Chapitre 2

La « culture populaire »
et la reproduction sociale

Je me suis souvent demandé quelle avait été la jeunesse de mes grands-mères. Je ne puis en apercevoir, je viens de l’indiquer, que les très grandes lignes : ouvrières à 14 ans et même avant cet âge, enceintes à 17 ou 19, mères à 18 ou 20… Mais ce qu’elles pensaient, ce dont elles parlaient, ce dont elles rêvaient ? Tout cela me restera à jamais inaccessible. Et, d’ailleurs, eurent-elles une jeunesse ? Cette période de la vie n’est-elle pas, à bien des égards, un privilège bourgeois : une adolescence qui s’étire pendant la longue séquence des études, repoussant, chez ceux qui y ont accès, l’entrée dans l’âge adulte ? Mais les autres ? Ceux qui allaient à l’usine à 13 ou 14 ans, se mariaient et avaient des enfants avant d’avoir 20 ans ? Que se passait-il entre le moment où ils commençaient à travailler et celui où ils « fondaient un foyer » ? Je sais que ma grand-mère paternelle, celle dont une bonne partie de l’existence consista à rester attachée, asservie même, aux tâches domestiques, n’eut pas le temps d’avoir une vieillesse puisqu’elle est morte à 64 ans. Elle s’était installée, après le décès de son mari et le départ de tous ses enfants, dans un petit deux-pièces avec son fils lourdement handicapé mental, et elle gagnait sa vie en faisant des ménages dans des bureaux : un soir, en rentrant chez elle, elle glissa sur une plaque de verglas, se cogna la tête sur le trottoir et s’éteignit quelques jours plus tard. Mais avait-elle eu droit, au moins, à une jeunesse ? Je veux dire : qui était-elle avant de devenir à la fois l’épouse et la mère (qui allait avoir douze enfants), et donc l’esclave ménagère que je voyais s’agiter encore en tout sens, quand j’étais enfant ?

J’ai cité dans un chapitre précédent un passage du livre, si souvent et si unanimement célébré, de Richard Hoggart, La Culture du pauvre, dans lequel il dépeint le personnage de la « mère de famille » dans les milieux populaires. On doit cependant regretter que ce portrait, qui sonne si juste, nous soit présenté par Hoggart comme l’image idéale d’un « rôle social » dont on aurait pu redouter la disparition sous l’effet des transformations modernes de la « culture de masse » et de l’attrait exercé par les « loisirs industriels ». Voici comment il exprime ses inquiétudes : « On peut se demander jusqu’à quel point tout cela se transmet aux jeunes filles qui se promènent dans les rues le soir. Elles semblent remplir la période qui va du moment où elles quittent l’école à celui où elles se marient en allant trois fois par semaine au cinéma pour voir des “drames romantiques” ou des films musicaux, en vivant des histoires d’amour fantasmatiques, ou en passant d’un dancing à un autre, Le Palais, La Mecque, Le Locarno… » Bref, leur métier – elles sont ouvrières dans l’industrie textile de la région de Leeds – ne mobilise qu’une faible part de leur attention, comme s’il était extérieur à leur vie : elles ne s’intéressent à rien, et surtout pas aux activités syndicales dans les usines où elles travaillent toute la journée, et encore moins à la politique. Et elles ne se préoccupent guère plus de la gestion quotidienne de la vie domestique. Seraient-elles frivoles et insouciantes ? Bien sûr ! Mais, s’empresse-t-il d’ajouter, « la situation n’est pas toujours aussi mauvaise qu’il y paraît. […] Car il ne s’agit presque jamais d’une révolte contre le foyer familial1 ». Ces jeunes filles ne vivent qu’une brève période de liberté sans responsabilités – quelques années tout au plus – et, une fois la parenthèse refermée, c’est-à-dire une fois qu’elles ont trouvé l’homme qu’elles vont épouser, elles reprennent à leur compte les réalités qu’elles ont connues avant les airs de danse et les amoureux de cinéma : elles ont à cœur de devenir pareilles à ce qu’avaient été avant elles leurs mères et leurs grands-mères ; elles retrouvent les gestes appris dans l’enfance – par observation ou participation – comme la manière adéquate de tenir un bébé dans ses bras. Oh, certes, l’apprentissage du « rôle » ne s’opère pas sans difficultés ni accrocs ! Mais elles l’apprennent. À l’exception de quelques « écervelées » (« the more careless », dit le texte anglais : « les plus négligentes »), qui « refusent d’apprendre » (« refuse to learn ») et préfèrent continuer « à fumer et à aller au cinéma pendant que leurs enfants mal tenus traînent dans les rues ».

Et moi qui ne sais rien de mes grands-mères en cette brève période de leur vie, j’ai pourtant l’impression que si l’une d’elles, qui n’eut sans doute pas le loisir de profiter bien longtemps de la liberté et des plaisirs dont Hoggart parle avec tant de dédain, se plia sans trop regimber aux exigences des fonctions maternelle et ménagère qui l’attendaient, si elle « apprit », malgré les inévitables contraintes et renoncements que cela impliquait, à devenir ce qu’elle était appelée à devenir, l’autre, la mère de ma mère, aurait, je crois, aimé s’y adonner au point de rester la « négligente » ou l’« écervelée » qui suscite la réprobation du sociologue. Et je suis persuadé que, d’une certaine manière, elle ne se résigna jamais à n’avoir pu l’être, à ne plus pouvoir l’être.

À l’évidence, il n’y a pas de place pour elle dans le paysage peint par Hoggart, pas plus qu’il n’y en a pour la mère de Carolyn Kay Steedman, dont les aspirations se situaient à mille lieues de cet enrôlement culturel et social que lui réserve le regard du sociologue moralisateur : elle avait envie de s’acheter des vêtements à la « mode » comme ceux qu’elle voyait dans les magazines, ce qui explique peut-être pourquoi, afin de marquer sa différence, elle votait pour le Parti conservateur, alors qu’autour d’elle l’atmosphère respirait plutôt le travaillisme ou le radicalisme. Pour la mère de Steedman, comme pour ma grand-mère, les enfants représentaient un fardeau onéreux qui les empêchait de vivre comme elles l’auraient souhaité. Elles voulaient être autre chose que ce qu’on voulait qu’elles soient, autre chose que ce qui leur était socialement, économiquement, culturellement permis ou accessible. C’est pourquoi Steedman a des mots si durs contre le livre de Hoggart, et contre l’auteur lui-même qui évacue du tableau les personnages qui sortent du champ de l’homogénéité et de la simplicité psychologiques qu’il attribue au monde qu’il décrit avec nostalgie après avoir tant cherché à en sortir2. Le problème, c’est qu’il s’agit là d’un point central dans la démarche interprétative de Hoggart. Car c’est bel et bien une interprétation qu’il propose, et l’on peut même parler d’une imposition de problématique : tout son livre entend montrer comment les traditions de la classe ouvrière parviennent à résister aux processus d’uniformisation sociale qu’entraîneraient, au dire de certains, la diffusion de la culture de masse et des loisirs commerciaux. Et les femmes occupent une place prépondérante dans son tableau – c’est en grande partie le monde vu par elles qu’il nous restitue, mais telles qu’elles sont vues par lui – et elles incarnent l’exemple même de la perpétuation de la culture populaire, quand elles reprennent à leur compte les fonctions et les rôles qui leur sont dévolus. Les quelques exceptions qu’il évoque, ces « négligentes » qui se laissent circonvenir par la séduction qu’exercent sur elles les images propagées par la presse et le cinéma, celles-là sont, pour les besoins de sa cause argumentative, évacuées brutalement du cadre idéologique et des significations qu’il sert à imprimer dans ce qu’il présente comme une description pleine d’empathie. Stigmatisées et insultées par le sociologue, les femmes libres ne font qu’une brève apparition sur la scène de son théâtre moins réaliste qu’il ne veut bien le dire (et moins modestement empirique que ses thuriféraires français ne l’affirment). Elles représentent la menace que tout le livre cherche à conjurer, puisque c’est par elles que le changement redouté et la démolition qu’il apporte pourraient bien survenir. Étrange résurgence du mythe immémorial de la femme corruptrice dans un discours sociologique dont le moins qu’on puisse dire est qu’il manque de réflexivité sur tout ce qu’il véhicule d’impensé3.

 

Le contenu et la tonalité de ce texte ne laissent pas d’étonner. Que les rôles prescrits et les tâches qu’ils impliquent se transmettent et se perpétuent, qui pourrait le nier ? On peut même dire que tout se passe comme si le verdict social qui frappe les individus et les assigne à des positions, à des fonctions, à des « places », se reconduisait de génération en génération, sans que, le plus souvent, il soit contesté. Il est au contraire accepté et revendiqué comme relevant d’une évidence qu’il serait malséant de mettre en question. Et sans doute les changements ne suivent-ils pas les mêmes rythmes dans les classes populaires que dans les autres secteurs de la société (on pourrait penser que le temps social se caractérise par une plus grande lenteur, voire une certaine forme d’inertie, aux deux pôles les plus opposés, la « haute société » et les milieux ouvriers, que dans les couches sociales qui se situent entre les deux4). Par conséquent, le sociologue se doit de montrer le plus minutieusement possible comment s’opère cette perpétuation par transmission et imitation, aussi bien au niveau des mécanismes objectifs que des perceptions subjectives, chez ceux et celles dont il cherche à dépeindre les existences. Cela relève de son travail le plus essentiel.

Mais son propos devient saugrenu – et disons-le : assez révoltant – quand il veut nous convaincre que nous devrions nous émerveiller de ces processus et de l’immobilité sociale qu’ils commandent. Car, dans ce cas, nous ne sommes plus dans le cadre d’une sociologie des classes populaires, mais dans celui d’un discours politique conservateur et, en l’occurrence, tout particulièrement antiféministe. Le biais masculin, masculiniste, est tellement flagrant qu’on se demande comment il a été, et comment il est encore, possible à tant de lecteurs de ne pas en éprouver de la gêne. On ne peut qu’applaudir à l’intention de donner à voir quelles valeurs prédominent dans les classes populaires, et même de défendre des modes de vie et des manières d’être et de penser contre le mépris de classe qui les juge de haut et les condamne sans appel, sans en comprendre l’apparente nécessité pour ceux et celles qui les reconduisent jour après jour. Cela ne signifie pas qu’on doive célébrer ces valeurs, ces modes de vie et ces manières d’être et de penser, et encore moins déplorer les transformations qui les affecteraient ou les perspectives de liberté – en tout cas affirmées comme telles par ceux et celles qui les mettent en pratique – qui viendraient à découler de ces changements. Ainsi, le personnage valorisé avec tant d’émotion de la « mère de famille » a pour envers celui, honni, de la femme avide de liberté, qui manifeste aux yeux de tous son désir de continuer de vivre comme elle l’entend, sans se soumettre aux injonctions sociales, et qui semble incarner dès lors, aux yeux du chantre de la tradition populaire, la figure de la traîtresse aux valeurs de sa classe, et la honte de son monde. La position adoptée par Hoggart n’a rien de très original : elle ressemble à toutes ces déplorations nostalgiques qui, avant-hier, hier, aujourd’hui et demain sans doute, voulaient, veulent et voudront opposer les modes de vie à l’intérieur desquels les rôles et les relations sont réglés et codifiés par les structures traditionnelles de la vie de famille aux dangers d’un délitement généralisé des relations sociales provoqué par les aspirations « individualistes » à l’émancipation par rapport aux modèles hérités (l’horreur qu’inspire aux conservateurs de droite et de gauche l’« individu émancipé »). L’entreprise de description d’un monde, inévitablement pris entre les forces de l’inertie et celles du changement, débouche donc (mais n’est-ce pas, plutôt, son point de départ : non pas une conséquence de la démarche, mais ce qui la déclenche et l’anime ?) sur une condamnation véhémente de ceux et celles qui paraissent incarner le changement, en déviant des parcours balisés ou en manifestant un manque d’enthousiasme pour les fonctions obligées.

On comprend que la démarche de Hoggart, qui consiste, en apparence, à montrer que la culture populaire est dotée d’une certaine autonomie, d’une certaine permanence, et à mettre en évidence que les nouveautés qui s’y introduisent sont toujours retraduites, réinterprétées, reformulées dans les termes culturels qui les précédaient, repose bien souvent sur un regard complaisant et foncièrement acritique… disons tout simplement populiste : il s’agit, pour quelqu’un qui n’y appartient plus, de promouvoir une idée de la classe ouvrière dont lui-même voit bien qu’elle pourrait être – au moins en partie – mise en question par un certain nombre de ceux et, en l’occurrence, de celles qui continuent d’appartenir à cet espace social et qui éprouvent comme des contraintes insupportables les règles et les normes qui y prévalent.

Une telle approche finit par doter la classe ouvrière d’une morale figée – en particulier familiale et sexuelle – qui se maintient contre les bouleversements apportés par des mouvements extérieurs aux structures traditionnelles. Ce qui est célébré, c’est l’inertie des habitus, des manières d’être, des façons de voir le monde et d’y percevoir sa place : ainsi, la division sexuelle du travail dont on sait qu’elle est plus rigide dans les classes populaires, même quand elles sont politiquement de « gauche », et moins affectée par les changements culturels que dans les milieux intellectuels ou ceux de la moyenne bourgeoisie (et de la nouvelle petite bourgeoisie), avec notamment la dévolution aux femmes des tâches ménagères et des charges familiales. Il suffit de lire le chapitre assez ahurissant que Hoggart consacre à la « vie de famille » dans son autobiographie, ou encore les pages dans lesquelles il distingue les femmes qui sauront toujours aménager agréablement leur foyer ou réussir un bon plat de celles qui n’y parviendront jamais, pour se convaincre qu’il ne s’agit pas de ma part d’une lecture tendancieuse de l’œuvre : ce sont ses fantasmes personnels sur la vie de famille et sur les rapports entre les hommes et les femmes qu’il a projetés dans son livre de 1957 en les présentant comme une restitution des modes de vie de la classe ouvrière5.

Au fond, Hoggart se livre à une opération fort classique qui consiste à donner une image, une idée et donc une définition de la classe ouvrière et des classes populaires qui excluent ou marginalisent un certain nombre de personnes qui y appartiennent autant que les autres. Car il y a toujours des différenciations internes à un milieu, à un groupe social, et a fortiori à une classe. On l’a vu à propos de mes deux grands-mères, par exemple : ces deux figures féminines – celle qu’approuve Hoggart et celle qu’il dénigre – cohabitent en permanence au sein de la culture populaire. L’ouvrière qui avait envie d’être libre, et qui se débattait pour pouvoir l’être envers et contre tout, n’a pas attendu le milieu du xxe siècle pour faire son entrée sur la scène du monde social ! Elle ne surgit pas comme une menace produite par l’effet des transformations culturelles, l’industrie des loisirs et la communication de masse (le cinéma, les dancings, la presse du cœur…) : elle était là avant, et elle sera toujours là. La classe ouvrière, c’est elle aussi. Elle incarne même une figure aussi traditionnelle que celle de la mère de famille, celle-ci toujours célébrée, celle-là inlassablement stigmatisée par le discours de la philanthropie bourgeoise du xixe (mais aussi par le regard des hommes de la classe ouvrière). Au point, d’ailleurs, que cette simple désignation professionnelle, l’« ouvrière », a souvent été, comme l’a souligné Joan W. Scott, synonyme de mœurs « dépravées »6.

 

Joan W. Scott a également montré, de façon magistrale, comment E. P. Thompson, dans son livre sur La Formation de la classe ouvrière anglaise, avait construit un concept de classe articulé à une définition du travail et des formes de mobilisation et d’organisation dont le périmètre était presque exclusivement masculin, renvoyant les femmes à des modes d’existence ou d’association qui ne correspondaient pas au mouvement ouvrier conscient de lui-même tel qu’il le caractérisait7. De la même manière, mais dans une optique inverse, Hoggart observe la vie des classes populaires à partir du foyer familial, et il est amené à ignorer ou à négliger ce qui se passe sur le lieu de travail, dans les syndicats, dans les luttes, etc., mais aussi à condamner les femmes qui mènent ou voudraient mener leur vie à l’extérieur du domicile. Étant donné le nombre de personnes qui, selon sa propre description, habitaient les quelques pièces d’une maison, il ne devait guère être facile d’y avoir des moments d’intimité, si ce n’est ceux qui s’inscrivaient dans le cadre d’une relation légale ou en tout cas durable. Son éloge du foyer domestique est donc nécessairement solidaire d’une exclusion de la sexualité libre. Et, aussi, cela va sans dire, de l’homosexualité. Au point d’ailleurs qu’il semble incapable de reconnaître une relation sexuelle ou amoureuse entre deux femmes, comme on le voit dans 33 Newport Street, où il décrit le couple que composent de toute évidence une de ses tantes et sa compagne, avant de conclure, après avoir tergiversé sur la nature de leurs liens, qu’il ne s’agissait, bien sûr, que d’une étroite amitié et qu’elles ne couchaient pas ensemble. Comme s’il n’existait pas de couples gays ou lesbiens dans les classes populaires des années 1930, et même ce qu’il faut bien appeler une culture gay et une culture lesbienne.

En tout cas, sa prise de position contre les femmes libres est d’autant plus brutale qu’elle s’énonce sur le ton de l’évidence : mais c’est un point de vue qu’il adopte, et qui est celui que devaient porter les « bonnes mères de famille » sur les femmes « négligentes », et non celui que devaient porter en retour les femmes émancipées sur les ménagères asservies. On voit que ce qu’il appelle la « culture » des classes populaires, les traditions de celle-ci, ne renvoie qu’à une délimitation fort contestable et l’on peut imaginer qu’il en va de même pour bien des pages de son livre : les biais idéologiques y sont massifs et omniprésents. Il a construit un artefact idéologique et nous l’a donné comme un travail ethnographique : des considérations fondées sur des souvenirs sélectionnés sans être passés au tamis de l’autoanalyse ne sauraient être présentées comme le portrait d’un monde, ou du moins – car lui-même insiste toujours sur les limites de son livre – être lues, par des lecteurs fascinés par des réalités qu’ils n’ont jamais connues, comme le tableau complet d’un paysage social et culturel.

*

Paru en 1957, le livre de Hoggart entendait proposer un démenti aux discours sur la disparition des classes sociales qui prospéraient alors en Angleterre (comme ailleurs, bien sûr), aussi bien dans les milieux politiques que dans ceux de la sociologie universitaire. L’idéologie dominante tenait que les processus d’une révolution pacifique à l’œuvre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale avaient abouti à une sorte d’intégration de la quasi-totalité des couches sociales dans un vaste ensemble défini comme la « classe moyenne », à l’extérieur de laquelle seuls se seraient retrouvés la très haute bourgeoisie d’un côté et le sous-prolétariat misérable de l’autre.

L’enjeu de tous ces discours était, évidemment, de défaire les appuis de la pensée de gauche – celle des diverses traditions socialistes et radicales ouvrières en Grande-Bretagne, ou celle des traditions socialistes et communistes ouvrières en France, en affirmant que la classe ouvrière n’existait plus. L’idée qu’il n’y aurait plus de classes sociales se résume toujours, au bout du compte, à l’idée qu’il n’y a plus de classe ouvrière et que, par conséquent, le modèle politique d’une conflictualité sociale fondée sur l’antagonisme entre les classes relèverait d’un archaïsme idéologique dont il conviendrait de se débarrasser au plus vite. Le geste de Hoggart était donc, malgré les critiques que je viens d’émettre, particulièrement important.

 

Et l’on conçoit que l’aient amusé les premiers comptes rendus de The Uses of Literacy (La Culture du pauvre) s’étonnant qu’il soit à ce point obsédé par l’idée que l’Angleterre était une société divisée en classes, alors que toute personne raisonnable aurait dû savoir que, désormais, les classes n’existaient plus. Il rappelle que, vingt ans auparavant, Orwell s’était heurté aux mêmes objections et l’avait souligné dans The Road to Wigan. Trente ans plus tard, au début des années 1990, la division rigide de la société en classes lui paraîtra toujours aussi évidente. Au point qu’il pourra écrire que le plus surprenant et le plus troublant à ses yeux, ce n’est pas que ces clivages sociaux se perpétuent, tant ils sont tenaces et profondément enracinés, mais plutôt que se réitère de décennie en décennie la volonté de les nier8.

N’est-ce pas exactement de cette manière que les néoconservateurs de la gauche française accueillirent La Distinction, en 1979, Pierre Bourdieu étant accusé d’être le « dernier marxiste » ? Et que, plus récemment, les tenants de la sociologie qui s’enseigne dans les écoles du pouvoir regardèrent Retour à Reims comme si j’y parlais de réalités depuis longtemps révolues, à propos desquelles, d’ailleurs, ceux qui les avaient précédés dans ces postes de propagande politique à l’époque en question tenaient les mêmes discours et dissertaient déjà sur l’effacement des classes. La force de cette dénégation est telle qu’elle peut imperturbablement réapparaître sans avoir jamais disparu, selon le schème récurrent : « Hier peut-être, il en était ainsi, mais aujourd’hui, non… »

 

La critique menée par Hoggart de l’idéologie de la disparition des classes n’a donc rien perdu de sa pertinence ni de son actualité. Aussi bien en Angleterre qu’en France, la thèse de la « moyennisation » n’a cessé de refleurir, au cours des années 1980 et 1990, puis 2000 et 2010 (il est vrai que certains se sentent obligés aujourd’hui de parler d’un « retour des classes » ! Heureusement que le ridicule ne tue pas). Mais il faut vraiment tout ignorer des années 1950, 1960 et 1970 pour les appréhender sous la seule image des « Trente Glorieuses », où n’auraient existé ni la peur du lendemain ni la crainte du chômage. La dureté des métiers, la cherté de la vie, les difficultés à boucler les fins de mois, l’angoisse de perdre son emploi, et les longues périodes où l’on se retrouvait effectivement sans emploi, tout cela constituait le lot quotidien d’une bonne partie de la population dont les existences sont aujourd’hui rétrospectivement repeintes en couleurs brillantes par les nouveaux représentants de la sociologie bourgeoise.

Est-ce parce que, comme le remarque Robert Roberts au début de son ouvrage The Classic Slum, rares sont les historiens ou les sociologues à être issus des classes populaires que cette connaissance directe, de l’intérieur, ne peut jamais prévaloir sur les mises en perspective fallacieuses ou déformantes proposées par des chercheurs issus d’autres sphères du monde social9 ? L’implacable logique de la reproduction sociale si fortement à l’œuvre dans le système scolaire et universitaire (et notamment dans l’accès aux établissements qui ouvrent les portes aux postes d’enseignants du supérieur ou de chercheurs), aujourd’hui comme hier, produit comme l’un de ses plus terribles résultats, sur le plan intellectuel, une uniformité et donc une restriction des regards portés sur le monde social, dont le corollaire est l’élimination quasi totale des regards qui seraient issus du monde ouvrier. L’absence des enfants d’ouvriers ou, plus généralement, des enfants des classes populaires dans la production du discours « savant » ne peut pas manquer d’emporter de multiples effets et de multiples biais qui, la plupart du temps, inaperçus – et masqués par les énoncés pseudo-méthodologiques – n’en sont pas moins massifs et brutaux. Pour être en mesure de contester ce qui se présente avec toutes les marques et toutes les garanties institutionnelles de l’autorité scientifique, il suffit de savoir que c’est faux. Mais, pour le savoir, il faut avoir appartenu aux milieux décrits par ceux qui se prétendent si savants. Et c’est pourquoi les discours faux ont de beaux jours devant eux.

 

Néanmoins, refuser de penser dans les termes de la « moyennisation » et insister sur la permanence d’une identité ouvrière distincte et d’une culture spécifique des classes populaires – ancrées aujourd’hui comme hier dans un rapport au travail différent de celui de la classe moyenne : métiers manuels, pénibilité physique, habitus liés à d’autres héritages sociaux, manière de parler, etc. –, où l’opposition entre « nous » et « eux » continue d’être structurante (malgré le contenu instable et fluctuant aussi bien du « nous » que du « eux »), n’impose pas d’adopter les valeurs qu’on entreprend de restituer. N’aurions-nous donc le choix qu’entre des démarches idéologiques qui entendent défaire toute idée de classes sociales et celles qui reconnaissent leur existence et notamment celle de la classe ouvrière mais voudraient dès lors nous convaincre qu’il nous faut glorifier ses modes d’être et de penser comme des points d’appui d’une résistance, qui n’opérerait d’ailleurs qu’à ce niveau de l’inertie culturelle, de la perpétuation des habitus, de la permanence des identités, puisque les réalités de l’usine, du travail, du syndicalisme, de la politique sont quasi absentes du livre de Hoggart. Après lecture de son manuscrit, un de ses collègues marxistes le lui reprochera. Il répond à cette objection que, sans doute, il aurait dû replacer son récit dans un cadre plus large, mais qu’il s’agissait pour lui de restituer son expérience personnelle, liée à la vie familiale de son enfance et de son adolescence, raison pour laquelle son livre est centré sur la vie domestique (et donc sur la vie des femmes qui y prédominent), sans prétendre « avoir le caractère scientifiquement éprouvé d’une étude sociologique » ni « maîtriser un savoir plus large »10. En réalité, cela revient à dire, tout simplement, qu’il a quitté le monde ouvrier au sortir de l’adolescence, quand il a commencé de suivre des études secondaires et, surtout, des études supérieures et qu’il ne connaît pas l’univers de l’usine. Et si l’on peut très bien admettre qu’il ait, précisément, choisi de n’étudier que les modes d’existence qui se situent en dehors du temps passé sur le lieu de travail, en puisant dans ses souvenirs, il est plus difficile d’accepter qu’il se soit donné pour tâche de louer l’immutabilité et la capacité de résistance au changement d’un monde et d’une culture auxquels il n’appartenait plus et auxquels, comme le souligne Steedman, il avait tout fait pour ne plus appartenir. Il suffit de lire les pages, fort belles d’ailleurs, dans son autobiographie, où il évoque le tout début de son ascension sociale et notamment les moments où il s’est rendu compte pour la première fois qu’il voulait et qu’il allait sortir de son milieu familial, animé par la certitude que « tel était le chemin » qui l’attendait et qu’il devait emprunter, « comme si un pur instinct » le poussait vers des « manières de vivre et de voir la vie » que ne lui offrait pas le quartier où il habitait : « Je voyais à mesure que les semaines et les mois passaient, qu’on pouvait les trouver ailleurs et qu’elles étaient, par certains aspects importants, préférables à celles que je connaissais11. »

*

Le cas de Hoggart n’est pas isolé : même Raymond Williams, pourtant beaucoup plus progressiste, et beaucoup plus engagé, n’échappe pas à ce biais fortement conservateur, dans le regard qu’il porte sur la classe ouvrière et sur les périls qui l’assiègent. C’est frappant dans son roman de 1964, Second Generation12. Les dangers qui y menacent la classe ouvrière sont de deux ordres : économiques d’abord, avec les licenciements saisonniers et les périodes de chômage qui s’ensuivent ; moraux ensuite, avec la contamination potentielle des valeurs populaires par les modes de vies « libérés » des milieux intellectuels. La mise en scène par Williams de la lutte qui s’organise au sein de l’usine contre les décisions patronales, des solidarités qui se mettent alors en place – difficilement, partiellement et peut-être provisoirement mais, en tout cas, intensément –, intègre comme une de ses dimensions la défense des valeurs familiales traditionnelles un temps bousculées par l’attrait qu’exerce, en dehors de tels moments de crises aiguës où les liens affectifs authentiques se retissent d’eux-mêmes, la modernité incarnée par une gauche universitaire promouvant d’autres possibilités et d’autres modèles (notamment dans le domaine de la sexualité).

Second Generation se passe à Oxford, une ville coupée en deux, géographiquement et socialement : d’un côté, les bâtiments gothiques et néogothiques de l’université, et les professeurs et les étudiants qui, de génération en génération, habitent à l’intérieur ou à proximité et, de l’autre, les grandes usines de l’industrie automobile et les quartiers où vivent les ouvriers qui travaillent dans celles-ci. Le fils d’une famille ouvrière est sur le point de terminer sa thèse de sociologie, mais, au terme d’une série d’événements internes au roman, il décide de ne pas la soutenir : il se sent soudain mal à l’aise dans le milieu auquel il est en train d’accéder et dont l’ethos de classe, symbolisé par l’aisance affichée en toutes circonstances et la manière de s’habiller et surtout de parler – l’accent, le ton de la voix –, tranche tellement avec celui de la maison familiale où il rentre chaque soir qu’il ne peut plus assumer cette dissociation de lui-même en deux êtres différenciés. L’attrait, la fascination qu’exerce le milieu intellectuel décrit par Williams n’empêchent nullement qu’il provoque chez ceux qui y entrent par effraction, et sans en avoir possédé les codes depuis toujours, un profond sentiment de malaise, allant jusqu’au désarroi créé par l’incertitude de soi, qui débouche parfois sur de la colère, de la fureur, du dégoût, de la haine à l’encontre de certains de ses occupants « naturels » : quel transfuge de classe n’a pas vécu cela, à un moment ou à un autre, ce que réussit si bien à rendre ce roman, à savoir cette impression permanente d’être un étranger qui ne parle pas la langue de l’univers dans lequel il arrive, et qui comprend que, malgré tous les efforts passés, présents et à venir, il ne parviendra jamais à l’apprendre vraiment, à la maîtriser comme on maîtrise une langue maternelle ; cette certitude qu’il lui sera impossible d’éduquer son corps et ses réflexes pour savoir comment se tenir, comment bouger, comment réagir selon les règles établies ; et cette sensation quasi physique d’être exclu à tout jamais de ce à quoi l’on aspire, et même de ce à quoi l’on accède. Le brillant étudiant renonce donc à la carrière universitaire qui lui est proposée, pour s’embaucher à l’usine, travailler à la chaîne et mener ainsi une étude sociologique au plus près de la vie de ceux sur qui il écrira, tournant le dos à la sociologie qui se contente de publier des rapports remplis de données chiffrées à l’usage des dominants. Son père, qui était fier de la réussite de son fils, a du mal à comprendre comment il peut vouloir, après dix-huit années passées dans le système éducatif, revenir au point où lui-même a commencé et où il est resté. Mais, surtout, il lui objecte que, de toute façon, aller à l’usine ne lui permettra pas d’annuler la distance qui s’est déjà installée : il restera extérieur à ce monde du travail auquel il veut s’intégrer, extérieur à ce qu’il croit pouvoir étudier de l’intérieur, dans la mesure où il aura toujours, contrairement aux autres ouvriers, la liberté de s’arrêter et de retourner à la vie universitaire. Ce qui fait une énorme différence.

La réconciliation du transfuge avec son milieu d’origine dont il commençait de s’éloigner mais dont il s’aperçoit peu à peu qu’il est important pour lui de rester proche s’opère grâce au pouvoir intégrateur du mariage avec une jeune fille de son milieu, qu’il côtoie depuis l’enfance, mais qu’il a failli quitter en cédant aux charmes d’une représentante idéale-typique de la bourgeoisie intellectuelle libérée. Il est donc sauvé par son adhésion renouvelée aux valeurs familiales traditionnelles de la classe ouvrière que Raymond Williams célèbre ici d’une manière assez pénible et en tout cas aussi conservatrice et rétrograde que Hoggart.

Il est à remarquer que Williams nous donne dans ce volume une conclusion fort différente de celle de Border Country : dans son premier roman, l’enfant des classes populaires, devenu professeur d’université, ne pouvait que constater l’écart qui s’était instauré entre lui et sa famille. Mesurer la distance ne signifie rien d’autre que mesurer la distance, disait-il à la fin du livre, et il serait illusoire de croire qu’on peut l’annuler. C’est prendre conscience de cette vérité qui permet de mettre fin au sentiment d’« exil ». Tout au plus doit-on s’efforcer de ne pas renier le monde d’où l’on vient, notamment en restant fidèle aux options politiques liées à la défense des classes populaires. Plus tard, commentant ce roman, il expliquera qu’il avait voulu s’écarter d’une tradition littéraire déjà bien établie en Grande-Bretagne, dans laquelle des universitaires issus des classes populaires racontaient leur parcours en exprimant la désillusion qu’ils avaient ressentie dans le nouveau milieu où ils avaient réussi à entrer et en se tournant dès lors avec nostalgie vers le monde de leur enfance (nostalgie qui n’est d’ailleurs pas absente de son livre, mais plutôt sous la forme d’une mélancolie liée au sentiment de l’irrémédiable éloignement). Sans doute a-t-il compris qu’il était difficile de ne pas accorder une place centrale à ce désenchantement puisque Second Generation tourne presque entièrement autour de ce thème. Le fils d’ouvrier devenu chercheur en sociologie croit pouvoir effacer, par l’effet d’une décision radicale, la distance qui s’est déjà installée, afin de redevenir semblable à ses parents. Mais ceux-ci lui font savoir qu’il est trop tard. Le livre s’achève sur ce constat : le jeune homme renonce au milieu où il allait s’établir, mais il n’appartient plus à celui d’où il venait.

Dans Border Country, la distance était symbolisée par le voyage en train du professeur d’université quittant Londres pour aller retrouver sa famille, dans un village du pays de Galles, au moment de la maladie et de la mort de son père. Dans Second Generation, le jeune sociologue n’est pas encore professeur, et il habite dans la même ville que ses parents et même avec eux. Il ne part pas. Pourtant, ses parents lui signifient que, d’une certaine manière, il a accompli un parcours analogue, puisqu’il a emprunté une voie qui l’a mené ailleurs, socialement parlant, et qu’il ne peut rien y changer.

Lorsqu’il commente Second Generation dans son livre d’entretiens publié en 1979, Politics and Letters, Williams revient sur cette opposition qu’il avait tenu à souligner dans son roman « oxfordien » entre la gauche intellectuelle et la gauche ouvrière, la première représentant à ses yeux, à la fin des années 1950 et au début des années 1960, une puissante menace pour la seconde. Sans doute Williams tenait-il à exprimer son acrimonie à l’égard des comportements et des manières d’être de certains universitaires, et c’est pourquoi, répondant aux questions de ses intervieweurs, il fustige « ces figures caractéristiques de la gauche » (en précisant : « et on a vu par la suite de quelle sorte de gauche il s’agissait »), « intellectuellement actives dans le Labour Party » mais dont l’engagement politique n’avait rien à voir avec la classe ouvrière militante : ils l’« utilisaient » et la « trahissaient ».

Mais il va beaucoup plus loin que ces amères remarques sur les intellectuels de gauche et sur le rapport qu’ils entretiennent avec les classes populaires. Ce qu’il souhaitait établir, explique-t-il, c’était un lien entre l’amoralité personnelle – par quoi il faut entendre la liberté sexuelle – et l’amoralité sociale et politique (« the connection between personal and social corruption ») des représentants de ce monde universitaire. Il poursuit en effet – alors que la question posée par ses interlocuteurs marxistes de la New Left Review porte explicitement sur sa manière de rapprocher trop directement « l’absence de morale sexuelle » (« the absence of sexual integrity »), qui caractérise plusieurs personnages du roman, de leur appartenance à la bourgeoisie académique et qui sont pour cette seule raison renvoyés à l’univers de la « réaction » :

La seule réussite de ce roman, c’est que la scène du théâtre urbain sur laquelle se joue le drame de la division sociale semble se reproduire à l’échelle individuelle dans la vie du jeune transfuge. Au fond, le livre (dont il faut bien dire qu’il est assez mauvais, et qu’il n’a d’intérêt que parce que l’auteur en est Raymond Williams) soulève une série de questions, auxquelles il n’y a peut-être pas de réponses aussi simples qu’il n’aimerait le croire : quel est le prix à payer pour l’ascension sociale ? Que produisent les études supérieures sur les enfants des classes populaires ? Comment rester fidèle à son passé quand la trajectoire dévie par rapport à ce qu’a été celle des parents ? Et peut-être aussi : peut-on quitter sa classe, sans quitter sa ville ? Et, par conséquent, peut-on accéder à la culture sans renier les valeurs du milieu d’où l’on vient et, en l’occurrence, sans rejeter les valeurs traditionnelles du mariage et de la vie familiale pour celles que Williams considère comme les dérives d’une liberté individualiste et corruptrice, synonyme à ses yeux de libertinage et de cynisme ? Et sinon, comment les valeurs conservées par le transfuge se heurtent-elles à celles du monde où il arrive ?

 

Ce qu’on peut reprocher à Williams n’est évidemment pas d’avoir montré comment des systèmes de valeurs différents pouvaient coexister dans une ville de taille moyenne, avec ses espaces sociaux si nettement délimités (les usines et l’université, les quartiers où vivent les ouvriers et ceux où vivent les universitaires) et comment ils pouvaient entrer en contact étroit les uns avec les autres, soit par l’intermédiaire des réunions du Labour Party, soit par l’accession d’un enfant d’ouvrier aux études supérieures (dont il était sans doute fort rare qu’elles puissent s’effectuer à Oxford ou à Cambridge), avec toutes les difficultés et toutes les blessures que ne manquent jamais de produire de tels déplacements dans l’espace social alors que, évidemment, la rigidité de la structure de classe n’est en rien affectée par ces quelques parcours individuels. Ce qui est déplaisant, c’est qu’il nous offre un roman édifiant, dont le dénouement montre deux familles ouvrières réconciliées autour de ce qu’il considère comme leurs vraies valeurs, après avoir été menacées par la « corruption », aussi bien morale que sexuelle, qui prévaut dans les milieux intellectuels. Le sociologue marxiste s’est transformé en prédicateur puritain.

Le roman de Williams peut donc se lire comme une critique de la liberté sexuelle pratiquée et revendiquée dans les milieux universitaires et du trouble profond que ces manières de vivre introduisent dans la saine reproduction de la morale ouvrière. Certes, Williams s’intéressera plus tard au mouvement féministe et tentera de l’intégrer à sa façon de penser la politique et la culture (tout en s’étonnant de l’importance prise par la psychanalyse dans le mouvement des femmes, alors qu’il considère la doctrine psychanalytique et ses « universaux » comme le contraire absolu de l’approche historique et sociale qu’il entend mettre en œuvre). Mais on retrouve chez lui, comme chez Hoggart, c’est-à-dire les deux auteurs dont les travaux ont été fondateurs des « Cultural Studies », une même orientation foncièrement évaluatrice, un même interventionnisme intellectuel et politique, bien éloignés de l’idée aujourd’hui répandue qu’ils ne nous auraient proposé que des descriptions certes pleines de sympathie pour la classe ouvrière, mais ne comportant aucun jugement de valeur. On sait par exemple que Hoggart sera très hostile à ce qu’on utilise son livre sur la culture populaire pour le faire fonctionner dans le cadre des « Women Studies », « Black Studies », « Gay Studies », etc. Et les navrantes et rétrogrades bêtises qu’il profère au début de 33 Newport Street contre l’idée qu’on puisse parler de « communauté afro-antillaise », de « communauté ethnique », de « communauté homosexuelle », de « communauté lesbienne », etc., sous prétexte que ce sont des ensembles qui ne seraient pas liés par une « unité » – propos qui se situent vraiment en dessous du degré zéro d’une approche critique de la notion de « communauté » ou de « culture » –, montrent qu’il n’avait pour projet que l’étude d’une seule « culture », celle dont il était issu, réduite à ce qu’il en avait connu, ou plutôt à ce qu’il avait voulu en retenir.

*

Il est important de rappeler, dans la mesure où les livres de Hoggart ont été et sont utilisés en France comme des instruments pour lutter contre la sociologie critique, les théories de la domination symbolique et le « légitimisme » imputé à celles-ci (c’est-à-dire l’idée, pourtant irrécusable une fois qu’elle est énoncée et démontrée, qu’il y a une culture légitime qui s’impose à tous comme telle, même à ceux qui en sont exclus, ou, en tout cas, que la culture populaire est prise dans un système au sein duquel elle n’est définie, comme dépossession et privation, que par rapport à la culture légitime – et cela n’a pas besoin d’être vécu subjectivement par les individus en toute circonstance pour que la position objective dans la structure des relations ne détermine de puissants effets d’assignation et d’infériorisation), que l’auteur de The Uses of Literacy a toujours été, comme Raymond Williams d’ailleurs, l’un des plus éminents représentants d’un type de « légitimisme » culturel qu’on peut qualifier de militant. Leur effort pour étudier la « culture » des classes populaires comme un ensemble de traditions, de valeurs, de manières d’être qui tendent à se perpétuer ne les a jamais empêchés de regretter que ceux qui appartiennent à une telle culture soient privés de la possibilité de faire des études. Ils ne cessent de le déplorer. Et, surtout, de tenter d’y remédier. C’est même autour de ces questions que s’est organisée leur carrière universitaire. Ils se sont en effet consacrés pendant de longues années à l’enseignement pour adultes (Adult Education), destiné à donner accès à l’enseignement supérieur à des gens qui souhaitaient reprendre des études. Ils étaient professeurs « hors les murs », c’est-à-dire qu’ils allaient donner des cours dans de petites villes situées dans un périmètre régional qui dépendait du ressort d’une grande université : Hull pour Hoggart, Oxford pour Williams. Ils retirèrent de cette expérience la grande fierté d’avoir permis à des gens qui n’avaient pas eu la chance d’acquérir les connaissances que dispense l’université de pouvoir enfin en bénéficier14.

Hoggart et Williams étaient professeurs de littérature anglaise. Et c’est à l’intérieur de ce domaine de compétence qu’une bonne partie de leurs travaux a vu le jour. Le premier livre de Hoggart, par exemple, en 1951, six ans avant La Culture du pauvre, était consacré à W. H. Auden. Dans le second volume de son autobiographie, il raconte que, à cette occasion, il fut invité à parler dans des émissions de radio, et notamment sur une chaîne régionale à Bristol où l’on demandait à des spécialistes de lire et d’expliquer de la poésie à destination d’un large public, comme s’il s’agissait d’assurer là aussi une « forme d’éducation pour adultes ». Il fut heureux de pouvoir choisir un poème de son auteur de prédilection15.

Hoggart souligne également qu’il ne lui paraissait pas suffisant de n’enseigner que la littérature anglaise : il aurait été « dommage » que les étudiants qui assistaient à ses cours et pour qui « s’ouvraient de nouveaux horizons » n’aient pas la chance de pouvoir lire également « Dostoïevski, Tchekhov, Stendhal, Flaubert, Proust, Mann, fût-ce simplement en traduction16 ».

Et, résumant ce qui constitue l’unité des centres d’intérêt qui ont marqué sa vie universitaire et intellectuelle, il mentionne « le droit à un accès plus large à l’enseignement supérieur » et aussi « la nécessité d’un accès plus large aux arts en tant qu’ils offrent les explorations les plus scrupuleuses que nous pouvons mener à propos de nos personnalités et de nos relations, ainsi que de la nature de la société »… Avec, précise-t-il, « comme support à tout cela, le meilleur usage que nous pouvons faire des moyens de communication de masse17 ».

 

Hoggart ne cesse d’insister sur l’exclusion scolaire et la dépossession culturelle dont les classes populaires sont victimes. Tout en notant, bien sûr, que la déscolarisation est voulue par les familles qui, même lorsqu’un enfant paraît en mesure d’aller à l’école au-delà de 16 ans, considèrent que cela constitue un luxe qu’on ne peut s’offrir et que le foyer a besoin du salaire qu’il pourra rapporter à la maison. Élimination et autoélimination marchent ensemble pour définir l’exclusion scolaire des classes populaires. À ceux qui parlent d’une démocratisation de l’école, il objecte avec fermeté que « les grandes corrélations entre la famille, le quartier, l’argent, la classe sociale et la prime éducation, d’un côté, et les chances intellectuelles, scolaires et professionnelles, de l’autre, demeurent très fortes ».

Hoggart exprime son amertume au souvenir de tous « ces gens intelligents abandonnés en chemin ». C’est pourquoi il pourra avancer, contredisant de manière assez nette ses analyses antérieures sur la « résistance » aux mutations imposées par la culture de masse, que si « la vie des classes populaires britanniques est encore dominée par cette immobilité écrasante, par cette absence d’attentes et de perspectives et par cette résignation triste », tout cela s’explique par « la base de classe et le biais de classe du système d’enseignement à tous les niveaux » ainsi que par le rôle que joue « l’appareil des communications de masse qui semble ouvert et parfois même radical mais qui critique rarement les moteurs et les processus qui conservent les choses dans l’état inacceptable où elles apparaissent à quiconque essaie de prendre du recul et faire le point18 ».

 

Il convient donc d’aborder un autre aspect de la démarche de Hoggart : en dépit de tous ses efforts pour expliquer et comprendre la situation des classes populaires, il a souvent des mots très durs à l’encontre de ceux qui appartiennent à ce monde qu’il a étudié dans La Culture du pauvre et sur lequel il revient longuement dans son autobiographie (qu’il préfère appeler « A Life and Times » plutôt que « Autobiographie », car il tient, dit-il, à n’y insérer que des éléments qui revêtent une portée historique et sociale). Son regard est souvent fort critique. On l’a vu plus haut à propos des femmes. Mais bizarrement, si, dans ce cas, il ne cachait pas sa prédilection pour les choix les plus conformes, c’est le conformisme profond qui règne dans les milieux ouvriers qui lui semblera, dans ses écrits ultérieurs, le plus condamnable. Il insiste sur le fait que ce qu’on appelle le « mouvement ouvrier » ne représente qu’une petite minorité des classes populaires, et que, de manière générale, l’intérêt pour la politique ne survient que par éclipses. L’attitude la plus courante pourrait être définie comme un mélange d’indifférence et de défiance à l’égard de la politique en général, et aussi comme un fatalisme qui incline à répéter que rien ne changera jamais et qu’il n’y a rien ou pas grand-chose à attendre de la vie électorale et des changements gouvernementaux. On ne peut se défaire de l’impression que son regard a fortement évolué entre le moment où il écrivait The Uses of Literacy, au milieu des années 1950, et celui où il rédigeait les volumes de son autobiographie (à la fin des années 1980 et au début des années 1990). À plusieurs reprises, et notamment dans le chapitre où, précisément, il réfléchit sur ce que signifie écrire une autobiographie, Hoggart souligne, par exemple, qu’on évite toujours dans les classes populaires, ou plutôt qu’on ne s’y soucie guère, de construire des cadres intellectuels pour penser les expériences vécues dans l’espace et le temps. C’est comme si l’existence se heurtait simplement à une succession d’événements sans liens entre eux : une « facticité que rien n’ordonne » (« an unordered thisness »). Et c’est la raison pour laquelle les conversations au sein du foyer domestique, sur le lieu de travail, au pub, etc., sont anecdotiques ou restent sur les rails d’une opinion conventionnelle jamais remise en question. Hoggart va jusqu’à écrire que la capacité de synthétiser et de réfléchir serait par conséquent le plus grand bénéfice que peut retirer l’enfant de la classe ouvrière qui réussit à rompre avec ce conformisme généralisé (il porte le même regard sur la bourgeoisie, mais il signale que, si on trouve partout des familles et des individus qui contreviennent à une telle description, ils sont plus rares dans la classe ouvrière que dans la bourgeoisie, et que nier cette évidence, comme le font certaines personnes qui se veulent « libérées », revient à limiter les possibilités d’une analyse qui pourrait conduire au changement). Et c’est évidemment par les études et l’acquisition de la culture qu’une telle rupture peut le mieux et plus efficacement s’opérer19.

 

À lire ces différents textes de Hoggart, on pourrait conclure qu’ils sont tantôt populistes (ils magnifient le peuple), tantôt misérabilistes (ils regardent le peuple avec condescendance et accablement). Mais, au fond, ces deux attitudes ne sont pas contradictoires chez lui : elles proviennent de l’absence, dans sa démarche, d’une théorie de la domination. Ce qui est frappant – et c’est aussi le cas chez Williams, bien qu’il cite élogieusement les travaux de Bourdieu sur le système scolaire –, c’est qu’il peut décrire la privation culturelle et intellectuelle dont font l’objet ceux qui appartiennent aux classes populaires en raison de leur élimination rapide et quasi automatique du système scolaire, sans analyser le rôle de la culture légitime et du système scolaire où elle s’enseigne dans les processus de l’élimination et donc de la reproduction des classes sociales. C’est comme s’il s’agissait de registres séparés. Il s’indigne que les classes populaires soient laissées sur les bas-côtés des parcours scolaires qui mènent à la culture légitime, et il se demande comment il serait possible de leur donner accès à la connaissance des arts et de la littérature. Mais, à aucun moment, il ne s’interroge sur la manière dont la possession ou l’absence de possession de la culture légitime fonctionne comme l’un des principaux rouages de la distribution différentielle des chances d’accéder aux études secondaires et supérieures et d’y réussir. Ce qui fait défaut à ses analyses, c’est l’approche relationnelle, structurale, qui lui permettrait de rendre raison de la manière dont fonctionne le capital culturel dans la perpétuation de la structure sociale. Au fond, il est très légitimiste, on l’a vu – il croit en la valeur supérieure de la haute culture –, mais on pourrait dire que c’est un légitimisme naïf, sans analyse de la légitimité comme système, et comme système tendant à se maintenir comme système hiérarchique. Or il est impossible de penser l’élimination systématique des classes populaires du système scolaire sans s’attacher à décrypter le rôle et la fonction du capital culturel dans les mécanismes qui assurent la reproduction inégalitaire de l’ordre social.

 

Par conséquent, il convient de distinguer soigneusement les deux sens du mot « culture » : au sens ethnographique du terme, on peut parler d’une « culture populaire », mais dans le fonctionnement de la structure sociale comme système d’oppositions, cette culture populaire est vouée à se trouver toujours en position d’infériorité fondamentale par rapport à la culture légitime (celle qui s’enseigne dans le cadre des études supérieures) : dans cette structure hiérarchique, il n’y a pas de « culture populaire », ou bien cette « culture populaire » est précisément ce par quoi le « peuple » est assigné à l’infériorité20.

 

Au fond, la question fondamentale qui se trouve posée ici pourrait être la suivante : si bien des mouvements de contestation se sont appuyés sur des processus d’inversion du « stigmate », pour reprendre le vocabulaire d’Erving Goffman, qui consistent à revendiquer avec fierté ce qui est voué à la honte et à l’infériorité, est-il possible de penser que la « culture ouvrière » ou la « culture populaire » soit susceptible d’une même démarche ? Peut-on affirmer, je ne dis pas décrire, mais affirmer, revendiquer, la culture ouvrière ou la culture populaire contre la culture légitime ? Les traditions de luttes, l’histoire syndicale peuvent évidemment donner forme et sens à cette idée (encore que les traditions du mouvement ouvrier reconnaissent souvent l’ordre culturel au moment où elles contestent l’ordre social et politique). Mais il est également probable que les valeurs ouvrières risquent fort de conduire les enfants d’ouvriers à devenir eux-mêmes ouvriers.

Le livre de Paul Willis, issu d’ailleurs de la tradition des « Cultural Studies », devrait nous inciter à accueillir avec une grande prudence une telle tentation : il démontre de manière aussi déprimante qu’irréfutable que les injonctions que lancent en permanence les valeurs de la « culture ouvrière » comme ensemble de contraintes collectives qui pèsent sur chacun et lui dictent ses comportements (et qu’on peut très bien étudier ethnographiquement comme telles) conduisent les enfants d’ouvriers à refuser la culture scolaire, et que l’affirmation démonstrative de leur ethos de classe (virilité, préférence pour le travail manuel, rejet de tout ce que l’« éducation » imposerait comme discipline du corps, rapport au temps) aboutit purement et simplement à l’élimination de ceux-ci. Les garçons décrits dans ce livre s’autoéliminent ou sont éliminés, c’est la même chose, et s’orientent vers les métiers manuels, ratifiant ainsi le fonctionnement inégalitaire du monde social et sa reproduction à l’identique. Loin de contester l’ordre établi, loin surtout de contribuer à le transformer, l’habitus des classes populaires, les aspirations professionnelles et les projections de soi dans l’avenir qui en sont les expressions instaurent et réinstaurent, année après année, la stricte division entre les classes sociales, et la brutale répartition de ce à quoi les dominants et les dominés peuvent accéder21.

Célébrer l’« autonomie de la culture populaire » et pourfendre le « légitimisme » – qui consiste en réalité, si on refuse ce « isme » péjoratif qu’ont inventé à des fins polémiques, et parce qu’il faut bien exister, les tenants d’un populisme académique, à analyser en quoi la dépossession initiale de la culture légitime conduit presque fatalement à la dépossession finale de la culture légitime, et donc comment les métiers d’ouvriers des parents mènent tout aussi fatalement aux métiers d’ouvriers des enfants – apporte, on le sait, la garantie de recevoir les louanges de ceux qui aiment à exalter le « peuple », son « autonomie », sa « compétence critique » et autres balivernes inventées par l’ethnocentrisme de classe des intellectuels bourgeois qui, confondant les deux sens du mot « culture », transposent leur conception de la culture sur la manière dont ceux qui en sont dépossédés vivent et perçoivent leur existence. Il y a fort à craindre malheureusement que cet amour proclamé à l’égard du peuple ne soit rien d’autre qu’une manière de le laisser là où il est et comme il est. C’est une nouvelle ruse de la pensée conservatrice. Et, assurément, l’une des plus sinistres.

1. « Matters are not always as bad as they first appear » (The Uses of Literacy, op. cit., p. 31, et La Culture du pauvre, op. cit., p. 88). Je donne ma propre traduction. Et c’est moi qui souligne.

2. Carolyn Kay Steedman, Landscape for a Good Woman. A Story of Two Lives [1987], New Brunswick, NJ, Rutgers University Press, 2006.

3. Richard Hoggart, The Uses…, op. cit., p. 31-33, et La Culture du pauvre, op. cit., p. 87-90.

4. Sur la perpétuation des structures familiales et des rôles qui en dépendent dans les milieux de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie, voir Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Les Ghettos du Gotha. Au cœur de la grande bourgeoisie, Paris, Seuil, coll. « Points », 2010 ; Grandes Fortunes. Dynasties familiales et formes de richesse en France, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2006.

5. Richard Hoggart, « “There is no Vocabulary” : On Family Life », in A Sort of Clowning, 1940-1959, repris in A Mesured Life : The Times and Places of an Orphaned Intellectual, New Brunswick (États-Unis) et Londres (Grande-Bretagne), Transaction Publisher, 1994, p. 175 du second volet (ce volume rassemble les trois tomes de l’autobiographie de Hoggart, mais chaque tome conserve sa propre pagination).

6. Cf. Joan W. Scott, « “L’ouvrière, mot impie, sordide”. Le discours de l’économie politique française sur les ouvrières, 1840-1860 », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 83, 1990, p. 2-15.

7. Joan W. Scott, « Les femmes dans La Formation de la classe ouvrière anglaise », in De l’utilité du genre, Paris, Fayard, 2012, p. 55-88.

8. Richard Hoggart, An Imagined Life, 1959-1991, in A Measured Life, op. cit., volet 3, p. 5-6.

9. Robert Roberts, The Classic Slum. Salford Life in the First Quarter of the Century [1971], Londres, Penguin Books, 1990, p. 9. Ce livre me semble apporter un éclairage fort différent de celui que l’on trouve dans les livres de Hoggart, et, à bien des égards, il me semble rendre compte de la vie des classes populaires d’une manière beaucoup plus complexe et plus réaliste. Il en va de même pour son autobiographie A Ragged Schooling [1976], Manchester, Mandolin, 1997.

10. Richard Hoggart, The Uses of Literacy, op. cit., p. xli, et La Culture du pauvre, op. cit., p. 29 (je donne ma propre traduction) ; et Richard Hoggart, A Sort of Clowning, op. cit., p. 142.

11. Richard Hoggart, 33 Newport Street, op. cit., p. 209.

12. Raymond Williams, Border Country [1960], Cardigan, Parthian, « The Library of Wales », 2006 (j’ai commenté ce livre à la fin de Retour à Reims, op. cit., p. 246-247), et Second Generation, op. cit.

13. Raymond Williams, Politics and Letters. Interviews with the New Left Review, Londres, NLB et Verso, 1979, p. 287-289.

14. Richard Hoggart, « A Wandering Teacher », in A Sort of Clowning, op. cit., p. 71-147 ; et Raymond Williams, « Adult Education », in Politics and Letters, op. cit., p. 78-84.

15. Richard Hoggart, A Sort of Clowning, op. cit., p. 138-139.

16. Ibid., p. 134.

17. Richard Hoggart, An Imagined Life, op. cit., p. 26.

18. Richard Hoggart, 33 Newport Street, op. cit., p. 237-238 et 178.

19. Cf. le chapitre « A Shape Proper to Itself ? On Writing a “Life and Times”», in A Sort of Clowning, op. cit., p. 213-215.

20. Cf. Pierre Bourdieu, La Distinction, op. cit., p. 433-461 ; et aussi Système d’enseignement et systèmes de pensée, Congrès mondial de sociologie, Évian, 5-12 septembre 1966, Documents du Centre de sociologie européenne.

21. Paul Willis, L’École des ouvriers. Comment les enfants d’ouvriers obtiennent des boulots d’ouvriers [1977], Marseille, Agone, 2011.