Pendant la première période de l’après-midi, la secrétaire de Monsieur M. m’a fait demander. Le temps que je me rende à son bureau, j’ai inventé au moins cent scénarios-catastrophes où j’allais être accusée d’un crime que je n’avais pas commis.
Monsieur M. m’a appris que des policiers l’ont avisé du harcèlement que je subis et de la plainte que Mom a déposée. Une enquête est officiellement ouverte.
- Ça veut dire quoi, ça ?
Il a pris son coupe-papier et s’est mis à le faire tournoyer dans ses mains.
- Ça veut dire qu’ils considèrent la situation comme suf fisamment grave pour que des enquêteurs consacrent du temps sur le cas.
- J’imagine que c’est une bonne nouvelle.
- J’aurais préféré qu’aucune de mes élèves n’ait à subir cela. J’ai reçu quelques plaintes de parents d’élèves, mais je leur ai tout expliqué.
- Merci. J’ai honte.
- Avec cette histoire d’impro, ces messages haineux et cette photo, il est clair que quelqu’un t’en veut. Tu as une idée de qui ça peut venir ?
- Oui, mais je n’ai aucune preuve, je n’ai que des indices.
- Jimmy ?
- Non, pas lui. Je ne pense pas. C’est plutôt une fille. Elle s’appelle Mylène. C’est l’ex de mon ex, mais là, ils ne sont plus ex, ils sont de nouveau ensemble.
- Toujours divertissantes, les histoires d’amour compliquées. C’est une élève de l’école ?
- Non, elle habite dans la ville voisine.
Je lui ai donné le nom et je l’ai décrite.
- Pourquoi elle t’en voudrait ?
- Michaël l’a laissée pour moi. Alors elle ne m’aime pas. C’est vraiment la seule qui pourrait me détester autant.
- Tu pourrais être surprise.
Surprise ?
- Pourquoi dites-vous ça ? Beaucoup de gens me détestent ?
- Non, non. Tu déplaces beaucoup d’air et tu as une forte personnalité. Tu es une cible parfaite pour des personnes qui manquent de confiance en elles. Tu les déranges.
- Euh… C’est un défaut ?
- Non, mais ce n’est pas surprenant. Tu es ce que tu es, tu dois faire avec. Je vais donner un coup de fil à mon ami de l’école secondaire voisine. On se connaît bien. Entre-temps, j’ai parlé à ta mère ; il faudra que tu t’efforces de limiter les dégâts.
- Comment ?
- Pendant les deux heures qui viennent, ma secrétaire va te prêter son ordinateur. Crée-toi une fiche et sur le babillard de chaque personne qui a été insultée, explique qu’on a volé ton identité et excuse-toi.
C’est donc ce que j’ai fait cet après-midi. Mylène a sali plus de 19 babillards virtuels. Dans chacun, j’ai laissé ce message :
Bonjour, mon nom est Namasté (la vraie !). Quelqu’un se fait passer pour moi et répand des méchancetés. Je vous demande d’effacer ses messages et de mentionner aux administrateurs de Fesses-de-bouc que je suis victime d’un vol d’identité. Je suis vraiment désolée de ces inconvénients. Vous pouvez me joindre à…
Ça fait du bien de reprendre le contrôle de la situation. Et je me sens bien entourée.
J’ai juste hâte que tout cela se termine.