Ils s’appelaient Связь, ce qui pouvait se traduire par « le Lien ». Dmitri Petrov, Ivan Dorevitch et Alexis Ivanov en étaient les dirigeants permanents en France.
Ils occupaient chacun un poste dans une entreprise ignorant tout de la véritable nature de leur mission, une méthode de couverture muette très prisée par le KGB de la grande époque, organe défunt dont ils étaient issus.
Côté pile, de respectables citoyens, côté face, des agents de l’organisation, depuis plusieurs années, ils avaient développé leur réseau et leurs activités au sein du Lien, association privée procurant à d’anciens agents russes la logistique et le renseignement dont ils avaient besoin sur le terrain.
Au fil des ans, l’organisation s’était rodée tout en maintenant une discrétion absolue et en limitant ses bons offices aux membres reconnus, dûment parrainés par Moscou. Pour faire appel à ses services, il fallait donc commencer par payer un droit d’entrée conséquent de dix mille dollars, et ce simplement pour bénéficier d’un numéro de membre et du droit de demander de l’aide.
Le Lien ne se définissait pas comme une organisation criminelle, et encore moins terroriste. Même si un bureau exécutif centralisait les demandes avant d’irradier celles qui semblaient sérieuses vers la base, sa structure de décision n’était pas hiérarchique. En fait, ceux qui composaient cette organisation se voyaient plutôt comme une confrérie chargée de faire perdurer une mission de nettoyage en toute discrétion, mais aux finalités honorables, voire légitimes.
D’ailleurs, chaque cellule nationale devait approuver, à la majorité, le bien-fondé d’une mission, et chaque agent en contestant la nature pouvait, s’il le désirait, refuser d’y participer.
Au sein du Lien, l’anonymat le plus absolu était de mise. L’on expliquait le plus clairement qui soit le service désiré, puis l’on attendait d’être contacté. Ensuite, un rendez-vous était proposé pour une rencontre avec un agent de l’organisation afin d’évoquer les détails et d’effectuer le premier versement.
Les prestations du Lien se payaient au prix fort, plusieurs centaines de milliers de dollars étaient en général nécessaire, mais quelle que soit la complexité de la mission, si elle était acceptée, elle était menée à son terme.
C’est à l’issue de longues recherches que Samir eut connaissance de cette association aux ramifications planétaires. D’escapades virtuelles loin des sentiers battus par Google et ses amis en visites importunes sur les messageries de quelques imprudents, il tomba, un jour, sur le site Internet du Lien.
À première vue, il n’y avait pas grand-chose d’intéressant, une belle pièce d’héraldique et quelques mots en cyrillique invitant le visiteur à taper ses identifiants, ou à créer un profil.
Mais là s’arrêtait la gymnastique habituelle, car si bien entendu, Samir opta pour le second choix, il dut rebrousser chemin, un numéro de parrainage étant demandé. Or, les curieux, et c’était bien là l’objectif, étaient par nature indésirables.
Toutefois, le compte de messagerie qu’il avait piraté appartenait à un entrepreneur originaire de Saint-Pétersbourg. Sa méconnaissance des règles de sécurité en matière d’Internet n’empêchait ni son passé sulfureux durant la guerre froide, ni les relations qu’il entretenait toujours avec la patrie de Pierre Le Grand.
Aussi, en fouillant régulièrement dans les nouveaux courriels reçus par le désormais honorable monsieur Garbov, il fut averti du nouveau numéro de parrainage qui lui était attribué, une clé personnelle changée régulièrement par mesure de sécurité.
Samir se connecta donc au site et créa un profil, d’ailleurs minimaliste, en lui attribuant les identifiants nécessaires à l’accès au site.
Bien évidemment, monsieur Garbov reçut immédiatement un nouveau message lui faisant part de la demande d’accès faite avec son numéro, et Samir, de façon très serviable, répondit au lien de confirmation avant de supprimer le message. L’usurpation, sur le net comme ailleurs, est redoutablement efficace parce que terriblement sournoise.
La cause était entendue, il était désormais sympathisant du Lien.
Il accéda au site sécurisé et découvrit à sa grande satisfaction que le cyrillique avait laissé la place aux caractères latins, et que c’est dans la langue de Shakespeare que les pages étaient écrites.
Il repensa à cet entrepreneur raciste qui l’avait privé du cursus scolaire tant désiré. « C’est important de parler anglais dans ce métier, on en a toujours besoin ! » avait-il prophétisé. Il avait raison, Samir avait énormément progressé sur ce point et cela lui était très utile, non pas pour servir de main-d'œuvre à bon marché à ce négrier des temps modernes, mais pour devenir plus riche que l’entrepreneur ne le serait sans doute jamais, et pour assouvir sa vengeance.
Sur le site, le Lien se présentait essentiellement comme une organisation d’intelligence économique. Études de marché, infiltration, données confidentielles, rien n’échappait, soi-disant, à la vigilance des agents du Lien.
Mais pour établir un contact et préciser sa demande, il fallait au préalable télécharger un logiciel.
Samir était prudent et il réfléchit un moment avant d’accepter. Il finit par télécharger le programme, mais le plaça dans la zone sécurisée proposée par son logiciel antivirus, une partie de son disque dur ne permettant pas l’exécution des programmes. Cela lui laissait le loisir de le scanner, de le dupliquer, et de le décompiler pour savoir ce qu’il contenait.
Il fut rassuré. Il s’agissait d’un logiciel de discussion, assez standard, mais très sécurisé. Il établissait en premier lieu une communication avec un serveur relais, recevait une adresse puis coupait la connexion initiale pour en établir une autre avec l’adresse reçue.
Puis il procédait à un échange de clés afin de crypter les informations durant la conversation. Samir fut impressionné par la qualité du travail ainsi que par le souci permanent de sécurité. Ainsi, il put constater que les clés étaient changées automatiquement toutes les dix minutes, ce qui rendait absolument caduque toute tentative d’écoute de la conversation, aucune machine au monde n’étant capable de casser si vite des clés de cryptage aussi sophistiquées.
Samir comprit l’état d’esprit de cette organisation en observant la structure de leur programme, et cela l’encouragea à continuer. Le logiciel de discussion était sûr, et il ne cherchait, à aucun moment, à obtenir la moindre information sur l’interlocuteur.
Lorsqu’il termina son inspection du logiciel, il était déjà tard. Il décida de remettre à une date ultérieure son premier contact avec le Lien.
*****
Quand Sonia poussa la porte de la grille ce matin-là, Éliane l’aperçut par la fenêtre de la cuisine. Elle la fit entrer et lui proposa un thé que la jeune fille accepta.
— Samir est parti me faire quelques courses. Il ne va pas tarder ! dit la maîtresse de maison.
— Vous savez, répondit Sonia, je n’ai jamais eu l’occasion de vous le dire, mais je trouve que c’est chouette d’avoir accepté qu’il vienne habiter chez vous.
— Tout d’abord, ma petite, il n’habite pas chez moi, mais dans son appartement sur ma propriété. Il paye un loyer et à ce titre, je n’ai rien fait d’exceptionnel.
— Bon, si vous insistez, lâcha la jeune fille avec une moue espiègle.
— Tu sais, c’est la première fois que je le vois avec une fille. Il a débarqué ici il y a six mois et depuis tout ce temps, personne n’est jamais venu le voir.
— Il est très secret. D’ailleurs, parfois, ça m’agace un peu, j’aimerais qu’il m’en dise plus sur qui il est, sa famille, sa vie, tout ça. Moi, je ne lui cache rien, mais souvent, j’ai l’impression de parler avec un garçon sans passé.
Éliane s’installa face à elle, sa tasse à la main.
— Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait, dit-elle. Les jeunes sont empressés, pleins de certitudes et d’intransigeance, ils veulent, ils exigent, ils s’impatientent, ils veulent que l’autre ressemble à un idéal qu’ils se sont fabriqués et qui n’existe que dans leurs rêves. Et puis en même temps, ils aiment, ou ils croient aimer, et ils mélangent joyeusement tout ça. Je ne te dirai rien sur Samir, d’une part parce que j’en sais peu, et d’autre part parce que c’est à lui de te faire partager son histoire, quand il jugera que c’est le moment, s’il le décide un jour. Tu ne peux rien lui demander, juste attendre, c’est comme ça la vie, la seule qui nous appartient, c’est la nôtre. Mais sans trahir de secret, je peux juste te dire quelques petites choses.
Tout d’abord, Samir, c’est un gosse exceptionnel, un type rare, comme tu n’en rencontreras certainement pas souvent dans toute ton existence. Ensuite, s’il te cache son passé, c’est sans doute parce qu’il veut te l’épargner. Or on a ce genre d’attentions que pour les gens qu’on aime. Il faut que tu sois patiente avec lui, il le mérite, tu peux me croire.
— C’est gentil de me dire ça, je suis touchée, dit la jeune fille. Je le sais que c’est un bon gars, et puis je me suis renseigné, le fennec est un animal qui s’accouple une fois, et pour la vie.
— Ainsi il t’a même dévoilé son surnom. Vous êtes donc très intimes ! Attention à ne pas lui faire de mal, ma fille, ou tu auras affaire à moi !
— Vous l’appréciez beaucoup, souligna Sonia.
— Lorsqu’il est venu frapper à ma porte, je venais de perdre mon mari. En réalité, il était mort depuis plus d’un an, mais chaque jour ressemble au précédent lorsque la peine est notre seule compagne. Et puis je l’ai vu, perdu dans un monde trop grand pour lui, apeuré comme un lapin dans les phares, et j’ai vu dans ses yeux toute la souffrance qu’il portait en fardeau. Ma peine m’a alors semblé dérisoire, parce que jusqu’au dernier jour de mon mari, j’ai vécu heureuse, épargnée par les drames et les désillusions, par la misère, la tragédie, la peur. Il m’a permis de regarder à nouveau devant moi, à ne pas me refermer sur hier et à continuer la route, même si je sais où elle me mène et que je n’en attends plus rien de beau. Lui, le lustre de l’existence, il doit encore le découvrir et je pense que tu as commencé à le lui dévoiler. Alors oui, je suis attaché à ce gamin, mais si tu le lui dis, je t’arrache les oreilles.
Sonia riait de bon cœur à la fausse menace lorsque Samir entra dans la pièce. Il l’embrassa puis posa les courses sur la table. Elle l’observa un petit moment, elle le voyait déjà différemment.
*****
Il avait fallu négocier une journée de congé en une période très chargée, ce qui ne fut pas aisé. Samir commençait à se demander s’il avait eu une bonne idée en contactant le Lien, car les choses ne se passaient pas comme il le pensait.
Déjà, lorsqu’il s’était connecté, il espérait pouvoir directement évoquer son affaire, mais on lui expliqua qu’il ne pourrait le faire que lors d’un autre rendez-vous, fixé sur un canal différent, trois jours plus tard, et à une heure précise. Alors qu’il demandait des explications, on lui conseilla de ne pas être en retard.
Cette façon d’agir, froide et impersonnelle, l’irritait.
Puis vint le moment de cet entretien. S’il trouvait ses principes un peu rigides, il fût toutefois satisfait de constater une fois encore l’efficacité de l’organisation : l’entretien débuta à l’heure, et son interlocuteur parlait français.
Enfin, il pourrait exposer son cas et savoir si le Lien pourrait l’aider dans sa démarche. Mais encore une fois, l’entretien tourna court. Son interlocuteur lui fit part, avec politesse mais sans laisser d’alternative, de la procédure. Une rencontre avec un agent du Lien devait avoir lieu, au cours de laquelle il pourrait cette fois évoquer la nature exacte de sa demande.
Cette débauche de précautions était certes louable, mais elle n’arrangeait pas Samir car non seulement il devait encore attendre, mais il lui fallait également se déplacer et se rendre à Monaco. Il accepta toutefois l’entretien.
Le dernier week-end de septembre, il prit donc son vendredi. Malgré sa curiosité, Sonia ne put rien savoir de sa destination ou des raisons de son escapade. Elle tenta bien de faire une petite crise de jalousie, mais Samir sembla n’y accorder aucune importance. Elle opta finalement pour une timide bouderie qui ne s’éternisa pas au-delà du coucher du soleil.
Samir prit donc le train pour se rendre à Menton, puis se rendit sur le rocher. Il devait se présenter devant le palais à l’heure de la relève de la garde, avec un bandana rouge qu’il accrocherait à ce moment précis à son bras droit.
En imaginant la scène, il s’en amusa, elle évoquait pour lui les vieux films d’espionnages ringards.
Lorsqu’il arriva, il y avait peu de monde sur la place. La saison touristique n’était pourtant pas terminée, mais il imaginait plus de cohue. La foule était donc parsemée et il scruta les alentours pour débusquer un éventuel veilleur.
Il ne vit absolument personne.
Il fit les cent pas, puis lorsque l’heure arriva, il arbora son bandana rouge avant de jeter un regard périphérique aux alentours.
À sa surprise, il ne vit encore rien d’anormal et commença à s’interroger. Et si, finalement, tout ceci n’était qu’une mascarade.
« Votre bandana vous va à ravir, dit une voix derrière lui, mais vous devriez l’ôter, à présent, cela fait mauvais genre ».
Il sursauta et se demanda comment l’homme avait pu arriver sans qu’il le voie.
— Vous êtes Sam ? demanda l’homme.
— Absolument.
— Marchons un peu. Nous allons faire une promenade dans les jardins, ils sont magnifiques.
Samir emboîta le pas de l’inconnu. Il devait avoir trente-cinq ans. Blond, le cheveu ras, il était l’archétype du slave tel que Samir l’imaginait. Malgré sa tenue de ville, un costume à la coupe précise, gris anthracite, on devinait derrière sa taille imposante un corps athlétique. Un instant, Samir se demanda si en dehors de lui, d’autres personnes l’observaient en ce moment mais pour être juste, il devait aussi avouer qu’il avait peur. Il avait sans doute été assez inconscient de faire appel à des gens qui n’étaient visiblement pas du même monde que lui.
— Vous avez souhaité faire appel à nos services, dit l’homme lorsqu’ils furent à l’écart des regards. Qu’attendez-vous de nous ?
— En réalité, dit Samir en essayant de parler avec un maximum de distinction, j’ignore si vous pourrez m’aider.
— Je suis là pour vous le dire, répondit l’homme.
— Puis-je savoir comment vous vous appelez ?
L’homme sourit.
— Je crois qu’il vaut mieux, pour vous comme pour nous, que nous en sachions le moins possible les uns sur les autres. C’est de la sagesse.
— Comme vous voulez. Je vais donc essayer de vous expliquer. Je suis issu d’une famille …
L’homme l’interrompit en plaçant sa main devant lui, avec douceur mais fermeté.
— Sam, puisque c’est sous ce pseudonyme que je vous connais, je vais essayer d’être concis mais précis. Je souhaite que vous exposiez uniquement votre requête, et en fonction, je vous demanderai des détails. Mais l’origine, les antécédents et les raisons qui vous ont mené jusqu’à nous, nous ne souhaitons pas les connaître.
Samir opina du chef pour marquer sa compréhension.
— Alors c’est simple, je veux faire tuer plusieurs personnes, un petit caïd en région parisienne, et trois de ses proches.
— Il me faudra leur nom, et leur adresse, bien entendu. Avez-vous des requêtes particulières sur la façon dont vous voulez que les choses se passent ?
— Parce que je peux ?
— Oui, nous pouvons faire le travail complètement, ou partiellement, nous pouvons vous assister à divers degrés. Mais nous aurons d’autres rendez-vous durant lesquels nous pourrons exposer ces détails-là.
— Et à présent, comment les choses vont-elles se passer ?
— Nous allons tout d’abord faire quelques recherches, puis soumettre le projet à notre réseau. Ensuite, Nous nous rencontrerons de nouveau et si l’avis est favorable, nous allons investiguer et préparer des scénarii d’intervention, en fonction de vos requêtes.
— Ça va me laisser un peu le temps d’y penser.
— Parfaitement. Si vous obtenez un avis positif de l’organisation, vous devrez effectuer un premier versement correspondant à la moitié de la somme suivant une procédure identique à celle que vous avez utilisée lors de votre inscription.
— Et le montant, je peux le connaître ?
— Pas précisément, il vous sera indiqué lors de notre prochaine entrevue. Mais sachez qu’il dépassera sans doute le demi-million de dollars.
— Bien, dit Samir sans se démonter. Je vais essayer de ne pas trop compliquer l’affaire, sinon je sens que l’addition va vite monter.
— J’en ai peur, répondit aimablement l’inconnu.
Ils se séparèrent. Ils devraient se revoir quatre semaines plus tard au même endroit.
« Cette fois-ci, plaisanta l’agent du Lien, le bandana ne serait pas nécessaire. »
*****
Après en avoir délibéré, il fut décidé que Dmitri Petrov assurerait la coordination de la phase initiale dans ce projet.
Alexis et Ivan étaient tous deux un peu moins disponibles, l’un pour des raisons familiales, l’autre parce qu’il devait effectuer un déplacement professionnel crucial.
Toutefois, Ivan assura que si l’étude préalable se révélait positive, il aiderait Dmitri pour la logistique dans cette affaire qui s’annonçait complexe.
Au sein de l’organisation, une attention particulière était accordée aux dossiers. Nul n’oubliait que la première mission du Lien était le renseignement, et que l’action, si elle devait se dérouler, ne pouvait s’achever sur un succès qu’à la condition que le travail de préparation soit parfait. Or, cela nécessitait un dossier d’information extrêmement complet.
Durant cette phase, au moins pour le départ, Dmitri n’avait besoin de personne. Il rechercha sur Internet tout ce qu’il pouvait trouver sur Mostar et les autres personnes citées par Samir. La pêche fut des plus malingres sur le web. Tout au plus parvint-il à retrouver la trace du Caïd sur Facebook pour dénombrer ses amis, ce qui lui permettait de rebondir sur une pléthorique liste de contacts. Mais la superficialité des relations sur réseau social aboutit à un désert informatif, manifestement, s’il était de bon ton d’être l’ami de Mostar, il valait mieux ne pas le fréquenter de trop près.
Dmitri fit alors appel à des ressources moins conventionnelles. Le Lien pouvait obtenir des informations très détaillées sur les gangsters notoires grâce à des fonctionnaires d’Interpol qui, à l’occasion, ne rechignaient pas devant un petit à-côté. L’administration supranationale disposait de tant de relais à travers le monde que l’accès aux fichiers policiers et judiciaires lui était aisé.
Là, les détails commencèrent à étoffer un dossier jusque-là famélique. Le Caïd contrôlait une place forte du trafic de stupéfiants dans la région, du moins sur le plan de la distribution. Son réseau de dealers était conséquent et ses appuis nombreux. En creusant un peu, les zélés fonctionnaires d’Interpol purent ajouter aux noms des membres de la garde rapprochée du caïd ceux de quelques élus ou de policiers soupçonnés de relations privilégiées avec le truand bosniaque.
Dmitri fit également étudier la zone géographique concernée. Pour cet aspect de l’affaire, il pouvait compter sur des contacts affiliés œuvrant toujours pour l’administration russe. Si on savait le leur demander, ces amis du Lien pouvaient obtenir des photographies d’une précision diabolique, au mètre près, d’une région déterminée, pour peu que l’un des satellites sous leur contrôle balaye la zone et que le temps soit vierge de toute activité nuageuse.
La dernière étape consistait en un rapport précis de l’un des enquêteurs réguliers du Lien. Le réseau d’intelligence travaillait régulièrement avec des informateurs éparpillés sur l’hexagone. Certains disposaient d’une licence de détective en bonne et due forme, d’autres étaient un peu plus sulfureux, mais tous étaient capables d’évaluer une situation, de poser les bonnes questions et d’observer un microcosme en quelques jours.
À ce niveau de l’affaire, il ne leur était pas demandé d’infiltration en profondeur mais simplement de recueillir assez d’informations pour établir le degré de complexité d’une opération ainsi que d’évaluer son bien-fondé.
Moins de deux semaines après l’entretien de Monaco, Dmitri disposait d’un dossier étoffé qu’il présenta lors de la vidéoconférence régulière avec Moscou.
Alexis et Ivan étaient présents lorsque le grand écran mural s’alluma. Le bureau russe était composé, ce jour-là, de quatre participants parmi lesquels Igor Inienko, l’un des membres historiques du mouvement et Anna Alexandrovna, responsable administrative du groupe dont dépendait la structure française.
Après quelques banalités échangées avec les trois représentants français, elle donna la parole à Dmitri.
— Il s’agit d’une demande d’intervention sur un dossier assez complexe. Le demandeur est parrainé par Garbov. Je l’ai rencontré. Il s’agit d’un jeune homme, de type nord-africain, âgé de dix-huit ans au plus. Il a versé la somme de son adhésion à partir d’un compte aux Philippines. Comme d’habitude, nous avons demandé un état de solvabilité à nos contacts sur place pour une somme d’un million de dollars. Il est positif.
— Le demandeur est-il une personne médiatiquement ou juridiquement exposée ? demanda Igor Inienko.
— Apparemment non, mais sur ces affaires, nous nous conformons à l’exigence d’anonymat mutuel. Mon expérience me dit que non. Je pense avoir déjà cerné le profil et l’origine de ce garçon grâce au dossier d’information. Maintenant, si vous le souhaitez, nous pourrons étoffer ce dossier d’une enquête plus approfondie sur le sujet.
— Nous nous fions à votre impression, Dmitri, trancha Anna Alexandrovna. Vous savez que pour nous, les deux critères majeurs sont la solvabilité et la sécurité du Lien. Présentez-nous l’affaire.
— Le demandeur souhaite faire exécuter quatre personnes, par vengeance personnelle. Il s’agit d’un petit caïd de la drogue en région parisienne, contrôlant un quartier dit difficile, ainsi que trois de ses proches qui sont définis comme des lieutenants. L’enquête de proximité nous a permis de savoir que les cibles sont en général groupées, ce qui facilitera l’opération. En revanche, l’accès au territoire va requérir une certaine logistique et un commando assez expérimenté.
Les membres du bureau moscovites se consultèrent brièvement.
— Continuez, Dmitri, dit Anna à la fin du conciliabule.
— Selon nos informations, les cibles sont des criminels notoires, coupables de meurtres, de trafics en tout genre, de rackets également. Ils disposent d’une organisation armée capable de défendre le territoire et ses membres contre une intervention massive des forces de police. Mais ils seront sans doute assez vulnérables à une expédition bien menée et préparée.
— Sait-on les raisons de cette vengeance ? demanda Igor Inienko. Il me paraît pour le moins atypique qu’un garçon de dix-huit ans dispose d’autant de ressources sur un paradis fiscal et en veuille à un narcotrafiquant. Est-ce une lutte entre bandes rivales pour un contrôle de zone ? Vous n’ignorez pas que le Lien répugne à modifier les écosystèmes de ce type.
— Je m’attendais à cette question, Igor, répondit Dmitri posément, et c’est pour cette raison que je vous ai dit que j’avais des informations en corrélation avec l’affaire qui me permettent de connaître, de façon presque certaine, l’identité du demandeur.
— La clause d’anonymat me paraît bien loin, souligna Anna.
— J’en suis conscient, dit Dmitri, mais cette information est apparue assez clairement dans le dossier. Il y a quelques mois, une instruction judiciaire a été ouverte contre la cible principale pour meurtre. Il s’agissait manifestement d’un règlement de compte. La victime, un jeune français d’origine nord-africaine, a été exécutée de plusieurs balles dans la tête. La police a lancé alors un appel à témoin pour retrouver un jeune garçon de dix-sept ans, le frère de la victime, qui d’après un chauffeur de bus, aurait assisté au crime. Il ne s’est jamais présenté. Sans aucune preuve ni élément probant, la justice a dû classer l’affaire. La famille de la victime apparaît comme étant sans histoires et le jeune fuyard également, il était scolarisé et assidu à l’époque des faits. J’ai de bonnes raisons de penser que notre demandeur est ce garçon.
— Et vous vous voyez bien en redresseur de torts, Dmitri, lança Igor Inienko. Je vous comprends, dans notre métier, les occasions sont rares d’imaginer que nous œuvrons pour une bonne cause. Mais attention, le sentimentalisme conduit à l’imprudence. En tant qu’instructeur de ce dossier, quel est votre avis ?
— Je suis favorable à la rédaction d’un acte de mission, contre un paiement de quatre cent mille dollars.
— Alexis, Ivan, votre opinion ?
— Je n’ai pas participé à la première phase, dit Alexis, mais Dmitri s’est bien investi et a réalisé un travail soigné et précis. Je suis favorable à la mission.
— Pour ma part, je ne vois aucune raison de m’y opposer, dit Ivan. Mais je pense que nous devrions aller jusqu’à cinq cent mille dollars, d’abord parce que si les impressions de Dmitri se confirment, le demandeur a des raisons personnelles pour faire exécuter cette mission, et qu’à ce titre, si ses moyens sont bien ceux que nous estimons, il acceptera ce prix. Ensuite, parce que je n’exclus pas la possibilité de difficultés de terrain. N’ayant pas rencontré le demandeur ni participé aux études, je suis émotionnellement neutre et je me fie donc à mon jugement au vu éléments en notre possession. Le territoire d’intervention est complexe et hostile, la cible principale est entourée d’une garde armée, certes inexpérimentée, mais nous ne connaissons à ce jour pas grand-chose de l’organisation de cette défense ou du nombre d’opposants auxquels nous devrons faire face. Enfin, les desidératas particuliers de notre client sont encore inconnus, et je trouve qu’il serait responsable de nous accorder une marge de manœuvre pour pouvoir y répondre.
Les participants russes coupèrent leurs micros et se lancèrent dans un débat assez animé. Au terme des discussions qui durèrent une dizaine de minutes, Anna Alexandrovna annonça la position du bureau.
— Nous sommes d’accord pour cet acte de mission. Nous vous enverrons un agent confirmé ainsi que deux apprentis en formation. À la demande d’Igor, nous exigeons toutefois que l’étude logistique soit supervisée par Dmitri en personne. D’autre part, nous demandons à ce qu’il participe à toute l’opération, y compris sur le terrain, pas forcément en phase active, mais au moins en soutien. Êtes-vous d’accord, messieurs ?
— J’apporterai mon assistance à Dmitri, dit Ivan, afin que cette mission puisse avoir lieu dans les temps impartis.
Dmitri et Alexis acquiescèrent également.
*****
Pour Samir, l’heure du règlement de compte approchait. Plus que quelques jours avant que le Lien ne lance l’opération qu’il attendait.
En y réfléchissant, il n’avait pu imaginer que la vengeance puisse être aussi jouissive. Depuis toujours, la cité paraissait être une citadelle inexpugnable et ceux qui la fuyaient n’y revenaient jamais. Dans ce cas, le châtiment du caïd ne pouvait être qu’un rêve impossible, une armée n’aurait pu en venir à bout. Mais la vie lui avait réservé de curieux méandres, l’ordinateur avait été responsable de l’arrestation de son frère puis de sa mort, il avait aussi apporté richesse et connaissance avant de lui offrir la vengeance sur un plateau d’argent.
À présent, il était temps de rendre toute la haine qu’il avait accumulée, toutes les peurs qui s’étaient amoncelées au point de noircir son âme et de lui ôter, avec la candeur de ses jeunes années, toute forme de compassion.
Il savait qu’il s’était endurci, qu’il faisait partie désormais d’une élite, ceux que la peur ne touche plus, que la morale n’atteint plus, qui sont devenus tout ce que son père détestait.
Mais tel était son destin, il n’était pas fait pour construire des maisons, épouser une jeune musulmane sous les youyous de la cité, puis vivre dans l’humilité jusqu’à ses derniers jours dans l’enfer gris du béton parisien.
Il allait devoir prendre le train, remonter vers le nord, et rattraper son passé. Mais de même qu’il n’avait pas oublié ceux qu’il fallait châtier, il gardait une pensée pour ceux qu’il aimait. Il envoya une lettre à Leila.
*****
Le restaurant chinois venait de fermer. N’ayant pas eu le temps de trouver un autre endroit, Mostar rencontra Clerc et Martini dans une voiture, à la nuit tombée, loin de la cité.
— Mes gars m’ont ramené une lettre de Samir, dit-il aux policiers.
— Il va bien ? ironisa Clerc.
— Oui ! rétorqua Mostar. Trop bien. La lettre a été postée dans le Var, à Bandol.
— Il y a une adresse ?
— Non, pauvre con ! lâcha le bosniaque. Mais en cette saison, il n’y a pas encore grand monde, il ne doit pas être difficile à trouver.
— C’est possible ! répondit Martini. On pourrait relancer l’enquête. Mais le dossier est classé, il va falloir faire de la paperasse administrative, ou alors tenter de se raccrocher à un autre dossier. Ça ne va pas être facile.
— Je vous paye à quoi foutre ? éructa Mostar. Quand j’ai besoin de vous, il n’y a jamais personne.
— Tu es un ingrat, tonton, rétorqua Clerc. On a fait notre maximum pour le retrouver, ton ami.
— Vous ne retrouveriez pas un chat coincé dans une gouttière !
— Bon, ne t’énerve pas, dit Clerc. On n’a pas dit que c’était impossible, mais que c’était compliqué. C’est l’affaire de deux ou trois jours, pas plus. Ensuite, on demande le concours de nos collègues là-bas, ils nous le retrouvent, et on te donne l’adresse. Le reste, on ne veut pas le savoir. Est-ce que ça te va ?
— Tout à fait, répondit Mostar. Demain, j’enverrai Edin là-bas. Dès que vous me donnerez l’adresse, il ira s’occuper du morveux.
*****
Le froid était tombé sur la capitale française lorsque l’avion atterrit à Roissy. Mais pour les Russes qui en descendirent, ce n’était qu’une brise légère comparée aux rigueurs cinglantes de l’hiver moscovite.
En silence, Sergueï Romanov, Nenad Cvectic et Evgueny Lockine passèrent séparément la douane, éparpillés dans les files d’attente. Leurs visages durs, leurs coupes de cheveux strictes et le fait qu’ils voyageaient seuls attirèrent le plus naturellement du monde l’attention de la police de l’air et des frontières sur leur cas. Mais leurs sacs de voyage ne révélèrent aucune surprise, tout comme les requêtes informatiques que l’ont fit sur leurs noms, leurs photographies ou leurs caractéristiques biométriques.
Une fois débarrassés des formalités, ils se rejoignirent puis recherchèrent leur contact. Il ne fut pas difficile à trouver, il portait un blouson avec un écusson sur le cœur représentant trois cercles imbriqués traversés çà et là par une corde avant que les extrémités ne disparaissent dans les bords inférieurs. C’était l’emblème du Lien.
— Camarade Dmitri Petrov ? demanda Nenad.
— Dmitri ! répondit celui-ci en tendant la main. Il y a longtemps qu’ici nous ne disons plus camarade, cet atavisme du communisme est devenu trop voyant.
— Au pays également, ajouta Sergueï en tendant la main.
— Voici le commandant Sergueï Romanov, dit Nenad en le présentant, et Evgueny Lockine.
— Je suis enchanté, répondit Dmitri.
— Evgueny et Nenad sont deux apprentis de troisième année, mais ils font partie de mes meilleurs éléments, précisa Sergueï, vous pouvez avoir une totale confiance en eux.
— Je suis très honoré de vous recevoir à Paris, Maitre Romanov. Votre réputation est grande dans notre institution, je n’espérais pas qu’un tel maestro nous soit envoyé de Moscou.
— Je me suis porté volontaire, répondit Sergueï. J’ai beaucoup de sympathie pour Paris et mes apprentis ont besoin d’expérience de terrain. J’ai lu votre dossier, l’opération est idéale, assez complexe pour aguerrir mes garçons, mais réalisable tout de même.
— Vous logez ce soir dans un hôtel de l’aéroport, annonça Dmitri. Vous êtes en visite dans un salon qui a lieu à la porte de Versailles. Les badges à votre nom sont prêts et demain, pendant que nous préparerons l’opération, des « clones » visiteront le salon pour vous.
— Quel est le timing ? C’est la seule chose que votre dossier ne précisait pas, demanda Sergueï.
— Début de l’opération à minuit trente, nous avons près d’une demi-heure de marche pour atteindre la zone. Fin de la phase d’intervention prévue pour 1 h 30. La phase de transport durera deux heures.
— C’est un peu long, jugea Sergueï.
— Je le reconnais, dit Dmitri, mais nous intervenons en Seine-Saint-Denis, et nous devons éviter les grands axes, ce qui exclut toute possibilité d’aller au nord car nous risquons les patrouilles et la douane volante, ce sont ces routes que prennent les trafiquants qui partent s’approvisionner en Belgique ou aux Pays-Bas. Nous avons donc choisi une villégiature en Beauce, l’endroit est très calme.
— Bien, c’est effectivement plus prudent.
— La phase finale aura donc lieu à partir de 3 h 30 en Beauce. À 4 h 30, tout devra être terminé, nous nous chargerons du nettoyage. Vous serez conduit à votre hôtel pour le check out avant de prendre le vol du matin.
— Hypothèses de repli ?
— Au nombre de trois. En cas d’échec total de l’intervention, en cas d’échec partiel avec intervention des forces de l’ordre, et en cas d’interception après mission. Nous avons prévu deux bases de repli en côté est et ouest de la région parisienne, et nous avons organisé votre évacuation soit vers la frontière suisse près de Mulhouse, soit par l’océan en Vendée.
— Tout me semble parfait. J’ai beaucoup entendu parler de la cellule française, Dmitri, il paraît que vous faites un travail remarquable. Je m’aperçois qu’en tout cas, l’organisation paraît rodée.
— Nous sommes rodés, assura Dmitri alors qu’ils arrivaient à l’hôtel.
*****
Les deux véhicules stationnèrent sous un pont enjambant l’autoroute. Dans le puissant 4x4 de marque allemande, Dmitri et Sergueï attendaient l’heure prévue pour lancer l’opération.
— Nous allons devoir marcher un peu, dit Dmitri.
— Tant mieux, je n’aime pas commencer une intervention à froid. Comment vous sentez les choses ?
— Il y a quelques points délicats, car le repérage ne nous a pas permis d’avoir une visibilité parfaite de l’organisation sur les lieux mêmes. Mais les immeubles sont tous identiques et donc, nous ne devrions pas avoir d’ennui. Nous accéderons à la place par une trappe de toit, mais elle risque d’être bloquée ou obstruée.
— Fenêtres ?
— Oui, et balcons, dont un situé sur une zone non exposée. C’est le plan B.
Sergueï observa les environs avec les jumelles à vision nocturne. Au fond se détachait la cité, imposant massif de béton rectangulaire, plus menaçant qu’engageant.
— Je n’aimerais pas vivre là-dedans, dit-il, je n’imaginais pas Paris ainsi.
— Il y a un revers à chaque médaille, répondit Dmitri.
— Notre client connaît les lieux ?
— Apparemment, il y a vécu.
Il fendit cette impression d’un large sourire.
— Cela semble vous rendre joyeux, dit Sergueï.
— Ce n’est pas cela qui m’amuse, mais le comique de la situation. Durant la phase de repérage, notre enquêteur, Farid, a obtenu des informations de première main qui en elles-mêmes n’ont rien de drôle, mais qui, avec ce que nous savons par ailleurs, donnent un certain relief à ce dossier.
— Quel est ce scoop ?
— Nous avons appris que le truand Mostar a récemment été dépouillé d’une partie importante de sa fortune, par un moyen encore inconnu. Cela a abouti à quelques règlements de compte dans la région.
— Et lorsque vous corrélez cela au fait que notre client, qui est semble-t-il recherché par cette bande, a les moyens de se payer nos services, vous en concluez qu’il est le voleur.
— Absolument, dit Dmitri, de sorte que pour la première fois de ma carrière, je vais me retrouver à effectuer un contrat qui sera payé avec l’argent de la victime.
— C’est en effet une drôle d’ironie du sort.
Sergueï regarda sa montre. « C’est l’heure, dit-il ». Puis il appuya sur l’émetteur fiché sur sa veste noire et s’adressa au reste de l’équipe : « Messieurs, on y va ! » ajouta-t-il.
Les deux apprentis sortirent de la camionnette garée derrière le véhicule de Dmitri. Ils se chargèrent de gros sacs à dos noir et en débarquèrent deux autres pour leurs coéquipiers. Au volant de la fourgonnette, Ivan attendrait la phase suivante.
Les quatre hommes firent l’ascension du talus et commencèrent à marcher en contrebas de l’autoroute. En raison du dénivelé, ils ne pouvaient être aperçus par les véhicules qui les croisaient. L’autoroute leur fournissait à la fois le moyen d’une approche discrète et la lumière qui rendait leur excursion plus confortable.
Au bout de quelques minutes, ils atteignirent le bois qui séparait la cité du cordon routier. Ils évoluèrent prudemment en veillant à ne pas faire crisser les rameaux et les feuilles sous leurs pas.
Arrivé en vue de l’objectif, Sergueï s’accroupit en levant le poing, ce qui provoqua la même attitude chez les autres. À ce stade, ils s’équipèrent du casque à vision nocturne qui leur fournissait un avantage énorme sur leurs adversaires.
La première étape consistait à neutraliser les deux jeunes qui, jour et nuit, étaient affectés à la surveillance de cet espace, véritable point faible de la citadelle de Mostar. Installés sur un couloir formé par deux immeubles, ils étaient assis, face à face, l’un sur un grand bidon, l’autre sur une chaise arbitrale de tennis, et jouaient avec leurs téléphones. Les deux apprentis prirent position derrière les arbres situés à l’arrière, en angle mort. Mais s’ils levaient les yeux et scrutaient la forêt, les jeunes vigiles pouvaient presque les voir à la faveur du lampadaire pirate qui, planté sur le flanc de l’immeuble, éclairait la zone.
Lorsque ses hommes furent prêts, Sergueï prit son fusil d’assaut dans le sac, l’équipa de la lunette et du silencieux et fit exploser la source lumineuse. Deux secondes plus tard, les deux veilleurs étaient au sol, immobilisés par les commandos russes. Simultanément, ils furent exposés à un mouchoir d’où émanait une odeur acre. Ils perdirent connaissance.
Les apprentis les replacèrent alors sur leurs sièges respectifs, leur faisant prendre une pose naturelle et plaçant leurs doigts sur leurs téléphones. En cas de patrouille, il fallait éviter que leur absence puisse donner l’alerte.
Dmitri et Sergueï purent rejoindre les deux Russes. Dmitri sortit de son sac une sorte de modèle réduit d’hélicoptère.
— Un scarabée ? chuchota Evgueny. Vous êtes bien équipés !
— Nous n’avons pas à nous plaindre, répondit Dmitri.
L’engin était équipé d’une pince dans laquelle fut placée la base du grappin. Puis il prit son envol, dans le silence le plus total. Équipé d’une caméra, il pouvait être guidé avec une grande précision, au-delà du toit de l’immeuble, afin de trouver le point d’accroche optimal pour l’équipe.
Une fois le grappin posé, Nenad fixa le treuil qui dépassait de son harnais. Sous l’action du moteur électrique, l’homme s’éleva le long de la corde. D’en bas, on n’entendait guère plus que le bruit d’une fermeture éclair et, à chaque rappel, le léger son grave des bottes sur le mur.
Arrivé sur le toit, l’apprenti sécurisa la fixation pour le retour, car la fuite devait avoir lieu par le même passage.
Les autres membres du commando rejoignirent Nenad sur le bâtiment et il remonta la corde. Au cas où les veilleurs seraient découverts, il ne fallait pas que l’on puisse savoir ce qui se passait. Parfois, l’incompréhension d’une situation permettait d’obtenir un peu de temps, quelques secondes qui pouvaient s’avérer vitales.
Dmitri utilisa ensuite le scarabée pour offrir un accès de voltige au bâtiment suivant, et ainsi de suite. Les cordages étaient sécurisés pour offrir une tension capable de supporter le poids considérable de 500 kg.
Arrivés sur l’immeuble cible, ils repérèrent la trappe d’issue de secours. Ils ne cherchèrent pas à l’ouvrir de suite. Dmitri sortit du sac une boîte noire et orange d’où pendait un tuyau semi-rigide. Les quatre hommes vérifièrent l’étanchéité du masque équipant leur casque, puis le tuyau fut inséré dans un interstice de la trappe. Il trouva un peu de résistance, mais elle céda rapidement. Sur l’écran de l’appareil, le visuel fourni par la micro-caméra indiqua une personne, assoupie sur un siège basculé contre le chambranle de la porte.
Dmitri appuya sur la touche scanner et ils obtinrent une visualisation infrarouge indiquant, en plus du veilleur de la porte, deux autres gardes dans le couloir suivant.
Avant de débloquer la trappe, il fallait s’assurer de la tranquillité du premier gardien.
Dmitri actionna un autre bouton sur son appareil et un gaz s’échappa du tuyau, en direction de la porte gardée.
Extrêmement volatile, le gaz allait se répandre insidieusement sur la zone. Le veilleur endormi laissa tomber son téléphone. Le bruit attira les deux autres gardes qui respirent le parfum de sommeil et s’écroulèrent.
Dmitri fit signe aux trois Russes, leur indiquant que la voie était libre. Ils tentèrent d’actionner la trappe mais elle ne s’ouvrait pas. Dmitri actionna alors la manette de son appareil et la visée de la caméra changea. Le câble, se tortillant comme un serpent, permettait d’obtenir n’importe quel axe de vue. Il put ainsi facilement dénicher le morceau de contreplaqué grossièrement cloué qui interdisait l’ouverture de la trappe.
Sergueï inséra la lame fine d’un couteau et tapa avec son poing sur son pommeau. Sous l’effet d’une force inverse, le verrou de fortune lâcha et tomba dans l’escalier.
Les deux apprentis descendirent immédiatement dans le couloir, passèrent la porte et prirent position devant l’entrée de l’appartement de Mostar, rapidement suivi par les deux anciens membres du KGB.
Dmitri utilisa de nouveau le petit boitier multifonction. Il passa le câble sous la porte d’entrée et injecta une nouvelle dose de gaz anesthésiant à l’intérieur du logis.
Dans le silence absolu de la pièce, la caméra ne fit bientôt plus état que de corps affalés, au sol ou sur une chaise.
Evgueny activa alors une sorte de seringue à acide corrosif pour ouvrir, en un instant, la porte d’entrée. La serrure fondit littéralement, expirant dans un pétillement à peine audible.
Les apprentis pénétrèrent sur zone. Il n’y avait pas moins de sept corps plongés dans un profond sommeil. Avec précaution, Nenad entreprit de vérifier les autres pièces. L’une d’entre elles était verrouillée.
Dmitri passa de nouveau son petit câble magique pour anesthésier ce qui devait être la chambre de Mostar. Pendant ce temps, Evgueny avait trouvé, parmi les corps flasques qui jonchaient le sol, celui de Ludo, identifié comme cible 3 et celui d’Edin, cible 4. Il les plaça dans des sacs de toile résistants fermés par un cordon.
Une fois le gaz injecté, Nenad actionna le loquet de la porte mais, alors qui s’apprêtait à le forcer, le commando entendit une voix s’élever de la chambre.
« Qu’est-ce qui se passe ? On ne peut pas roupiller tranquille ? »
Repoussant son apprenti du bras, Sergueï donna un violent coup de pied sur la serrure et la porte s’ouvrit d’un coup. Puis il ajusta l’homme qui était debout d’une rafale de son fusil-mitrailleur.
Derrière lui, Evegueny et Nenad se précipitèrent.
— Est-ce que le reste de l’appartement est sécurisé ? demanda Sergueï.
— Oui, répondit Evgueny.
Le commandant instructeur fit signe à son élève de prendre possession du dormeur qui, sur le lit, n’avait rien pu capter de la scène. C’était Mostar.
Puis il releva le crâne du cadavre gisant au sol.
— Désolé, Dmitri, nous ne pourrons pas rendre une copie parfaite à votre client. Ce type est la cible 2. Il est resté insensible à votre gaz parce que cet abruti dormait dans un caisson à oxygène comme Mickael Jackson. Je me demande où ces mecs vont chercher des idées pareilles.
— Je pense que ce ne sera pas trop grave, l’important est qu’il soit mort. Ce qui compte est que notre cible 1 soit toujours en vie.
— Que fait-on ? On embarque quand même le cadavre ?
— Oui, notre client ne peut pas se baser sur notre parole, si on lui dit qu’il est mort, il doit pouvoir le vérifier.
— Allez ! les jeunes ! lança Sergueï, mettez-moi une capote sur ces morceaux de viande !
Dmitri actionna l’émetteur de la veste.
— Ivan ?
— Je te reçois, répondit le soutien logistique du groupe.
— La phase deux est terminée. Nous rentrons.
— Parfait, j’arrive.
Pendant que le commando prenait le chemin du retour, chargé de leurs sacs, Ivan approcha la camionnette à l’entrée de la cité, presque au bord du premier immeuble collé à la forêt. Le timing était établi de sorte que le véhicule ne stationne pas trop longtemps à découvert, même si le risque d’être repéré était sensiblement diminué par le profond sommeil qui avait envahi les deux premiers veilleurs.
Le retour du commando était rendu plus pénible par les sacs contenant les corps. Mais rompus à ces exercices, Evgueny et Nenad faisaient merveille. Il ne leur fallut que quelques minutes pour atteindre le pied du premier immeuble franchi. À l’arrière, Sergueï et Dmitri récupéraient le matériel afin qu’aucune trace ne puisse trahir leur passage.
— Je ne pense pas que la police scientifique vienne ici pour tenter de comprendre comment ce salopard aura disparu, dit Sergueï.
— Pourquoi est-ce que cela aurait une importance ? interrogea Dmitri.
— Parce que le seul élément qui leur permettrait de regarder vers nous, c’est votre putain de gaz. C’est un modèle utilisé uniquement par le FSB[12]. C’est efficace, mais c’est signé. Comme j’ai récupéré mes douilles, il n’y aura aucune autre trace représentative là-bas.
— C’est juste, admit Dmitri, reconnaissant ainsi le légendaire professionnalisme du commandant Sergueï Romanov.
Les quatre sacs furent placés à l’arrière de la fourgonnette et furent accompagnés par les apprentis. Sergueï et Dmitri prirent place à l’avant. Ce dernier fut déposé à sa voiture et le cortège prit la direction de la Beauce. Le timing était respecté, ils avaient même quelques minutes d’avance.
*****
Les vastes étendues de la Beauce donnent à l’œil l’impression d’un désert d’épis d’or. Parfois, le panorama de champs de blés ou de betteraves se retrouve entaché d’une construction aux contours tourmentés, l’esthétique architecturale n’étant pas le propre de l’exploitant agricole.
Par cette froide nuit d’hiver, la curiosité d’un passant n’aurait pas été attirée par les formes douteuses de cette grange isolée, mais par l’incongruité de la lumière électrique qui, entre l’océan bruissant des cultures céréalières et la grandiose voûte céleste que rien ne venait polluer, déposait un halo difforme sur un paysage divin.
Mais il ne passait jamais personne par ici.
Les véhicules stationnèrent devant le bâtiment. C’était une construction moderne, aux murs de tôle et à la charpente de bois pauvres. Destinée aux foins, elle n’était plus utilisée depuis longtemps, une sombre affaire d’héritage ayant plongé dans la jachère prolongée l’exploitation couvrant des hectares aux alentours.
Les sacs furent débarqués et Dmitri repartit chercher le client. Pour la phase finale de l’opération, sa présence était nécessaire.
Il avait été logé dans un petit hôtel de la région, une de ces boîtes à dormir qui avaient poussé comme des champignons au fil des années sur la nationale 20.
Certes, au prix des prestations fournies par le Lien, il aurait pu bénéficier d’un hébergement plus luxueux, mais la priorité était à la discrétion et ces hôtels à bas prix bénéficiaient d’un remarquable anonymat.
Lorsque Samir arriva, il était un peu intimidé. Il franchit le seuil de la grange et vit les quatre hommes, solidement attachés sur les piliers d’une mezzanine. Tous paraissaient inconscients.
Son appréhension s’estompa en voyant les meurtriers de Rachid à sa merci, il se sentit gagné par une sensation de toute-puissance.
Sergueï s’approcha du jeune homme et le salua. Les apprentis demeurèrent en retrait, tandis qu’Ivan assurait la surveillance à l’extérieur. Même si tout s’était déroulé à merveille jusque-là, le Lien ne baissait jamais la garde, un piège était toujours possible.
— Le dénommé Ismir a été tué pendant l’intervention, dit Sergueï, j’en suis navré, mais c’était une question de sécurité pour mon groupe.
— Ce n’est pas grave, dit simplement Samir. Et les autres ?
— Nous attendons votre accord pour les réveiller.
Samir fit signe de la tête. Des seaux d’eau glacée s’abattirent sur les captifs. Ludo s’éveilla brusquement, Mostar et Edin mettant un peu plus de temps à émerger. Lorsqu’ils reprirent conscience, ils se virent attachés à d’imposantes poutres face à un commando d’inconnus aux visages durs, des blancs, blonds pour la plupart. Armé, le groupe les observait d’un regard neutre, sans sympathie ni animosité.
« Qu’est-ce qu’on fout là ? C’est quoi ce binz ? Qui êtes-vous ? » cria Mostar.
Derrière les formes massives du commando russe, il vit alors apparaître la maigre silhouette de Samir.
— Toi ! hurla-t-il. Tu es derrière tout ça, sale traître ?
— Ferme ta grande gueule, Mostar, dit Samir avec assurance. L’heure est venue de payer pour tes crimes.
— Attends, attends, dit le Bosniaque en prenant conscience de la gravité de sa situation. Je suis certain qu’on peut s’arranger. Je vais te donner de l’argent, beaucoup d’argent.
— Tu n’as plus rien, pauvre con ! répondit Samir. Ça fait des mois que je te pourris la vie parce que j’ai piraté ton ordinateur, c’est moi qui ai donné tes go-fast aux flics, tu vois, si tu ne les avais pas achetés, tu serais en taule, et pas ici. Tu vois comme parfois, on prend les mauvaises décisions et on les paye à crédit ?
— Si c’est à cause de ton frère, je peux t’expliquer. C’est lui qui volait ma mort, il avait prévu de me faire tuer, c’était un peu de la légitime défense.
— Arrête, tu es pitoyable. Je t’ai fait venir ici parce que je voulais que tu saches pourquoi et par qui tu allais crever. Je voulais que tu payes pour la mort de Rachid, mais il fallait que j’attende. J’ai été patient, et le moment venu, je t’ai pris tout ton argent et j’ai demandé à mes amis de venir s’occuper de toi.
— Écoute, Samir, je te laisse tout, laisse-moi repartir chez moi, en Bosnie, et je te donnerai tout mon réseau, je ferai de toi mon successeur, tu prendras la place que ton frère voulait prendre. C’est un bon deal, ça, non ?
— Ça ne m’intéresse pas ! dit Samir.
— Eh, Fennec, cria Ludo. J’étais le meilleur ami de ton frère. J’ai tout fait pour le protéger, mais ils m’ont obligé.
— C’est toi qui nous as vendu quand on a téléphoné du Mc Do, Ludo. Tu ne mérites pas mieux que lui, peut-être même que je devrais te torturer, en plus, parce que mon frère avait confiance en toi et tu l’as trahi.
— Mais non, il m’a forcé, il était déjà chez moi quand Rachid m’a appelé, je ne pouvais rien faire, ils ont tout entendu. Ils m’ont forcé à les accompagner.
— Tu t’es fait tuer pour Rachid ? Non, bien sûr, puisque tu es encore là à trafiquer avec ces chiens. Rachid, lui, il se serait fait tuer pour toi.
Dmitri s’approcha de Samir et lui chuchota que l’heure tournait et qu’il fallait respecter le timing.
« Si vous avez envie de faire une dernière prière, c’est le moment, lança Samir. Dans une minute, vous irez au diable ».
Sergueï s’approcha et lui tendit un pistolet automatique.
« Si tu veux le faire, mon garçon ! »
Samir hésita.
« Je préfère que vous terminiez ça, je n’ai pas envie de me salir les mains avec son sang pourri ».
Sergueï fit un signe à ses deux apprentis. Les trois agents du Lien se glissèrent derrière les poteaux et passèrent une lanière autour du cou des malfrats. Ils n’eurent pas le temps de crier, les soubresauts grotesques de leur corps et de leurs membres étouffèrent leurs plaintes en un sinistre gargouillis. Les yeux se figèrent, les bras tombèrent, et les têtes s’affaissèrent. C’était terminé. Mostar, le caïd était mort, Edin son lieutenant et Ludo, le meilleur ami de Rachid, l’avaient accompagné dans son dernier go-fast.
Dmitri prit Samir par l’épaule tandis que les autres s’affairaient.
— Vous verrez, jeune homme, le spectacle morbide laisse un goût dégueulasse dans la bouche les premières heures, mais après, la vengeance parvient parfois à apaiser l’âme en souffrance, du moins en partie. Rien ne rattrape ceux qui sont partis, pas même ceux qu’on lance à leur poursuite. Ivan va vous accompagner, moi je reste pour le nettoyage.
— Qu’est-ce que qui va advenir des corps ? Vous allez les enterrer ?
— Si nous existons toujours, dit Dmitri, c’est parce que nous ne laissons jamais de traces derrière nous. Les Macabées, ça sort de terre à la faveur d’une herse de tracteur, ça remonte des flots, et après, avec les moyens de la police aujourd’hui, on a des ennuis. Notre meilleur ami, c’est la chimie, dans dix minutes, il ne restera plus rien de ces corps, même l’ADN sera inutilisable. Pas de cadavre, pas d’affaire, c’est mieux pour tout le monde, pour vous aussi. N’oubliez pas d’effectuer votre dernier versement, jeune ami. Le Lien est toujours payé pour ce qu’il fait.
— Rassurez-vous, répondit le jeune homme, je préfère rester en bons termes avec vous.
*****
Le vendredi suivant, Samir fêta son anniversaire. Il amena Sonia au restaurant, et elle lui offrit un cadeau à la fin du repas.
« C’est une petite chaîne avec un pendentif, c’est du plaqué, je n’ai pas les moyens d’acheter de l’or, dit-elle. Ça représente un petit renard, c’est que j’ai trouvé de plus ressemblant avec un Fennec ».
Touché, il l’embrassa.
— Bientôt, tu auras les moyens d’acheter toutes les chaînes en or que tu veux. D’ailleurs, il va falloir qu’on y aille, je t’emmène à mon rendez-vous.
— Où va-t-on ?
— À la banque !
— Tu es un grand romantique, toi, ironisa-t-elle.
— Ça fait des mois que j’attends le moment où je pourrais légalement ouvrir mon propre compte en banque. Tout l’argent de mes programmes que je vends sur Internet, maintenant, il va rentrer dans ma poche. Et tu vas être surprise, Ça se vend bien, les logiciels.
Ils furent reçus dans l’ambiance feutrée d’une agence bancaire de Bandol. Le conseiller considéra Samir avec un brin de condescendance, mais celui-ci ne s’en offusqua pas.
— Nous voulons bien vous ouvrir un compte, monsieur, expliqua-t-il, mais vous n’avez pas de revenus, disons, stables.
— En effet, mais j’ai d’autres sources qui viendront alimenter ce compte, répondit le jeune homme sans se démonter.
— Peut-on savoir lesquelles ?
— Disons qu’en plus de mon emploi actuel, je dirige un site de commerce électronique qui m’assurera de substantielles entrées.
— De quel ordre ?
— Disons quinze mille euros.
— Par an ?
— Par mois, pour commencer, dit Samir.
Le conseiller releva la tête et ajusta ses lunettes pendant que Sonia écarquillait les yeux.
— Voilà qui change tout, dit le banquier d’un air jovial. De quoi traite votre site ?
— Depuis plusieurs années, je vends des logiciels que j’ai développés sur Internet. N’ayant pas de compte en banque, mon compte Paypal me sert de réservoir, mais je vais à présent pouvoir le vider, enfin, si vous me proposez quelque chose d’intéressant.
L’air condescendant disparut, et moins d’une heure après, Samir disposait de ce tout dernier petit détail qui lui donnerait accès à une nouvelle vie. Peu à peu, il pourrait, en fonction de ses besoins, tirer sur l’argent de Mostar pour acheter en toute impunité ses propres créations.
— Tu m’avais bien caché ton jeu, saligaud, dit Sonia. Dire que j’étais disposée à te prêter un peu de mes économies si tu en avais eu besoin.
— Je ne voulais pas que tu m’aimes pour mon argent, répondit Samir, l’air sérieux.
[12] Organisme de renseignement russe, héritier du KGB.