Le lundi, j’avais rendez-vous à l’heure du déjeuner avec Doug336. Notre relation prenait tournure. Autrement dit, nous avions échangé quelques mails, puis nos photos respectives, avant de visiter nos pages Facebook mutuelles. Le cyber-rituel de base qui tenait lieu d’interaction humaine de nos jours. Annie était très confiante.
— Ça va t’aider à te sortir du marasme, tu verras.
Comme si elle était une grande experte en matière de cœur brisé, après les six maigres heures où Jack et elle avaient été séparés, au cours de leur année de première !
— Je te promets que Mark ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir.
Possible, admis-je, tout en choisissant mes vêtements du jour avec plus de soin encore qu’à l’ordinaire. Non seulement j’allais déjeuner avec un homme qui était peut-être Le bon, mais Muriel entamait sa première journée de travail à Green Mountain Media. L’idée seule me donnait des crampes à l’estomac.
— Mais non, mais non, admonestai-je mon reflet dans le miroir. Tout va bien se passer. Et regarde-toi : tu es jolie comme un cœur !
J’avais vraiment besoin d’appréciations positives, aujourd’hui. Et de tenir fermement mon rôle de jeune directrice artistique cool et créative. J’avais arrêté mon choix sur une petite robe formidable, jaune or, appariée à une paire de talons rouges qui déchirait. Collier en grosses perles orange et rouge. Sac en daim orange.
Damien me regarda me débattre avec la porte pour entrer avec un plateau couvert de scones.
— Tu peux m’aider, Damien, s’il te plaît ?
— Je suis occupé, rétorqua-t-il, comme l’indiquait l’unique feuille de papier qu’il tenait à la main.
— Tu es vraiment un rat, grommelai-je en me frayant un chemin à l’intérieur. Pas de scones pour toi.
— Je suis au régime… Elle est là, précisa-t-il à voix basse.
Je marquai un temps d’arrêt.
— O.K. Super. Génial.
Avec une grimace exprimant un mélange de compassion et d’écœurement, il s’assit à son bureau.
Les locaux de Green Mountain Media formaient un triangle. Le domaine de Damien se trouvait à la base. C’était un espace ensoleillé avec plusieurs de nos affiches encadrées aux murs, de grands ficus, un canapé et une table basse en face du bureau de verre de Damien. Ensuite venait le service de création artistique, un espace ouvert où régnait un joyeux chaos. Un lieu plein à craquer de Macs à grands écrans, d’imprimantes, de scanners et de kilomètres de câbles et de cordons. Pete et Leila, maîtres incontestés en leur domaine, y communiquaient à coups d’acronymes propres aux geeks de leur espèce. A l’endroit où le triangle allait en se rétrécissant se trouvait le bureau de Karen, qui était grand et sombre à cause des stores toujours fermés (nous suspections Karen d’avoir des vampires parmi ses ascendants, car elle détestait le matin et la lumière). Le domaine de Fleur était juste en face. En temps que directrice de création, j’avais un espace plus grand, plus près du sommet du triangle où officiait Mark. Depuis ce matin, le bureau vide en face du mien était occupé par la dernière en date de nos recrues : Mlle deVeers.
Je me rapprochai à contrecœur. Mark se tenait dans l’encadrement du bureau de Muriel.
— Salut, Callie.
Il me sourit, comme s’il s’agissait d’un lundi matin ordinaire.
— Salut, patron, lançai-je, rassurée d’entendre que ma voix sonnait normalement.
Je m’immobilisai, encombrée par le plateau de scones qui commençait à peser. La bride de mon sac glissa sur mon épaule.
— Bonjour, Muriel. Bienvenue à Green Mountain Media.
Elle était debout à côté de Mark, une hanche arquée.
— Salut, rétorqua-t-elle en m’examinant des pieds à la tête, les narines frémissantes. Comment vas-tu, Calliope ?
— Super. Et toi ? Tu t’organises ?
— C’est fait.
Muriel était belle, pas moyen de le nier. Ses longs cheveux noirs rassemblés dans la nuque en une torsade sévère mettaient en valeur son visage étroit de reine des glaces. Ses yeux étaient d’un étonnant gris pâle scintillant et sa peau plus blanche que blanche, avec juste deux cônes d’un rouge fiévreux sur les joues, comme si elle était consumée par la phtisie. Elle portait un ensemble noir très ajusté, qui sentait son Armani — et paraissait fine et maléfique, avec sa chemise de soie noire. Elle devait faire au maximum un trente-six et je me sentis aussitôt trop ronde, trop molle et globalement trop volumineuse.
— Bon, je vais peut-être aller poser ces scones sur…
Muriel me coupa froidement la parole.
— Je peux te parler un instant ?
Je posai les yeux sur Mark, qui me retourna un regard inexpressif.
— Euh… oui. Bien sûr.
Mark s’écarta pour me céder le passage.
— Je vous laisse entre filles, alors. C’est joli, ce que tu portes aujourd’hui, Callie.
— Merci.
Il sourit et ferma la porte. Posant le plateau sur la seule surface disponible, le bureau de Muriel, je commençai à avoir un peu chaud, tout à coup. Le parfum de Muriel saturait l’atmosphère. Je me forçai à sourire.
— C’est super, ici.
Super si on aimait les atmosphères froides et stériles, du moins. Le domaine de Muriel avait été remis à neuf pendant le week-end et le bureau standard avait disparu, remplacé par quelque chose de blanc, de lisse et d’ultramoderne. Un somptueux fauteuil en cuir blanc complétait l’ensemble. Aux murs étaient accrochées quelques photos d’Ansel Adams — en noir et blanc, forcément. Connaissant la fortune des deVeers, il s’agissait à coup sûr d’originaux. Bibliothèques et casiers noirs — murs blancs. Une photo de Muriel avec M. deVeers en tenue de ski en haut d’une montagne. La mère de Muriel était morte lorsqu’elle était encore enfant, crus-je me rappeler.
Muriel prit place dans son fauteuil de reine des banquises.
— Assieds-toi, dit-elle en me regardant avec ses yeux gris scintillants.
J’obéis, avec l’impression d’avoir été convoquée dans le bureau du proviseur, ce qui, je vous le jure, ne m’était jamais arrivé dans la vraie vie.
— Je t’offre un scone, Muriel ? Je les ai faits ce matin.
— Non merci.
Elle plaça ses mains devant elle sur la surface lisse du bureau. Je lui jetai un regard interrogateur.
— Alors ? Que voulais-tu me dire ?
Elle m’examina de nouveau de la tête aux pieds, comme si elle tenait un insecte sous la lentille de son microscope.
— J’ai pensé qu’il valait mieux que tu saches que je suis au courant, pour la petite passade entre toi et Mark, il y a quelque temps.
« Passade » ? C’était ainsi qu’il lui avait parlé de nous ? Mon cœur tressaillit. Tout en moi tressaillit, en fait. Car elle sourit, d’un petit sourire mauvais, à la Cruella de Vil.
— Je ne voulais pas que tu te sentes obligée de le cacher. Ça ne doit pas être facile d’avoir ce genre de sentiments pour son employeur.
— Oh ! ce n’est pas un problème, mentis-je vaillamment. J’ai connu Mark toute ma vie et nous sommes de très bons amis. Mais merci, en tout cas.
Je m’efforçais de me montrer aussi calme, froide et nonchalante qu’elle, même si je bouillais comme une cocotte sous pression.
Muriel haussa un noir sourcil soyeux.
— Mmm… Je t’admire de pouvoir passer outre. Je ne sais pas si je serais capable de travailler avec l’homme que j’aime, si nos sentiments n’étaient pas réciproques.
Impressionnant ! Sérieusement, hein ? Il fallait un culot d’acier pour proférer une vacherie pareille avec autant de calme et d’aplomb.
— Je peux t’assurer que la situation ne me pose aucun problème, rétorquai-je d’une voix claire, même si ma gorge se nouait dangereusement.
— Eh bien, tant mieux pour toi, Callie. Maintenant, excuse-moi, mais j’ai du travail.
Je me levai, les jambes flageolantes, et me dirigeai vers la porte.
— Callie ? rappela Muriel tout en griffonnant quelque chose sur un carnet.
— Oui ?
Elle ne leva pas les yeux.
— Tu oublies ta collation.
— Les scones sont pour tout le monde, protestai-je, sur la défensive. Je fais toujours de la pâtisserie le lundi. Pour les réunions de production.
Elle ne répondit pas, se contentant de me jeter un bref regard sceptique, comme si elle pensait que j’allais bondir de l’autre côté du couloir avec mes scones et engloutir la douzaine d’affilée.
Prenant soin de ne pas laisser le plateau la heurter, au hasard, en pleine figure, je le pris et sortis, fermant sans bruit la porte derrière moi.
* * *
L’essence même de la publicité est de faire en sorte que les gens aspirent à quelque chose. En tant que directrice de création, j’avais mission, en gros, de trouver le concept, l’idée de base d’une campagne de pub. Mais pour moi, c’était beaucoup plus que cela. Je vivais mon boulot comme quelque chose de magique. Lorsque je m’occupais d’un compte, on m’offrait la possibilité de redéfinir un produit, de me centrer uniquement sur ses qualités, de convaincre les autres de sa valeur, de sa désirabilité. En substance, je ne voyais que le positif. Ce qui avait toujours été mon point fort.
Mark était responsable de comptes pour tous nos clients, même si je savais que Fleur avait bon espoir de s’élever dans la chaîne alimentaire. Pour le moment, elle était en dessous de moi, et se chargeait de la basse besogne qui consistait à rédiger la copie avant de me la confier pour approbation et remaniements éventuels. Pete et Leila s’occupaient de l’aspect graphique : mise en page, polices de caractères, agencement de couleurs et autres joyeusetés. Karen réservait les espaces publicitaires, payait les factures et était en relation avec nos vendeurs. Quant aux fonctions de Damien, elles consistaient à répondre au téléphone, à prendre des rendez-vous et à aduler Mark sans modération.
A notre petite équipe venait désormais s’adjoindre Muriel. Jusqu’à maintenant, personne dans l’agence n’avait travaillé que sur un seul compte. Mais Bags to Riches était notre premier très gros client. Ils voulaient une énorme campagne nationale sur tous les supports : radio, presse, TV, internet, affichage. Ce matin, Muriel était censée nous présenter en détail les attentes de Bags to Riches. Nous commencerions ensuite à jouer avec quelques idées. J’avais déjà préparé quelques maquettes.
Dix minutes plus tard, donc, l’équipe au complet se retrouva en salle de conférences. Je posai mes scones au milieu de la table.
— Mmm… Tu es bénie des dieux, Callie.
Pete en piqua un sur le plat, en sectionna un bout et commença à nourrir Leila à la becquée, comme un cardinal mâle prenant soin de sa femelle.
— Ils ont l’air délicieux ! s’exclama Mark en m’adressant un de ses sourires. Muriel, Callie est une pâtissière hors pair. Tu veux en goûter un ?
Elle leva vers lui un regard confiant.
— Plutôt deux fois qu’une, je meurs de faim.
— Oh ! bloody hell ! s’écria Fleur, qui avait la prétention de ne jurer que dans le plus pur anglais britannique. Ne me dis pas que tu peux manger des hydrates de carbone tout en gardant cette silhouette ! La vie est vraiment trop injuste. Je suis Fleur Eames, au fait.
Fleur cessa d’agiter son sachet de thé dans son mug et serra la main de Muriel.
— Désolée d’arriver en retard, folks ! Vous ne devinerez jamais ce qui m’est arrivé ! J’ai bien cru que cette idiote de biche allait me foutre mon pare-brise en l’air.
— Tu as renversé une biche ? m’écriai-je un peu trop vite.
Fleur me jeta un regard en coin.
— Presque. Mais j’ai eu tellement peur que j’ai dû m’arrêter au bord de la route pour m’en griller une petite.
— Enchantée, dit Muriel.
Fleur la gratifia d’un sourire.
— Je me réjouis de ta présence parmi nous, Muriel. J’ai entendu plein de bonnes choses à ton sujet.
— Lèche-cul, chuchota Damien en prenant sa place coutumière à côté de moi.
Mark ouvrit la réunion.
— O.K., tout le monde est là ? Je propose qu’on commence. Vous avez tous fait connaissance avec Muriel et nous avons les scones de Callie pour soutenir nos efforts.
Il m’adressa un clin d’œil complice et je dus faire un effort pour sourire en retour. Ah, cette bonne vieille Callie, si pâtissière dans l’âme…
— Muriel, tu démarres ? Dis-nous tout ce que nous avons besoin de savoir au sujet de Bags to Riches.
— Avec plaisir. Pour commencer, je veux que vous sachiez tous à quel point je suis heureuse d’être parmi vous.
Elle promena un sourire sur chacun d’entre nous, puis s’éclaircit la voix en jetant un coup d’œil sur ses notes.
— Bags to Riches est une société qui fabrique des vêtements d’extérieur à partir d’un mélange original de coton et de sacs en plastique recyclés.
Elle parlait d’une voix confiante et sonore, comme si elle s’adressait à un stade de foot au complet.
— Nos vêtements ciblent une clientèle jeune et aisée, des amateurs de sports d’extérieur, comme la randonnée et le VTT.
Muriel se tut et, le regard grave, prit le temps de nous dévisager tour à tour. Les traits impassibles, Damien me décocha un coup de pied sous la table.
— Notre objectif est de toucher cette population à travers différents médias et d’augmenter les ventes. Merci.
Là-dessus, Muriel se rassit. Mark lui jeta un regard déconcerté, mais elle lui sourit avec modestie avant de baisser les yeux sur ses mains.
— Mmm… O.K. Super, Muriel… Voyons, Callie… Des idées ?
Je jetai un coup d’œil à Mark puis à Muriel. Les informations qu’elle venait de donner étaient si basiques que même un élève de CM2 aurait pu faire sa présentation. Lorsque Mark nous présentait un compte, il nous fournissait toujours une foule de détails : la durée de la campagne, les marchés qui étaient porteurs et ceux qui l’étaient moins, les produits dérivés, etc.
— Tu… euh… as terminé, Muriel ? m’enquis-je prudemment.
— Absolument, Callie. Mark m’a dit que tu présenterais quelques-unes de tes idées. On peut les voir ?
Je cherchai le regard de Pete, qui haussa les épaules.
— Bon, la spécificité de l’entreprise, à l’évidence, c’est l’élément sac en plastique recyclé. C’est donc là-dessus que nous mettrons l’accent.
— Evidemment, murmura Muriel.
Je me tournai vers elle.
— Mon premier projet cible le consommateur masculin jeune : diplômés d’université, jeunes adultes de vingt-cinq à quarante ans, gagnant plus de cinquante mille dollars par an.
Je me penchai pour prendre ma première affiche (je n’ai rien contre PowerPoint, mais j’ai tendance à être de la vieille école, pour mes briefs création) et lus l’accroche à voix haute. Laisse ta marque, sauve la planète. Vêtements d’extérieur BTR. L’affiche montrait un beau mec en sueur, son sac à dos à côté de lui, debout au sommet d’une montagne, dominant des étendues sauvages.
Mark sourit et je ressentis l’habituel fourmillement de plaisir au creux de mon ventre.
— Chouette boulot, commenta Leila.
— A croquer, susurra Karen en mordant dans son scone. Je parle du gars sur la photo, bien sûr.
Satisfaite, je poursuivis sur ma lancée.
— Je propose que nous tournions toutes nos pubs dans des parcs nationaux. Si BTR accepte de cracher un peu d’argent, nous pourrons ajouter un truc du genre « Nous sommes fiers de sponsoriser Yellowstone Park » ou autre. Et…
— Mais ça ne va pas du tout ! Il ne porte même pas de vêtements Bags to Riches ! protesta Muriel.
Un silence tomba dans la salle de conférences.
— Il s’agit d’une ébauche, Muriel, expliqua Mark en lui tapotant la main. Une maquette.
Comme elle le regardait sans comprendre, il expliqua patiemment :
— Ce n’est pas la vraie pub. C’est juste une idée. Un projet.
— Ah bon… Eh bien…
Elle plissa les yeux en examinant l’affiche.
— Le nom de la société, c’est Bags to Riches. Pas BTR.
Je rebondis là-dessus :
— Oui, justement. Je ne pense pas que Bags to Riches convienne. C’est un peu… comment dire ? Connoté. Ça véhicule l’idée que quelqu’un s’enrichit dans l’affaire. Et même si je suis persuadée que ce sera le cas, ce n’est pas forcément l’impression qu’il serait judicieux de donner.
Ma réflexion fit rire tout le monde sauf Muriel.
— Je doute que mon père accepte, marmonna-t-elle. Bon allez, on passe à la suite, Callie. Tu as autre chose à nous montrer ?
Je jetai un regard à Mark, qui gardait les yeux fixés sur le plateau de la table.
— Oui, j’ai autre chose, Muriel. Passons au public-cible féminin.
Je sortis ma maquette suivante, dont j’étais assez fière. C’était une photo d’archive où on voyait une femme grimpant dans un canyon, accrochée au-dessus d’un précipice, trempée de sueur et le visage crispé par la concentration. « Habillée comme un sac ? Non, habillée avec des sacs. Sportswear BTR. »
— Fantastique, Callie ! s’exclama Pete.
Mark hocha la tête d’un air approbateur.
— En plein dans le mille.
Je souris.
— Je ne sais pas exactement quel budget on peut mettre, mais j’aimerais faire appel à une ou deux célébrités, connues pour leur engagement environnemental — Leonardo di Caprio, par exemple.
— Pourquoi lui ? Il fait de la rando ? demanda Muriel.
Je demeurai coite un instant. Regardai Mark, soudain très occupé à gribouiller sur son carnet. Jetai un coup d’œil à Damien, qui ouvrait des yeux ronds.
— Si nous associons un visage connu à la marque, surtout s’il s’agit de quelqu’un qui défend une cause, nous désignons BTR comme…
— Pas BTR, Bags to Riches, rectifia Muriel.
Je pris mon mal en patience.
— D’accord… Les gens s’identifient aux célébrités, n’est-ce pas ? C’est pourquoi J. Crew vend tout ce que porte Michelle Obama.
— J. Crew n’est pas notre concurrent, Callie, coupa Muriel d’un ton condescendant.
Leila fit une discrète grimace. Je répondis stoïquement :
— Oui, je sais, Muriel. Je veux simplement dire que la première Dame a une influence. Et que son impact s’exerce dans n’importe quelle campagne de pub, que ce soit pour vendre du lait ou des baskets. Donc, si nous avons le visage de Leo associé à BTR, les ventes vont forcément grimper.
— C’est intéressant, en effet, concéda Muriel.
Autour de la table, les regards évitaient de se croiser. C’était le B-A BA de la pub. Pire que ça, même. Le niveau zéro. Je jetai un regard à la dérobée du côté de Mark. Avec une expression très tendre, il se pencha pour poser sa main sur celle de Muriel.
— Cela fait beaucoup de choses à assimiler à la fois. Bon, tout cela a été très constructif. Merci, Callie. Nous reviendrons vers toi prochainement pour parler de l’étape suivante. Ah oui, très important : l’équipe de BTR vient ici en fin de semaine. Nous organisons une petite manifestation vendredi. Participation obligatoire.
Damien prit un air suspicieux.
— Quelle genre de manifestation, exactement ?
— Une rando en montagne pour que Charles puisse contempler la beauté du Vermont au coucher du soleil… Avec apéritif et dîner à la clé, précisa Mark face à l’expression douloureuse de Damien.
* * *
Juste avant le déjeuner, Fleur se glissa discrètement dans mon bureau et ferma la porte derrière elle.
— Oh ! Bloody hell ! Mark a perdu la tête ou quoi ? Qu’il se tape cette greluche, c’est son problème, mais l’embaucher ? Elle ne connaît strictement rien à la pub.
Avec un soupir lugubre, Fleur se laissa tomber sur mon canapé. Si elle avait été sincèrement choquée, elle aurait perdu son accent britannique. J’avais déjà remarqué qu’elle parlait comme tout le monde lorsqu’une émotion prenait le dessus. Comme l’accent était toujours fermement en place, j’en conclus qu’elle était venue là pour une grande séance de débinage.
— C’est l’agence de Mark, objectai-je calmement en levant le nez de mon ordinateur. Et je suis sûre que Muriel va… Elle apprendra rapidement. Son père veut qu’elle se charge du compte, de toute évidence.
— Callie…, chuchota Fleur. J’ai tellement plus d’expérience qu’elle !
L’accent venait de tomber. Et j’eus le fin mot de l’histoire :
— Ce n’est pas parce que mon père n’est pas dirigeant de société que je dois me laisser commander par cette connasse glaciale qui ne comprend rien au film !
Je secouai la tête.
— Ne te prends pas la tête avec ça, Fleur. Continue de faire un boulot de qualité, et Mark y reconnaîtra les siens.
— Elle gagne plus que moi. Plus que toi, même. Je le tiens de source sûre, c’est Karen qui me l’a dit.
— Karen n’aurait jamais dû…
— O.K., O.K., elle n’a rien dit. Je suis juste tombée sur des documents alors que je passais dans son bureau pour tout autre chose.
Elle soupira.
— J’ai pensé qu’il fallait que tu sois au courant. Toi et Mark, après tout, vous… Enfin…
L’accent était de retour. Je regardai ma montre.
— Il faut que je file, Fleur. Désolée mais j’ai un rendez-vous pour le déjeuner.
— Ah, mais oui ! Le plan B !
Sourcils froncés, je fermai un fichier à l’écran.
— Rendre Mark vert de jalousie, chuchota-t-elle les yeux brillants.
— Oh ! je ne pense pas que…
— Ne t’inquiète pas, inutile de te justifier. Je t’accompagne jusqu’à la porte.
J’attrapai mon sac en soupirant — Fleur pouvait être épuisante, par moments. Nous passâmes devant la réception, où Mark était occupé à signer un papier pour Damien.
— Amuse-toi bien à ton rendez-vous ! cria Fleur alors que je m’apprêtais à tirer la porte.
Mark et Damien levèrent les yeux.
— Tu as un rendez-vous ? se récria Damien comme si je venais d’annoncer que je changeais de sexe.
Je rougis.
— Je vais déjeuner avec une connaissance, c’est tout.
Mark me regardait d’un air… entendu. Et il souriait. De ce genre de sourire qu’ont les hommes lorsqu’une femme… Lorsqu’il… Zut, je perdais le fil de mes pensées. Il y avait une chaleur dans son regard, comme si nous partagions un secret, lui et moi, et sa bouche aux lèvres généreuses esquissa un sourire. Pendant une seconde, je…
— Excitant, tout ça, ironisa Damien. Bye bye, ma caille !
Le regard de Mark glissa sur mes jambes. Lorsqu’il releva les yeux, il m’adressa un clin d’œil.
— Amuse-toi bien.
Mon andouille de cœur fit un bond.
— A tout à l’heure.
« Oublie-le », ordonna Mme Obama. « Je fais ce que je peux », lui rétorquai-je en silence.
Doug336 et moi étions convenus de nous retrouver au Café & Tartine, l’un des trois restaurants que totalisait notre charmante cité. C’était juste un bistrot, surtout connu pour ses cafés, la déclinaison habituelle d’espressos, de macchiatos, cafés à la noisette et autres spécialités crémeuses et mousseuses. Mais ils servaient également des soupes et des sandwichs pour le déjeuner. Le cadre était agréable, avec des murs en brique, une variété de plantes vertes et un beau carrelage ancien au sol avec des motifs élaborés.
— Salut, Callie, me lança le propriétaire à mon entrée.
— Ça va, Guy ? Que proposes-tu de bon, aujourd’hui ?
— Du pain de seigle avec bœuf fumé, mayonnaise et emmental. Ou un sandwich à la viande hachée, petits oignons frits, fromage fondu et poivrons grillés.
Les deux me mettaient en appétit. Mais les deux étaient redoutables et exigeaient d’ouvrir grand la bouche en utilisant un maximum de serviettes en papier. C’était plutôt le genre de plaisir à vivre en solitaire, sans avoir à s’inquiéter de la graisse susceptible de vous dégouliner sur le menton. Les premières impressions étaient importantes, et je ne voulais pas que Doug336 se retrouve avec une image mentale de moi parée d’une grosse tache grasse sur la poitrine.
— Je prendrai la soupe du jour, plutôt, décidai-je à regret.
— O.K., ça roule, lança Guy gaiement.
La porte du café s’ouvrit à ce moment précis, livrant passage à ma mère et à son assistant mortuaire. En me voyant, le visage au teint crayeux de Louis s’anima d’un éclat libidinal souterrain.
— Ha ha… En voilà une qui est si jolie qu’on la mangerait toute crue.
Je me hâtai d’embrasser ma mère en prenant soin de la placer en écran entre Voldemort et moi.
— Salut, maman ! Bonjour, Louis.
— Tiens, c’est drôle de tomber sur toi, ma chérie. Et Louis a raison, tu es très en beauté, aujourd’hui.
Avec son petit sourire de Grinch, Louis manœuvra pour se rapprocher de moi. Oh ! mon Dieu… Il arrivait tout droit du travail, apparemment.
— Louis, tu… tu as encore tes gants !
Je déglutis, cherchant à refouler les images qui me mitraillaient le cerveau avec une redoutable netteté. S’il avait des gants en latex, c’est qu’il préparait… quelqu’un.
— Oups !
Sans détacher les yeux de moi, il retira ses gants, lentement, comme s’il se livrait à un strip-tease, puis il se racla bruyamment la gorge pour tenter de dégager son écoulement rétro-nasal. Horreur et frémissement.
Ma mère, imperturbable, étudiait la liste des plats à emporter.
— Calliope, sais-tu que ton père a essayé de m’appeler ? Naturellement, je ne décroche pas. A-t-il une tumeur au cerveau, ou autre chose de dramatique dont je devrais être informée ?
— Euh… non, pas de tumeur au cerveau. Il a plus de temps disponible, maintenant qu’il est à la retraite. Il éprouve peut-être juste le besoin de… parler ?
Ma mère me jeta un regard dubitatif et ne fit aucun commentaire.
— Je pensais justement à toi aujourd’hui, Calliope. A la façon dont je… t’exposerais, me chuchota Louis à l’oreille en haussant un sourcil anémique.
— Arrête, Louis ! C’est monstrueux, comme technique de drague. Et terrifiant, par-dessus le marché.
Il ne répondit pas, se contentant d’arborer un sourire satisfait. Je battis en retraite sans demander mon reste.
— Bon, je vous laisse, j’ai rendez-vous avec un ami. Bon appétit à vous deux.
Là-dessus, je me réfugiai dans un coin derrière une plante verte. Le café commençait à se remplir et je saluai les uns et les autres, vu que je connaissais plus ou moins tout le monde à Georgebury. Je vis Shauneee Cole, membre actif des Rats de Rivière. Plus loin, Dave, le frère d’Annie, gesticulait en parlant dans son téléphone portable.
— Ah tiens, voilà la plus belle ! Ça va, Callie ? me lança-t-il en s’interrompant dans sa conversation.
Je lui rendis son signe joyeux de la main. J’avais un faible pour Dave depuis toujours. Encore quatre minutes et Doug336 serait en retard, constatai-je en consultant ma montre rouge Hello Kitty en édition collector. Je décidai de lui laisser encore dix minutes avant de lever le camp. Sachant que pour Mark, bien sûr, j’aurais attendu des heures sans broncher. D’ailleurs, je ne l’avais pas seulement attendu des heures, mais des mois, voire des années. Pour oublier la petite douleur acérée que me procura cette pensée, j’écrivis un texto à Annie. Me prépare à rencontrer Doug336. Choisis la couleur de ta robe pour le mariage. Rapport détaillé suivra. Annie s’intéressait de près à mon parcours sentimental, ayant décidé que je devais impérativement connaître un bonheur domestique égal à celui qu’elle avait trouvé avec Jack.
Ah ! Doug336 franchissait la porte. Je lui fis signe, pas trop vigoureusement pour n’avoir l’air ni psychotique ni aux aguets. Doug ne me vit pas. Mais le type qui entrait derrière lui, si, hélas. Et, comme par hasard, il s’agissait de Ian McFarland, le vétérinaire. Il se figea, me gratifia d’un petit signe de tête, puis fixa fermement son attention sur la liste des plats du jour.
Pas de panique, Ian ! Je ne suis pas ici pour toi. Je me levai pour aller saluer mon Doug. Face à mon approche, McFarland garda son attention rivée sur le tableau, me rappelant Josephine dans ses jeunes années, lorsqu’elle se couvrait les yeux pour se rendre invisible.
— Salut, Doug.
Je lui décochai mon beau sourire à mille watts et notai du coin de l’œil que mon ami le vétérinaire poussait un discret soupir de soulagement. Celui-là, franchement ! Il était grave, comme aurait dit Bronte.
Doug me considéra avec enthousiasme.
— Ah, salut Callie ! Content de te rencontrer en live.
— Je nous ai pris une table dans le fond. Tu veux commander quelque chose ?
Il m’adressa un sourire entendu.
— Je ne suis pas venu ici pour la nourriture. Conduis-moi.
Il me plaisait, ce Doug336. Il était mignon. Et comme cela tombait bien, que notre Dr McRigide puisse constater de visu qu’un homme s’intéressait à moi !
— Comment allez-vous, docteur McFarland ? lançai-je allègrement.
— Bien, mademoiselle Grey, je vous remercie, marmonna-t-il sans détacher les yeux de sa liste des spécialités du jour.
— Je peux vous appeler Ian ? demandai-je, rien que pour le plaisir d’être pénible.
Il me jeta un regard rapide puis retourna à son menu.
— Mais naturellement.
— Je vous souhaite une journée merveilleuse, Ian.
Je me tournai vers mon compagnon. Eh oui, Ian, je déjeune en compagnie. Et il est plus beau gosse que toi.
— Tu es encore plus jolie que sur ta photo, commenta Doug lorsque nous fûmes assis.
Je lui souris.
— Merci.
Il était assez beau, avec des cheveux longs et sombres, des yeux noisette. Bien fichu, jean et T-shirt. Un bracelet tissé, fabriqué avec une fibre brillante. Il y avait une éternité que je n’avais pas été à un premier rendez-vous. A bien y réfléchir, j’expérimentais pour la première fois une situation de tête-à-tête avec un homme qui ne m’avait jamais été présenté.
Je souris de manière à montrer ma fossette, ce qui marchait toujours assez bien pour moi.
— Alors ? Où commençons-nous ? J’avoue que c’est la première fois que je rencontre quelqu’un en ligne.
— Une vierge internet, murmura Doug. Classe.
Je clignai des yeux.
— Et si on échangeait quelques infos de base ? suggéra-t-il.
Une soudaine hésitation me saisit.
— D’accord. Eh bien, je travaille dans une agence de pub… J’ai une sœur plus âgée et un frère plus jeune. J’ai vécu dans le Vermont presque toute ma vie, même si j’ai fait mes études en Pennsylvanie, puis travaillé quelques années à Boston. Je n’ai jamais été mariée, pas d’enfants, deux nièces.
— Tu vis seule ?
— Non, avec mon grand-père. Il est… euh…
Je m’interrompis, répugnant à aborder les problèmes de Noah avec un inconnu.
— On s’entend bien, lui et moi.
— Moi aussi, j’ai une coloc, expliqua Doug. C’est une harpie, mais la maison lui appartient. Ça complique un peu les choses.
— Ah, zut. Tu cherches un autre logement ?
— Il s’agit de ma mère, en fait. Je n’ai pas trop le choix.
Aïe. Un gros point en moins pour Doug336.
— Il suffirait que tu déménages, non ?
— Je suis fauché, admit-il avec un sourire d’autodérision.
Deux points en moins. Je n’avais rien contre les faibles revenus, mais un homme de trente-trois ans habitant chez sa maman… On ne pouvait pas dire que les indicateurs positifs pleuvaient, en l’occurrence. Mark est avec Muriel, me rappela Michelle Obama. N’oublie pas que tu passes à autre chose. Bon, d’accord. Avec ça, le vétérinaire revêche venait de s’installer à une table proche. Et, pour des raisons évidentes, je voulais qu’il me voie en interaction positive avec un individu mâle de mon âge.
— Alors que fais-tu dans la vie, Doug ?
Du coin de l’œil, je vis Ian déplier son Wall Street Journal. Avant que Doug puisse répondre, ma mère et Louis se présentèrent à notre table, munis de leurs repas à emporter dans des sacs en papier kraft.
— Callie ? Mais tu as un rendez-vous ? s’écria ma mère, sans prendre la peine de gommer le sentiment d’horreur dans sa voix.
Louis vint se coller quasiment contre moi.
— Bonjour… Je suis Louis, l’ami de cœur de Calliope.
Je secouai la tête.
— Faux ! Maman, Louis, je vous présente Doug… Doug, ma mère, Eleanor Misinski et Louis Pinser, son assistant.
Doug se déclara enchanté.
— Quelles sont vos intentions vis-à-vis de Callie ? s’enquit Louis de sa voix veloutée de tueur en série. Sont-elles sérieuses ? Dois-je m’inquiéter, Calliope ?
— Bon, O.K., bye bye, Louis. Tu peux nous laisser, maintenant. Allez, ouste ! Du balai.
Ma mère prit Louis par le bras et le tira de quelques pas en arrière.
— Amusez-vous bien, dit-elle, du ton sombre et compatissant dont elle usait avec les familles endeuillées.
Elle soupira tragiquement — pauvre femme, sa fille n’avait-elle donc rien retenu des leçons qu’elle lui prodiguait depuis l’enfance ? Puis elle poussa Louis jusqu’à la porte d’entrée.
Je pris une profonde inspiration et, toute honte bue, reportai ma souriante attention sur l’homme en face de moi.
— Désolée, Doug. Tu t’apprêtais à me parler de ton métier.
Son visage s’éclaira.
— Je suis artisan créateur. J’utilise un matériau organique pour des applications inattendues, afin de sensibiliser le public aux dons que nous devons à la seule nature.
C’était, de toute évidence, un discours appris par cœur auquel Doug avait souvent recours. Il se renversa contre son dossier et m’adressa un large sourire.
— Ah, je vois…, dis-je en hochant la tête.
J’essayais de ne pas le ranger d’emblée dans la série standard des amateurs de muesli/créatifs/baba-cools du Vermont. Il fallait dire que je vivais dans un Etat où il était impossible de faire deux pas sans tomber sur un potier, un tisseur ou un sculpteur. Mon grand-père entrait dans la catégorie des grands créateurs, même si je savais que Noah aurait préféré se crever les deux yeux avec une fourchette avant de s’affubler de ce titre.
— Et qu’est-ce que tu crées, alors ? demandai-je en prenant une cuillerée de soupe.
Mmm… Brocoli et fromage. Délicieux.
— Je fabrique des cache-pots en cheveux humains.
Je m’étranglai. Pris une serviette en toussotant, crachotant et pleurant. Mon regard larmoyant tomba sur le bracelet à son poignet. Berk… Des cheveux humains ! Je m’étranglai un peu plus encore, l’horreur et l’hilarité m’assaillant à parts égales.
— Ouah ! m’exclamai-je faiblement.
Ian McFarland tourna un regard surpris dans ma direction et je m’efforçai de lui sourire en lui adressant un faible signe de la main.
— Ça va ? s’inquiéta Doug.
Je réussis à reprendre ma respiration.
— Oui, oui… Des cheveux humains, tu dis ? Intéressant.
Doug se rengorgea.
— Je sais. Il n’y a plus personne sur ce créneau, de nos jours. Et j’ai pris le contrôle du marché.
— Parce qu’il y a un marché pour le macramé en cheveux humains ?
Troisième et dernier point en moins ! Je refrénai la tentation de baisser le pouce, comme un empereur aux jeux du cirque. Mais sérieusement, Doug366 n’était pas homme à remplacer un Mark Rousseau dans mon cœur.
L’appétit coupé, j’écoutai d’une oreille pendant que Doug partait dans des considérations extatiques sur les différences de résistance, de reflet, d’éclat des différents types de cheveux : la rousse, la brune, la fort rare blonde naturelle. Glissant un coup d’œil subreptice sur ma gauche, je vis que Ian était plongé dans un article. Agréable façon d’occuper sa pause de midi : lire et manger figuraient parmi mes passe-temps préférés. Et il avait commandé le sandwich au bœuf fumé, le veinard. Je lui enviais le contenu de son assiette.
En face de moi, Doug rit d’une de ses propres remarques et je revins à la conversation en cours.
— Et tu les sors d’où, ces cheveux, alors ? demandai-je, vaincue par la curiosité. D’un salon de coiffure ?
— Pas d’un coiffeur, non. J’ai mes sources.
Il leva les yeux pour examiner mon crâne.
— Les tiens sont très beaux, au fait.
Je déglutis.
— Et si on allait chez moi ? suggéra-t-il.
— Pour que tu puisses me scalper ?
Et dire que je trouvais que Louis donnait la chair de poule ! J’avais trop hâte d’appeler Annie.
— Mais non !
Doug se mit à rire.
— Pour batifoler un peu. Ma mère a le sommeil lourd.
— Hou là… Désolée, Doug. Mais je ne crois pas que ça puisse coller entre nous. Je suis sûre que tu es très… créatif et très drôle. Mais je ne vois pas d’avenir pour nous.
— Bon, d’accord. Merci de m’avoir fait perdre mon temps.
Doug se leva et partit au pas de charge, comme un gamin de trois ans à qui on refuse une glace. Des têtes se tournèrent. Je me demandai si quelqu’un avait remarqué son bracelet en cheveux naturels. Ou sa calvitie qui brilla au soleil lorsqu’il franchit la porte.
Je tournai les yeux vers Ian McFarland. Il avait le regard rivé sur moi, et ses yeux d’un bleu froid me considéraient comme si j’étais une bestiole réduite en bouillie sur le bord d’une autoroute.
— Tout va bien, Callie ?
— Je me porte à merveille, oui, Ian. Vous êtes content de votre sandwich ? Ma soupe était délicieuse. Oups ! Vous avez vu l’heure ? Il faut que je me dépêche. Passez une excellente journée !