CHAPITRE 19
Conall courut jusqu’à la cabane, le cœur battant à la vue du sang maculant la neige et la porte d’entrée. Luc gisait, inerte, sur le sol, une blessure par balle bien visible sur le torse.
— Tiens bon, mon vieux.
Conall s’accroupit à son côté et pressa la paume sur la plaie suintante.
— Eidolon ! Shade !
Les frères seminus étaient toujours engagés dans la bataille, et défendaient à présent les varcolac qui essayaient de fuir.
Gardant un œil sur l’extérieur, car ce serait dommage de subir une attaque alors qu’il tentait d’apporter son aide, il déchira la chemise de Luc pour exposer le point d’impact. Luc gémit pendant le bref examen de Conall qui fit rouler l’imposant warg sur lui-même afin de déceler si la balle était ressortie. À l’évidence, le projectile lui avait déchiqueté l’omoplate.
Les deux démons arrivèrent enfin, au pas de course, laissant Wraith, Sin et Tayla finir le travail avec le personnel de l’UG qui venait de débarquer.
— Qu’est-ce qu’on a ? demanda E.
— Plaie par balle au côté droit du thorax. Perforante. Le sang obstrue ses voies aériennes, sa respiration est rapide et superficielle.
Tous ces éléments n’avaient pas grande importance puisque Shade et Eidolon pouvaient user de leurs dons pour guérir Luc, vite fait, bien fait.
Ils lui touchèrent les bras, et les symboles sur leur main droite s’illuminèrent aussitôt. Luc gémit, mais ses yeux étincelaient lorsqu’il les braqua sur Conall. Il bredouilla quelque chose au sujet d’un car.
— Sous le tapis…
— Hé, vieux, tout va bien.
Il secoua la tête.
— Laisse-la… sortir. Elle s’appelle… Karlene.
La femelle feast.
— On s’occupe de Luc, dit Shade. Va libérer celle qu’il dissimule sous cette carpette. (Shade observa le warg, sourcils froncés.) Par les flammes de l’Enfer, on croit connaître quelqu’un…
Eidolon marmonna quelque chose au sujet de la grotte bondage-SM de Shade, mais Conall n’y prêta pas attention et s’empressa de rouler l’épais tapis en peau de bête. Il n’y avait rien dessous à part des planches de bois.
Sin et Wraith franchirent la porte, suivis de Lore, portant une trousse de secours sur l’épaule.
— L’équipe médicale de l’UG est en train de rafistoler les wargs blessés, et tous les Gardiens survivants sont ligotés, déclara Wraith. Ils auront sans doute besoin de soins. Surtout l’autre naze avec sa crête iroquoise ridicule. Il a perdu beaucoup de sang.
— Parce que tu l’as mordu, rétorqua Sin non sans sarcasme.
Wraith battit des cils, feignant l’innocence.
— Combattre me creuse l’appétit.
Conall se sentit saliver à la vue de Sin, encore habitée par la bataille, les pupilles brillantes et les cheveux en pétard. Elle pointa du doigt le parquet.
— Oh, une trappe !
— Tu peux la voir ?
— Pas toi ?
Elle arbora un air ingénu identique à celui de Wraith. Ces deux-là étaient bien de la même famille.
Lore lui donna une tape sur l’épaule.
— Sois gentille.
Il s’avança vers Conall et posa son sac par terre.
— Les assassins sont entraînés à reconnaître les sorts de dissimulation. La porte secrète de Luc, invisible pour la plupart des gens, clignote comme un néon pour nous. Sin te mène en bateau.
— Tu gâches tout mon plaisir.
Sin réprimanda son frère du regard avant de se pencher pour suivre du doigt le contour de la trappe cachée. Puis, elle tapa du poing contre une planche. Et recommença à deux reprises. La troisième fut la bonne, et soudain, la porte s’ouvrit sur un espace de trois mètres carrés.
— Eh oui, je savais où elles étaient situées chez Rivesta, mais ça m’amusait de te regarder les chercher.
Sin était vraiment une petite peste. Conall scruta le trou, se fiant à sa nyctalopie vampirique. Il ne vit rien, mais perçut des battements de cœur, une respiration faible et l’odeur amère de l’angoisse.
Et de la maladie.
— Karlene ? s’écria-t-il. Je m’appelle Conall. Je suis un ami de Luc (il ne prêta pas attention au ricanement de ce dernier) et vous pouvez remonter.
Pas de réponse. Il observa Sin du coin de l’œil.
— Je descends.
— Sois prudent.
— Vous êtes trop mignons, ironisa Wraith.
Conall fit mine de ne pas avoir entendu, et se jeta dans le trou sans se soucier des marches. Il atterrit, accroupi, prêt à réceptionner le couteau qui venait de lui raser le crâne. Il tourna sur lui-même pour faire face à son assaillante qui s’apprêtait à en lancer un autre. Conall s’empressa de la cravater pour la plaquer au mur.
— Soyez gentille, gronda-t-il contre son oreille. Je ne vous ferai aucun mal.
Elle poussa un grognement de mépris.
— Comme si vous en étiez capable.
Son arrogance et ses airs supérieurs lui rappelèrent Sin.
— Je vous demanderais bien qui vous êtes, mais mon petit doigt me dit que vous m’enverriez sur les roses, et, de toute façon, je pense déjà le savoir. Je vais vous relâcher et rejoindre Luc là-haut qui se fait soigner pour une blessure par balle. Si son état vous préoccupe, vous me suivrez et n’essaierez pas de me découper en filets.
Elle prit une inspiration haletante.
— Il va bien ? Qui êtes-vous ?
Il marqua une pause, amusé par le chapelet d’injures provenant de l’étage. Luc était un patient pénible.
— Il s’en sortira. J’en suis sûr. Un médecin et un ambulancier de l’Underworld General s’occupent de lui. Je suis son coéquipier. Vous voulez bien vous tenir tranquille, maintenant ?
Elle hocha la tête, et il la libéra, reculant rapidement au cas où elle changerait d’avis. Si elle était taillée dans le même bois que Sin, elle lui balancerait le genou dans les couilles. Par chance, elle n’en fit rien. Elle resta à sa place, le front contre le mur, le corps secoué de tremblements.
— Hé ! Ça va ?
— Oui.
Elle roula les épaules en arrière et fit volte-face. Puis, bien qu’elle soit pâle et titubante, elle se dirigea vers l’échelle.
— Vous êtes malade.
— Juste étourdie par la mutation.
Conall le comprenait, il en souffrait encore lui-même. Il sentait, cependant, qu’il se tramait autre chose, et l’âcre odeur de pestilence flottait dans l’air. Il lui fit signe de monter la première avant de lui emboîter le pas.
Lorsque Conall sortit de la cave, Luc était assis, dos au mur, une perfusion dans le bras, et Lore, Shade et Wraith avaient disparu. Conall devait arborer une expression interrogative parce que Sin déclara :
— Ils escortent les tueurs jusqu’à la ville la plus proche. Wraith va leur effacer la mémoire afin qu’ils ne se souviennent de rien.
Eidolon, qui essuyait le sang sur le torse de Luc, leva les yeux.
— Tu devras contacter le Conseil des wargs pour qu’ils récupèrent les cadavres. On ne peut pas les laisser là. Ils sont trop nombreux, et des humains risqueraient de les trouver.
Les wargs faisaient partie des rares espèces surnaturelles qui ne se désintégraient pas quand elles mouraient sur Terre, ce qui, d’ordinaire, ne constituait pas un problème, car les autopsies ne révélaient rien d’anormal. Or si les autorités décidaient d’enquêter sur une bataille de cette ampleur, les conséquences s’avéreraient néfastes, même si l’Aegis s’évertuait à limiter les dégâts.
Luc reporta son regard inquiet sur la femelle dont les yeux cernés et la peau cramoisie se remarquaient encore plus à la lumière du jour. Conall connaissait Luc depuis un bout de temps, et le warg avait toujours été un solitaire. À l’exception d’une pricolici, il ne s’était jamais attaché à ses partenaires sexuelles. Il couchait avec elles, point barre.
Mais à voir comment il observait Karlene, avec avidité, un brin d’affection et une pointe de honte, on devinait qu’elle représentait bien plus qu’un coup d’un soir.
La jeune femme s’avança vers Luc, et même si elle brûlait d’envie de le toucher, elle se retint.
— Tu vas bien ? (Elle se tourna vers Eidolon.) Est-ce qu’il va bien ?
— Ça ira, déclara Eidolon. Il est endolori, et il faudra le conduire à l’UG tôt ou tard, mais il est hors de danger.
Luc laissa sa tête retomber contre le mur, comme s’il était épuisé, mais Conall perçut la tension qui l’habitait.
— Doc. Vous devez vous occuper de Kar. Elle est malade.
— Malade ? (Eidolon bondit sur ses pieds.) Qu’est-ce qu’elle a ?
— Je crois que c’est le virus.
Tous les yeux se rivèrent sur Karlene, et Conall sentit ses entrailles se nouer.
— Ce doit être les débuts.
— Donc il nous reste de l’espoir. (La voix d’Eidolon s’adoucit, mais il ne se départit pas pour autant de son pragmatisme clinique.) Karlene, permettez-vous que je vous examine ?
Elle le scruta avec méfiance.
— Vous êtes un démon.
— Je tâcherai de garder ma langue fourchue et mes sabots fendus hors de votre vue.
— Kar. (Luc l’interpella avec tendresse au grand étonnement de Conall.) Il est médecin. La personne la mieux placée au monde pour traiter ce que tu as.
Le doute et la suspicion bataillèrent dans son regard, puis elle hocha lentement la tête à l’intention d’Eidolon.
— Vous devez savoir que je suis enceinte.
Par les Dieux ! La situation ne faisait qu’empirer. Sin ferma les yeux et ses épaules s’affaissèrent. Soudain, Conall éprouva l’étrange et irrépressible envie de la serrer dans ses bras. Comment pouvait-il encore s’en étonner ? La relation qu’ils entretenaient était déjà beaucoup trop sérieuse.
Eidolon conduisit Karlene jusqu’au canapé, sortit un stéthoscope et un thermomètre de la sacoche que Lore avait apportée et commença son examen. Lorsqu’il souleva sa chemise et remarqua l’ombre à peine perceptible d’une meurtrissure autour de son nombril, il se rembrunit.
— Ce doit être très récent. Quand avez-vous été en contact avec un warg infecté ?
— Il y a deux semaines. Ma partenaire et moi avons pourchassé un démon jusqu’à un égout, et avons été attaquées par un warg malade. Il m’a griffée, mais comme je n’ai développé aucun symptôme par la suite, j’ai pensé qu’il n’avait pas le virus.
Eidolon secoua la tête.
— Les dates ne concordent pas. La FS agit vite. Vous seriez déjà morte si c’était lui qui vous avait contaminée.
Karlene haussa les épaules.
— Je ne sais pas quoi vous dire. Je n’ai été en contact avec aucun lycanthrope après ça, puis j’ai été cloîtrée ici avec Luc. Donc à moins qu’il soit malade, je ne vois pas qui d’autre aurait pu me refiler ses miasmes.
— Le fait que vous soyez une feast change peut-être la donne. (Il fit signe à Sin.) Peux-tu la sonder de l’intérieur ?
La démone acquiesça et s’agenouilla à côté de Karlene.
— Ça ne devrait pas faire mal.
Elle lui saisit le poignet avec délicatesse, et son dermoire étincela. Elle ferma les yeux, et pendant deux longues minutes, elle se contenta de secouer la tête, l’air maussade. Puis, soudain, elle les rouvrit et prit une profonde inspiration.
— Oh, non ! s’exclama-t-elle avec stupéfaction. E, Kar n’a pas le virus. C’est le bébé.
— Quoi ?
Luc s’efforçait d’assimiler les paroles de Sin, mais il travaillait dans le milieu médical depuis assez longtemps pour savoir qu’il était rarissime qu’un fœtus attrape une maladie sans que la mère soit infectée.
— Comment ?
Eidolon se repositionna pour insérer le thermomètre tympanique dans l’oreille de Karlene.
— Sin, tu es sûre qu’il n’est présent que chez le fœtus ?
— Je vais vérifier.
Sin se concentra et son dermoire brilla de mille feux. Ses symboles avaient beau être de pâles répliques de ceux de ses frères pur sang, ils rayonnaient d’un éclat aveuglant.
— Oui. Il circule dans l’organisme du bébé et flotte dans l’eau qui l’entoure.
— Le liquide amniotique, corrigea Eidolon. Comment se fait-il que le virus ne remonte pas dans le placenta et ne traverse pas le cordon ombilical ?
Sin secoua la tête, se mordit la lèvre, et les glyphes sur son bras commencèrent à se tordre.
— C’est quoi le placenta ? Un truc en forme de crêpe ? (Eidolon acquiesça, et Sin fronça les sourcils.) Le virus est… attaqué. Par… je ne suis pas sûre de savoir ce que c’est. C’est dans le sang de Kar, mais pas dans celui du fœtus.
— Des anticorps, souffla Eidolon. Bon sang ! Karlene produit des anticorps !
Celle-ci se renfrogna.
— Je ne comprends rien. Que se passe-t-il ?
Eidolon s’exprima avec gravité, mais l’excitation contenue dans sa voix raviva l’espoir de Luc.
— Jusqu’à aujourd’hui, aucune des personnes ayant contracté le virus n’avait développé d’anticorps. Mais vous… vous êtes l’exact opposé d’un warg classique. La situation pourrait être différente si vous étiez infectée, mais comme c’est votre bébé, votre corps se défend. Le père est-il un warg ?
— C’est moi, dit Luc.
Conall ne put réprimer sa surprise, et l’atmosphère se satura d’électricité, mais le dhampire eut la sagesse de garder pour lui toute remarque acerbe.
— Comme vous mutez tous les deux à des périodes différentes du mois, j’en déduis que la conception n’a pas eu lieu pendant vos chaleurs, déclara Eidolon.
Karlene piqua un fard, et sa peau fiévreuse rougit davantage, avant d’acquiescer.
— D’accord, je commence à comprendre. Je ne connais rien aux feasts, mais à l’évidence, ils peuvent engendrer des wargs de naissance, peu importe la nature du père, et ce, même en dehors des phases de chaleurs. Le germe a dû s’introduire dans votre sang et contaminer le fœtus, mais entre-temps votre corps a produit des anticorps éliminant le virus présent chez vous…
— Mais pas chez le bébé, termina-t-elle. Pouvez-vous le guérir ? Pouvez-vous sauver le petit ?
Luc n’apprécia guère l’expression lugubre d’Eidolon.
— Doc ?
— Je n’en sais rien. Sin, la maladie est-elle à un stade avancé ?
Elle secoua la tête.
— Pas vraiment. C’est bizarre. Le virus se reproduit et se fait attaquer en même temps. (Elle déglutit.) Cependant, il prolifère plus vite qu’il n’est tué. Le bébé finira tôt ou tard par… euh… avoir des problèmes.
Il allait mourir.
Cette annonce fit à Luc l’effet d’un coup de poignard dans le ventre. Il venait tout juste d’apprendre l’existence du bébé, et même s’il doutait de ses capacités à être un bon père, il ne voulait pas le perdre.
— S’il vous plaît, murmura Karlene. Pouvez-vous faire quelque chose ?
Sin et Eidolon échangèrent un regard, et Luc sentit son estomac se nouer.
— Quoi ? Que se passe-t-il ?
— Sin a déjà réussi à soigner une warg infectée depuis peu.
— Il y a un « mais », c’est ça ? grommela Luc, l’inquiétude contenue dans sa voix la rendant encore plus dure.
— Mais, ajouta Sin, j’en ai tué d’autres en essayant de les sauver. Je pourrais tuer le bébé, peut-être même Kar.
Luc secoua la tête.
— Dans ce cas, c’est non. Hors de question.
Karlene se mit debout et s’éloigna de Sin et d’Eidolon comme pour fuir ces mauvaises nouvelles. Lorsqu’elle reprit la parole, elle s’adressa avec calme à Eidolon.
— Quelles sont nos autres options ?
— On peut attendre de trouver un remède. (Eidolon rangea le stéthoscope et le thermomètre dans le sac.) Mais il sera peut-être trop tard. On en est encore loin. On a plus de chance de développer un vaccin, mais il ne sera d’aucune utilité pour le bébé. Sin est vraiment votre unique espoir.
Luc retira le cathéter de sa main et se leva à son tour.
— Et si on refuse ?
— Le bébé mourra. Mais Kar sera probablement hors de danger.
Luc lâcha un juron. Il jeta un coup d’œil à Karlene, qui semblait distante, ne laissait rien transparaître, mais elle se frottait le ventre, sans doute de manière inconsciente, et Luc devina sans peine ses pensées. Elle voulait tenter le tout pour le tout.
— On peut rester seuls une minute ? demanda-t-il.
E, Sin et Conall regagnèrent l’autre bout de la pièce. Luc attira Karlene près de la cheminée.
— Comment te sens-tu ?
— J’ai peur.
Elle baissa les yeux sur ses pieds. Elle portait les chaussettes en laine de son amant, deux fois trop grandes pour elle, et Luc la trouva adorable dedans. Adorable ? Merde alors, il ignorait que ce mot figurait à son vocabulaire.
Il lui prit la main, et ressentit une sensation étrange bien qu’agréable.
— Tu n’es pas obligée de faire ça, Kar.
— Si. (Elle inspira et expira profondément, comme pour rassembler son courage avant de parler.) Je n’avais pas prévu de te prévenir pour le bébé. Du moins, c’est ce que je m’étais dit. Mais je n’ai pas eu le choix. Pas vraiment.
Elle marqua une pause, laissa passer quelques battements de cœur, assez pour rendre Luc nerveux, avant d’avaler sa salive et de poursuivre.
— Je devais affronter une grossesse qui m’échappait complètement du fait de ma nature. Je suis au chômage, l’Aegis est à mes trousses, et si mon père apprenait pour l’enfant… il pourrait le considérer comme un monstre. J’aurais pu aller chez ma mère, mais elle ignore ce que je suis devenue, et je ne sais pas comment elle réagirait en le découvrant. Et comment pourrais-je m’occuper du bébé les nuits de nouvelle lune ? Je sais que les mères lycanthropes ne mutent pas pendant quelques années après la naissance de leur petit, mais je suis différente. Seigneur, je parle trop, désolée.
Elle voulut reculer, mais il lui serra la main encore plus fort, la forçant à rester près de lui.
— Termine, dit-il tout bas.
Elle soupira.
— C’est juste que… Je n’y serais jamais arrivée toute seule. J’avais le choix entre te retrouver… ou laisser l’Aegis me mettre le grappin dessus. Mieux valait qu’ils me tuent avant que j’accouche plutôt qu’après et qu’ils fassent Dieu sait quoi avec le bébé.
Cette idée lui glaça les sangs. Qu’elle ait été désespérée au point d’envisager de se laisser abattre par ces pourritures de tueurs de démons… Seigneur !
— Je ne les laisserai pas te toucher, jura-t-il. Je te protégerai quoi qu’il advienne.
— Je sais. C’est peut-être les hormones, ou une connexion spéciale entre wargs… mais quoi qu’il en soit, je sais que tu le feras. Et je ne veux pas perdre notre enfant.
Il effleura du doigt la courbe de ses lèvres pulpeuses.
— Je suis heureux que tu me l’aies dit. (Bonté divine, ses propres paroles l’étonnaient.) Je ne te promets pas une jolie petite maison, des fleurs et du romantisme, ajouta-t-il sur un ton bourru. Tout ce que j’ai à t’offrir, c’est… ça, déclara-t-il en désignant l’intérieur de la cabane. Quelques armes, des peaux de lapin et moi. Mais personne ne touchera à un seul de vos cheveux sans d’abord me passer sur le corps.
Pour la première fois depuis qu’il était devenu un loup-garou, il était prêt à sacrifier sa vie pour quelqu’un d’autre.
Avec délicatesse, il attira Karlene contre lui et apprécia de la serrer dans ses bras.
— Et s’il m’arrive malheur, tu ne seras pas seule. Tu vois ces gens là-bas qui écoutent tout ce qu’on raconte ? Ils veilleront toujours à ta sécurité et à ton bien-être. Je te le promets.
Bon sang, il découvrait avec stupéfaction qu’il pensait chacune de ses paroles. Sans s’en rendre compte, alors même qu’il regardait son humanité s’évaporer, il avait appris à faire confiance aux dirigeants de l’Underworld General.
— Merci.
— Seigneur, Kar ! C’est moi qui devrais te remercier. Ça fait longtemps que je n’ai pas eu de but dans la vie. Alors tu as intérêt à t’accrocher.
— J’y compte bien.
Avant de craquer et de passer pour un idiot devant Conall qui n’hésiterait pas à se moquer de lui jusqu’à la fin de ses jours, Luc recula et fit signe au groupe d’indiscrets.
— Allons-y !