t-elle les yeux rivés sur l’écran tandis que l’imprimante sortait deux pages.
— Excellent.
Il chaussa ses bottes, s’empara des feuilles et envisagea de préparer un repas rapide. Son omelette aux haricots rouges était à se damner.
Sin s’approcha de lui tandis qu’il fouillait dans le réfrigérateur.
— Tu as senti ?
— Quoi ?
Il eut soudain la chair de poule.
— Baisse-toi !
Sin se jeta sur lui et le plaqua au sol tandis que tout autour d’eux explosait. Un bruit assourdissant lui vrilla les tympans, et le souffle brûlant d’une flamme lui caressa la peau. Il roula sur lui-même et s’allongea sur Sin pour la protéger, serrant les dents face au déluge de bois et de plâtre qui s’abattait sur son dos. Une nouvelle déflagration provoqua une onde de choc qui les frappa de plein fouet. Puis, comme si une main invisible venait de les ramasser, ils furent soulevés de terre et propulsés contre le four. Une douleur vive lui élança l’épaule, mais il n’y prêta pas attention et agrippa Sin par le bras pour l’entraîner, à quatre pattes, jusqu’au garage.
— J’ai une galerie d’évacuation, hurla-t-il avant de commencer à cracher ses poumons, asphyxié par une épaisse fumée noire.
Ils entendirent du verre se briser dans la maison sans pouvoir en déterminer l’origine, puis la détonation rapide d’une arme automatique couvrit le féroce rugissement des flammes. Quelqu’un tenait vraiment à s’assurer de leur mort.
Le garage était déjà en feu, mais Conall se protégea le visage tout en se dirigeant vers la camionnette. Pris d’une violente toux, il y grimpa et attrapa une trousse de secours. Il en sortit d’un bond et parvint à apercevoir le véhicule noirci à travers le tourbillon de fumée. Shade allait péter une pile quand il verrait l’état de l’ambulance, qui n’avait presque pas servi.
Sin était accroupie où il l’avait laissée, devant l’armoire métallique fortifiée, près du mur. Il se hâta de composer le code de sécurité et tourna la roue pour ouvrir le coffre. Celui-ci ne contenait pas d’armes, mais une trappe secrète qu’il tira vers lui.
— Cool, articula Sin entre deux quintes de toux.
— Vite ! (Il la poussa du coude vers le passage.) Il y a une échelle en bas.
Il jeta un ultime regard empreint de regret à sa maison ravagée par le feu. Il avait aimé cet endroit, mais après tout, il n’y avait sans doute pas lieu de le pleurer puisque de toute façon, il aurait dû l’abandonner pour rejoindre son clan en Écosse. Il espérait seulement avoir assez de temps pour aider à éradiquer le virus warg.
Des flammes de la forme d’une main géante surgirent du mur, et Conall recula alors qu’un cri perçant, terrifiant, lui glaçait les sangs.
— C’est quoi, ce bordel ?
— Rien de bon, en tout cas ! hurla Sin. Vite ! Suis-moi !
Il s’engouffra dans le tunnel, mais soudain, un détail dehors, à travers la fenêtre brisée, attira son attention. Il cligna des yeux, mais la créature avait disparu.
— Conall ? Qu’est-ce que tu fabriques ?
Il secoua la tête.
— J’ai cru voir un colosse sur un cheval. Et il portait une putain d’armure intégrale.