CHAPITRE 12
Lorsque Sin et Conall eurent atteint l’abri, il faisait nuit noire, et plus personne ne les talonnait, même s’ils avaient aperçu deux horroraptors qui les survolaient, leurs ailes tannées de trois mètres d’envergure rasant la cime des arbres tandis qu’ils traquaient Sin. Conall haïssait ces abominations qui avaient donné naissance au mythe de l’homme-phalène. Elles étaient difficiles à tuer et empestaient la viande avariée. Sans doute parce qu’elles aimaient porter la peau de leurs victimes.
Sin n’était pas sortie du mode « assassin-reine de glace », mais par moments, son regard se voilait comme si un souvenir la hantait, et son masque de dure à cuire se fissurait. Le massacre d’une dizaine de wargs innocents l’avait ébranlée, et Conall se demandait si cela arrivait souvent.
Il essaya de ne pas trop y penser tandis qu’il étudiait la hutte à un étage nichée sur les berges d’un lac de montagne.
— Il semblerait que Rivesta ne soit pas là.
Après tout, la sorcière sang-mêlé y séjournait rarement. Elle possédait plusieurs maisons disséminées sur Terre et dans Sheoul, et préférait les climats plus chauds. Il faisait étonnamment froid pour un mois de juin.
— D’où la connais-tu ?
— C’est une amie de la famille.
Sin arqua un sourcil.
— Une amie intime ?
— Elle l’a été.
Rivesta n’était pas une cinglenuit ordinaire. Elle avait hérité de leur cruauté légendaire, mais son côté humain la tempérait et la rendait suffisamment vulnérable pour savoir à qui chercher des noises et qui éviter.
Par conséquent, coucher avec elle était beaucoup moins périlleux que s’envoyer en l’air avec l’une de ses congénères pur sang.
Il trouva l’un des sorts de Rivesta suspendu à la branche d’un sapin et fit signe à Sin.
— Donne-moi la main.
Elle obéit sans broncher, ce qui en disait long sur son état mental, et il sentit ses intestins se nouer. Quelques heures plus tôt, il aurait été ravi de son silence et de sa coopération. À présent, il souhaitait presque le retour de la fougueuse petite démone.
Il jura tout bas et l’agrippa par le poignet. Son pouls accéléra quand il le porta à ses lèvres pour prendre le doigt de Sin dans la bouche. Lorsqu’il en perça la pulpe avec ses crocs, les pupilles de Sin se dilatèrent. Il goûta le sang sur sa langue et se retint de gémir. En toute hâte, avant de se laisser happer par la luxure, Conall se taillada l’index et le posa lui aussi sur le sachet en mousseline. Leur sang s’y infiltra, puis un bruit sec retentit, un éclair jaillit, et ils eurent cinq secondes pour franchir le seuil invisible.
Ils foncèrent vers le perron, et un claquement derrière eux leur indiqua que la barrière s’était refermée.
Avec précaution, il poussa la porte. Le sort de Rivesta agissait sur les créatures surnaturelles, mais pas sur les humains. Ainsi, chasseurs, voleurs ou squatteurs auraient pu forcer l’entrée.
— Je vais ratisser l’étage, si tu veux bien t’occuper du rez-de-chaussée, dit-il à Sin qui s’éclipsa comme un fantôme.
Bon sang, elle était incroyable, et il se surprit à la contempler, le cœur battant plus vite qu’il n’aurait dû.
Se traitant de tous les noms possibles et imaginables, il força son pouls à ralentir et monta l’escalier en colimaçon. Il inspecta la chambre à coucher et la salle de bains avant de rejoindre Sin en bas, debout en plein milieu de la pièce principale, les yeux rivés sur la cheminée éteinte, les bras enroulés autour du corps comme si elle était frigorifiée.
Les restes de son téléphone, réduit en miettes, jonchaient le sol.
— La batterie est morte. Le boîtier, fissuré.
— Du coup, tu l’as puni, répliqua-t-il avec ironie, même si cette nouvelle n’était pas bonne – à présent, ils ne disposaient plus d’aucun moyen pour appeler à l’aide.
— Hé !
Il tendit les mains vers elle, et comme d’habitude, elle recula. Il n’insista pas.
— Tout ira bien, poursuivit-il. Les barrières de Rivesta sont infranchissables. (Du moins, jusqu’à ce que ses assassins se rendent compte qu’elles n’avaient aucun effet sur les humains.) Tu devrais te reposer pendant que je réfléchis à un plan pour nous tirer d’affaire.
— Dormir, c’est pour les faibles, et tu peux cesser de me traiter comme une gamine. (Elle s’éloigna et brandit une dague sortie de nulle part au grand étonnement de Conall.) Je vais explorer les environs.
— Sin, reprit-il avec lassitude. Arrête. Tu as dit toi-même que tu étais épuisée. Tu dois récupérer.
Elle marqua une pause, face à la porte. Elle avait relevé ses cheveux en un chignon dont les mèches éparses retombaient sur sa nuque ornée d’un tatouage tribal. Conall éprouva l’envie subite de libérer ses boucles sauvages pour y enfouir le visage. Et de s’abîmer en elle.
— Je ne peux pas rester les bras croisés.
— Te faire tuer ne risque pas d’améliorer la situation.
Elle riposta, en proie à une rage soudaine et infernale. Eh oui, il fallait toujours faire attention à ce qu’on souhaitait.
— Tu as vu ces gens, Conall ? (Elle désigna la fenêtre et la forêt environnante.) Tu as oublié ce gamin massacré ? Il n’est pas question de moi. On se fout de savoir si je vais mourir ou vivre. Ce qui importe, ce sont ces pauvres innocents !
— Bon sang, Sin ! Oui, ils importent, mais toi aussi ! Les gens se soucient de toi.
Elle lâcha un grognement teinté d’ironie, et il l’agrippa, s’efforçant de ne pas la secouer comme un prunier.
— Tes frères s’inquiètent…
— Ils font mine de s’en faire, mais ils s’en fichent. Et c’est normal. (Elle le repoussa et se recula.) Je ne fais que leur attirer des ennuis. OK, Lore n’en a peut-être pas rien à cirer, mais il a une compagne à présent, et il n’a plus besoin de moi.
— Fais-moi confiance, reprit Conall. Tu comptes pour eux, et ils ont besoin de toi.
Le doute illumina son regard, mais lorsqu’il s’assombrit soudain, Conall comprit qu’elle repensait à l’enfant warg.
— Aucune importance. (Elle tira la carte de sa poche.) Allons en Allemagne. L’épidémie sévit du côté de Berlin.
— On ne peut pas partir maintenant. Il nous faut un plan. Rivesta possède des sorties cachées. On les cherchera et on trouvera un moyen de filer. Mais pour l’heure, nous devons lever le pied. Attendons le lever du soleil.
Bon nombre de démons voyaient mieux la nuit que le jour, et les premières lueurs de l’aube les aveuglaient.
Elle le fusilla du regard, caressant du bout du doigt le manche de sa dague, et il se demanda si elle songeait à le poignarder. Puis, sans crier gare, elle rangea l’arme et la carte dans sa poche, et la colère quitta son expression. Sin était la personne la plus versatile qu’il connaisse.
— J’ai besoin de me retrouver seule une minute, déclara-t-elle sur un ton sec.
Conall poussa un soupir de frustration.
— Je vais inspecter la cuisine, des fois qu’on y trouve quelque chose à manger. Reste à l’intérieur.
Elle se raidit, agacée par cet ordre, et il ajouta :
— Je suis sérieux, Sin. Si tu tentes de fuir, je te flanquerai la fessée que j’avais mentionnée à l’hôpital.
Une lueur féroce illumina les yeux du succube, déclenchant en Conall une réaction primitive qui requérait la capitulation immédiate de Sin… sous lui. Il n’aurait jamais dû la menacer ainsi, car à présent, sa main le démangeait sous l’effet de l’excitation, et sa queue durcissait tandis que son corps entier se préparait pour le sexe.
— Chiche !
La voix rauque de Sin lui titilla l’entrejambe. Tout son sang venait d’y affluer, car son cerveau était trop occupé à passer en revue différents scénarios de fessée.
— Ne me provoque pas, Sin. Je fais toujours ce que je dis. Ne l’oublie pas.
— Peu importe, marmonna-t-elle avant de faire volte-face pour quitter la cuisine.
Il la regarda s’éloigner à pas chaloupés, ce qui n’arrangea guère son état.
Même si c’était la dernière chose dont il avait envie, il se retourna et se mit à fouiller les placards bourrés de conserves et de boîtes en carton. Le congélateur, quant à lui, était rempli de viande crue d’origine incertaine. Il grimaça et referma la porte. Il avait avalé des trucs pas très ragoûtants dans sa vie, mais avec les démons, mieux valait se montrer prudent. On ne savait jamais ce qu’ils considéraient comme de la nourriture.
Le frigo contenait surtout des bouteilles d’eau plate, de soda et de bière. Conall en sortit deux Coca et regagna le salon, où Sin était assise sur le canapé.
L’odeur du sang flottait dans l’air.
Son dermoire se tordait, et une fine lacération représentant un « Z » parfait scindait le symbole circulaire sur son épaule. Du sang perlait sur le contour, mais ce fut l’entaille de quinze centimètres au niveau de son biceps qui attira l’attention de Conall.
Il posa les boissons sur la table massive de la salle à manger et fonça vers Sin.
— Qu’est-ce que tu as fait ?
— Fiche-moi la paix.
Sans tenir compte de sa remarque, il lui attrapa le bras et comprima la plaie.
— Il faut arrêter l’hémorragie. Où est le couteau ?
Comme elle ne répondait pas, il aboya :
— Où est ce putain de couteau, Sin ?
— Il n’y en a pas ! hurla-t-elle en s’arrachant à sa prise.
La balafre s’allongea d’un centimètre et s’élargit comme si l’incision se pratiquait de l’intérieur. Bordel de merde !
Avant qu’elle puisse l’en empêcher, Conall passa la langue sur sa blessure qui se referma aussitôt.
— Espèce de connard !
Sin bondit sur ses pieds et examina son bras. Quelques millimètres en dessous de la coupure, une autre avait commencé à se former. Elle s’étendait rapidement, gagnant quatre bons centimètres en l’espace de quelques secondes.
— Qu’est-ce que tu fais ?
Conall voulut l’attraper, mais elle l’esquiva d’un pas chassé.
— Je t’ai demandé de me foutre la paix.
Laisse tomber. Recule. Le goût de Sin ne l’avait pas quitté, et exacerbait le moindre de ses sens, la moindre de ses émotions, y compris la colère, et le moment était vraiment mal choisi pour se mettre en rogne. La petite tête de pioche se refermerait comme une huître.
— Pas avant que tu ne m’expliques ce qui se passe.
Elle observa longuement les chevrons en rondins avant d’avouer tout bas :
— C’est une sorte de catharsis.
— Pardon ?
— L’expression de mes émotions. (Elle posa les yeux sur lui.) Je me suis entraînée à ne plus rien ressentir. Ni culpabilité, ni chagrin, ni regret. Mais il faut bien les libérer, alors elles apparaissent sous forme de douleur.
Conall inspira avec peine. Il en avait déjà entendu parler. Il arrivait, en effet, que certains sentiments se manifestent par des symptômes physiques. Et si c’était le cas de Sin, alors elle devait éprouver une culpabilité monstre. Le sang ruissela le long de son bras et goutta par terre, mais elle ne sembla pas le remarquer. Lorsqu’il s’approcha d’elle, elle le contourna.
Las et frustré, il se rua sur elle, la plaqua contre les coussins, lui souleva le bras et lécha de nouveau la blessure pour la cicatriser.
— Arrête !
Elle se tortilla et envoya le pied en l’air afin d’endommager ses bijoux de famille, mais il s’y était préparé, et lui cloua les jambes au sol sans difficulté.
— Bon Dieu, Sin, tu dois arrêter ça.
— Non !
Elle leva la tête et tenta de le mordre, mais il esquiva et elle referma les mâchoires sur le vide.
— Crois-tu que je pourrais exercer mon métier si je fondais en larmes chaque fois que je tue quelqu’un ?
Une fureur noire s’empara de lui. Il ne pouvait – ne voulait – pas la juger à l’aune de son travail. Lui-même n’était pas un ange. Mais elle se bernait ainsi que toutes les victimes de l’épidémie qu’elle avait déclenchée.
— En fait, ça t’est égal que tous ces gens succombent à la fièvre Sin.
— Tu plaisantes ? s’écria-t-elle, incrédule. Je saigne pour eux !
— Vraiment ? (Il observa la blessure toute fraîche apparue sur son bras.) Et ton sang suffira à compenser la mort de tous les wargs décédés à l’hôpital ? Et du gamin massacré dans les bois ?
— La ferme, rétorqua-t-elle d’une voix éraillée.
Il passa de nouveau sa langue sur l’entaille, elle tenta de s’arracher à sa prise, mais il ne céda pas.
— Tu vas les ressentir, tes émotions, Sin. Je te le promets.
— Va te faire foutre.
— Ressens-les, répéta-t-il sur un ton grave et plus sévère qu’il ne l’avait souhaité. Rappelle-toi tous ceux qui sont morts.
— Non.
Sa peau se déchira. Il la lécha.
— Je ne te laisserai pas saigner. Ressens-les !
— Tu peux parler ! répliqua-t-elle, agacée. Tu ne te sens pas coupable quand tu coupes les ponts avec tes potes humains en leur racontant des bobards ?
— Il n’est pas question de moi, Sin.
— Tu veux que je sois malheureuse ? hurla-t-elle. Tu me hais à ce point ?
— Non ! s’écria-t-il en retour. Au contraire !
Il se figea, abasourdi par ses propres paroles.
Sin cligna des paupières, ses cils soyeux encadrant la surprise contenue dans ses yeux. Puis, elle le gifla de sa main libre assez fort pour lui décrocher la mâchoire.
— Enfoiré ! Sale menteur ! Je comprends que tu sois redevable à Eidolon, mais je ne suis pas assez débile pour gober ces conneries !
— Hé, du calme ! Je n’ai pas dit que j’étais amoureux de toi. Oh, ça, non ! Jamais ! Mais je ne te déteste plus.
Quand ce changement s’était-il produit, il n’en avait pas la moindre idée.
— Pourquoi ?
— Tu as peut-être déclenché l’épidémie, mais tu n’en avais pas l’intention.
Il la sentit se détendre un peu.
— Dans ce cas, pourquoi veux-tu que j’éprouve toute cette culpabilité ?
— Parce que tu refoules tous tes sentiments. Tu dois les exprimer et apprendre à t’y fier.
Sa peau se fendilla.
— Non, répondit-elle, un filet d’hésitation dans la voix.
Il prit davantage appui sur elle afin de la maintenir en place et laissa sa langue remonter le long de son bras.
— Capitule, Sin. Écoute tes émotions.
— Je… Si je repense à ce môme, aux choses que j’ai faites…
Elle se mit à frissonner, et ses yeux s’embuèrent.
La vision de Sin, si tourmentée, lui tordit les entrailles et il recula, mais elle se jeta sur lui pour le clouer au sol. Avec une rapidité digne d’un vampire, elle se redressa et fonça vers l’escalier.
Conall se releva d’un bond, l’attrapa et la retourna face à lui.
— Finies les conneries, Sin. Ressens ce que tu as fait.
Il lui prit la main et la pressa contre sa poitrine, où son cœur battait douloureusement vite. Tout comme celui de Conall.
— Autorise-toi à éprouver quelque chose pour quelqu’un d’autre.
— Je te hais, lança-t-elle d’une voix si tremblante qu’il discerna ses paroles avec difficulté.
— C’est un début, répondit-il avec douceur.
Soudain, les yeux de Sin s’emplirent de larmes.
— Conall…
Elle les ravala et déglutit plusieurs fois.
— Ne lutte pas.
— J’ai… j’ai peur.
N’écoutant que son instinct, il l’enveloppa dans ses bras.
— Lâche prise.
Pendant de longues et pénibles minutes, elle frissonna. Puis, un cri d’agonie bestial et déchirant jaillit de sa gorge, fendant le cœur de Conall.
— Ça fait mal, gémit-elle. Oh, Seigneur !
Elle se mit à sangloter, et il s’étonna de ne pas tirer davantage de plaisir de sa souffrance. Tout ce qu’il souhaitait, c’était d’y mettre un terme. Et s’il avait commis une énorme erreur ? Il faillit la relâcher, lui demander pardon, mais quand elle le repoussa, il l’étreignit de plus belle. Elle était forte, et alors qu’elle se débattait avec frénésie, il la plaqua contre lui.
— Lâche-moi !
Elle essaya de se cambrer en arrière, de le frapper, de le griffer, de le mordre. Il ne réagit pas et la laissa se défouler sur lui.
— Lâche… moi…
Son ordre tenait plus de la supplique, et à mesure qu’elle fatiguait, elle recommença à pleurer.
— Sin, murmura-t-il contre ses cheveux. Chut…
Il desserra un peu son étreinte et posa un doigt sous son menton tremblant pour le soulever. Les larmes baignaient ses yeux noirs et ruisselaient sur ses joues.
Sans réfléchir, il embrassa son visage mouillé.
— Non, gémit-elle tout en s’écroulant contre lui.
Lorsqu’il plaqua la bouche contre la sienne, elle s’accrocha à lui comme à une bouée de sauvetage.
Il lui lécha les lèvres, se glissa entre elles avec délicatesse, soucieux de ne pas aller trop vite. Dans ses bras, elle semblait toute menue, fragile comme elle ne l’avait jamais été et d’une façon qu’il n’aurait jamais crue possible. Soudain, ses instincts les plus fous affleurèrent à la surface, le poussant à prendre soin d’elle, à la cajoler, à la guérir.
Même si, à cet instant précis, elle ne prenait pas une part active au baiser, elle ne résistait pas non plus, et Conall en savoura chaque seconde. Il lui mordilla les lèvres, les caressa avant de lui titiller les dents, puis enfin, la langue. Avec douceur, il commença à aller et venir dans sa bouche, et peu à peu la chaleur monta suscitant la réaction de Sin.
Elle laissa courir ses doigts sur les omoplates de Conall, d’abord avec hésitation, mais, à mesure que leur baiser s’intensifiait, ses caresses se firent plus appuyées. Puis, ne se contentant plus de lui effleurer le dos, elle pressa ses seins contre son torse.
— C’est ça, murmura-t-il tout contre elle. Touche-moi.
Sin porta la main à sa braguette, mais il lui agrippa le poignet pour l’en empêcher.
— Pas là. Pas encore.
— Mais…
Il la fit taire avec un baiser plus impérieux, tout en l’allongeant par terre. D’une main, il lui souleva les fesses et la coinça sous lui, et de l’autre, il lui soutint la tête pour continuer à l’embrasser.
Elle l’enserra entre ses cuisses avec fermeté, son sexe soyeux frottait contre lui et l’attirait en elle, même s’il n’avait aucune envie d’accélérer la cadence. Pourtant, ses testicules durcissaient, son sang animal lui brûlait les veines, sans mentionner les montagnes et l’étendue sauvage environnantes qui éveillaient sa nature primitive, exigeant qu’il la prenne pour de bon, qu’ils copulent avec brutalité jusqu’à en hurler d’extase. Et alors qu’elle serait en train de jouir, il boirait son sang…
Cette idée lui donna des bouffées de chaleur et des frissons. Il ne désirait rien plus que se repaître d’elle pendant l’acte, mais, comme toujours, il craignait l’addiction. Cette peur tapie dans les tréfonds de son esprit le hantait, car il la savait très proche.
Son insatiable appétit pour le sang féminin ne saurait causer une nouvelle mort. Il ne le supporterait pas.
Sin fit glisser sa langue le long d’un de ses crocs. Elle continua de le caresser ainsi, et il gémit, oubliant tout le reste. Pour l’heure, il devait se concentrer sur une seule tâche : aider Sin à se sentir bien. Effacer de sa mémoire cette effroyable journée et les horreurs à venir.
Il se retint de lui arracher ses vêtements pour s’abîmer en elle, et ce fut la chose la plus difficile qu’il ait jamais eu à faire. Surtout lorsqu’elle se mit à remuer contre lui, sa silhouette élancée ondulant d’avant en arrière avec grâce et volupté. Un « non » prononcé tout bas accompagnait chaque roulement de hanches. Son corps en demandait plus, mais son esprit s’y refusait. Si Conall s’écoutait, il la sauterait sans ménagement et elle serait partante. C’était la tendresse qu’elle redoutait.
— Doucement, murmura-t-il en laissant courir ses lèvres le long de son cou au rythme de ses pulsations cardiaques effrénées. Si ce n’est pas ce que tu veux, j’arrêterai. Mais tu en as besoin, non ?
Il savait que c’était faux. Certes, elle émettait ses vibrations de succube habituelles, mais elles étaient dénuées de détresse. Cependant, elle était nerveuse, effrayée. Elle cherchait un prétexte pour continuer, non pas par nécessité, mais par pur désir.
— Oui, haleta-t-elle, la gorge nouée par son mensonge.
— Dans ce cas, je m’occuperai de toi, susurra-t-il.
Et alors que sa faim refaisait surface, il se demanda s’il arriverait à prendre soin de lui-même.
Sin mourait de peur.
Il en fallait beaucoup pour la terrifier. Or ce dhampire torride qui l’embrassait éperdument avivait son anxiété et éveillait en elle un sentiment qui dépassait le simple impératif charnel. Il l’avait forcée à affronter ses émotions refoulées. Sous le choc, elle essayait encore de les confiner là où elles avaient été enfouies pendant toutes ces années.
Du sexe brutal et détaché, voilà ce qui l’aiderait !
Conall recula d’un pas afin de lui ôter son chemisier, son soutien-gorge, son étui à poignard en cuir ultra-fin, puis ses bottes, son pantalon, et enfin les fourreaux fixés à sa hanche et à sa cheville. Il empila ses armes sans respecter d’ordre particulier, ce qui la rendit nerveuse, mais il se hâta de reprendre le cours de ses caresses, et Sin oublia aussitôt le sort de ses précieuses lames. Son cœur battait la chamade tandis qu’il faisait courir ses doigts experts sur sa poitrine. Elle huma à pleins poumons l’odeur musquée d’excitation virile et de bataille qui émanait de la peau dorée de son amant. Le désir l’assaillit, ses muscles se détendirent, et elle sentit la moiteur entre ses cuisses.
Elle se tortilla et laissa retomber sa tête sur le parquet en lâchant un juron de frustration.
— Allumeur !
De nouveau, elle voulut s’emparer de sa braguette, mais il lui agrippa le poignet si fort qu’elle réprima un gémissement de douleur.
— Je vais te faire l’amour, Sin. On ne baisera pas. Cette fois, on va y aller en douceur et s’adonner à d’interminables préliminaires.
Alarmée, elle sentit son cœur se serrer.
— Pourquoi ?
Il poussa un soupir à mi-chemin entre le ronronnement et le gloussement.
— À part toi, personne ne contesterait la durée de ces jeux érotiques. (Il plongea la main entre ses jambes et titilla ses lèvres du bout des doigts.) Et je compte bien faire de toi mon terrain de jeux personnel.
Oh, Seigneur…
— Je… ne peux pas.
Tout cela lui était inconnu. De plus, faire l’amour la dévoilerait dans toute sa vulnérabilité. Baiser, c’était facile, deux étrangers unis dans le but d’atteindre un bref moment de plaisir. Il n’était pas question d’émotions et de fusion spirituelle, l’orgasme se limitait à sa pure dimension physique… ce qui convenait parfaitement à Sin.
— Si, et tu le feras.
Il enleva son jean, lui révélant son corps élancé et athlétique. Ses iris argentés scintillaient à la lumière de la lune qui s’infiltrait par la fenêtre, et ses crocs humides étincelaient. Il fit rouler les muscles puissants de sa nuque, de ses bras, de son abdomen, où un fin duvet blond attira le regard de Sin, l’encourageant à descendre davantage. Son sexe se dressait contre son ventre, les veines palpitaient avec toute l’intensité de son excitation. Il avait l’air d’un dieu, d’une bête sauvage, d’un démon résolu à posséder ce qu’il convoitait.
Et pourtant, ses yeux et son toucher exprimaient une tendresse infinie tandis qu’il l’abreuvait de caresses alanguies. Une sensation étrange tenailla Sin. Son cœur, qu’elle croyait endurci, réagissait face à cet homme d’une manière tout à fait inédite.
Saisie de panique, elle laissa échapper un cri et le repoussa pour s’éloigner à quatre pattes. La terreur lui fit perdre toute adresse, et Sin glissa alors qu’elle essayait de se redresser. Elle entendit derrière elle un grognement rauque et menaçant, et hurla quelques secondes avant que Conall, la recouvrant de tout son corps, ne l’allonge ventre à terre. D’une main, il la cloua au sol, lui plaquant les bras au-dessus de la tête, tandis qu’il plongeait l’autre entre ses cuisses.
— Je t’en prie, Conall, l’adjura-t-elle sans savoir ce qu’elle implorait.
Elle tenta de s’arracher à sa prise, mais souleva tout de même le bassin pour permettre aux doigts de Conall de mieux la pénétrer.
Elle sentit son souffle brûlant et avide contre son oreille, et remarqua qu’il lui avait mordu le lobe et se servait de sa bouche pour la maintenir en place. Elle poussa un cri désespéré, l’encourageant à poursuivre. Le suppliant d’arrêter. Elle n’était pas en mesure de décider.
Elle n’était pas dans son état normal, et en voulait pour preuve tout le bruit qu’elle faisait.
Elle n’avait jamais été du genre à exprimer son plaisir à voix haute, mais Conall avait un talent inné pour l’amadouer, que cela lui plaise ou non… et, oh, oui, elle aimait ça !
Il la maîtrisait de tout son poids, maintenant les jambes de Sin collées l’une contre l’autre tandis qu’il faisait glisser ses doigts entre ses lèvres gonflées et humides. Ces caresses ne suffiraient pas à la faire jouir, mais elles l’émoustilleraient assez pour qu’elle exulte au contact du liquide séminal qui perlait au bout de son gland.
Elle gémit et remua les fesses contre sa queue qui reposait dans le creux de ses cuisses.
— Pas encore, murmura-t-il. Bientôt. (Il lui lécha lentement le contour de l’oreille.) Tu promets d’être sage ?
Il lui serra les poignets pour appuyer son propos.
— Oui, gémit-elle. Baise-moi.
Il éclata d’un rire sonore, procurant à Sin un délicieux frisson.
— Pas aujourd’hui, désolé.
— Si tu savais comme je te déteste…
Cette fois, elle devina son rire silencieux aux mouvements de sa cage thoracique. Il la libéra avec délicatesse et glissa le long de son corps. Il imprima des baisers sur son dos, lui lécha la peau, et lui érafla la hanche du bout des crocs. Elle essaya de se redresser, mais il pressa la paume contre le creux de ses reins pour la plaquer au sol tout en lui soulevant le bassin.
Lorsqu’il se mit à lui mordiller les fesses, elle glapit.
— Qu’est-ce que tu fabriques ?
— J’embrasse tes fesses de rêve.
Puis, il passa la langue entre ses lèvres lui arrachant un cri d’extase. Il lui titilla le clitoris avant de plonger dans la moiteur de son intimité.
— Oh, Seigneur !
Il réitéra cette exquise caresse qui la fit frémir. Il variait les mouvements, et chaque fois, elle poussait un cri différent. Bon sang, comment avait-elle pu qualifier les préliminaires de perte de temps ridicule ?
— Tu aimes ? demanda-t-il, les vibrations de sa voix contre son sexe l’amenant au bord de l’orgasme.
— Oui, gémit-elle, au comble de la frustration.
Soudain, il la retourna sur le dos et enfouit son visage entre ses cuisses ouvertes. Un grondement animal lui échappa tandis qu’il la léchait et la suçait, et elle hurla de plaisir lorsqu’il enfonça deux doigts en elle.
— Conall, j’ai besoin… de toi.
Il souleva la tête, ses iris étincelant comme du platine en fusion.
— Je n’ai pas fini.
— Mais je ne peux pas jouir comme ça.
Il arbora un sourire machiavélique.
— Si, insista-t-il, tu peux.
Il se redressa, bloquant la lueur blanche qui filtrait à travers les stores. La gorge de Sin se noua à la vue de sa queue massive contre sa peau dorée. Lorsqu’il commença à se masturber, elle l’observa, la bouche sèche.
Sans détourner le regard, il lui prit la main et la posa sur la sienne.
— Caresse-moi, lui ordonna-t-il d’une voix gutturale.
Elle ne songea même pas à lui désobéir. Elle empoigna son membre et le fit aller et venir entre ses doigts. La respiration saccadée, les mouvements confus, Conall renversa la tête en arrière et laissa échapper un cri bestial qui secoua toute la maison. Il éjacula sur le ventre de Sin, le liquide crémeux et brûlant la picota. Il frissonna, tressauta, puis l’agrippa par le poignet pour la forcer à arrêter.
Son sexe encore dur palpitait contre la paume de Sin.
— Je peux maîtriser la quantité de sperme que je libère, déclara-t-il, hors d’haleine. L’avantage d’être un dhampire.
Et ce n’était pas le seul, comme elle commençait à le découvrir.
— Trop cool ! (Elle cambra les hanches et l’enserra entre ses jambes.) Tu peux toujours venir en moi, hein ?
— Je vais venir en toi, répliqua-t-il. Mais pas tout de suite.
— Putain !
Elle fit mine de le frapper, mais il la rattrapa et lui embrassa la main avant de replonger entre ses cuisses. De sa langue agile, il continua d’effleurer sa chair tendre et gonflée, ne lui laissant aucun répit. Alors qu’elle était sur le point de sangloter de frustration, il fit glisser sa main sur son ventre et récolta un peu de sa précieuse semence.
Il pressa les lèvres contre son clitoris et le suçota sans cesser de le titiller du bout de la langue… Puis, il enfonça l’index jusqu’au cœur de son intimité. Sin se sentit comme foudroyée par l’éclair. Son corps entier vibra d’extase, son sang se mit à bouillonner, un frisson de plaisir la parcourut lui arrachant un cri passionné. Il poursuivit ses caresses à l’aide de ses doigts et de sa bouche, et elle jouit de nouveau, agitée par de violents soubresauts. Puis, enfin, il mit fin au supplice de Sin qui s’affala au sol, inerte.
Il grimpa sur elle, faisant rouler ses muscles tendus.
— Je n’en ai pas fini avec toi, ma belle, gronda-t-il. Tu ne t’en tireras pas à si bon compte.
Elle frémit au son de sa voix empreinte de possessivité. Il n’en avait pas fini parce qu’il ne lui avait pas encore pris ce qu’il voulait. Et lorsqu’elle se plongea dans son regard ardent, elle comprit ce dont il s’agissait.
Son âme.