Peu à peu, le savoir que lui offrait Nucleus fit entrer Samir dans un monde aussi étrange qu’excitant. Il devenait expert avec une étonnante facilité dans un environnement où l’interdit décuplait le sentiment de fierté de chaque auteur d’exploit.

Il commença à réaliser des programmes pour téléphones portables en adéquation avec ses nouvelles aptitudes et obtint un franc succès. Le père était ravi de voir quelques euros tomber dans l’escarcelle familiale en ces temps difficiles, mais il râlait un peu lorsque Samir lui demandait plusieurs billets pour acheter un livre spécialisé.

Ironie du sort, le jeune homme avait fait de fulgurants progrès en anglais, sésame obligatoire dans ce milieu où l’essentiel de la littérature de qualité est édité dans la langue de Shakespeare.

Les longues heures passées devant sa machine, à explorer les coulisses du Net autant qu’à doper son expérience, permettaient d’oublier un peu l’ennui de son quotidien. Le travail lui déplaisait et il ne parvenait pas à le cacher au père. Peu à peu, les paroles encourageantes du début s’étaient changées en consignes strictes et peu compréhensives. Le père savait que son fils était brillant dans son domaine et plus que personne, il regrettait que Samir ne puisse s’y épanouir professionnellement. Mais à présent, il avait pris une autre direction, et par respect pour les gens avec qui il travaillait, il exigeait de Samir une conscience professionnelle et une implication maximale.

Les mois passaient et le fossé entre ses deux mondes se creusait. Samir se résignait à l’accepter lorsque survint l’accident.

C’était un jour de pluie, il était à l’école. Comme un pressentiment, il avait pensé à ses collègues qui, devant de telles conditions, seraient à l’abri ou en danger, en fonction des exigences du chef de chantier.

Lorsqu’il rentra de l’école, c’était l’effervescence. Il y avait des voisins à la maison, beaucoup de monde, et Samir paniqua car la dernière fois où tant de personnes s’étaient réunies dans le séjour de l’appartement, c’était pour le décès de sa mère.

Il aperçut Leila qui courut vers lui.

Le père a eu un accident ! Je t’attendais pour aller à l’hôpital, Rachid y est déjà.

Comment ça un accident ?

Oui, il y a eu un affaissement de terrain et une construction s’est effondrée. Le père et quelques autres ouvriers étaient dedans.

Il est …

Non, il est vivant, mais il paraît qu’il y en a d’autres qui ont eu moins de chance. Les voisins vont garder Tarek, nous on part à l’hôpital, dépêche-toi de poser tes affaires.

Ils furent accompagnés au centre hospitalier où ils durent attendre plusieurs heures, le père était au bloc opératoire et l’intervention s’éternisait. Dans une salle d’attente blanche et illuminée comme l’antichambre de l’Eden, ils demeuraient silencieux, Rachid étant le plus nerveux. Malgré les interdictions des infirmières qui passaient, il fumait et téléphonait avec son portable.

Enfin, après plus de deux heures, un médecin vint les voir.

Votre père est en observation, dit-il simplement.

Il va s’en sortir ? demanda Rachid.

Il est solide, mais on ne peut rien dire pour le moment. Nous avons dû le transfuser. Il a de multiples fractures et un enfoncement de la boîte crânienne. Il faut le laisser se reposer, vous ne pourrez pas le voir aujourd’hui. Demain, on vous donnera des nouvelles, et si tout va bien, vous pourrez lui rendre visite aux soins intensifs.

Ils rentrèrent. Le calme était revenu et ils passèrent la soirée seuls avec Rachid qui, pour un soir, avait abandonné Mostar et ses lieutenants. Samir décida de ne pas allumer son ordinateur, sa place était au sein de sa famille. Sagement, ils dînèrent et regardèrent la télé, comme si le fait d’être ensemble pouvait contribuer à les protéger du malheur qui les poursuivait.

Le lendemain, ils appelèrent l’hôpital et obtinrent la permission de rendre visite à leur père.

Sur place, l’infirmière leur expliqua qu’ils ne pouvaient pénétrer que séparément en soins intensifs. Leila entra la première, et sortit en pleurant. Samir y alla en dernier.

Le père était allongé, plâtré sur le haut du buste, le bassin et une jambe. La tête était presque entièrement bandée. Les appareils étaient nombreux, et sa respiration s’effectuait dans un tube qui paraissait activer une pompe. Le père était inconscient, mais le rythme cardiaque paraissait régulier. Samir lui prit la main avec une infinie douceur. Il la serra dans la sienne durant de longues minutes sans provoquer de réaction chez son père. Enfin, il embrassa sa paume et la reposa précautionneusement, avant de s’en aller, refermant la porte derrière lui en silence.

« On attend le docteur, annonça Leila. Il va arriver. »

Pour une fois, il arriva vite et d’adressa aux enfants.

Son état est stationnaire, mais on ne peut pas encore donner de pronostic vital.

Ce qui veut dire quoi ? demanda Rachid.

Qu’ils ne savent pas s’il va vivre, répondit Samir.

Approximativement, précisa le docteur. En fait, les fractures devraient se remettre, la colonne vertébrale a été légèrement touchée et il a une vertèbre fissurée. C’est un point d’inquiétude. L’autre problème est l’enfoncement de la cage thoracique qui a provoqué une petite perforation pulmonaire. Enfin, comme nous le maintenons dans le coma, nous ne savons pas encore s’il retrouvera toutes ses facultés mentales. Je ne veux pas vous alarmer, il n’y a rien de critique pour l’instant, mais gardez à l’esprit que la situation va probablement s’améliorer sans que le risque d’aggravation puisse être écarté.

Pourquoi vous le gardez dans le coma ?

Pour lui éviter la souffrance, ou plutôt, la conscience de la souffrance, et pour que son corps utilise le maximum de son énergie à se réparer. Vous pourrez lui rendre visite, mais inutile de tous vous déplacer jusqu'à ce qu’il soit conscient. De toute façon, nous vous appellerons si les conditions sont propices à son réveil.

Les jours suivants se déroulèrent dans une pesante atmosphère. Ils redoutaient chaque appel, et jamais le téléphone n’avait autant sonné.

Un soir, Samir parla avec Nucleus.

Je ne sais pas vraiment ce qu’il en est, l’hôpital ne nous dit presque rien.

C’est toujours comme ça, moins ils en disent, mieux ils se portent. Mais tu n’as qu’à te renseigner par toi-même.

Qu'est-ce que tu entends par là ?

Les hôpitaux ont tous un système informatique, non ? Et dans ce système, il y a des dossiers médicaux, à jour, que les infirmières transmettent au personnel administratif qui se tape les mises à jour. Tu n’as qu’à consulter celui de ton père.

Tu crois que j’y arriverai ?

Tu as fait bien plus difficile, crois-moi ! Les hôpitaux ne sont pas réputés pour la qualité de leurs informaticiens, c’est moins dur d’y entrer qu’à la NSA[3].

Tu l’as déjà fait ?

Nucleus envoya une bardée d’émoticônes.

Non ! Il n’y a pas grand monde pour faire ce genre de truc. Le maître, à la limite.

Le maître ?

Oui, notre maître à tous, le pirate des pirates, la légende, Ylian Estevez. Moi, je ne suis qu’un petit hacker. Allez, Sam, bon courage, et sois confiant, le serveur de l’hosto, c’est du gâteau pour un gars comme toi.

Nucleus avait raison. Il ne fut pas difficile pour Samir de visiter le serveur de l’hôpital. Mal administré, bénéficiant de peu de moyens, le système informatique désuet fut une proie facile et le jeune homme accéda sans mal à la console de la base de données à partir de laquelle il put obtenir toutes les informations disponibles. Hélas, les termes médicaux dépassaient sa compréhension. Il fut toutefois rassuré sur un point, les médecins constataient une amélioration.

Il fallut une semaine pour que le père reprenne conscience. Ses enfants lui rendirent visite le soir.

Il était fatigué, son visage tuméfié était partiellement débarrassé des bandages qui ne subsistaient que sur le crâne. En revanche, les plâtres demeuraient et il en était très gêné.

Après qu’il eut raconté les circonstances de l’accident, il interrogea Samir sur le sort des autres ouvriers.

Raùl n’a pas survécu, Hassan et Fred ont été blessés, mais ils vont mieux.

Le travail a repris ?

Oui, j’y suis allé hier. Le chef de chantier et le patron sont venus me voir pour me demander de tes nouvelles. Mais le propriétaire est en colère et je crois que ça va chauffer, il dit que c’est nous qui avons mal travaillé.

Nous autres, on est pas responsable du sol !

C’est ce que lui a dit l’entrepreneur, mais le proprio, ce qu’il voit, c’est le retard et l’argent que ça va lui coûter.

Nous, il s’en fout, c’est ça ? demanda le père en se tortillant pour essayer de trouver une position moins inconfortable.

En gros, oui.

Le père laissa échapper un soupir. Les yeux fixés sur le blanc du plafond, il marmonna.

Dans quel état je suis, j’ai mal partout. Je ne suis pas prêt de retourner travailler. J’espère qu’ils ne vont pas fermer la boutique.

Monsieur Lannier de la mairie est venu nous voir, dit Leila, pour les démarches d’accident du travail. Il dit que tu vas être indemnisé.

Ça ne va pas faire beaucoup, se désola le père. Mes enfants, il va falloir se serrer la ceinture.

Ne t’en fais pas, l’important c’est que tu ailles mieux. Tu te soigneras et tu travailleras de nouveau.

Et puis moi, avec mes programmes, sur le net, je gagne un peu d’argent, je vais vous le laisser, je n’en ai pas besoin, ajouta Samir.

Le père tenta brièvement de sourire.

Où est Tarek ? s’inquiéta-t-il.

Chez les voisins. On ne savait pas s’il fallait l’emmener, on voulait te le demander d’abord, avoua Leila.

Il fit un signe affirmatif de la main. L’infirmière vint les chercher et leur demanda de le laisser se reposer.

Les mois d’hiver qui suivirent furent des plus sinistres. Ils passèrent la fête de Noël chez des amis du père, mais l’ambiance n’y était pas. Rachid était de plus en plus souvent absent, et Leila s’épuisait à la tâche. Samir, dévoré par sa passion, se montrait négligent au travail où seuls les égards des ouvriers pour son père évitaient qu’il soit plus souvent rappelé à l’ordre pour ses retards et son manque d’application. Le père sortit de l’hôpital, mais il était encore lourdement handicapé. Les soins coûtaient cher et n’étaient pas totalement remboursés. La situation financière devenait inquiétante.

Par un après-midi glacial, Samir rentrait de l’école. Le dos courbé face au vent, il forçait le pas pour rentrer au plus vite, se réchauffer et retrouver son monde virtuel si réconfortant. Il passa devant le marchand de journaux et y entra. Il donna un coup d’œil rapide aux magazines puis ressortit rapidement. À peine eut-il dépassé la porte que deux ombres surgirent, de droite et de gauche. Edin et Ismir, les deux principaux hommes de main de Mostar, l’interpellèrent. Puissants et cruels, ils contribuaient grandement au climat de peur qui régnait dans la cité. Mais Samir n’avait aucune raison de s’en inquiéter. Rachid était en bonne grâce auprès du caïd et ses lieutenants ne lui feraient aucun mal.

Ils se postèrent devant lui et Ismir plaça sa main paume devant pour lui signifier l’arrêt.

Mostar veut te voir, dit-il en ponctuant son injonction d’un crachat au sol.

Pour quoi faire ? demanda Samir.

Ça, il faudra le lui demander. Il fait froid, il t’attend dans la cour, derrière la superette.

Je suis pressé, et je n’ai rien à voir avec Mostar.

Edin fit une moue étrange et tortilla sa tête comme un serpent.

« Dit donc, petit, dit-il, Mostar est le seul à décider à qui il parle, et à qui il ne parle pas. OK ? Alors si tu veux que tout se passe bien, accompagne-nous gentiment ».

De l’autre côté de la rue, Ludo aperçut la scène. Il l’appela Rachid sur son téléphone portable.

Je ne savais pas que ton frère bossait avec Mostar, lui dit-il.

Qu’est-ce que tu racontes ? répondit Rachid, Samir n’a rien à faire avec le caïd !

Je viens de voir Edin et Ismir lui causer, et il les suit. À mon avis, ils le conduisent à Mostar.

J’arrive tout de suite !

Samir était inquiet. Il n’avait jamais eu à parler à Mostar et détestait tout ce qu’il représentait. Il l’avait aperçu, brièvement, à plusieurs reprises, et son visage seul inspirait la frayeur. Il y avait en cet homme une part de monstruosité éclatante, évidente, un faciès inspirant naturellement la peur et suintant la violence, un visage répugnant que même le sourire ne parvenait à apaiser.

Une quinzaine d’années auparavant, il avait débarqué de la cité avec un groupe de réfugiés des Balkans. Certains assuraient qu’il était chef de guerre, un des combattants féroces qui s’étaient opposés aux Serbes durant le conflit. D’autres le prétendaient malfrat opportuniste, un profiteur de guerre qui avait exploité les circonstances pour élaborer ses réseaux d’approvisionnement en armes. À l’approche de la fin des hostilités, il avait fui le pays et bénéficié de l’élan de sympathie pour la cause bosniaque en Europe, et plus spécialement dans les quartiers à forte concentration musulmane où les réfugiés étaient accueillis avec compassion.

Là, il avait pu réactiver ses contacts et débuter son lucratif trafic d’armes et de stupéfiants. Brutal et totalement mégalomane, il savourait sa position dominante avec gourmandise. Après avoir méthodiquement éliminé toute concurrence, il avait instauré son pouvoir sur la cité en distribuant à nombre de jeunes les épluchures des fruits de son économie parallèle, proposant service contre service et exigeant de tous respect, solidarité et silence. Ceux qui se montraient téméraires étaient vite châtiés, dans le pur style de la mafia sicilienne. C’est pour cela qu’il aimait à se faire appeler le caïd.

Assis sur une caisse, il attendait en tripotant son téléphone lorsqu’il aperçut le trio qui approchait.

Voilà le jeune frère de Rachid ! dit-il. Dis-moi, quel âge as-tu ?

Bientôt dix-sept ans.

Et tu ne travailles pas pour moi ?

Pourquoi je le ferais ? J’ai déjà un travail.

Oui, il paraît que tu fais comme ton père, tu trimbales des sacs de ciment et des parpaings toute la journée pour des esclavagistes.

C’est un boulot comme un autre, dit Samir. Il faut bien des gens pour construire les maisons.

J’ai entendu dire que tu vaux beaucoup mieux que ça. Il paraît que tu te débrouilles bien avec tout ce qui est ordinateur et matos électronique.

Je me débrouille, un peu, comme tout le monde.

Mouais, dit Mostar. Ton père a eu un accident, pas vrai ? Ça roule pas sur l’or, la famille, hein ?

On se débrouille aussi, répondit Samir.

Écoute, mon cher Samir. Ton frère travaille déjà pour nous, de temps en temps. Il ne sait pas faire grand-chose, mais tu vois, nous, on est un peu comme la sécurité sociale de cette cité, même les bons à rien, on trouve toujours un moyen de les faire vivre, parce que c’est ça, notre état d’esprit. On est solidaire, tu piges ?

Oui.

Bien, alors donc, on sait que vous traversez une mauvaise passe, et je te propose de bosser pour nous. Tu sais, on récupère pas mal de matos, des trucs qui ne servent plus à leur propriétaire, tout ça. On aurait bien besoin d’un petit gars malin comme toi, qui saches débloquer, dépanner, remettre les choses en ordre pour refourguer le matos, tu vois le genre ?

Je vois, dit Samir. Mais je ne suis pas capable de faire des choses comme ça, je n’y connais rien.

Moi, je suis certain que tu apprendrais vite.

Samir essaya de se soustraire au regard de Mostar, mais il n’y parvenait pas. Alors il prit le parti inverse et le soutint avec force.

« Ça ne m’intéresse pas ! »

Mostar fit une grimace marquant quelque chose comme le dépit.

Il y a un proverbe qui dit qu’il ne faut pas mordre la main qui te nourrit, Samir. Si j’ai envie que tu travailles pour moi, tu le feras.

OK, on en reparlera, dit Samir en se retournant pour partir.

Mostar fit un signe à ses deux molosses. Un coup de poing atteignit Samir au plexus et lui coupa le souffle, un coup de pied le jeta à terre, puis une main l’empoigna au col, le souleva avant qu’une gifle monumentale le renvoie au sol.

Ismir s’apprêtait à lui expédier un autre coup de pied lorsque Rachid surgit.

« Foutez-lui la paix ! Hurla-t-il en balançant son adversaire contre l’amas de détritus qui traînait dans la cour. »

Edin se retourna et lui fit face mais Rachid, plus rapide, effectua un balayage et le fit chuter. Le bosniaque[4] mit la main dans sa poche pour en sortir un couteau mais Rachid lui écrasa la main, arrachant à son opposant un braillement de douleur. Rachid en profita pour écraser la rotule de son adversaire, ce qui le cloua au sol. Un flot d’insanités ponctua la mise hors de combat du lieutenant de Mostar. Le chef, le sourire aux lèvres, n’avait pas bougé de son siège.

« Attention ! » hurla Samir qui s’était relevé.

Rachid se retourna et évita de justesse la charge d’Ismir. Avant que son agresseur ne puisse se retourner, il se jeta sur lui et le roua de coups.

Mostar commença à se lever puis se ravisa. Ivre de colère, Rachid s’acharnait sur le lieutenant du caïd qui se défendait comme il le pouvait. Les coups qu’avait reçus frère de Samir lui avaient entaillé l’arcade sourcilière, il était pratiquement aveuglé par le sang. Il sentit une main puissante qui se saisissait de lui. Pensant que c’était Mostar, il donna un violent coup de coude au-dessus des bras qui l’attrapaient, espérant toucher le visage.

L’homme s’effondra. Lorsque Rachid se dégagea, il aperçut un policier à terre et un autre qui abattait sur lui une matraque. Il évita le coup et boxa. Deux directs atteignirent un second gardien de la paix et le terrassèrent. Un troisième agent, arrivé en renfort, brandit une arme à feu et cria :

« Si tu bouges encore une oreille, tu es mort ! »

Rachid s’arrêta net et leva les mains en l’air. L’un des policiers s’était relevé et lui passa les menottes sans ménagement. Alors que Rachid bougea pour se soustraire à la pression des bracelets d’acier, il prit un coup dans la cuisse. Il s’affaissa et fût remonté par l’agent puis poussé contre le mur.

Il croisa le regard de Samir et lui sourit.

« Ça va, Fennec ! File d’ici tant qu’il est temps ! »

L’attroupement avait attiré de nombreux badauds et parmi eux, une bonne dizaine de jeunes de la cité. Ils criaient des insultes aux policiers et commençaient à leur envoyer de pierres. Les renforts arrivèrent tout de suite. Dans la confusion, Ludo attrapa Samir par le bras, lui jeta sa capuche sur la tête et fonçant ostensiblement vers les jeunes, se fondit dans le groupe pour disparaître. En quelques secondes, la scène avait pris des allures d’émeutes. Pas question, dans ces conditions, d’interroger les suspects sur l’origine de la bagarre, les forces de l’ordre évacuèrent Rachid et la patrouille de police, laissant aux CRS le soin de disperser la foule.

Samir rentra et se fit soigner par Leila. Il raconta les événements au père, qui s’emporta.

C’était certain, je savais que ça finirait mal avec Rachid. Ce Mostar ne pouvait que l’envoyer en prison.

Mais il a essayé de me défendre, tenta d’intervenir Samir.

Contre qui ? Contre quoi ? S’il n’avait pas bavé sur tes exploits d’informaticien, Mostar ne t’aurait jamais adressé la parole. Et cet ordinateur ? Je suis sûr qu’il a été volé par ses hommes. J’ai tout fait, depuis trente ans, pour vous élever dans le respect des lois et des règles de ce pays. Je suis un bon musulman, un bon français, un bon citoyen, mais il a fallu que mon fils, le sang de mon sang, vienne salir la réputation que j’ai essayé de préserver durant toutes ces années.

Samir se tut. Ce n’était pas le jour pour polémiquer, et il craignait que le père ne lui retire son ordinateur. Leila prépara le dîner et la soirée commença par le grand silence qui accompagne les destins qui basculent. Soudain, le téléphone sonna. Le père était convoqué le lendemain, Rachid allait être inculpé et mis en détention.


[3] National Security Agency : agence de renseignement américaine spécialisée dans le chiffre et les télécommunications. C’est l’un des organes chargés de la surveillance d’Internet et à ce titre, cet organisme cristallise les velléités des hackers du monde entier.

[4] Personne originaire de Bosnie-Herzégovine, de confession musulmane.