J’ai écrit un courriel très court à Michaël. « Je veux absolument te parler, appelle-moi. » Je lui ai laissé mon numéro de téléphone cellulaire.
J’espère qu’il va me donner un coup de fil. Parce que je me trouve vraiment nulle.
Je n’ai pas soupé. Mom est venue me voir pour me demander ce qui n’allait pas. Je lui ai juste dit que j’avais mal au cœur.
Elle m’a laissée tranquille, mais il était clair qu’elle ne me croyait pas.
Mathieu aussi m’a demandé ce que j’avais. Je ne veux pas lui en parler. Il pourrait croire que j’aime encore Michaël.
J’aurais tellement dû me calmer les nerfs. Je m’en veux ! J’ai agi comme une Réglisse noire.
(…)
Je dois trouver un nom pour le journal étudiant. Genre, tout de suite. Parce que demain, Monsieur Patrick doit remettre un plan à la direction.
Avec Matou (qui va collaborer, il veut être photographe), on en a déniché quelques-uns :
Le NAWAK : NAWAK voulant dire « n’importe quoi », pas sûre que ce soit crédible.
Le 1263 : le nombre d’élèves dans l’école actuellement (mais quand il y en a un qui va être transféré ou qui va décrocher, faudra changer de titre, non ?).
Tout le monde tout nu ! : j’ai lu quelque part que le sexe faisait vendre. J’ai pensé qu’on pourrait mettre des photos d’un professeur nu à chaque édition. Ah ! Ah ! ça va devenir une publication spécialisée sur les horreurs de la nature (ahhh, pas fine !).
Caca dans le pot : O.K., je n’avais plus vraiment d’idées, mais c’est quand même un livre que j’ai trouvé à la bibliothèque de l’école et que j’ai lu en ENTIER, de la page 1 à la page 4. Ce serait un genre d’hommage à ma découverte. Ou quelque chose du genre.
Et mon préféré :
L’Écho des élèves desperados : je l’adore parce qu’il a un côté croustillant que j’aime, car desperado signifie « un individu sans foi ni loi et prêt à tout pour parvenir à ses fins, même à faire des gestes désespérés ». Ça ne passera JAMAIS, mais on peut toujours espérer.
C’est mille fois mieux que Les amis de l’école secondaire, non ?
(…)
J’ai reçu des messages des filles de ma classe, elles se demandent ce qui se passe avec Michaël et si je sors avec Mathieu. Les rumeurs vont vite.
Euh… C’est comme pas de vos affaires, les filles ?
Je savais tellement que cette histoire allait dégénérer. Là, je passe pour celle qui butine d’un garçon à l’autre telle une bergère dans un champ d’avoine, allant d’un mouton à l’autre pour les caresser.
C’est plein de personnes qui doivent se dire, présentement : après tout ce que Michaël a fait pour elle, elle ose le laisser pour un autre gars ! Quelle vache ! Meeeuh !
C’est pas mal plus compliqué que ça. Je n’étais pas heureuse avec Michaël. Je me sentais forcée de l’aimer. Et il ne m’écoutait pas. J’étais comme son accessoire.
Il ne m’a toujours pas rappelée. Je regarde mon cellulaire toutes les cinq secondes, question de m’assurer que je n’ai pas manqué son appel.
Est-ce qu’il est furax contre moi et qu’il commence à raconter des trucs absurdes sur mon compte (qu’il y a un temple dans ma chambre où il m’arrive de sacrifier des bébés chèvres au dieu des Réglisses rouges !) ? Est-ce qu’il répand des rumeurs insensées (que tout le monde et la bibliothécaire vont croire, bien sûr) ?
Naaan. Ce n’est pas son genre. Pas du tout.
Enfin, j’espère…
(…)
J’ai officiellement changé mon adresse courriel. J’ai envoyé des messages à tous mes amis pour les avertir et j’ai fermé mon ancien compte.
C’est finalement une bonne affaire. En plus de rendre les choses plus difficiles pour la gentille personne qui m’envoie des mots doux, je vais pouvoir me débarrasser des tonnes de pourriels que je recevais chaque jour. Incroyable, la quantité de cochoncetés qui envahissaient ma boîte de courrier. Des trucs hallucinants. Je ne peux pas penser qu’il y a des gens qui y croient.
Comme dit Grand-Papi, quand c’est trop beau pour être vrai, eh bien, c’est trop beau pour être vrai !
Des fois, quand je n’avais rien à faire (genre, RIEN à faire), je m’amusais à ouvrir les messages. C’est fou comme ces gens nous prennent pour des imbéciles. Mais s’ils continuent, c’est que ça doit marcher, non ? Genre, une fois sur un million ?
Je suis toujours étonnée par la créativité (ou la noncréativité) dont ils font preuve. Il y a vraiment des gens payés pour écrire ces niaiseries-là ? Ils font ça de neuf heures du mat à cinq heures de l’après-midi ? Et sur leur carte professionnelle, c’est écrit quoi ? Qu’ils sont des faiseurs de spam ? Des géniteurs de pourriels ? Des inventeurs de supercheries virtuelles ? Des producteurs de cochonneries ? Des receleurs de prout-prout cybernétiques ?
J’imagine que les ficelles de leur arnaque sont tellement grosses que des gens pourraient penser que c’est vrai.
Ceux dont je me souviens, avec mes notes sur 10 pour la menace, l’originalité et la vraisemblance :
On me disait que mon adresse courriel allait être détruite au lance-flammes si je n’envoyais pas mon mot de passe et la réponse à ma question secrète dans les 24 heures.
Menace : 6 -Originalité : 3 - Vraisemblance : 1
Une princesse africaine est en prison (mais elle a accès au Web !) et elle désire transférer un milliard de millions de centaines de trillions de dollars dans mon compte de banque. Elle me promet 10 % de cette somme si j’accepte son entente. Mais pour ça, je dois payer les frais d’administration du transfert.
Menace : 1 - Originalité : 6 - Vraisemblance : -1
Une femme qui veut mon bien (!) me promet que je vais gagner plus de 742 $ (pile !) par jour en fabriquant des bombes atomiques à la maison. Faut juste que j’achète le kit de départ à 1 042 $ (pile !). La compagnie s’occupe de vendre le matériel à des terroristes.
Menace : 1 - Originalité : 8 - Vraisemblance : -6
Les bases de données d’une banque (même pas la mienne) ayant été mangées par un hippopotame, je dois leur envoyer immédiatement mon numéro d’utilisatrice et mon mot de passe, la réponse à la question secrète, mon numéro d’assurance sociale et un peu de ma salive dans un pot à médicament.
Menace : 5 - Originalité : 9 (hippo !) - Vraisemblance :10 - (hippo !)
C’est sans compter les milliers de messages qui ont à cœur les droits d’égalité dans la société, en ne considérant surtout pas les femmes comme des objets sexuels.
Donc, je repars en neuf et…
OMG ! Michaël m’a écrit !