J’ai un cellulaire !
Il est super beau, rempli de couleurs, tout en courbes, il fait de la lumière, il a des jeux, une calculatrice, il affiche l’heure, je peux regarder des films et écouter de la musique, je peux prendre des photos et faire des vidéos en haute définition. Je peux même téléphoner (oui, oui !) mais, surtout, je peux texter.
Yé ! Joie et allégresse !
(INFO DE DERNIÈRE MINUTE : Hier, Mathieu m’a dit qu’il m’avait envoyé un message « olé olé ». Mom m’en a parlé. Son message se lit comme suit : « Olé olé. » Il est nono, mon amoureux !)
Ça n’a pas été facile d’atteindre mon but. Oh, non ! Dès que Mom a démarré la voiture, elle m’a dit :
- Ne va pas t’imaginer qu’on va t’acheter un cellulaire. On va juste les voir.
Oups !
- Je sais, je lui ai dit. On va juste les voir.
Dans ma tête, il était sûr que j’allais revenir à la maison avec un membre de la famille tout neuf, un nouveau-né qui vibre, qui sonne, qui se nourrit d’électricité et qui émet des ondes électromagnétiques qui pourraient transformer mon cerveau en pâté de foie.
Il a fallu que je pense vite. Je n’ai eu qu’un seul choix : l’arme de destruction massive. Dès qu’elle s’est retrouvée sur l’autoroute, j’ai attaqué.
- Mooom…
- Oui, ma chérie.
- Supposons que je reviens un soir de pleine lune, après un party. Et que je me fais kidnapper par un malade qui a mauvaise haleine…
- Oui…
- Mettons qu’il m’attache, qu’il me bat et qu’il me force à le regarder alors qu’il est en train de faire du yoga…
- Oui…
- Comment je vais faire pour demander de l’aide ?
- Tu vas crier.
- Non, les murs de son donjon sont insonorisés.
- Alors tu vas te sauver.
- Nan, je ne peux pas, je t’ai dit qu’il m’avait attachée.
- Alors tu ne pourrais pas utiliser ton téléphone cellulaire pour te commander une pizza non plus.
Schnoute ! Elle avait vu clair dans ma manière tellement subtile de la convaincre ! Il ne fallait pas que je me laisse démonter.
- Non, pas de la pizza. Je préfère du poulet.
- Bien. Si tu ne manges pas la peau, c’est plus santé que la pizza.
Est-ce qu’elle était en train de rire de moi ?
- Revenons-en à mon psychopathe qui fait du yoga…
Mom a emprunté la bretelle d’accès qui mène au centre commercial.
- Tu me le présenteras, il a l’air d’un sympathique personnage.
- Non ! Il est vilain ! Il me torture !
- Oui, oui, je vois. Donc tu essaies de me convaincre que, si je t’achète un cellulaire, tu pourras te sortir de ce genre de situation. Par contre, si je ne te l’achète pas, eh bien ! ce sera ma faute si un fou du yoga te torture et je vais donc me sentir coupable.
Que le grand cric me croque ! J’étais repérée !
J’ai joué à l’offusquée.
- Mais nooon ! Voyons ! De quoi tu parles ? Je te présente un scénario où je suis en danger de mort et tu prétends que j’essaie de te manipuler !
- Oui.
- Mom ! Je ne te ferais jamais ça !
Elle a tapoté mon genou.
- Je sais, chérie. Désolée de t’avoir prêté des intentions malveillantes.
J’ai décidé de la regarder aller. Dans le cas où elle allait dire non, ma dernière solution était la pitié.
Je n’ai pas eu à me rendre jusque-là.
Des cellulaires, il y en a tellement ! Et il y a autant de vendeurs ! De loin, ils sont assez sexy. Plusieurs s’entraînent, donc ils sont musclés (hum, musclés, j’adore !).
Mais quand on s’approche et qu’ils ouvrent la bouche, ça se gâte.
Et ils sont vraiment fatigants. Ceux qu’on a rencontrés ont tous 18-20 ans, ils sont bronzés et ont tellement de gel dans les cheveux qu’ils sont incapables de parler au téléphone sans que les ondes restent engluées dedans.
Dès qu’on dit à l’un qu’on ne fait que regarder et qu’il s’éloigne, un autre apparaît ! Un clone ! Pitié !
Quand j’ai vu combien coûtait le téléphone que je voulais et le forfait, j’ai déchanté.
- C’est trop cher, a dit Mom.
- Je vais payer, je lui ai dit, en ne sachant vraiment pas avec quel argent.
- Ah oui ? Le téléphone et la facture mensuelle ?
Attention ! Dans l’énervement, je ne devais pas trop me compromettre !
- Non, pas tout. Tu vas m’aider un peu. Je suis une pauvre étudiante du secondaire sans le sou.
- Ouais, ouais.
J’ai laissé un silence s’installer. Quand j’ai vu un autre clone vendeur approcher, je lui ai lancé de l’eau bénite au visage et j’ai croqué dans une gousse d’ail.
- Je paie le téléphone et tu paies les factures mensuelles, c’est bon ?
- Oui !
Yé !
J’ai enfin choisi le modèle que je voulais, selon une liste que Pop avait faite des marques les plus fiables. Et ça été le temps d’appeler un vendeur. Sept cent vingt-sept sont apparus. J’ai choisi celui qui avait l’air le plus docile, le plus fringant et qui allait pouvoir supporter sans chialer le soleil de midi (hein ?).
Sauf que deux problèmes m’ont empêchée de savourer le moment tant attendu.
1. La fermeture éclair du pantalon du vendeur était au plus bas.
2. Il n’arrêtait pas de se gratter les bijoux de famille.
C’était gênant. Chaque deux secondes, gratte, gratte. Qu’est-ce qui se passait ? Et est-ce que sa braguette était baissée pour, je ne sais pas, leur faire de l’air ? Comme on ouvre les fenêtres l’été pour aérer ?
Et il a fallu que la transaction dure une éternité. Son ordi a gelé et deux des téléphones qu’il voulait me vendre étaient défectueux.
Je ne sais pas ce qui se passait dans son pantalon (et je ne veux pas le savoir !), mais il y avait de l’action. Genre une course de lévriers afghans. Et j’étais genre la seule à m’en rendre compte. Mom parlait avec le vendeur comme si de rien n’était.
À un moment donné, j’ai failli le prendre par les épaules et le secouer en lui criant : « Va dans l’arrièreboutique, gratte-toi avec un râteau et reviens, d’accord ? »
Finalement, on est parvenues à sortir de ce royaume des ténèbres et des démangeaisons gênantes.
- T’as vu ? j’ai demandé à Mom, scandalisée.
- Vu quoi ?
Mom n’avait rien vu. RIEN.
Devinez quoi, lectrices qui n’existent pas ! Fred réclame l’ordi.