9.

Au matin Lexi s’éveilla, un sourire épanoui sur les lèvres. Aussitôt, elle s’aperçut que son corps lui faisait un effet inhabituel. Ses muscles la tiraillaient, tout particulièrement au creux des cuisses. Pourtant, cela n’avait rien de désagréable. Elle se sentait à la fois courbatue, languide et repue…

Un délicieux vertige l’envahissait : les images de la nuit passée tournoyaient dans sa tête, et au centre, elle revoyait le visage de Leo…

Elle ouvrit les yeux sur l’oreiller vide à côté d’elle, avant de se redresser pour balayer la chambre du regard. Vide, elle aussi. Son héros de la nuit avait disparu, la laissant seule.

Oh ! Seigneur, qu’avait-elle fait ?

La panique s’infiltra en elle. Elle roula sur le matelas, enfouissant son visage entre les draps. Si elle était venue ici la veille au soir, c’était parce que Leo pouvait avoir besoin de réconfort… Et si elle était restée, c’était parce que… Parce qu’il avait eu raison de ses dernières réserves.

Elle se détendit un peu en se rappelant comment il s’était ouvert à elle. En lui racontant les plus sombres heures de son enfance, il lui avait fait un cadeau infiniment précieux : la confiance. Elle ne s’attendait certainement pas à cette scène quand elle était venue jusque dans cette cabine, et elle se sentait privilégiée.

Comme elle, il avait été très tôt bousculé par la vie. Au point de se convaincre qu’il n’avait rien à offrir à son fils, sinon les douleurs dont il avait fait l’expérience étant petit. Elle songea que si le père odieux qui l’avait battu se trouvait dans cette pièce en ce moment, elle n’hésiterait pas à lui mettre sa main dans la figure. Comment pouvait-on être assez fou pour frapper un enfant ? Sa propre enfance, obscurcie par l’absence de son père, lui paraissait soudain presque féerique, comparée à ce qu’il avait traversé.

Mais d’instinct, Lexi savait que Leo n’avait rien de commun avec son effroyable géniteur. Car malgré sa terreur d’assumer son rôle de père, il n’avait jamais témoigné à son fils que soins et attentions. D’ailleurs, si elle était là aujourd’hui, c’était parce qu’il avait voulu à tout prix éviter que son fils se retrouve seul avec une étrangère durant trois jours…

Oh ! Ty !

Elle l’avait oublié !

Comment allait-il ? Bien sûr, Carolina, la baby-sitter, était auprès de lui, mais elle ignorait aussi où la trouver en cas de besoin !

Sautant à bas du lit, elle alla ramasser ses vêtements avant de constater que sa robe n’était plus qu’un amas de lambeaux. Ses joues la brûlèrent au souvenir de l’instant particulièrement érotique où Leo l’avait déchirée.

Que faire ?

Sans hésiter plus longtemps, elle alla fourrager dans les tiroirs d’une commode. Pourquoi Leo n’était-il plus là ? Oh ! elle regrettait de ne pas avoir le temps de savourer encore un peu l’extase de la nuit passée dans ses bras. Mais lui ? Regrettait-il leur étreinte ? Etait-ce la raison de son départ ?

Elle n’avait pas le temps d’y songer. Poussant un profond soupir, elle enfila un immense T-shirt noir à manches longues, qui la couvrait jusqu’à mi-cuisses. Puis, aussi discrètement que possible, elle se faufila hors de la cabine et prit l’ascenseur.

Une rumeur urbaine lui parvenait depuis l’extérieur, et elle comprit qu’ils étaient revenus à Athènes.

Le yacht avait dû fendre les eaux toute la nuit, et bientôt, le séjour en Grèce prendrait fin. D’ici quelques heures, cette nuit fabuleuse ne serait plus qu’un souvenir… Elle colla son front contre la paroi de verre. Pourquoi cette pensée lui nouait-elle douloureusement l’estomac ? Elle n’était tout de même pas assez sotte pour avoir cru qu’un homme tel que Leo Aleksandrov lui offrirait davantage ? Un homme qui avait élevé au rang d’art les relations éclairs…

De toute façon, c’était très bien ainsi. Oui, elle se félicitait de ne pas l’avoir trouvé au lit près d’elle, ce matin. C’était plus honnête, conforme à ce qu’elle devait conclure de leur brève intimité.

« Pas de rêve. Pas de conte de fées », se dit-elle en serrant les dents.

*  *  *

Elle se mentait à elle-même, et c’était malsain.

Lentement, tandis que la matinée se coulait dans l’après-midi, Lexi se sentait devenir de plus en plus vulnérable, en proie à une agitation sans équivoque.

Elle l’attendait.

Oh ! bien sûr, elle ne s’était pas imaginé qu’il lui courrait après en lui criant qu’elle était le seul amour de sa vie, mais elle ne s’était pas non plus préparée à être complètement ignorée. Or, son absence devenait éloquente. Malgré leurs confidences de la nuit passée, elle ne représentait rien pour lui.

Elle aurait voulu s’affranchir de la profonde tristesse qu’elle en concevait. Ne pas éprouver ce grand vide, ce tremblement désagréable dans son cœur. Ni la crainte d’avoir été si décevante entre ses bras qu’il n’osait plus croiser son regard. Brandon avait-il dit vrai ? Pourtant, elle avait eu l’impression de s’être pleinement abandonnée, sans réserve, et d’avoir su donner du plaisir à Leo.

Poussant un profond soupir, elle s’efforça pour la centième fois de chasser ces doutes de son esprit. Ty riait aux éclats, dans la piscine, en éclaboussant Carolina, qui riait elle aussi de bon cœur. Limpide et pur, le rire de l’enfant lui réchauffait le cœur.

Jetant un gros ballon dans la piscine, elle rejoignit le petit et se mit à jouer avec Carolina et lui, ignorant la colère qui grandissait en elle.

Une colère dont elle n’aurait su dire si elle était davantage dirigée contre Leo que contre elle-même.

*  *  *

Leo avait dû fuir le yacht en toute hâte. Il s’était réveillé avec un tel sentiment de bien-être que son rythme cardiaque s’en était affolé. A un moment donné, il avait bien cru être tout près de l’infarctus, et son incapacité à quitter le petit corps chaud et attirant de Lexi Somers l’avait terrifié. Fort heureusement, il avait quelques rendez-vous à honorer, et avait pu passer une bonne partie de la journée en ville.

Mais maintenant qu’il était de retour à bord, dans son bureau, il était accablé par les conséquences du comportement d’Amanda Weston. Qu’allait-il faire de Ty ? Contrairement à ce que prétendait Lexi la veille, il n’avait pas la garantie de ne pas ressembler à son père. Le fait qu’il se contrôle, et ne se soit plus engagé dans une bagarre depuis ses quatorze ans, ne suffisait pas.

Ty méritait mieux que ce qu’il était en mesure de lui offrir. Il méritait un homme apte à jouer pleinement son rôle de père. Un homme qui l’aimerait.

Comme on frappait à sa porte, il s’extirpa de ses pensées et se composa un visage neutre en répondant :

— Entrez.

Lexi se tenait sur le seuil de la pièce, dans une petite robe bain de soleil à rayures qui laissait apercevoir les trois triangles de son Bikini humide. Sa somptueuse chevelure brune, également mouillée, tombait en grandes mèches bouclées autour de son petit visage, et ses yeux étaient pailletés d’or.

— Excuse-moi de te déranger, dit-elle, mais je voulais savoir vers quelle heure nous repartons pour Londres.

Sèche et cassante, sa voix n’avait plus guère les accents enjôleurs et voluptueux de la veille…

— Bonjour à toi aussi, mon ange, lança-t-il.

— Il est un peu tard pour un bonjour, objecta-t-elle. Mais bonsoir.

Ah, c’était donc cela. Elle était contrariée parce qu’il ne l’avait pas vue de la journée. Les femmes avaient toujours besoin de ces longs moments de bavardages inutiles et d’embrassades à n’en plus finir après l’amour, et elle ne dérogeait évidemment pas à la règle.

Toutefois, même s’il n’oubliait rien de leur corps à corps enfiévré, et même si — pourquoi ne pas l’admettre ? — elle lui avait sans doute fait passer la plus belle nuit de sa vie, cela ne changeait rien. Nyevazhno.

Il faudrait qu’elle comprenne que leur relation se limitait au sexe, comme tant d’autres avant elle.

— Je te présente mes excuses, déclara-t-il de sa voix la plus doucereuse, sans parvenir pour autant à lui arracher un demi-sourire. J’aurais dû être là quand tu t’es réveillée ce matin. Pour ma défense, je voulais te laisser dormir, et j’étais attendu au ministère de l’Environnement. Impossible d’arriver en retard.

— J’ai simplement demandé à quelle heure nous partions, répliqua-t-elle d’un ton glacial. Je n’ai pas besoin de connaître ton emploi du temps minute par minute.

— Je t’ai blessée en agissant ainsi, soupira-t-il. Je le regrette sincèrement.

— Non, tu ne m’as pas blessée, répondit-elle avec hauteur, mais il est clair que tu regrettes la nuit dernière, et je ne demande qu’à l’oublier aussi.

— La nuit dernière a été phénoménale, opposa-t-il.

— Aucune importance.

— Comment, tu n’es pas d’accord ?

Elle fronça les sourcils. Puis la sentence tomba, glaçante :

— Je voudrais juste rentrer chez moi.

Leo tapota machinalement la pile de dossiers sur son bureau. Qu’une femme désire « oublier » la nuit qu’elle venait de passer avec lui, c’était une première ! En principe, c’était plutôt le contraire. Elles en voulaient encore.

Il posa distraitement les yeux sur le dépliant au sommet de la pile, concernant un hôtel de Santorin, que son équipe souhaitait visiter à la fin de la semaine en vue d’un rachat. Le bâtiment était tellement décati qu’il tenait à peine debout, mais le propriétaire ne manquerait pas de prétendre qu’il était assis sur une mine d’or. C’était ainsi que les affaires se traitaient, ici. Mais pourquoi faire venir toute l’équipe alors qu’il se trouvait déjà en Grèce ? Il se simplifierait la vie en allant inspecter lui-même l’établissement avant de partir. Cela représentait à peine une demi-journée de plus, et les hommes de son service de sécurité auraient ainsi un peu plus de temps pour localiser Amanda.

— C’est impossible, moya milaya, répondit-il en relevant les yeux vers elle.

— Pardon ?

— Malheureusement, j’ai une autre affaire à régler en Grèce, et j’ai décidé de rester un peu plus longtemps.

— Très bien. Mais tu n’as pas besoin de moi.

— Il me paraît évident que si, rétorqua-t-il, lui laissant le soin d’interpréter ces paroles à sa guise.

— Ty a déjà adopté Carolina, objecta-t-elle. Ils s’entendent à merveille, tous les deux. Et de toute façon, je ne peux pas rester. Je dois être au travail demain matin.

Leo fronça les sourcils. Même si cela semblait relever de la mission impossible en cet instant, il trouverait un moyen de la convaincre de revenir dans son lit cette nuit.

*  *  *

Non. Elle ne resterait pas. Pas alors qu’il n’attendait rien d’autre d’elle à part prendre soin de Ty !

— Quelqu’un peut bien diriger le centre en ton absence, non ? demanda-t-il tranquillement.

— Certainement. Passe-moi ton téléphone pour que j’alerte mon majordome et mes laquais, répliqua-t-elle, acide.

— Lexi… Il y a bien d’autres membres du personnel qui peuvent faire tourner la garderie en cas d’urgence ! fit-il valoir.

— Oui. Mais il ne s’agit pas d’un cas d’urgence, et j’ai aussi un projet d’affaires à réviser.

Un projet sur lequel elle avait prévu de travailler durant tout le week-end, et qu’elle avait à peine ouvert !

— Un projet de quoi ? interrogea-t-il.

Comme il arrimait son regard au sien, elle préféra gagner du temps : il semblait déterminé à obtenir une réponse précise, et elle savait qu’il gagnerait à ce jeu-là.

— Une seconde garderie, admit-elle. Un nouveau centre que nous souhaitons ouvrir, Aimée et moi.

— Ah ? Tu crées une filiale ?

— Cela ne risque pas d’arriver si je ne règle pas un grand nombre de problèmes afin d’obtenir le financement bancaire, dit-elle avec humeur.

Il la dévisagea longuement, avant de proposer :

— Je peux t’aider, si tu veux bien.

— Comment ? s’enquit-elle d’un ton suspicieux.

— Lexi, soupira-t-il, je dirige une société internationale. Je crois être en mesure de t’aider à rédiger un projet de financement.

Etonnée, elle garda le silence un instant. C’était indubitable. Qui, mieux que lui, saurait réviser ce projet afin qu’il soit parfaitement conforme aux attentes d’une banque ?

— Disons que ce sera un échange de bons procédés, poursuivit-il. Tu m’apportes ton aide et je t’offre la mienne en retour. Cela compensera un peu ton refus d’être rémunérée pour ces trois jours.

Lexi se mordit la lèvre. Elle voulait obtenir ce nouveau centre plus que tout au monde, et Leo était probablement l’un des dix plus grands hommes d’affaires de la planète, mais… Pouvait-elle rester, alors que le souvenir de tout ce qu’ils avaient partagé durant la nuit passée lui pesait encore sur le cœur ?

— De quel prolongement parlons-nous, exactement ? demanda-t-elle, méfiante.

— Environ vingt-quatre heures. Probablement deux nuits. Pas plus.

— Je dois rendre mon projet vendredi.

— Nous nous en occuperons ce soir.

Elle prit une longue inspiration.

— Ce serait strictement professionnel ? s’enquit-elle.

Il haussa les épaules.

— Tu me le demandes, ou tu me l’annonces ? contra-t-il.

— Je te l’annonce.

— Eh bien dans ce cas, bien évidemment, je respecterai ton souhait, dit-il en secouant lentement la tête.

Elle sentit un poids quitter ses épaules et conclut en souriant :

— Merci.

— Sudovolstviyem, moya milaya.

Lexi ne comprenait pas ce qu’il venait de dire, mais n’avait aucune intention d’en demander la traduction. Elle se contenta de le regarder se lever de sa table de travail avec l’allure d’un athlète olympique emportant tout l’oxygène de la pièce avec lui.

Dès qu’il fut passé dans le couloir attenant, elle s’adossa à l’encadrement de la porte pour ne pas tomber.

C’était de la folie. Passer une nuit de plus ici avec lui ? Ça allait la tuer.

*  *  *

— Je croyais que tu devais examiner mon projet.

Leo releva les yeux sur la jeune femme au visage renfrogné qui s’accrochait au rebord de la piscine comme si sa vie en dépendait.

— Et nous allons le faire, promit-il. Mais d’abord, il y a un superbe coucher de soleil à admirer et un bon dîner à déguster.

— Je n’ai pas très faim.

— Tu n’as pas déjeuné, objecta-t-il.

— Comment le sais-tu ? s’étonna-t-elle.

— Mon chef se fait fort d’inspecter l’assiette de chacun de nos hôtes dès qu’elle lui est renvoyée en cuisine, expliqua-t-il. Il accorde une attention toute particulière à celles qui sont restées pleines.

Vaincue, elle haussa les épaules.

— Je n’avais pas faim, dit-elle.

— Et le coucher de soleil ?

— Oui… Eh bien ?

— Tu n’as pas encore trouvé d’excuse pour le congédier, ironisa-t-il.

Cette fois, elle lui retourna un regard amusé et répliqua :

— Ne t’inquiète pas, je vais en trouver une.

Leo sourit et insista :

— Viens dîner. Tu ne le regretteras pas.

*  *  *

— Tu prendras bien un verre de vin, ce soir ? proposa Leo.

En effet, Lexi avait besoin d’un peu d’alcool pour l’aider à oublier le charisme inouï de son hôte.

Elle sourit au serveur qui leur présentait deux bouteilles, l’une de rouge et l’autre de blanc.

— Rouge ou blanc, madame ? s’enquit-il.

— Blanc, s’il vous plaît.

En le regardant emplir son verre, elle s’aperçut qu’elle évitait encore de relever les yeux vers Leo. Les rayons mordorés du soleil couchant projetaient une lumière extraordinaire dans ses cheveux sublimes, et le bronze de sa peau paraissait aussi plus ambré, plus profond. Un éclat particulier émanait de son regard d’un bleu plus intense, ce soir. Un T-shirt blanc à col en V révélait la perfection de sa masse musculaire. Seigneur, qu’il était sexy en jean !

— Alors ? demanda-t-il quand le serveur les eut laissés. Comment est ce vin ?

— Pourquoi ne le goûtes-tu pas ? répliqua-t-elle, mal à l’aise.

— Je ne bois jamais d’alcool.

Une décision aussi radicale était-elle une réaction contre le comportement de son père ? Sans doute. Et même s’il s’agissait d’un choix extrême, elle le comprenait, et admirait sa pugnacité. Seigneur, il fallait qu’elle cesse de lui trouver des qualités !

Bientôt, le serveur revint avec de fabuleuses assiettes de fruits de mer, et malgré son peu d’appétit, elle fit honneur au dîner gastronomique à six plats. Les coquillages, les langoustines et les légumes fondants ne pesaient pas sur son estomac, et elle avait l’impression de découvrir ce qu’était la nourriture de luxe. C’était comme si elle entrouvrait la porte d’un monde parfait.

A la fin du repas, elle s’étendit plus confortablement dans son fauteuil, comme l’homme qui lui faisait face, de l’autre côté du chandelier. Dans l’air tiède du soir, seuls quelques clapotis et les accents d’un air de jazz diffusé par les haut-parleurs du yacht troublaient la quiétude ambiante.

— Je ne crois pas t’avoir dit que tu es très en beauté, ce soir, observa-t-il. J’aime voir tes cheveux lâchés sur tes épaules.

A ces mots, Lexi sentit son cœur bondir et s’intima l’ordre de rester calme : il lui faisait un compliment, rien de plus.

Le dévisageant à son tour, elle ne put s’empêcher de comparer son flegme viril à celui d’un splendide fauve. Même lorsqu’il était au repos, les jambes étendues devant lui, confortablement enfoncé dans son siège, il lui rappelait quelle énergie il savait déployer dans un lit. Au souvenir de leurs étreintes, une onde électrique fusa en elle, ranimant un brasier au creux de son ventre.

— Viens, dit-il soudain en se levant. Allons danser.

— Non, Leo… Je ne peux pas faire ça.

— Bien sûr que si. Tu te cales entre mes bras, tu me donnes la main, et tu me laisses te guider.

— Très drôle, répondit-elle, un sourire railleur aux lèvres.

Mais il s’approcha d’elle et insista :

— Laisse-moi te montrer.

D’autorité, il lui prit la main et la contraignit à se lever.

— Non, Leo, s’il te plaît, protesta-t-elle. Je n’arrive plus à réfléchir convenablement quand tu poses la main sur moi…

— Tu sais parler au cœur d’un homme, toi, déclara-t-il en souriant.

Déjà, il avait passé un bras autour de sa taille et l’invitait à suivre avec lui le rythme de la musique.

— Je ne pense pas que ton cœur joue le moindre rôle dans l’affaire, contra-t-elle.

— Peut-être pas mon cœur, mais je t’assure qu’un autre organe essentiel est concerné.

— Il n’y a qu’un homme pour considérer que son ego est un organe essentiel, rétorqua-t-elle.

Dès qu’elle entendit son rire, une douce chaleur se répandit en elle. Cette voix sensuelle, grave, malicieuse, était irrésistible.

— Leo, je t’en prie, ne joue pas avec moi, reprit-elle d’un ton plus sérieux.

Cette fois, il la dévisagea avec attention et observa un bref silence avant de s’enquérir :

— Quelqu’un t’a blessée. Quelqu’un d’autre que ton père.

L’élan d’inquiétude sincère qui semblait l’animer la toucha, et elle se blottit plus étroitement contre lui, tandis qu’ils dansaient face à la mer. C’était ridicule. Elle se sentait à l’abri, dans ses bras, et son cœur battait aussi fort que celui d’une adolescente. Mais irait-elle jusqu’à lui parler de Brandon ?

Elle hésita, avant de se rappeler la confession qu’il avait bien voulu lui faire la veille. La confiance était affaire de réciprocité, se dit-elle.

— J’étais jeune, expliqua-t-elle. Il était immature, et je devais l’être aussi. Je l’ai rencontré à la bibliothèque de l’université, et il s’est montré assidu. C’est beaucoup plus tard que j’ai découvert comment ses amis avaient parié qu’il ne parviendrait pas à m’entraîner dans son lit. Nous avons été intimes plusieurs fois mais… Je n’ai jamais été très douée pour le sexe, et il s’est rapidement trouvé quelqu’un d’autre.

— C’était ton premier amant ?

Elle se mordit la lèvre. Brandon avait été son seul amant — à part lui. Mais pas question de le lui révéler !

— Lexi ? insista-t-il en interrompant leur danse pour lui saisir le menton et la contraindre à le regarder dans les yeux.

— Il a été ton seul amant, murmura-t-il.

Il n’y avait pas même un accent interrogatif dans sa voix ! Oh ! Seigneur, comment avait-il pu deviner ?

— Je n’aurais jamais pensé que les nuits sur la mer Egée pouvaient être si paisibles, lança-t-elle d’un ton joyeux en désignant la mer.

Mais il l’attira plus fermement contre lui, la sondant du regard.

— Que t’a-t-il dit ? Il a prétendu que tu n’étais pas à la hauteur ?

— Oh ! S’il te plaît, pourrions-nous changer de sujet ? Je t’en prie.

— Lexi, tu es la femme la plus belle et la plus sensuelle que j’aie connue, et la nuit dernière a été…

Il hésita et s’esclaffa en avouant :

— Moy bohze, j’ai une érection rien que d’y penser. Rien que de songer à toi…

Sa véhémence la troubla.

— Et… c’est inhabituel ? balbutia-t-elle.

— Mon ange, gronda-t-il, c’est entièrement inédit pour moi. Mais je vois bien que tu ne veux pas me croire, et je suis désolé si ma contribution ne parvient pas à te rassurer. Quoi qu’ait pu te dire ce demeuré, je te garantis qu’il parlait de ses propres faiblesses, pas des tiennes. Ce matin, j’étais encore sous le choc, et… Mon ange, tu me coupes le souffle. Est-ce que tu ne t’en aperçois pas ? Je croyais que c’était évident !

Lexi percevait une telle émotion dans sa voix qu’elle en eut les larmes aux yeux.

— Pas pour moi, admit-elle, la gorge serrée.

— Alors dans ce cas, il est temps que je fasse quelque chose pour te le montrer, rugit-il d’une manière si érotique qu’elle sentit aussitôt son sang bouillir dans ses veines.

L’attirant encore plus près de lui, il plongea son regard brûlant dans le sien et chuchota :

— Je veux te faire l’amour, Lexi. Je veux te donner du plaisir, et bannir une fois pour toutes les souvenirs déplaisants de ton ancien amant, que tu gardes depuis trop longtemps dans un coin de ta tête.

Elle sentit son cœur cesser de battre et retint son souffle. Les émotions la submergeaient, et elle avait la bouche sèche. Comment résister à une pareille invitation ? Surtout lorsqu’il était certain qu’elle ne se renouvellerait pas.

Elle ne pourrait pas résister. Peut-être était-il temps de cesser de réfléchir, d’arrêter d’évaluer sans cesse l’avenir, et de se concentrer sur l’instant présent. Bien sûr, il gardait toujours jalousement des secrets, mais elle n’allait pas l’épouser. C’était juste… Bon, elle ne savait exactement ce que c’était ; peut-être simplement une nouvelle nuit dans les bras d’un homme qui lui donnait l’impression d’être heureuse et fière d’elle-même à son réveil le lendemain.

Elle voulait croire ce qu’il lui disait, et ne plus jamais songer à Brandon. Elle voulait que Leo lui donne encore du plaisir avec sa bouche, qu’il la laisse caresser son sexe puissant et doux à la fois, que leurs corps se mêlent avec la même harmonie, la même magie que la nuit précédente.

Oui, elle se sentait prête à toutes les audaces.

Plus jamais elle ne serait la petite chose traumatisée par les propos d’un étudiant qu’elle ruminait depuis tant d’années. Aimée le lui avait dit et répété… Mais maintenant, elle se sentait capable de se débarrasser de ses vieilles angoisses.

Dans les bras de Leo, tout était possible…

Chassant ses derniers doutes, elle décida de se jeter à l’eau.

— Oui, dit-elle en s’arrimant à son regard.