8.

Lexi savait ce qu’il était en train de faire. Il voulait la distraire, éviter de parler de sa vie et s’en tirer par la provocation. Mais elle voulait connaître son histoire. Elle avait besoin de savoir qui était Leo Aleksandrov.

— S’il vous plaît, dites-moi la vérité sur votre enfance, Leo.

— Pourquoi ? Vous aimez tant que ça les récits d’horreur ?

Elle percevait une sorte de panique, dans sa voix, un mélange de colère, de peur et de… De honte, peut-être ?

Il passa une main sur sa nuque, ferma les yeux et prit une longue inspiration. Puis, fixant le ciel étoilé, il énonça :

— J’ai grandi dans la toundra, un lieu où rien ne pousse jamais et où les hivers sont si froids que l’on sent ses os geler la nuit. Mon père était un mineur acoquiné avec des mafieux, et ma mère une vendeuse que l’amour rendait aveugle. Quand mon père buvait, il devenait violent, et ma mère faisait les frais de sa brutalité. Plusieurs fois, j’ai tenté de m’interposer, mais je n’ai jamais réussi à la protéger des coups de ce monstre.

— Mais… Comment auriez-vous pu ? Vous n’étiez qu’un enfant ! opposa-t-elle, stupéfaite et choquée.

— Aucun enfant ne supporte de voir sa mère maltraitée. Naturellement, chaque fois que je me manifestais, il trouvait cela très drôle et me mettait au défi, jusqu’à ce que je doive renoncer.

Lexi avait mal au ventre. Au prix d’un grand effort, elle parvint à maîtriser son émotion pour demander d’une voix aussi calme que possible :

— Quel âge aviez-vous quand cela a commencé ?

— Je ne sais plus. Six ou sept ans. Ce que je n’ai pas oublié, en revanche, c’est son modus operandi. La manière dont il aimait conclure ces séances par une gifle donnée du revers de la main, juste au moment où vous pensiez que les coups de ceinture et les insultes l’avaient rassasié…

Lexi déglutit avec peine.

— Vous le voyez encore ?

— Non. Il est mort en prison.

— Quand vous aviez dix ans ?

Il haussa les sourcils, visiblement troublé.

— Vous avez dit que les dix premières années de votre vie avaient été un enfer, expliqua-t-elle. Je me demandais si c’était le moment où votre père avait été envoyé en prison.

— Vous êtes exceptionnellement attentive, mon ange. Intelligente et observatrice.

Ce compliment la fit rougir.

— Je… Mais après ? Est-ce que ça s’est arrangé ? reprit-elle.

— Oui. Mon père est allé en prison et je suis parti vivre chez mon oncle.

— Où était passée votre mère ?

— Elle ne pouvait pas s’occuper de moi. J’étais trop agité, indomptable. Je me retrouvais sans cesse mêlé à des bagarres.

— Vous voulez dire que… Elle vous a envoyé au loin ?

Comment une mère pouvait-elle abandonner son enfant, après l’avoir vu subir tant de souffrances ?

— Oh ! Lexi au cœur tendre… Ne soyez pas si choquée. Elle avait ses raisons, et cette décision était la meilleure qu’elle puisse prendre. Mon oncle n’avait rien de commun avec mon père. Il était fier et bougon, mais il contrôlait ses émotions, et c’était un homme honorable, plein d’humanité. Avant mon arrivée chez lui, il avait toujours vécu seul. Il m’a appris à brider ma rage, à ne pas céder à toutes mes pulsions d’adolescent rebelle.

Se rendait-il compte qu’il était devenu semblable à cet oncle ? « Fier », « bougon », et livrant toujours bataille seul ?

— Vous le voyez toujours ? s’enquit-elle.

— Il est mort. Un accident du travail.

— Sur un site de construction, devina-t-elle.

— Da. Et maintenant, vous savez. Vous connaissez tous les détails sordides de ma vie, et vous comprenez pourquoi je ne peux pas être un père pour Ty.

— Non, répondit-elle en toute franchise, secouant la tête. Je ne comprends pas pourquoi.

— Alors vous n’êtes pas aussi intelligente que je le croyais. Je ne suis pas une bonne amarre, Lexi. Je ne peux pas assumer la responsabilité d’un enfant.

— Leo, vous laissez la peur parler… Mais il n’y a aucune raison pour que vous ne fassiez pas un bon père.

Il lui retourna une expression incrédule.

— Vous n’avez donc rien entendu de ce que je vous ai dit ? s’énerva-t-il. Je suis un homme violent !

— Pas violent, tourmenté. Et vous feriez du mal à Ty ? Non, je n’en crois rien.

— Mon père n’a pas pu s’en empêcher. Qui peut garantir que je serais différent ?

— Vous faites erreur. Votre père pouvait s’en empêcher. Il a choisi de ne pas le faire. Leo, je n’ai pas connu vos parents, mais à mon avis, il s’agissait de deux personnes peu faites pour rester ensemble. Ils faisaient ressortir le pire l’un de l’autre, et n’avaient peut-être pas la maturité suffisante pour regarder leurs erreurs en face. Mais quelle qu’ait été leur histoire, ce n’est pas la vôtre.

— En admettant que vous ayez raison, cela ne changerait rien, Lexi. Je suis vide à l’intérieur. Je n’ai rien à donner.

Elle fronça les sourcils.

— Vous pensez que vous ne sauriez pas aimer ?

Seigneur, combien cet homme avait-il souffert !

— Exactement. Je crois que j’en suis incapable.

— Tiens donc. Et votre oncle ? Vous ne l’aimiez pas, peut-être ?

— Oui, euh, sans doute. Je tenais à lui. Mais… Il est inutile de parler de cela.

— Parce que c’est trop douloureux ?

— Parce que je suis ce que je suis.

Il se leva, lui tourna le dos et alla offrir son visage au vent marin. Lexi le suivit et posa doucement sa main sur son bras.

— Leo, passez un peu de temps avec Ty. Juste vous et lui. Je ne vous ai pas vu prendre une minute de temps libre depuis que nous sommes à bord.

— Non, répondit-il d’un ton sec.

Elle frissonna.

— Il a besoin de vous, Leo.

— Il a besoin d’un père honorable.

— Exactement. Vous. Et vous avez besoin de lui aussi.

Il se retourna lentement et plongea son regard dans le sien.

— Ce dont j’ai besoin, c’est que vous m’accompagniez dans mon lit.

— Je…

— Non, plus d’excuses, coupa-t-il.

Sa voix était grave, son regard brûlant, et elle ne parvenait pas à détourner les yeux.

Le pouvoir qu’il exerçait sur elle l’effrayait. Il lui inspirait beaucoup trop d’émotions et de sentiments contradictoires. De l’admiration, de la compassion, de l’agacement, et — inexplicablement — une attirance physique d’une force surpuissante.

Lentement, il prit la main qu’elle avait posée sur lui et la serra dans la sienne. Une myriade de frissons la parcourut. Encore une fois, un brasier s’allumait au creux de son ventre, et d’étranges ondes montaient en elle. Son cœur battait si fort qu’elle l’entendait marteler ses tempes.

Il avait l’air d’un prédateur affamé. Malgré elle, ses seins se gonflaient et tendaient l’étoffe de sa robe. A cet instant, elle réalisa qu’elle avait follement envie de faire l’amour avec lui, et qu’elle n’avait plus la force de se dérober.

*  *  *

Arrimée à ses yeux, elle obéit à un fol élan qu’elle regretterait sûrement le restant de ses jours : elle l’embrassa.

Mais à peine eut-elle posé ses lèvres sur les siennes qu’il l’attira brutalement contre lui pour lui rendre passionnément ce baiser, donner libre cours à leur étreinte et lui faire sentir l’ardeur de son désir. Grisée, elle savourait le goût de ses lèvres avides, enroulant fiévreusement sa langue autour de la sienne, agrippant sa nuque pour l’inviter à se plaquer plus étroitement contre elle. Elle plongeait ses doigts dans sa chevelure soyeuse, tandis que son sang bouillonnait et que des ondes électriques traversaient sa chair. Oh ! Elle était accro au goût de son souffle, à la pression virile et ardente de ses lèvres…

Elle étouffa un cri quand les mains enfiévrées de Leo se glissèrent sous sa robe, et se cambra quand il se mit à lui caresser les cuisses. Tout en promenant ses doigts chauds sur ses jambes, il effleurait délicatement sa bouche de la sienne, et elle sentit une myriade de frissons courir sur sa peau. Ses poumons venaient de se bloquer, et elle ferma les yeux, tandis qu’il approfondissait son étreinte.

— Viens, mon ange, murmura-t-il en l’attirant dans la chambre.

L’appréhension la gagna dès qu’il referma la porte-fenêtre et qu’ils furent devant le lit.

N’aurait-elle pas dû l’avertir qu’elle n’était pas douée pour le sexe ? Qu’il risquait d’être déçu ?

Comme il l’enlaçait, ils tombèrent ensemble sur le matelas. Il roula sur elle, plongeant les doigts dans ses longs cheveux, embrassant encore furieusement ses lèvres, laissant errer une main sur ses hanches. Envoûtée, elle s’abandonnait à ses caresses quand il déchira brutalement sa robe et la jeta à terre.

— Leo ! s’exclama-t-elle, stupéfaite.

— Je t’en offrirai une douzaine dès demain. Je rêvais de t’enlever cette robe depuis que je t’ai vue avec…

D’un geste habile, il fit sauter l’attache de son soutien-gorge et enveloppa ses deux seins, avant d’agacer ses tétons durcis et offerts.

Des ondes de plaisir fusèrent aussitôt en elle. C’était comme si son corps s’abandonnait à lui, sans qu’elle ait le moindre contrôle sur ses mouvements. Elle se tortillait sous ses doigts experts, l’invitant à poursuivre cette exquise exploration, entièrement à sa merci.

Un cri lui échappa lorsqu’il posa les lèvres sur ses seins. Un feu d’artifice de sensations inconnues éclatait dans chaque atome de sa chair, et elle ondulait sous les mouvements de cette langue, qui enrobait, happait et léchait ses tétons. Tout en lui prodiguant cette délicieuse torture, il traçait des cercles du bout des doigts autour de sa poitrine. Le corps agité de soubresauts, elle sentait son bas-ventre se liquéfier. Elle avait follement, désespérément envie de lui en elle, maintenant.

Jamais elle n’avait éprouvé cela ! Avec Brandon, le sexe était comme un passe-temps, agréable mais répétitif, dépourvu de passion. Ce que Leo lui faisait découvrir était entièrement neuf, inédit : elle ressentait le besoin de s’unir charnellement à lui.

Lentement, il fit glisser son slip le long de ses cuisses. Elle ferma les yeux et gémit dès qu’il posa les mains sur la zone sensible, à l’intérieur de ses genoux, et remonta lentement pour explorer son sexe humide et ouvert pour lui. Instinctivement, elle écarta les jambes.

Une onde de plaisir violent la saisit au moment où il introduisit en elle sa langue experte. Submergée par un torrent brûlant, elle se tordit de désir et d’extase sous ses caresses.

C’était également la première fois qu’elle faisait l’expérience de ce plaisir. Elle n’aurait su dire si elle venait de passer quelques secondes ou plusieurs siècles dans ce paradis insoupçonné…

Mais alors qu’il lui faisait connaître des sensations inouïes, elle élança fébrilement une main vers lui et caressa toute la longueur de son érection, sous son pantalon. Un grondement rauque répondit à cette initiative, l’invitant à se montrer plus hardie encore. Sans hésiter, elle ouvrit le Zip et glissa sa main à l’intérieur du caleçon pour savourer le contact de ce membre chaud et dur sur ses doigts tremblants.

Puis elle se redressa afin de le débarrasser définitivement de ses vêtements. Quand sa chemise tomba, elle admira ce torse qui avait nourri ses fantasmes dès le premier instant de leur rencontre — et depuis cette nuit où elle s’était glissée dans son lit. Fascinée, elle dessina lentement le pourtour de ses pectoraux, couverts çà et là d’une fine toison aussi dorée que ses cheveux. Ses épaules étaient massives, son ventre doté d’abdominaux parfaits, sa peau lisse et hâlée…

Elle était affamée de ce corps d’homme. Avec une audace qui l’étonnait elle-même, elle se remit à le caresser.

— Lexi…

Elle discerna un accent de supplique dans ce marmonnement.

— Tu me tues, reprit-il d’un ton rauque, avant de l’embrasser furieusement et de basculer sur elle.

Arrimant son regard au sien, il l’agrippa par les fesses et plaqua son bassin contre le sien avant de la pénétrer d’un puissant coup de reins.

Elle en eut le souffle coupé. Son corps semblait s’étirer au-dedans, comme jamais auparavant. C’était brûlant, douloureux et délicieux à la fois.

— Lexi, est-ce que ça va ? s’inquiéta-t-il, une lueur d’angoisse dans les yeux.

Elle acquiesça d’un hochement de tête et enfonça ses ongles dans son dos pour l’inviter à poursuivre.

— Tu es si étroite, moya milaya… Détends-toi, et nous allons nous mêler l’un à l’autre à merveille, promit-il.

Savourant l’intensité de cette exquise brûlure, elle obéit et sentit bientôt ses muscles se détendre pour permettre à son membre de l’explorer tout entière.

Ses mouvements, d’abord lents et prudents, furent bientôt suivis d’un va-et-vient régulier, puissant, allant crescendo.

— C’est mieux, murmura-t-il. Et maintenant, viens pour moi mon ange. Pendant que je suis en toi.

Son corps était un brasier. Des vagues de plaisir montaient en elle avec une fulgurance stupéfiante, et elle s’abandonnait à leur rythme.

Il intensifia alors la cadence, et elle enroula les cuisses sur ses reins, ondulant avec lui.

— Oh oui, encore… Comme ça, oui, supplia-t-elle.

Leurs corps en sueur ne faisaient plus qu’un, un brouillard vaporeux enveloppait son esprit, son cœur implosait, et elle s’abandonnait au plaisir, sentant monter en elle une onde qui submergerait tout.

Dans un grondement, il rejoignit son cri à l’instant où ils atteignaient une intimité absolue.

*  *  *

Leo s’éveilla et se sentit aussitôt légèrement désorienté. Il roula sur le matelas, à quelque distance du corps doux et féminin enroulé autour de lui — il sentait un bras sur sa poitrine, une jambe entre les siennes, un petit visage au creux de son épaule.

Il ne se rappelait pas s’être endormi, mais les pâles lueurs de l’aurore, derrière le rideau, lui confirmaient que c’était pourtant bien arrivé. Le yacht était en mouvement ; ils n’avaient pas encore regagné Athènes.

Il se redressa un peu sur l’oreiller et contempla les traits détendus de la jeune femme. Comme une petite chatte satisfaite, il l’entendit pousser un imperceptible gémissement de plaisir, tandis qu’elle se lovait encore contre lui.

Il n’avait pas l’habitude de dormir avec quelqu’un. Non pas qu’il ait collectionné les nuits uniques avec ses maîtresses, comme ce qui était arrivé avec Amanda, mais d’ordinaire, ses conquêtes ne dormaient pas dans son lit. Il avait besoin de son espace privé. De plus, il ne tenait pas à ce qu’une femme se mette de fausses idées en tête, et lui donne son avis sur une nouvelle décoration pour la chambre à son réveil.

Troublé, il passa une main dans la splendide chevelure de Lexi répandue sur l’oreiller. Chaque détail de leur corps à corps lui revenait à l’esprit. Il se rappelait sa sensualité débordante, la douceur de sa peau, la chaleur de son sexe…

Mais il était temps de se lever, songea-t-il. D’avaler un café et de faire quelques longueurs dans la piscine avant de s’atteler à son bureau pour la matinée.

Pourtant, lorsqu’il sentit la main de la jeune femme effleurer son ventre, il fut comme cloué au matelas. Incapable de résister à cet appel, il caressa la courbe parfaite de ses hanches, avant de laisser errer sa main dans l’antre humide et chaud de son entrecuisse.

Elle avait envie de lui…

Bon sang, il n’était pas censé continuer. Jamais il ne laissait une femme le distraire de ses affaires, le matin. Jamais.

Fasciné par ce petit corps, il repoussa le drap et contempla les deux globes de ses seins dans la lumière de l’aube. Sa gorge se serra, et sa fièvre monta encore d’un cran. Elle avait une poitrine de déesse. Ces tétons roses, dardés pour lui, plantés au centre de ces dômes crémeux, pouvaient lui faire perdre la raison…

Avec un grondement, il se pencha sur eux pour les embrasser doucement, de ses lèvres closes, tout en insinuant ses doigts entre ses cuisses brûlantes, à quelque distance de l’orée de son sexe.

— Ne t’arrête pas, souffla-t-elle dans un gémissement de plaisir, entre le sommeil et l’éveil.

Puis, à sa surprise, elle entrouvrit les yeux et passa une main autour de son cou.

— Tu sais, murmura-t-elle, sans cesser d’onduler sous ses caresses, la première fois que je t’ai vu, j’ai pensé que tu étais inapprochable, taillé dans la pierre… Mais c’est seulement ce que tu aimerais faire croire aux gens, n’est-ce pas ?

Leo en resta sans voix.

Non. Il était inapprochable ! Et taillé dans la pierre.

Enfin, en principe…

En principe, c’est-à-dire quand son cerveau consentait à fonctionner à cent pour cent de ses capacités. En principe, quand il se trouvait en compagnie de n’importe quelle autre femme qu’elle.

Un frisson désagréable lui courut dans la nuque. Il devait se lever immédiatement. La renvoyer dans sa chambre. Lui dire comment les choses allaient se passer, avec l’autorité naturelle qui était la sienne…

Il lui fallait retrouver un peu de bon sens et lui ordonner de partir sur-le-champ.

Au lieu de quoi, il déposa un baiser d’une infinie douceur sur sa poitrine avant de baiser son front et de murmurer :

— Rendors-toi, mon ange.