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En octobre 1663, Piddy Gullee alla chercher de l’eau et ne revint jamais. Lace et Mally se tournèrent vers la seule personne sur laquelle elles pouvaient compter pour obtenir de l’aide. Blandine Van Couvering avait noué un lien très fort avec la communauté africaine de la colonie, depuis un après-midi de juillet 1659, presque quatre ans avant la disparition de Piddy.

Blandine venait d’avoir dix-huit ans cet été-là, et elle ne connaissait pas plus les Africains que les autres jeunes filles bien nées de La Nouvelle-Amsterdam. Elle passait souvent devant un regroupement de cabanes à l’extérieur de la palissade. « Little Angola », comme on l’appelait en ville.

C’étaient les maisons des Africains « semi-libres », un bon quart de la population noire de la colonie, qui pouvaient posséder des terres en échange d’un tribut annuel au gouvernement.

La semi-liberté. Quand Blandine y pensait dans sa jeunesse, elle trouvait qu’accorder de tels droits – les Africains bénéficiaient aussi d’un jour de congé au printemps, après le 1er mai, où ils pouvaient s’échapper à leur guise de la colonie – ne servait qu’à souligner leur condition d’esclave. Si on lui avait demandé son avis, elle se serait déclarée hostile à l’esclavage. Néanmoins, cela ne pesait pas vraiment sur sa jeune conscience.

La famille de Blandine n’avait de son côté jamais possédé d’esclaves. Elle voyait parfois des membres asservis de la communauté s’échiner à étayer les murs du fort. La Compagnie en employait la majorité, et le directeur général en avait lui-même une vingtaine. Seuls les habitants les plus riches pouvaient se permettre de revendiquer la propriété de la chair humaine.

Pendant longtemps, pour Blandine, les Africains n’avaient représenté qu’un élément de plus dans la foule sans cesse croissante que Manhattan attirait à elle. Tout cela changea par un après-midi étincelant de juillet.

Lors de l’été 1659, les Hollandais faisaient la guerre à la tribu Ésopus. Les violences faites aux Ésopus, les massacres en représailles, les champs de céréales et les villages incendiés, tout cela se déroulait loin au nord de La Nouvelle-Amsterdam, près de la ville de Wildwyck. Jusque-là, ces événements n’avaient eu aucune incidence sur le comptoir.

Par précaution, le schout ordonna qu’aucun colon ne s’aventure hors de l’enceinte sans escorte armée. Mais la chaleur était accablante, il fallait cueillir les framboises à quelques lieues de la ville et les habitants de La Nouvelle-Amsterdam adoraient leurs fruits estivaux.

Un groupe d’une dizaine de colons, surtout des femmes et des enfants, accompagnés de deux miliciens de la Compagnie, se risquèrent dans les territoires. Les miliciens emportèrent des armes à feu.

Blandine se joignit à eux. Elle aimait les framboises, comme tout un chacun, et appréciait le sentiment de communauté naturelle entre les cueilleurs. C’était une tradition. Elle en ramassait tous les ans depuis qu’enfant elle y était allée avec son père et sa mère. Blandine se réjouissait toujours de franchir le mur nord de la colonie et de s’enfoncer dans la nature plus sauvage qui la bordait.

L’endroit où poussaient les petits fruits juteux avait l’air parfaitement sûr. Les prairies et les bouweries – les fermes – parsemaient le paysage, marqué également par l’importante route de la Poste, qui faisait le lien entre la pointe sud de Manhattan et les territoires du Nord.

Alors que le groupe passait Little Angola, l’une des femmes qui s’y trouvait, Mally, héla Blandine.

« Vous allez cueillir des fruits ? » demanda-t-elle en voyant le panier tressé pendu à son bras.

Elles se connaissaient un peu, Blandine l’ayant employée, ainsi que sa demi-sœur, pour coudre des pièces de lin qu’elle importait de Patria. Les produits finis – taies d’oreiller, draps, mouchoirs – se revendaient un meilleur prix que le simple tissu.

Blandine vit Lace arriver derrière Mally avec des sacs pour les fruits. Personne ne s’opposant à ce que des Africains se mêlent au groupe, Mally et Lace vinrent donc avec eux.

Les Africains n’ayant pour ainsi dire aucun statut au sein de la colonie, on leur donnait généralement pour nom de famille celui de leur région d’origine. Mally et Lace, comme d’autres, reçurent donc toutes les deux le même nom, Angola. C’était sans arrière-pensée, et sans que les personnes ainsi nommées eussent leur mot à dire. Simplement, les autorités hollandaises avaient besoin d’un patronyme distinctif à coucher sur le papier au cas où des Africains seraient traînés au tribunal.

Une chaude journée de juillet. Le vacarme des insectes montait des prairies, mourait, puis recommençait. Deux sœurs, Tryntie et Aleida Bout, chantaient un cantique, Nederlantsche Gedenckclanck, un nouvel hymne célébrant la victoire des protestants sur les catholiques d’Espagne en Hollande.

Plusieurs autres reprirent l’hymne en chœur. Blandine remarqua que les stridulations des sauterelles et des criquets couvraient sans mal les voix humaines chevrotantes qui louaient le Seigneur.

Elle se laissa distancer. Grâce à cette promenade hors de la ville, sa peine immuable, la tristesse qu’elle éprouvait depuis qu’elle avait perdu sa famille, était moins oppressante. Mais pour elle, ces lieux étaient comme hantés. Dans sa jeunesse, lorsqu’elle flânait au milieu des buissons chargés de baies, elle était une fillette différente, insouciante.

La route qu’ils suivaient pour remonter l’île les conduisit à une petite butte offrant une vue sur le large fleuve à l’est. La surface de l’eau reflétait en noir le ciel bleu-gris acier. Blandine distinguait un carré d’herbe aplati. Sans doute rien de plus que le couchage d’un cerf.

Alors qu’ils sortaient de la route pour emprunter un sentier, elle vit des canoës alignés dans une roseraie sur la rive rocailleuse en contrebas. Ils étaient vides.

Depuis le fleuve, songea-t-elle, nul ne pouvait voir les embarcations cachées par les roseaux.

De hauts cumulus blancs flottaient dans le ciel, les hommes avaient entonné l’hymne avec les femmes et le groupe arriva dans les champs pleins de joncs où poussaient des framboisiers. Les fruits rouges abondaient. Des papillons, des grands mars et des porte-queues, en aspiraient le nectar. Toute une nuée prit son envol lorsque les Hollandais, criant comme des enfants, plongèrent dans les buissons.

D’abord, pris d’un accès de gloutonnerie, les colons ne s’occupèrent pas de leurs paniers, préférant se mettre de pleines poignées de framboises dans la bouche.

Avec Lace et Mally, Blandine alla à l’écart des autres. La piste des fruits les entraînait dans des directions aléatoires. Chaque framboisier épineux et courbé sous sa charge menait au suivant, comme si un secret attendait d’être révélé au bout du chemin.

Blandine interrompit sa cueillette. Elle s’assit par terre, au milieu de la végétation, sa jupe étalée autour d’elle. Elle regarda vers l’est, du côté de la route de la Poste et des immenses pins qui la bordaient. Mentalement, elle calcula la valeur des arbres. Des mâts pour les navires du monde.

Plus loin, sur la route, un homme menait deux vaches vers la ville. Puis, entre un arbre et un autre, il disparut soudain. Elle attendit qu’il réapparaisse. Les vaches poursuivirent leur chemin sans lui. Elle entendait leurs cloches tinter.

Après un quart d’heure, les nuages bouchèrent le ciel, obscurcissant le soleil, tandis qu’un vent plus frais montait du fleuve. Les colons s’étaient calmés, ils s’occupaient de remplir leurs paniers. Blandine s’efforçait de garder le cœur léger. Les vaches continuaient à errer, seules. Qu’était-il arrivé au berger ?

Elle se releva.

« Mally, Lace », appela-t-elle. Elles étaient à côté. « Il faut que… » Elle s’interrompit, reprit : « Nous ferions mieux de rejoindre les autres. » Elles rebroussèrent chemin à travers les framboisiers pour retourner à l’endroit où s’activait la dizaine de cueilleurs.

Tout allait bien. Les nuages laissèrent le soleil percer et les visages couverts de taches rouges de ses camarades la rassurèrent. Quelle sotte d’être aussi nerveuse ! Étonnant, à quel point la nature suscitait des réactions variées. Splendide un moment, menaçante un autre.

Une main se posa sur l’épaule de Blandine. Elle sursauta.

« Regarde, dit Patricia Reydersen en lui montrant un panier presque plein. Qu’est-ce que tu fichais ? Tu n’as pratiquement rien ramassé.

— C’est moi qui en ai le plus ! » s’écria sa fille de neuf ans, qui jubilait.

Patricia Reydersen était l’une des femmes qui s’étaient montrées gentilles lorsque Blandine était devenue orpheline, ayant été proche de sa mère, Josette. Chez elle, la jeune fille affamée trouvait toujours du cidre et des gâteaux.

Le milicien Jerominus Tyinck, le menton rouge de jus, se trouvait non loin. Blandine s’approcha de lui.

« Avez-vous remarqué les canoës ? »

L’homme la regarda sans comprendre.

« Près du rivage, précisa-t-elle.

— Ils viennent sans doute de Pavonia, jeune fille », dit Tyinck, qui faisait référence à la colonie de l’autre côté du fleuve.

Les Indiens étaient réputés y être amicaux.

« Pas la peine de s’inquiéter. »

Tyinck la congédia, cette idiote qui tortillait ses nattes et avait peur de se tacher les doigts avec le jus des fruits. Il s’éloigna vers un coin plein de framboisiers. Il posa son fusil contre une souche d’arbre et bourra sa pipe.

Silence. Puis, dans ce silence, un cri.

Hurlant comme un forcené, un guerrier indien surgit en courant de la forêt où il se cachait. Il balança sa massue et asséna à Jerominus Tyinck un coup formidable à la tête.

Des hurlements. Comme d’autres indigènes arrivaient, la panique s’empara des colons ahuris. Ils étaient surpassés en nombre. Les enfants s’agrippaient à leur mère. Les femmes gémissaient : « Neen, neen, neen. » Non, non, non.

Resoluet Waldron, l’autre milicien, arma son mousquet. La détonation retentit, formidable, dans la tranquille clairière. La balle fit valser l’un des assaillants en une pirouette sanglante. Mais ce fut tout. Un autre Indien arracha le fusil des mains de Waldron et s’en servit pour le frapper. Lui aussi tomba à terre.

Les femmes et les enfants étaient livrés à eux-mêmes.

Blandine était avec Mally et Lace. De plus en plus de wilden sortaient des bois. Pas des Indiens du fleuve, elle s’en aperçut. Vu leurs peintures, des Mohicans, venus du Nord.

Le gouverneur de la colonie affichait une indifférence souveraine pour la diversité des tribus et des clans indigènes. Pendant les guerres des Ésopus, les armées des colons avaient attaqué tous les Indiens sans distinction et, lors d’une récente bataille, décimé un village mohican.

Ce combat contre les Mohicans, d’après ce qu’avait entendu Blandine, avait été particulièrement brutal. Les soldats avaient incendié des huttes où se trouvaient des familles, puis tiré sur les habitants en fuite. Trois hommes s’en étaient pris à une jeune femme enceinte. Ils lui avaient cousu l’orifice avec un tendon de cerf avant de provoquer l’accouchement en la battant avec les crosses de leurs mousquets. Elle était morte dans les douleurs de l’enfantement.

La fureur répondait à la fureur, et maintenant les Mohicans étaient là pour se venger, à la porte de la colonie.

Blandine serra Lace et Mally contre elle, légèrement à l’écart de leur groupe. Deux des assaillants attrapèrent Patricia Reydersen. Elle se mit à hurler. Blandine croisa son regard terrifié et elle couvrit les yeux de Lace et Mally.

Devant tout le monde, les deux Indiens déchirèrent les vêtements de Patricia Reydersen. Ils lui montèrent tour à tour dessus pour la prendre de force et, comme elle résistait, ils s’emparèrent de pierres grosses comme leur poing pour lui marteler le visage.

Pour Blandine, c’était comme de voir sa propre mère attaquée. Pourquoi ne faisait-elle pas un geste pour lui venir en aide ? Serait-elle la prochaine ?

Plusieurs Mohicans formèrent un cercle autour du milicien blessé, Resoluet Waldron. Tout en produisant de petits sifflements semblables à ceux des oiseaux, ils le poussèrent d’un sens et de l’autre, lui donnèrent des coups de pied et de poing. Puis ils le dévêtirent et l’étendirent, face contre terre, criant à pleins poumons. Tandis que deux de ses agresseurs lui arrachaient un ongle en souvenir, un autre enfonçait soigneusement la lame d’une hache de guerre le long de sa colonne vertébrale.

Quand l’ouverture fut suffisamment profonde, l’Indien, un grand Mohican au visage peint en bleu, fouilla la plaie à deux mains et saisit la bande de peau, qu’il décolla de la chair. Il en arracha tout un pan facilement, avec un bruit de queue de castor qu’on dépèce. L’écorché se débattit, mais les indigènes le maintenaient par le cou et les bras.

Les Indiens ne semblaient nullement pressés. Plusieurs d’entre eux étaient allongés par terre où ils faisaient mine de se reposer d’un air menaçant, discutant, riant, échangeant des claques sur la poitrine. Ceux qui n’étaient pas directement impliqués dans l’agression contre Waldron déambulaient tranquillement parmi le groupe des femmes effrayées.

L’un des guerriers s’approcha de Blandine en montrant de l’index ses cheveux blonds. Elle essaya de ne pas tressaillir. Il tira sur une mèche, fort, puis poursuivit sa promenade en lui lançant de petits regards appuyés. Il se l’était appropriée. Elle avait appris quelques mots de leur langue en faisant des affaires. Elle entendit l’homme dire : « Pour moi. »

Mally et Lace s’agrippaient l’une à l’autre, des larmes roulant sur leurs joues. Elles murmuraient une prière désespérée. L’hystérie paralysait les femmes comme les enfants. Blandine savait qu’il lui fallait agir, trouver un moyen de s’échapper, ou elle suivrait Patricia Reydersen dans la mort.

Dans un souffle, elle dit : « Il faut s’enfuir. Maintenant. Toutes les trois. »

Comme tout le monde à La Nouvelle-Amsterdam, Blandine avait vu les vagues de réfugiés hollandais arriver dans le Sud, l’air hagard, après avoir fui la guerre des Ésopus. Certains avaient raconté comment leurs ravisseurs les avaient « libérés », leur donnant l’illusion de s’échapper pour mieux les pourchasser. C’était une tactique courante chez les guerriers indiens.

Blandine tenta de transformer une fausse évasion en une vraie. Elle se mit en marche, sans céder à la panique, entraînant Lace et Mally.

Deux indigènes se trouvaient à proximité, celui qui avait fait d’elle sa propriété, peinturluré de zigzags noirs et blancs, et un autre, plus jeune, couvert de jaune de la tête aux pieds.

Ils riaient, pliés en deux, comme si voir des captives tenter de gagner la forêt était une vision d’un comique irrésistible. Ils les montraient du doigt en s’esclaffant.

Quand Blandine, Mally et Lace se furent éloignées d’une dizaine de mètres, Zigzag et son camarade jaune commencèrent à les suivre.

« Où vous allez, eh ? lança le grand Indien en anglais, toujours en proie au rire. Où ?

— Continuez, dit Blandine. Quoi qu’il arrive, nous restons ensemble. »

Derrière elles, l’un des guerriers du groupe arrêta ce qu’il était en train de faire à l’une des femmes et cria dans leur direction.

« Ramenez-les », comprit Blandine.

Zigzag se retourna et répondit : « On les tient. »

Soudain, le Jaune se lança dans une course rapide, précipitée, puis se jeta à genoux en dérapant, riant de la voir apeurée.

Zigzag bondit en avant et porta un coup violent à Lace, qui s’effondra. Tandis que Blandine l’aidait à se relever, le Mohican dansait en rond juste à côté tout en lui hurlant des menaces. Puis, brusquement, il leur tourna le dos et s’éloigna.

Tout cela, Blandine le savait, avait pour but de les mettre au comble de l’effroi.

Vacillant, les trois jeunes femmes quittèrent le lieu de cueillette transformé en scène de carnage, avec les deux guerriers sur les talons. Les cris des Indiens, les hurlements des colons s’estompèrent. Derrière elles, Zigzag et le Jaune continuaient à les poursuivre négligemment. Ils s’arrêtaient, glanaient une feuille, une framboise, appelaient un faucon qui tournoyait dans le ciel au-dessus d’eux.

Et tout à coup, plus rien. Blandine guida Lace et Mally en bas d’un dévers très incliné et les fit entrer dans une clairière abritée. Elles ne voyaient plus leurs deux poursuivants. Silence. Même les vagues vociférations des Indiens et des autres femmes ne leur parvenaient plus.

« C’est terminé ? demanda Lace, la voix à demi étranglée par l’angoisse.

— Continuez », dit Blandine.

Son cœur cognait dans sa poitrine. Elle n’osait pas croire qu’elles s’étaient échappées si facilement. Pourtant, cela avait l’air vrai.

Un cri perçant. Zigzag et le Jaune se tenaient sur la crête qui les surplombait. En une démonstration belliqueuse, les Mohicans se frappaient l’un l’autre et échangeaient claques et coups de poing sur le torse comme deux gamins dans une cour d’école.

Quand ils commencèrent à descendre, cependant, leur nonchalance s’évanouit. Zigzag dégagea son membre raide de sa tunique et l’agita vers elles avec arrogance.

« Seigneur Jésus, sauve-moi », murmura Lace.

Sa main serra celle de Blandine, ses ongles s’enfonçant dans sa paume.

Les trois jeunes femmes dévalèrent la pente jusqu’au rivage. Blandine les dirigea vers la roseraie où les canoës des Indiens étaient échoués.

Mally grimpa dans le premier. Lace grimpa à sa suite.

« Viens ! » cria Mally à Blandine.

Mais, pendant un long et oppressant moment, Blandine resta à terre pour sortir les autres canoës de la vase et les pousser dans le courant. Si leurs poursuivants les voulaient, ils devraient nager.

Pour finir, elle sauta dans la petite embarcation.

Toutes les trois pagayèrent de concert, avec acharnement, pour s’éloigner de la rive. Arrivés au bord du fleuve, les Indiens se jetèrent à l’eau et nagèrent jusqu’à quelques mètres de leur embarcation.

Ils ne parvinrent pas à les rattraper. Blandine, Mally et Lace entrèrent dans des eaux plus profondes et les distancèrent.

 

Quand les trois jeunes femmes arrivèrent en ville, trempées, débraillées et toujours frappées d’effroi, et une fois que le gouverneur hollandais eut envoyé une compagnie s’occuper des représailles contre les agresseurs, Blandine se sentit liée à Mally et Lace, ainsi qu’à la communauté de Little Angola.

Aucun de leurs compagnons de cueillette ne survécut.

Par la suite, Blandine remarqua avec mépris que certains de ses prétendants d’autrefois se détournaient d’elle comme d’un article défraîchi. Les hommes de la colonie ne surent jamais avec certitude ce qui s’était passé au juste dans le coin à framboises près du fleuve.

Seul le premier amour de sa vie, Kees Bayard, lui resta fidèle. « Tu es ma petite courageuse… », lui disait-il, plein de sollicitude depuis la tragédie. Il la défendait avec virulence. Il se porta volontaire pour faire partie de la compagnie qui se lança à la poursuite des Indiens en fuite.

Au fond d’elle, cependant, Blandine avait le sentiment que personne ne comprenait la terreur qu’elle avait éprouvée ce jour-là. Sauf Mally et Lace. Comme, quand votre maison brûle, vous ne voulez plus parler qu’à des gens dont la maison a aussi brûlé. Son amitié ultérieure avec Antony cimenta encore un peu plus son lien avec les Africains.

C’est donc tout naturellement que, quatre ans plus tard, lorsque l’un des leurs disparut à l’automne, une enfant partie chercher de l’eau et qui n’en était pas revenue, Lace et Mally se tournèrent vers Blandine.