J’ai passé l’après-midi à faire des bêtises. Je ne sais pas ce qui se passe avec moi, il y a des courts-circuits dans mon cerveau.
À la fin de l’avant-dernière période, j’ai dit à Michaël que je voulais lui parler sérieusement.
- Au sujet du nom que nos enfants vont porter ? il m’a demandé, un sourire aux lèvres.
- Je suis sérieuse, Mathieu.
MATHIEU ! Je l’ai appelé MATHIEU ! J’ignore vraiment pourquoi, mais son sourire a disparu.
- Comment tu m’as appelé ?
J’ai dû exploiter mes grands talents d’actrice.
- Michaël, pourquoi ?
- Tu ne m’as pas appelé Michaël, il a dit, vexé. Tu m’as appelé Mathieu.
- Hein ? Rapport ?! Pourquoi je t’aurais appelé Mathieu ?
Schnoute… En impro, j’aurais eu une punition pour décrochage, cabotinage et obstruction !
- Tu m’as appelé Mathieu !
La cloche a sonné ! Ouf ! J’ai pris mon sac à dos et même s’il me restait deux minutes pour me rendre au cours suivant et que j’étais à deux pas de la classe, j’ai fait comme s’il ne me restait que dix secondes pour atteindre l’autre bout de la bâtisse.
Je suis entrée dans la classe et j’ai attendu au dernier instant pour me rendre à mon pupitre.
J’ai hooonte !
Le pire est que je n’ose relire quelques-uns des billets précédents de peur de m’être trompée : est-ce que j’ai utilisé le nom de Mathieu au lieu de celui de Michaël, sans m’en rendre compte?
Est-ce que je deviens folle ? Genre de la démence ? Prochaine étape, je vais arriver à l’école avec ma taie d’oreiller sur la tête, un t-shirt heavy metal d’un mortvivant qui mange la Lune et des feuilles de céleri collées sur mes parties intimes ! Ou je vais circuler dans les corridors de l’école en me tortillant comme une couleuvre enfiévrée et, dès qu’on va me toucher, je vais hurler qu’on me laisse tranquille parce que je suis sur le point de pondre des œufs ou de perdre ma peau !
C’est tellement gênant. Et ça ne va pas atténuer le problème de jalousie de Michaël.
Dès que la cloche a sonné, je me suis précipitée dans le corridor pour l’éviter. Dès que j’ai vu qu’il était là, à la porte (comment il a fait pour être si rapide ?), j’ai pensé sauter par la fenêtre pour m’enfuir. Mais il y a tout de même quatre étages…
Pas eu le choix de l’affronter. Il avait toujours son visage d’ado qui vient de découvrir un premier poil sous son bras (!).
- Qu’est-ce qui se passe avec Mathieu ?
- Rien, j’ai dit, en me dirigeant vers mon casier.
- Il ne se passe pas rien. Tu t’es trompée de nom tantôt.
- Mais nooon. Arrête de capoter pour rien.
- Tu t’es trompée de nom ! il a grogné.
Je me suis arrêtée et je l’ai regardé.
- Supposons que je me sois trompée. Qu’est-ce que ça fait, hein ? Ça arrive à tout le monde de se tromper, non ?
- D’accord. Si tu le dis, Mylène.
Mylène ! Il m’a appelée Mylène ! Le nom de son ex-Réglisse noire ! Tellement chien !
(O.K., je sais que c’est aussi chien que je l’aie appelé Mathieu. Mais c’était involontaire. Je ne voulais pas le blesser !)
Il est parti. Et je ne l’ai pas revu de la journée.
Je veux casser, mais pas en me disputant avec lui. Je veux quand même rester son « amie ». Je ne veux pas être intimidée chaque fois que je vais le croiser dans un corridor de l’école ou dans l’autobus.
Je suis coincée. Si je casse et que, genre, deux semaines plus tard, je sors avec Mathieu, il va se dire que pendant que j’étais avec lui, c’est à son ennemi juré que je pensais. Je vais passer pour une fille infidèle qui va de gars en gars.
Arghhh !
En revenant de l’école, j’en ai parlé à Kim. Elle m’a expliqué que quand on se trompe de mot sans s’en rendre compte, on fait « un truc qui finit en us ». Genre « abribus ».
Sinus ? Diplodocus ? Mucus ? Cumulonimbus ? Puce ? Spartacus ? Celsius ? Gugusse ? Vénus ?
NAWAK !
Peut-être qu’elle s’est trompée.
(…)
Je l’ai ! C’est LAPSUS !
« Lapsus : faute de langage qui consiste à substituer, par inadvertance, un mot à un autre. »
C’est ça !
Bonne nouvelle : je ne suis pas folle.
Mauvaise nouvelle : je viens de lire qu’un lapsus, c’est souvent « l’expression d’un désir inconscient ». Comme si mon inconscient me jouait des tours. Genre, je montre à Michaël que je l’aime et tout et tout, mon inconscient n’aime pas ça parce que ce n’est pas vrai, alors il me pousse à dire des choses que je ne veux pas.
De quoi il se mêle, celui-là ? Ce n’est tellement PAS de ses affaires !
Je fais quoi, au juste, pour le rappeler à l’ordre, mon inconscient ?
« Cher Inconscient, je suis capable de régler mes problèmes toute seule. Pas besoin de rendre les choses encore plus difficiles qu’elles ne le sont. »
Et puis, ce n’est pas un désir inconscient… Je désire très consciemment Mathieu !
Habituellement, à cette heure, Michaël m’a déjà téléphoné. Il est vraiment fâché, cette fois !
(…)
Première journée officielle du local des Réglisses rouges. Deux personnes sont venues, dont l’une se demandait si c’était là « la récup en maths ».
L’autre personne est un garçon de troisième secondaire qui avait besoin de parler. Ça ne va pas trop bien entre ses parents, ils sont en processus de divorce et ils se disputent sa garde. C’est laid, ils n’arrêtent pas de s’insulter par personne interposée parce qu’ils ne peuvent pas se parler comme des adultes responsables.
Je ne comprends pas que deux personnes puissent vivre ensemble dix-sept ans (17 ans !), faire des enfants et après, se détester comme deux poux sur un même cheveu.
Mes parents ne se chicanent jamais. Jamais devant nous, en tout cas. La clé de leur bonheur ? Pop dit toujours oui à Mom et il ne s’obstine jamais avec elle !
Si tous les hommes obéissaient à leur femme, plus personne ne divorcerait. C’est vraiment la faute des hommes…
Bon, bon, bon. Assez de sexisme. Je vais manger.