C’est officiel : je sors avec Mathieu ! Mon Matou d’amour !
Cette fois, j’ai pris les devants. Parce que je me suis dit qu’il devait sûrement attendre que je sois prête, j’ai foncé.
Faut dire que ça n’a pas super bien commencé. J’étais vraiment nerveuse. Dans ma tête, il n’y aurait que moi dans la piscine. Mathieu allait m’observer avec des jumelles pendant que je nagerais en p’tit chien.
Ou il y aurait un super gros malaise parce qu’il me sortirait de la piscine, croyant que je me noie, alors que je n’y aurais que (mal) nagé.
Ou bien il regarderait les autres filles, celles qui seraient en bikini et qui auraient de plus gros seins que les miens (pas dur à battre). Ou qui iraient se promener autour de sa chaise de secouriste en se dandinant les fesses et en faisant des pets avec leurs dessous de bras.
J’étais anxieuse à l’idée de devoir me déshabiller devant tout le monde. Il y a des trucs que je ne veux pas vraiment partager avec des inconnus. Bien sûr, à cause des brûlures au septième degré à l’intérieur de mes cuisses, mais aussi à cause du reste : mes fesses, mon pubis, mes vergetures, mes seins… Je suis gênée d’être en maillot en public, s’il faut en plus que je me dénude !
Je m’énervais tellement pour rien. Dès mon entrée dans le vestiaire, j’ai eu droit à une parade de veilles dames nues qui ne se stressaient plus avec leur corps depuis longtemps. Quand je dis vieilles, ce n’est pas comme ma mère, genre 45 ans. (Ah ! Ah ! Elle déteste quand je lui rappelle son âge.) Je parle du double : la moyenne était d’au moins 93 ans. Quand je suis apparue, la moyenne est descendue à 92,8 ans.
Certaines m’ont longuement dévisagée. Comme si je n’avais pas ma place. J’avais le goût de leur dire : « Moi aussi, j’ai 128 ans, c’est juste que, depuis ma naissance, je mange cinq portions de fruits et de légumes par jour et que je me badigeonne le corps de Vaseline ! »
Honnêtement, je n’arrive pas à croire qu’un jour, je serai comme ces femmes. Je capote quand mes cheveux ne sont pas parfaits, comment vais-je supporter de m’enfarger dans mes seins quand je n’aurai pas de soutiengorge ? Sans blague, j’en ai vu une qui pourrait les utiliser comme lasso dans un rodéo pour attraper les pauvres petits veaux.
Je ne veux pas être méchante. C’est juste qu’on voit toujours des images de filles « parfaites » (ultra « photoshopées », je sais). Il y en a partout. Il paraît que dans le milieu de la mode, une mannequin est vieille à 20 ans. 20 ans !
Sans parler de toutes ces actrices qui deviennent hystériques dès qu’elles ont une ride. Et qui utilisent le botox jusqu’à ce qu’elles ressemblent à des poupées de cire.
Schnoute… J’ai 14 ans et j’ai déjà peur de vieillir !
Revenons donc à mon après-midi. Je sentais que quelque chose clochait. Pourquoi n’y avait-il que moi de moins de 85 ans ?
Je me suis dit que c’était un hasard. Que les autres devaient déjà barboter dans la piscine.
Puis, la catastrophe : j’avais oublié la jupette de Mom pour cacher le drame de mon épilation ! J’allais devoir user de stratégie. J’ai pensé arracher un rideau des douches, mais je me suis dit que ça allait complètement compromettre mon style. J’ai noué ma serviette autour de ma taille et j’ai foncé. Une fois au bord de la piscine, je trouverais le moyen d’aller dans l’eau sans me faire remarquer.
Dès que je suis sortie du vestiaire, mon œil de lynx a constaté que la piscine était remplie de… personnes âgées. Que ça ! Il y en avait au moins une trentaine. Et qui est devenue le centre d’attraction ? Bien deviné.
J’ai vu Mathieu s’approcher. En maillot de bain, bien entendu. Il est tellement chaud, ce gars ! J’ai eu des frissons en le voyant. Pour exprimer mon trouble devant la beauté de son corps, j’ai senti le besoin irrépressible de lâcher une suite d’onomatopées : Hummm ! Tchou, tchou ! Glou, glou ! Froutch ! Badaboum ! Aïe ! Whouaf ! Vroum, vroum ! Drelin, drelin ! et autres miam-miam !
Mais je me suis retenue.
La première chose qu’il m’a dite en me regardant dans les yeux :
- T’es super belle.
Ahhh ! Trop adorable.
Puis il s’est excusé. Il avait oublié que c’était l’heure de l’aquaforme pour les 65 ans et plus.
- Mais reste, ça va être drôle. Tu as oublié ton casque de bain ?
- Mon casque de bain ? Quel casque de bain ?
J’ai regardé dans la piscine: tous en portaient un.
- Je t’ai envoyé un texto, il y a peut-être une heure. Je te laisserais bien y aller sans, mais ma patronne est là, je n’ai pas le choix.
Il n’était pas question que je porte un bonnet de bain ! Je ne voulais pas avoir l’air d’un œuf épilé qui nage !
- Je n’en ai pas. Pas grave, je vais rester ici et te regarder.
Une voix a dit derrière moi :
- Mais non, mais non. J’ai la solution.
C’était une vieille dame, Madame Tranquille, m’a dit Mathieu. Elle est retournée au vestiaire pour aller chercher sa solution. Pendant quelques instants, j’ai eu peur qu’elle revienne avec un sac à pain dont je devrais me coiffer pour ne pas la vexer.
Mais c’était pire. Elle m’a remis le bonnet de bain le plus ignoble jamais créé. Un truc rose avec des grosses fleurs mauves dessus. Et un papillon sur le front.
Madame Tranquille me l’a elle-même posé sur la tête.
- Je ne le mets plus parce qu’il me donne des cham pi gnons.
Des champignons ?! Ewww ! Où ? Dans le fond de la tête ? Dans les oreilles ?
J’ai préféré croire que j’avais mal compris. Madame Tranquille semblait très heureuse de pouvoir me venir en aide.
Mathieu a esquissé un sourire narquois.
- T’es encore plus belle comme ça.
- J’ai l’air d’un jardin.
- Le plus beau jardin du monde.
Madame Tranquille s’est rapprochée et je l’ai entendue dire à Mathieu :
- Dans le fond, je ne le porte pas… parce qu’il est trop affreux.
Puis elle est partie vers la piscine en ricanant.
J’ai pensé m’en aller. J’étais venue avec la conviction que ce serait « le plus beau jour de ma vie », pas « le moment le plus humiliant de mon existence ». Ça, tsé, j’en ai toute une collection.
Alors que j’allais retraiter en pleurant et en arrachant les poils de mes sourcils, un homme dans la piscine a crié :
- Allez, la vieille, viens nous rejoindre !
Misère.
Je suis donc allée faire de l’aquaforme avec ces sympathiques vieillards, ce qui a beaucoup amusé Mathieu.
Pendant une heure, j’ai « tonifié le haut et le bas de mon corps », « renforcé mes muscles abdominaux », « pratiqué des exercices articulaires », « médité en mouvement pour améliorer mon équilibre ». Pendant les 10 minutes de bain libre, j’ai évidemment nagé en p’tit chien.
Bref, j’ai donné à tous l’impression que j’avais réellement 92 ans.
À la fin, on a échangé nos adresses électroniques. En fin de semaine, je vais me procurer une canne et les accompagner pour aller faire du porte-à-porte afin de retrouver le dentier de la doyenne du groupe.
Je leur ai appris un mot : « nawak ». À attribuer à quelque chose qui est « n’importe quoi ». Madame Tranquille a compris : elle m’a donné son bonnet de bain (trop gentille !) parce qu’il est nawak. Et qu’il lui donne des champignons.
J’espère qu’elle rigolait…
(…)
Même si je n’ai pas fini (le croustillant s’en vient !), Fred a ABSOLUMENT besoin de l’ordi, paraît que « l’heure est grave ».
Je vais en profiter pour faire mes devoirs.