Publié le 5 novembre à 19 h 02 par Nam

Humeur : Poilue

> Serai-je prête ?

Depuis la fin de l’après-midi, j’ai échangé plus de 30 textos avec Mathieu. Le vendeur disait que les ados en échangent en moyenne 3000 par mois. Si ça continue, je vais être inscrite dans le livre des records ! Je vais avoir le bout des doigts tellement musclé, ils vont gagner des concours de culturisme et, en leur mettant un bandeau et en leur fournissant une épée, ils pourront jouer dans des films de guerriers. Je vais devenir riche !Image

Dernier texto de sa part : « Es-tu prête pour demain ? »

Argh ! Demain ! La piscine !

Non ! Je ne suis pas prête !

J’ai eu un petit moment de panique plus tôt parce que je n’arrivais pas à trouver mes maillots de bain. Je ne me voyais pas arriver à la piscine en short et en t-shirt, lui crier de regarder ailleurs et faire une bombe pour cacher mon incompétence à retrouver mes vêtements. Ou me baigner nue. Ah ! Ah ! J’imagine sa réaction !

J’ai décidé de porter le une pièce. Le bikini est « inapproprié ». Et j’aurais tellement peur que Mathieu se sauve en voyant mon nombril !

(Est-ce que ça se peut, une phobie des nombrils ? […] Oui ! C’est une ombilicophobie !)

Donc, j’ai essayé mon maillot de bain, tout est beau, sauf… Sauf entre mes genoux et, justement, mon nombril. Il y a comme trop de poils. Et il n’y en a pas juste sur mon pubis. J’ai remarqué que ça s’étend sur l’intérieur de mes cuisses.

Quoi ! Pourquoi j’ai des poils là ? Ce n’est pas normal ! Mon père était le yéti, je le savais !

Sans blague, ça va s’arrêter où, cette folie ? Je vais en avoir jusqu’aux chevilles ?

Une fois de temps en temps, je coupe les poils. Parce qu’il me semble que je pourrais faire des tresses avec si je les laissais faire. Faut bien que ça arrête de pousser un jour, non ?

Tant de questions !

Je viens donc de comprendre ce que l’expression « coupe bikini » signifie. C’est retirer les poils qui sont en trop et qui risquent de ternir mon image à tout jamais. Si je porte mon maillot de bain sans faire une opération déboisement dans cette région, c’est clair que je vais me retrouver au zoo dans une cage. Et que les visiteurs vont me lancer des arachides. Et moi, je vais leur hurler de me jeter un rasoir à la place !

Je suis allée à la quincaillerie avec Pop après souper et je me suis acheté une tondeuse, un taille-bordure et un ciseau pour les haies. Sauf que le commis m’a dit que, au point où j’en suis, il me faudra probablement une moissonneuse-batteuse. Il a ajouté que, au pire, je vais devoir tout raser en jetant de l’essence et en mettant le feu. J’espère que des groupes environnementaux ne vont pas faire de manifestations devant ma maison parce que j’ai détruit l’habitat de petits animaux !Image

Je ne voulais pas en parler à Mom parce que je trouve ça un peu trop personnel. J’ai plutôt décidé de me confier à une personne de confiance, quelqu’un qui saurait me comprendre et faire preuve d’empathie pour mon problème de femme en devenir : la spécialiste des cosmétiques à la pharmacie.

Je suis allée la voir à son comptoir. Une dame à la peau bronzée, trop maquillée, avec un rouge à lèvres orange. Je ne saurais dire son âge… 183 ans, est-ce que ça se peut ? Elle est tellement plissée qu’on pourrait trouver des traces d’ADN de dinosaure en examinant une de ses rides.Image

Ahhh ! Méchante !

Mais non, elle n’est pas si pire. Sauf qu’elle a vraiment trop pris de soleil dans sa vie. Sa peau est comme du cuir. Au moins, elle va pouvoir se faire une sacoche avec son front…

Ahhh ! Méchante !

Donc je me suis présentée après m’être assurée que Pop n’était pas là. J’avais une phrase toute prête :

- Bonjour, euh, j’ai des problèmes de, euh, pilosité.

Pilosité, c’est le mot professionnel pour pouèle.

La dame avait des dents super blanches. Le contraste entre le brun de sa peau et la clarté de sa dentition était trop grand pour moi ; de la mousse bleue est sortie de mon nez.

- C’est ta moustache, ma fille ?

Ma moustache ? Eurk !

- Non, c’est, euh, plus bas.

- Le menton ?

- Non, encore plus bas.

- Les mamelons ?

Quoi ? Les mamelons ?

- Non, euh, l’entrejambe.

- O.K., t’es poilue comme un gorille, c’est ça ? T’as le teint foncé, c’est normal.

Est-ce qu’elle m’a traitéeImage de gorille ? Je vais relire ce que j’ai écrit.

Oui, elle m’a traitée de gorille.Image

Un ouistiti, ça aurait passé, pas un gorille !

Même si elle me faisait une blague, je me suis retenue à deux mains pour ne pas l’appeler crème-glacée-à-la-vanille-trempée-dans-la-sauce-au-chocolat-qui-a-durci.

Elle m’a traînée dans l’allée des produits pour épiler et… elle est partie.

Là, je me suis retrouvée devant trente-neuf produits différents. Des rasoirs, évidemment, des crèmes dépilatoires (qui sentaient la couronne funéraire), des fusils à protons désintégrateurs, de la cire et un sécateur.

Alors que je m’apprêtais à mettre la main sur une faux à la lame rouillée, j’ai entendu une voix derrière moi.

- Ta mère utilise de la cire. La repousse est moins rapide et la cire arrache le poil avec son bulbe.

C’était Pop.Image

- Et si tu le fais régulièrement, la repousse sera plus lente. Les résultats vont durer de plus en plus longtemps.

- Hum… Oh. Oui. Euh… Merci, Pop.

Pendant quelques instants, j’ai eu peur qu’il m’annonce que lui aussi, il s’épilait. Ce n’est pas arrivé; il est allé se rincer l’œil devant le présentoir des brosses à dents. (C’est vrai, il peut passer une demi-heure à lire les emballages et à s’extasier devant les nouvelles technologies. Finalement, il prend toujours la moins chère et la plus laide.)

Bref, je ne m’attendais jamais à être conseillée contre les poils indésirables par mon père. C’est lui qui paie, c’est sûr qu’il se serait rendu compte que j’ai décidé de faire la guerre aux invasions barbares.

J’ai fait comme il m’a dit, j’ai pris la cire. La moins « compliquée », parce qu’il y en a plusieurs sortes. Celle que j’ai choisie, on doit la réchauffer. On l’étend sur les poils, on applique une bandelette de coton dessus, on tire et, tadam, le tour est joué !

C’est ce que je compte faire ce soir. Samedi soir super excitant en perspective.

(…)

Michaël m’a envoyé deux courriels que j’ai mis dans la corbeille sans les lire.

Il va comprendre que lui et moi, c’est fini. Et s’il continue à insister, je vais lui dire qu’on ne sera même plus amis.

(…)

Je viens d’envoyer un texto à Mathieu. Pourquoi il ne me réécrit pas ?

Ah ! Ah ! Je suis tellement patiente.

Je vais aller me dépoiler.