Mai 1794. Le sinistre boucher Turreau était parti avec ses colonnes d’assassins.
Je me trouvais derrière Petit James et Luce au ras de leur fossé. Ils ne me voyaient pas. En revenant d’un accouchement, un matin d’hiver, j’ai surpris comme ça un couple de bécasses serrées l’une contre l’autre dans les broussailles de la haie blanche de givre.
J’avais suivi Petit James et Luce sans le savoir. Je croyais marcher derrière père et son prisonnier. J’étais sortie à son avance après que Sabine et Maria m’avaient ramenée chez moi. Il faisait noir. J’ai failli me heurter à lui quand il empoignait Chacun devant sa loge.
Je ne comprenais pas. Pourquoi père s’en prenait-il à Chacun ? Il avait la haine des Bleus. Et maintenant il voulait punir le sacristain parce qu’il avait tué Barthélemy ? Je l’ai suivi.
J’étais trempée. Sabine avait voulu entrer m’aider à changer de chemise. J’avais refusé. Je lui avais promis que j’allais le faire. Je ne savais pas comment je marchais. J’avais envie de mourir.
Il était mort. Barthélemy était mort. Ils l’avaient brûlé.
J’étais habituée à la mort. J’avais vu mère sur le tas de fumier. La mort frappait souvent à la porte de la loge-hôpital. Les blessés qu’ils nous amenaient étaient dans un tel état qu’on désespérait de les soigner. J’avais appris la mort auprès de mère. Les baptêmes étaient souvent suivis d’un glas dans les maisons insalubres et même dans les autres. Mais je n’avais jamais vu de corps calciné. Nos bourreaux ne détestaient pas de brûler les hommes, les femmes et les enfants en même temps que leurs granges, leurs maisons et leurs églises.
Je n’avais pas imaginé le corps d’un homme rétréci par les flammes. Notre Barthélemy n’était plus que cette masse informe, noire de charbon au milieu des braises et, çà et là, dans les parties éclatées, une chair à vif couleur de groseille. Lorsque nous courions ensemble vers l’incendie, Sabine et moi, la fumée épaisse me suffoquait déjà. L’odeur horrible me soulevait le cœur.
Il aurait fallu que je pleure. J’aurais aimé pouvoir pleurer. Je me rappelais père, sans une larme, sans un cri, quand il avait soulevé le corps de mère sur le fumier. Et ses sanglots, enfin, après avoir tué Marquis.
Je me suis rendu compte tout d’un coup que ce n’étaient pas lui et Chacun que je suivais. J’étais sur les traces de deux autres silhouettes plus fines. J’ai cru les avoir perdues. Et j’ai compris. Je n’étais pas seule à les suivre. Alors j’ai marché dans le noir, perdant les uns, trouvant les autres, parmi les arbres.
Le vent, sans être froid, me glaçait. Ma robe me collait aux cuisses et au ventre. Mes bas aussi étaient mouillés.
Quand ils ont débouché sur le chemin de la fontaine, j’ai reconnu Petit James et Luce. J’ai entendu la confession de Chacun. J’étais tout près derrière les troncs serrés de jeunes bouleaux que le vent inclinait, à toucher le fossé de Luce et de Petit James. J’attendais le moment où père allait faire taire les gémissements et les prières du borgne. Chaque mot qu’il prononçait me trouait comme un couteau.
Et puis, je ne sais pas pourquoi, j’ai réalisé soudain que c’était lui, l’assassin, qui était en train de gagner. J’étais en train de devenir, moi aussi, une tueuse. Père était dans le rôle du bourreau.
J’ai vu Chacun sur mère, sur la table de notre cuisine. Je l’ai entendue crier vers nous pendant qu’ils la violaient. Est-ce qu’elle nous demandait cette vengeance ?
Je l’ai vue, alors, en coiffe, le tablier de dentelle noir serré sur les hanches, après la toilette le dimanche, quand nous nous préparions pour aller à la messe. J’ai vu son sourire. Je l’ai vue penchée sur le ventre des femmes qu’elle accouchait.
C’est elle qui a crié en courant vers père :
— Arrête !
Je ne dis pas qu’elle était là. Je dis que je l’ai vue.
J’étais choquée, épuisée, je sais. Je la voyais. Je voyais ses yeux, ses cheveux tirés en arrière qui dégageaient son grand front pour la coiffe. J’entendais sa voix.
Elle nous a sauvés.
Elle a été avec nous, j’en suis sûre. Elle m’a donné sa force, son courage.
Dès que Chacun a été parti, mes jambes ont fléchi. J’ai senti que je tombais. Père a lâché son croissant et tendu les bras pour me rattraper. Il m’a tenue contre sa poitrine, entre ses bras, longtemps. On se tenait l’un à l’autre. J’ai voulu lui dire...
Je n’ai rien dit.
J’ai levé mes mains vers ma figure. Mais mes larmes sont allées plus vite que mes mains. Je me suis mise à pleurer sans retenue, à gros sanglots, en gémissant.
— Pleure, ma fille, pleure, m’a dit père.
Il m’a gardée entre ses bras. Sa chaleur me ramollissait encore.
— Pleure, Marie.
J’entendais dans sa voix une tendresse que j’avais perdue depuis que j’étais devenue grande. Il me parlait comme ça, sa joue contre la mienne, lorsqu’il me prenait avec lui sur le dos de Marquis et que nous tournions fièrement dans la cour sous les yeux de mère.
Petit James et Luce, sortis de leur fossé, nous regardaient. Luce a ramassé le croissant.
— Allez, il faut rentrer, a soufflé père. On va tous attraper du mal.
On n’a pas attrapé de mal. Mais la vie dans la forêt n’a plus été comme avant.
Ç’a été comme un tournant. Les hommes et les femmes s’enhardissaient. Ils entraient et sortaient de la forêt sans cesse et les cornes n’arrivaient pas à signaler leurs va-et-vient. Les Bleus épargnaient les paysans qui travaillaient dans leurs champs. La guerre n’était pas finie pourtant. Les coups de feu entre eux et les gars de Charette continuaient.
Le forgeron Auguste Robin a retourné beaucoup de faux qu’il avait emmanchées droit pour en faire des armes. L’herbe poussait avec la pluie et le soleil. Il fallait se méfier des aspics qui pullulaient dans la forêt. L’odeur du lait et la chaleur les attiraient.
— Quel malheur ! disaient les vieux, les larmes aux yeux. On n’a jamais vu autant de foin ! On n’arrivera pas à tout faucher !
Ils y allaient quand même avec leurs faux. Les bras manquaient. Le bonhomme Rambaud, soixante-dix-sept ans, menait le train devant tous les autres parce que, disait-il, il savait affiler son dail. Et il exigeait d’affiler celui de son fils et de son petit-fils.
Dans la campagne, on avait recommencé à entendre la chanson du marteau qui battait la lame sur la petite enclume que le faucheur portait à sa ceinture. Au milieu du chaos, des champs à l’abandon près des fermes martyres, et parmi les défilés de soldats encore armés jusqu’aux dents, des meules de foin blondes et bien peignées ont gonflé leurs dos ronds.
Quand est arrivé ensuite le temps des moissons, ç’a été comme une épidémie. Les gens ont déménagé. Leurs affaires étaient en place la veille au soir, la marmite à la crémaillère, les poules dans le poulailler. Le matin tout était chargé dans la charrette.
— Qu’est-ce que vous faites ? Vous partez ?
— On a trouvé un nid d’aspics dans notre loge !
Ils prenaient ce prétexte ou ils l’inventaient. Ils n’osaient pas dire qu’ils partaient. Ça ressemblait à de la désertion.
— On retourne chez nous. Comment faire ? Les moineaux sont partout dans les champs. Si on n’est pas là-bas pour les chasser, il ne restera rien. Et puis on ne va pas battre les grains dans la forêt. Il n’y en a déjà pas beaucoup. Les Bleus ne nous font plus la guerre.
On parlait encore de massacres, ici ou là. Mais le sinistre boucher Turreau était parti avec ses colonnes d’assassins. De plus en plus de voix s’élevaient contre les gars de Charette accusés de provoquer des représailles. Les gens qui partaient détournaient les yeux du dernier feu sous leur potence qui fumait encore.
Ceux qui avaient eu des morts ou une naissance s’arrêtaient devant la chapelle et s’agenouillaient. Les enfants déposaient un bouquet de fleurs sauvages au pied de l’autel ou une petite croix aux bois liés par un brin de jonc. Le soleil du matin allongeait les ombres des grands fûts de la forêt sur la chapelle.
Un couple de merles a fait son nid dans la niche de la statue de la Sainte Vierge. Les enfants n’ont pas eu le droit de le dénicher. C’était un bon signe.
Mais l’incendie de la roulotte et la confession de Chacun ont changé la vie dans le village. Luce et Petit James n’ont pas pu retenir leur langue. Tout le monde a été informé.
Nous, on a porté la croix de ce qui s’était passé, père et moi. Les gens ne nous regardaient plus comme avant. Pas tous, mais presque. Ils se méfiaient. Comme si nous étions atteints d’une maladie contagieuse. Il y avait assez de malheur comme ça. Et nous, nous l’avions cherché, avec mère qui avait ses façons pas comme tout le monde et moi qui étais allée chez ce médecin de Mouchamps et avais ramené ce Bleu dans le village.
La vieille Julie, la voisine de notre loge, m’a évitée. La bavarde me guettait d’habitude, le matin, quand je partais à l’hôpital. Elle avait toujours à surveiller son feu ou soulever le couvercle de sa marmite pour me parler. Elle n’est plus sortie. Je l’ai surprise, un matin, dehors. Elle m’a tourné le dos dans la fumée de ses patates. Je l’ai saluée. Elle m’a répondu un bonjour sec, sans se retourner, sans un mot de plus. Avant, elle me disait : « Bonjour, petite » et c’était le commencement d’un long discours.
La réputation de Malidor n’a plus été la même, non plus. Il avait voulu être le chef et on l’avait laissé faire. Il avait su se faire craindre. On lui faisait confiance. Il parlait avec Charette. Les gens riaient bien de ses grands airs derrière son dos. Ils savaient de quel trou de maison il sortait. Ils avaient connu son père et sa mère. Mais l’incendie de la roulotte les a choqués. Ce n’était pas tellement que Barthélemy soit mort, c’était la manière. Le feu aurait pu se répandre au reste de l’hôpital et aux autres loges. Et puis surtout Malidor était l’ami de Chacun, qu’ils découvraient criminel.
Ils étaient fatigués des tueries. Ils préféraient les prières pour la paix du bon curé Barreau. Les sermons enflammés du vicaire Chapuis qui courait encore avec les gars de Charette n’exaltaient plus personne.
Peut-être que si on avait donné quelques jours de plus à Barthélemy, tout aurait été différent.
Chacun est parti le surlendemain de la mort du Bleu. Il avait pris froid, disait-il, pendant la nuit sous la pluie et il refusait de sortir. Et puis son fils et sa fille nous ont dit qu’il avait suivi la troupe de bivouac dans le village. Personne n’a regretté le borgne que les Bleus ont pris après. Il était veuf. Même ses enfants avaient la vie dure avec lui.
Je raconte tout ça mais je n’étais pas vraiment là.
Je crois que la méfiance des gens m’a aidée à tenir debout. J’ai continué d’aller et venir dans le village. J’ai lutté pour me lever tous les jours et ne pas manquer une journée.
J’ai accouché Marie Mignet de son troisième enfant, la quinzième naissance dans le village. Je l’ai notée dans mon carnet. Je savais que je risquais gros et que si ça se passait mal, on aurait vite fait de dire que c’était ma faute.
Quand je suis entrée dans la loge des Mignet, les femmes récitaient les vieilles prières des femmes en gésine. Marie serrait dans ses mains le bonnet de bébé cousu d’images et de médailles que le traiteur-sorcier lui avait donné. Elle l’a gardé sur elle contre son ventre pendant tout l’accouchement et j’ai pensé que ce pouvait être un talisman pour se protéger de moi. Heureusement, ça s’est bien passé. Le bébé de sept livres est venu presque tout seul sans qu’elle se déchire. Son père l’a soulevé tout nu, bien membré.
— Adam !
Ils l’ont appelé Adam.
Jean Blé s’est emporté contre moi pendant l’amputation d’un blessé. On nous en amenait moins. Charette avait un autre hôpital mieux installé avec un chirurgien-praticien au château de Boulogne. Le blessé en mauvais état avait traîné plusieurs jours dans le fond d’une voiture. La gangrène le faisait hurler.
— Tu ne sais pas ce que tu fais, Marie-Pierre ! a crié Jean Blé qui avait besoin de moi. Réveille-toi ! Tu n’es pas dans tes yeux !
— Elle n’est plus à l’intérieur de sa tête, a soupiré la fidèle Sabine. Et ça dure...
Il m’a obligée à déballer tout ce qui me tournait dans la tête et il a apporté à peu près les mêmes réponses simples que Sabine mais, venant de lui, ça m’a aidée.
— Pourquoi Barthélemy n’a-t-il pas ouvert la porte ? lui ai-je demandé.
— Parce qu’il n’a pas pu !
— Parce qu’il a été tout de suite asphyxié ?
— Peut-être.
— Parce qu’il savait qu’il était perdu ?
— À quoi ça te sert de te faire du mal ?
— Pourquoi n’a-t-il pas saisi la petite chance de s’en sortir ?
— Arrête !
— Est-ce qu’on ne lui avait pas donné des raisons de vivre ?
Il a deviné ce que je ne disais pas : « Qu’est-ce que je n’ai pas fait ? Est-ce que je n’ai pas su l’aimer ? Est-ce que c’est moi qui ai été aveugle ? On est tous aveugles. On se trompe tous. Père s’est trompé sur la mort de mère... »
Il a passé le bras autour de mon épaule en prenant Sabine à témoin.
— Tu te tortures. Tu as le droit d’être malheureuse. Mais regarde autour de toi. Le malheur est partout. Il n’y a plus de vie possible si on rabâche son malheur. Pense aux autres. Occupe-toi des autres. Ce n’est pas ce que ta mère t’a appris ?
— Quand je m’occupe des autres, je continue d’y penser.
Il a soupiré.
— Laisse-toi du temps... Prends ton temps...
J’ai été comme ça jusqu’à ce qu’on déménage nous aussi. On commençait à ne plus se supporter, dans les loges. Un cavalier est venu nous prévenir. Une colonne de plusieurs milliers de Bleus avait quitté Luçon afin d’investir par tous les moyens le village des Brigands de la forêt de Grasla.
Quelques-uns voulaient fuir dans une autre forêt. À quoi bon ? On avait envie de retourner chez nous. On n’était plus très nombreux. Peut-être deux cents.
Rapport sur la marche des trois mille six cents hommes partis de Pont-Charrau, le 22 messidor an II, lesquels, commandés d’abord par le général Ferrand, ont fait une expédition dans la forêt de Grasla.
Après avoir fait assembler tous les régiments campés au Pont-Charrau, avoir répété au centre de chacun d’eux ce qui est enjoint dans la proclamation, avoir ordonné respect aux propriétaires, aux hommes paisibles, aux femmes et aux enfants, avoir défendu à tous les individus sous les peines les plus rigoureuses les traits d’inhumanité, je suis parti à dix heures du soir et ai pris la route départementale, celle où j’avais connaissance qu’il existait un rassemblement de Brigands.
Arrivé à trois heures du matin dans le village, je l’ai fait fouiller, ai parlé à quelques habitants que j’ai trouvés occupés dans leurs foyers. Ayant eu connaissance que deux cents Brigands sont partis à cheval et s’étaient portés en bataille au dehors du village, j’avançais sur eux avec le corps de bataille, lorsque, d’après les dispositions que j’avais prises, mon avant-garde commandée par l’adjudant-général Verpit les a pris en flanc, en a tué une cinquantaine et mis le reste en déroute. Je me suis mis en route pour Les Essarts que j’ai traversé sans rencontrer aucun habitant. À peine sorti de ce bourg, avec cinq dragons et un guide pour aller reconnaître un lieu propre à établir un bivouac, j’ai aperçu une vingtaine de Brigands dont plusieurs montés. Je les ai chargés. Ils ont fait peu de résistance et huit à dix ont été tués. Quatre chevaux assez bien équipés ont été pris et laissés à ceux qui s’en étaient emparés. Le bivouac reconnu dans une lande entre Les Essarts et la forêt de Grasla, je m’y suis établi pendant la journée. Un sergent-major du 29e, lavant une chemise près du bivouac, a été tué par un Brigand qui s’est glissé jusqu’à lui à travers les buissons. Une femme que les soldats prétendaient avoir entendue indiquer au Brigand le lieu où était ce sergent a été tuée par eux. Ne voulant point que dorénavant on pût donner un tel prétexte, j’ai ordonné qu’en pareille circonstance on m’amène les femmes pour vérifier les faits.
Je me suis mis en marche à deux heures et demie et ai traversé le bourg de Chauché où tout indiquait que les maisons qui sont en assez bon état étaient habitées. Je n’ai pas vu un seul individu. Arrivé près de la forêt de Grasla, j’ai détaché cinq cents hommes pour côtoyer la droite et huit cents pour côtoyer la gauche. J’ai répandu à gauche et à droite dans la forêt, pour la fouille, un bataillon de chasseurs, et l’ai traversée avec ce qui me restait de troupe, ayant soin de me tenir toujours à la hauteur des tirailleurs. Nous avons trouvé dans cette forêt des cases pour loger près de deux mille personnes. Dans quelques-unes étaient des portefeuilles, pelotes et reliquaires nouvellement faits, dans d’autres des moulins à bras, des mortiers pour écraser le grain ; dans une partie étaient deux forges bien garnies ; ont été découverts une trentaine de bois de fusils, des batteries, des canons de fusils, des outils nécessaires pour réparer des armes, tout enfin ce qui annonce un petit atelier sur la guerre. Dans toutes on a trouvé du lait ou des matelas ou lits de plumes. Deux ou trois personnes seulement ont été rencontrées et nous ont dit que ces cases étaient constituées par des gens des campagnes voisines qui s’y étaient retirés depuis qu’on avait brûlé leurs maisons, qu’il y avait quelques religieuses et des prêtres, dont un prieur qui disait la messe les dimanches et fêtes, et que tous ces individus, ayant connaissance que nous avions bivouaqué à quelque distance et craignant notre visite, s’étaient vivement retirés pendant la nuit...
La fouille dans la forêt de Grasla nous avait tenus une partie de la journée et, après avoir renvoyé ceux que nous avions rencontrés à qui j’avais remis plusieurs proclamations, j’allai établir mon bivouac dans une lande à une lieue de la forêt de Grasla et deux lieues de Montaigu. Dans toute cette partie j’ai remarqué, de distance en distance, sur les arbres les plus hauts, des échelles attachées par le bas aux branches les plus élevées : de là les trompettes, car on y place ceux qui sonnent de la corne, découvrant ce qui se déplace de loin et pouvant avertir à l’instant. Pour plus de commodité, ils établissent un siège avec une ou deux planches.
Après avoir placé mon poste, je remis le commandement au chef de brigade à qui je donnai l’ordre de venir camper le lendemain près de Montaigu où je me rendis avec le commissaire des guerres pour pourvoir de pain et autres choses nécessaires à la colonne. Le général Huché ayant été mandé à Nantes par le représentant B : il n’y avait pas de pain à Montaigu. J’envoyai le commissaire des guerres à Nantes pour solliciter des soutiens et organiser l’expédition de pain. Mon aide de camp fut chargé de porter une lettre au général Huché...
Observations :
Je pense que, politiquement, la guerre de la Vendée n’est d’aucun danger pour la République. Mais étant donné l’épaisseur des forêts, haies et bocages qui couvrent le pays, on ne peut pas s’attendre à en être débarrassé de sitôt. D’autant plus que les Brigands qui connaissent parfaitement tous les sentiers et détours échapperont quand ils le voudront aux colonnes agissantes. Les armées qu’on pourrait vouloir employer en les bloquant de tous côtés sont, suivant moi, les seules propices à en diminuer le grand nombre.
Une grande partie des moulins à vent qui avaient été brûlés dans l’intérieur des bocages sont remontés et en état de marche. Presque tous les foins ont été faits. Il est à présumer qu’actuellement la récolte est presque achevée. Les traces que nous avons vues devant les maisons nous ont indiqué qu’on bat le blé au fléau et aussi qu’on le récolte.
Plusieurs chasseurs et volontaires de la colonne qui n’ont pas pu hériter d’un uniforme se sont revêtus d’habits de différentes colonnes. Il faut absolument se soucier de pourvoir à leur habillement. Quelques-uns ont été pris par leurs camarades dans différentes affaires pour des Brigands et ont été victimes de cette ressemblance dans le costume.
Fait à Luçon, le 9 termidor, IIe année
de la République française une et indivisible,
le général de brigade Ferrand