Chapitre premier

I. De l’imagination des femmes.

II. De celle des hommes.

III. De celle des vieillards.

 

Nous avons donné quelque idée des causes physiques du dérèglement de l’imagination des hommes dans l’autre partie : nous tâcherons dans celle-ci de faire quelque application de ces causes aux erreurs les plus générales, et nous parlerons encore des causes de nos erreurs que l’on peut appeler morales1.

On a pu voir par les choses qu’on a dites dans le chapitre précédent, que la délicatesse des fibres du cerveau est une des principales causes qui nous empêchent de pouvoir apporter assez d’application pour découvrir les vérités un peu cachées.

 

I. De l’imagination des femmes

 

Cette délicatesse des fibres se rencontre ordinairement dans les femmes2, et c’est ce qui leur donne cette grande intelligence, pour tout ce qui frappe les sens. C’est aux femmes à décider des modes, à juger de la langue, à discerner le bon air et les belles manières. Elles ont plus de science, d’habileté et de finesse que les hommes sur ces choses. Tout ce qui dépend du goût est de leur ressort, mais pour l’ordinaire elles sont incapables de pénétrer les vérités un peu difficiles à découvrir. Tout ce qui est abstrait leur est incompréhensible. Elles ne peuvent se servir de leur imagination pour développer des questions composées, et embarrassées. Elles ne considèrent que l’écorce des choses ; et leur imagination n’a point assez de force et d’étendue pour en percer le fond, et pour en comparer toutes les parties sans se distraire. Une bagatelle est capable de les détourner : le moindre cri les effraie : le plus petit mouvement les occupe. Enfin la manière, et non la réalité des choses, suffit pour remplir toute la capacité de leur esprit : parce que les moindres objets produisant de grands mouvements dans les fibres délicates de leur cerveau, elles excitent par une suite nécessaire dans leur âme, des sentiments assez vifs et assez grands pour l’occuper tout entière3.

S’il est certain que cette délicatesse des fibres du cerveau est la principale cause de tous ces effets, il n’est pas de même certain qu’elle se rencontre généralement dans toutes les femmes. Ou si elle s’y rencontre, leurs esprits animaux ont quelquefois une telle proportion avec les fibres du cerveau, qu’il se trouve des femmes qui ont plus de solidité d’esprit que quelques hommes4. C’est dans un certain tempérament de la grosseur, et de l’agitation des esprits animaux avec les fibres du cerveau, que consiste la force de l’esprit, et les femmes ont quelquefois ce juste tempérament. Il y a des femmes fortes5 et constantes, et il y a des hommes faibles et inconstants. Il y a des femmes savantes6, des femmes courageuses, des femmes capables de tout ; et il se trouve au contraire des hommes mous et efféminés, incapables de rien pénétrer et de rien exécuter. Enfin quand nous attribuons quelques défauts à un sexe, à certains âges, à certaines conditions, nous ne l’entendons que pour l’ordinaire, en supposant toujours, qu’il n’y a point de règle générale sans exception.

Car il ne faut pas s’imaginer, que tous les hommes, ou toutes les femmes de même âge, ou de même pays, ou de même famille, aient le cerveau de même constitution. Il est plus à propos de croire, que comme on ne peut trouver deux visages qui se ressemblent entièrement, on ne peut trouver deux imaginations tout à fait semblables ; et que tous les hommes, les femmes, et les enfants ne diffèrent entre eux que du plus et du moins dans la délicatesse des fibres de leur cerveau. Car de même qu’il ne faut pas supposer trop vite une identité essentielle entre des choses entre lesquelles on ne voit point de différence, il ne faut pas mettre aussi des différences essentielles, où on ne trouve pas de parfaite identité7. Car ce sont là des défauts où l’on tombe ordinairement.

Ce qu’on peut donc dire des fibres du cerveau, c’est que d’ordinaire elles sont très molles, et très délicates dans les enfants ; qu’avec l’âge elles se durcissent, et se fortifient ; que cependant la plupart des femmes, et quelques hommes les ont toute leur vie extrêmement délicates. On ne saurait rien déterminer davantage. Mais c’est assez parler des femmes et des enfants : ils ne se mêlent pas de rechercher la vérité et d’en instruire les autres : ainsi leurs erreurs ne portent pas beaucoup de préjudice, car on ne les croit guère dans les choses qu’ils avancent8. Parlons des hommes faits, de ceux dont l’esprit est dans sa force et dans sa vigueur, et que l’on pourrait croire capables de trouver la vérité, et de l’enseigner aux autres.

 

II. De l’imagination des hommes dans la perfection de leur âge

 

Le temps ordinaire de la plus grande perfection de l’esprit est depuis trente jusqu’à cinquante ans. Les fibres du cerveau en cet âge ont acquis pour l’ordinaire une consistance médiocre9. Les plaisirs et les douleurs des sens ne font plus sur nous tant d’impression. De sorte qu’on n’a plus à se défendre, que des passions violentes qui arrivent rarement, et desquelles on peut se mettre à couvert, si on en évite avec soin toutes les occasions. Ainsi l’âme n’étant plus divertie par les choses sensibles, elle peut contempler facilement la vérité10.

Un homme dans cet état, et qui ne serait point rempli des préjugés de l’enfance ; qui dès sa jeunesse aurait acquis de la facilité pour la méditation ; qui ne voudrait s’arrêter qu’aux notions claires et distinctes de l’esprit11 ; qui rejetterait soigneusement toutes les idées confuses des sens, et qui aurait le temps et la volonté de méditer, ne tomberait sans doute que difficilement dans l’erreur. Mais ce n’est pas de cet homme dont il faut parler : c’est des hommes du commun, qui n’ont pour l’ordinaire rien de celui-ci.

Je dis donc, que la solidité et la consistance qui se rencontre avec l’âge dans les fibres du cerveau des hommes, fait la solidité et la consistance de leurs erreurs, s’il est permis de parler ainsi. C’est le sceau, qui scelle leurs préjugés, et toutes leurs fausses opinions, et qui les met à couvert de la force de la raison. Enfin autant que cette constitution des fibres du cerveau est avantageuse aux personnes bien élevées, autant est-elle désavantageuse à la plus grande partie des hommes, puisqu’elle confirme les uns et les autres dans les pensées où ils sont12.

Mais les hommes ne sont pas seulement confirmés dans leurs erreurs, quand ils sont venus à l’âge de quarante ou de cinquante ans. Ils sont encore plus sujets à tomber dans de nouvelles : parce que se croyant alors capables de juger de tout, comme en effet ils le devraient être, ils décident avec présomption, et ne consultent que leurs préjugés ; car les hommes ne raisonnent des choses, que par rapport aux idées qui leur sont les plus familières. Quand un chimiste veut raisonner de quelque corps naturel, ses trois principes13 lui viennent d’abord en l’esprit. Un péripatéticien14 pense d’abord aux quatre éléments, et aux quatre premières qualités ; et un autre philosophe rapporte tout à d’autres principes. Ainsi il ne peut entrer dans l’esprit d’un homme rien qui ne soit incontinent15 infecté des erreurs, auxquelles il est sujet, et qui n’en augmente le nombre.

Cette consistance des fibres du cerveau a encore un très mauvais effet, principalement dans les personnes plus âgées, qui est de les rendre incapables de méditation. Ils ne peuvent apporter d’attention à la plupart des choses qu’ils veulent savoir, et ainsi ils ne peuvent pénétrer les vérités un peu cachées. Ils ne peuvent goûter les sentiments les plus raisonnables, lorsqu’ils sont appuyés sur des principes qui leur paraissent nouveaux, quoiqu’ils soient d’ailleurs fort intelligents dans les choses dont l’âge leur a donné beaucoup d’expérience. Mais tout ce que je dis ici, ne s’entend que de ceux qui ont passé leur jeunesse, sans faire usage de leur esprit, et sans s’appliquer.

Pour éclaircir ces choses, il faut savoir que nous ne pouvons apprendre quoi que ce soit, si nous n’y apportons de l’attention16 ; et que nous ne saurions guère être attentifs à quelque chose, si nous ne l’imaginons, et nous ne la représentons vivement dans notre cerveau. Or afin que nous puissions imaginer quelques objets, il est nécessaire que nous fassions plier quelque partie de notre cerveau, ou que nous lui imprimions quelque autre mouvement pour pouvoir former les traces, auxquelles sont attachées les idées, qui nous représentent ces objets. De sorte que si les fibres du cerveau se sont un peu durcies, elles ne seront capables que de l’inclination et des mouvements qu’elles auront eues autrefois. Et ainsi l’âme ne pourra imaginer, ni par conséquent être attentive à ce qu’elle voulait, mais seulement aux choses qui lui sont familières.

De là il faut conclure, qu’il est très avantageux de s’exercer à méditer sur toutes sortes de sujets17, afin d’acquérir une certaine facilité de penser à ce qu’on veut. Car de même que nous acquérons une grande facilité de remuer les doigts de nos mains en toutes manières, et avec une très grande vitesse par le fréquent usage que nous en faisons en jouant des instruments, ainsi les parties de notre cerveau, dont le mouvement est nécessaire pour imaginer ce que nous voulons, acquièrent par l’usage une certaine facilité à se plier, qui fait que l’on imagine les choses que l’on veut avec beaucoup de facilité, de promptitude, et même de netteté.

Or le meilleur moyen d’acquérir cette habitude qui fait la principale différence d’un homme d’esprit d’avec un autre, c’est de s’accoutumer18 dès sa jeunesse à chercher la vérité des choses même fort difficiles, parce qu’en cet âge les fibres du cerveau sont capables de toutes sortes d’inflexions.

Je ne prétends pas néanmoins que cette facilité se puisse acquérir par ceux qu’on appelle gens d’étude, qui ne s’appliquent qu’à lire sans méditer, et sans rechercher par eux-mêmes la résolution des questions avant que de la lire dans les auteurs19. Il est assez visible que par cette voie l’on n’acquiert que la facilité de se souvenir des choses qu’on a lues. On remarque tous les jours que ceux qui ont beaucoup de lecture, ne peuvent apporter d’attention aux choses nouvelles dont on leur parle, que la vanité20 de leur érudition les portant à en vouloir juger avant que de les concevoir21, les fait tomber dans des erreurs grossières, dont les autres hommes ne sont pas capables.

Mais quoique le défaut d’attention soit la principale cause de leurs erreurs, il y en a encore une qui leur est particulière. C’est que trouvant toujours dans leur mémoire une infinité d’espèces22 confuses, ils en prennent d’abord quelqu’une qu’ils considèrent comme celle dont il est question ; et parce que les choses qu’on dit ne lui conviennent point, ils jugent ridiculement qu’on se trompe. Quand on veut leur représenter qu’ils se trompent eux-mêmes, et qu’ils ne savent pas seulement l’état de la question, ils s’irritent, et ne pouvant concevoir ce qu’on leur dit, ils continuent de s’attacher à cette fausse espèce que leur mémoire leur a présentée. Si on leur en montre trop manifestement la fausseté, ils en substituent une seconde et une troisième, qu’ils défendent quelquefois contre toute apparence de vérité, et même contre leur propre conscience ; parce qu’ils n’ont guère de respect ni d’amour pour la vérité, et qu’ils ont beaucoup de confusion et de honte à reconnaître, qu’il y a des choses qu’on sait mieux qu’eux.

 

III. De l’imagination des vieillards

 

Tout ce qu’on a dit des personnes de quarante et de cinquante ans, se doit encore entendre avec plus de raison des vieillards ; parce que les fibres de leur cerveau sont encore plus inflexibles, et que manquant d’esprits animaux pour y tracer de nouveaux vestiges, leur imagination est toute languissante23. Et comme d’ordinaire les fibres de leur cerveau sont mêlées avec beaucoup d’humeurs superflues24, ils perdent peu à peu la mémoire des choses passées, et tombent dans les faiblesses ordinaires aux enfants. Ainsi dans l’âge décrépit, ils ont les défauts qui dépendent de la constitution des fibres du cerveau, lesquels se rencontrent dans les enfants et dans les hommes faits : quoique l’on puisse dire qu’ils sont plus sages que les uns et les autres, à cause qu’ils ne sont plus si sujets à leurs passions, qui viennent de l’émotion des esprits animaux.

On n’expliquera pas ces choses davantage, parce qu’il est facile de juger de cet âge par les autres dont on a parlé auparavant, et de conclure que les vieillards ont encore plus de difficulté que tous les autres à concevoir ce qu’on leur dit ; qu’ils sont plus attachés à leurs préjugés et à leurs anciennes opinions ; et par conséquent, qu’ils sont encore plus confirmés dans leurs erreurs et dans leurs mauvaises habitudes, et autres choses semblables. On avertit seulement, que l’état du vieillard n’arrive pas précisément à soixante, ou à soixante et dix ans ; que tous les vieillards ne radotent pas ; que tous ceux qui ont passé soixante ans ne sont pas toujours délivrés des passions des jeunes gens : et qu’il ne faut pas tirer des conséquences trop générales des principes que l’on a établis.


1 Il s’agit donc de toutes les causes liées au mœurs, à la culture, au mode de vie, aux rapports sociaux.

2 La différence – et la plupart du temps l’inégalité – qui existe entre les hommes et les femmes du point de vue intellectuel a donc d’abord des causes physiques (la délicatesse des fibres). Mais on voit peu après d’une part le rôle des causes morales (donc acquises et non naturelles) dans cette inégalité ; d’autre part la capacité qu’ont certaines femmes de parvenir à une autonomie de l’esprit dégagé de toute soumission à l’imagination.

3 Ce premier paragraphe rassemble différents topoi misogynes contrebalancés par les thèses du paragraphe suivant. Soulignons que la superficialité des femmes s’explique ici non par l’imagination en général, mais par une mauvaise utilisation de l’imagination.

4 C’est donc le rapport entre esprits animaux et fibres cérébrales qui détermine les différents types d’imagination (voir Introduction).

5 La figure de la femme forte est un topos littéraire et philosophique depuis le Moyen Âge. C’est à cette époque que commence ce que l’on appelle la « querelle des femmes », différents auteurs s’opposant sur la question de savoir si les femmes sont inférieures, égales ou supérieures aux hommes. Les portraits de femmes fortes sont un élément déterminant dans la défense des femmes. La femme forte se distingue notamment par sa constance, sa fidélité et sa résolution. Parmi les exemples souvent repris, on trouve Sarah, Rebecca, Ruth, la Vierge Marie ou Jeanne d’Arc.

6 La figure de la femme savante remplace peu à peu, au XVIIe siècle, celle de la femme forte. On voit qu’ici l’accent est mis sur le savoir, sur les qualités proprement intellectuelles. Descartes n’est pas pour rien dans cette évolution qui tend à inclure les femmes dans le champ du savoir (cf. sa correspondance avec la princesse Élisabeth et ses relations avec la reine Christine de Suède).

7 Réflexion originale sur l’identité et la différence : les imaginations sont toutes différentes, mais d’abord quantitativement (« du plus et du moins ») et non pas qualitativement. Il y a donc une continuité entre les différents types d’imagination et non une distinction absolue, « essentielle ». Dès lors, une réforme (philosophique) est possible.

8 Cette éviction brutale des femmes hors de l’enquête sur l’imagination semble contredite par les thèses mêmes de Malebranche qui montrent au contraire le rôle fondamental de certaines femmes, les mères et les nourrices, dans le développement de l’imagination. Mais Malebranche en traite justement à part.

9 « Médiocre » n’a pas de connotation péjorative. L’adjectif signifie « moyen ».

10 L’âge adulte est en principe l’âge de l’autonomie, comme le montre par exemple la refondation de soi opérée par Descartes lorsqu’il est libéré de l’influence de ses tuteurs et professeurs. Mais cela n’est possible que si les traces dans le cerveau imprimées par l’imagination pendant l’enfance ne sont pas trop profondes ou trop déréglées.

11 On retrouve ici le vocabulaire de Descartes : la « méditation » permet d’acquérir des idées « claires et distinctes ». Pour lui, est claire toute connaissance « qui est présente et manifeste à un esprit attentif » (Principes de la philosophie, I, art. 45). Est distincte « celle qui est tellement précise et différente de toutes les autres qu’elle ne comprend en soi que ce qui paraît manifeste à celui qui la considère comme il faut » (ibidem). La méditation est l’exercice philosophique par excellence, quand l’esprit est capable de se mettre en retrait des opinions pour construire par lui-même des vérités indubitables.

12 À l’âge adulte, les sillons du cerveau se fixent définitivement, pour le meilleur (les notions claires et distinctes) ou pour le pire (les préjugés).

13 Les trois éléments des chimistes sont le soufre, le sel et le mercure.

14 Les péripatéticiens sont les partisans d’Aristote, qui philosophaient en se promenant (péripatein en grec). Les quatre éléments sont l’eau, l’air, le feu, la terre ; les quatre premières qualités sont la cause matérielle, la cause formelle, la cause efficiente et la cause finale.

15 « Incontinent », c’est-à-dire immédiatement.

16 L’attention comme effort de la conscience pour connaître est la qualité première qui permet un exercice autonome de sa raison chez Descartes.

17 L’exercice est un élément essentiel de la méthode cartésienne. La diversité des sujets de pensée évite la sclérose de l’esprit. Car les traces trop profondes dans le cerveau empêchent l’âme de réfléchir à de nouveaux objets et d’emprunter de nouvelles voies.

18 L’accoutumance, c’est-à-dire l’habitude porte donc à la fois sur la capacité de se concentrer sur des sujets ardus et sur celle d’appréhender la nouveauté. Elle a alors un rôle positif.

19 Thèse cartésienne importante marquant l’opposition avec la tradition scolastique encore dominante au XVIIe siècle : l’accumulation de savoirs (érudition) n’est pas source d’intelligence. Ce n’est pas là bien utiliser son esprit, puisqu’il dépend alors d’autorités extérieures pour s’exercer. L’érudition est toujours liée à l’orgueil de se distinguer du vulgaire et d’être plus savant que lui. Elle trouve son origine dans la passion et non dans la raison. L’homme d’étude se trompe même plus que l’homme du commun. La suite du texte met en valeur le lien entre pédanterie, vanité et culture livresque, thème que l’on trouve aussi développé chez Montaigne, mais que Malebranche va retourner contre lui.

20 La vanité est un défaut moral qui s’explique théologiquement par l’état de péché de l’homme actuel. Oublieux de son Dieu, l’homme pécheur centre son amour sur lui-même, c’est-à-dire sur un objet vain. Ce thème revient tout au long du texte, associé à celui, plus général, de l’amour-propre.

21 La conception se distingue du jugement, comme le note l’Introdution de la Logique de Port-Royal (1662) de A. Arnauld et P. Nicole : « on appelle concevoir la simple vue que nous avons des choses qui se présentent à notre esprit, comme lorsque nous nous représentons un soleil, une terre, un arbre, un rond, un carré, une pensée, l’être, sans former aucun jugement exprès [spécifique] ». Juger suppose au contraire d’évaluer en mettant en rapport différents objets ou concepts. Le jugement s’appuie donc sur une échelle de valeurs et sur la capacité à affirmer ou nier.

22 « Espèce », c’est-à-dire image, représentation qu’on se fait d’une chose.

23 « Languissante », c’est-à-dire qui manque d’énergie, en mauvais état.

24 Le vocabulaire des humeurs qui vient du médecin grec Galien (vers 131-vers 201) perdure plutôt dans les doctrines biologiques scolastiques et renaissantes que dans le cartésianisme, puisque ce dernier propose une physiologie adossée à une vision mécaniste de l’homme. Mais Malebranche utilise certains aspects des doctrines humorales. Les quatre humeurs principales selon les médecins de l’époque sont le flegme, le sang, la bile et la bile noire (mélancolie), cette dernière jouant un rôle explicatif pour comprendre le fonctionnement de l’imagination dans le texte.