« Ça ne pouvait pas être lui, dit Blandine. Dis-moi que ce n’est pas Aet Visser.
— Pourquoi l’aurait-on pendu ? demanda Drummond. Et le dimanche de Pâques, en plus ? Ça n’a aucun sens.
— Ils ont dû le faire pendant le Vendredi saint, répondit Blandine avec amertume. Le gouverneur aime laisser les cadavres se décomposer un peu, pour faire passer le message. »
Ils arrivèrent aux quais avant que la nouvelle ait commencé à circuler. Quand Stroose eut amarré la République à un ponton de l’East River, Blandine et Edward débarquèrent et se dépêchèrent de rejoindre la terre ferme.
Au moment où ils posaient le pied pour la première fois depuis deux mois sur le sol de La Nouvelle-Amsterdam, l’appel du crieur retentit à l’autre bout de la ville. Sa voix résonna dans l’atmosphère paisible de Pâques comme une malédiction.
« Oyez, oyez*, le maître des orphelins est mort. Le maître des orphelins est mort. On l’a retrouvé pendu par le cou au gibet de la ville. »
Tout était si confus. À l’évidence, c’est bien Visser qu’ils avaient vu se balancer au bout de la corde. Mais il était tout aussi évident que la pendaison n’avait pas été ordonnée par les autorités de la ville. Et si ce n’était pas le gouverneur qui avait condamné Visser à être pendu à cause de crimes abominables, qui donc ?
La prise de conscience fut lente. Drummond remontait le long du canal avec Blandine jusqu’à sa maison de Slyck Steegh. Ils marchaient en silence. Elle ne pleurait pas, mais sur son visage se lisaient le choc et la douleur.
Dans les rues, sur le front de mer, sur le Pont-Neuf au-dessus du canal, les habitants de la colonie paradaient dans leurs costumes de fête en cancanant avec volubilité. Les femmes portaient leurs plus belles robes, relevées haut afin d’exposer les couleurs vives de leurs jupons. Dans l’humeur qui était la sienne, Blandine avait l’impression de voir une kermesse en plein cimetière.
Personne ne faisait attention aux deux exilés de retour. Edward et Blandine fendaient la foule tels des fantômes. Le nom « Aet Visset » et le mot « suicide » volaient de lèvres en lèvres. Quelqu’un dit : « L’un est ressuscité et l’autre est mort », et son compagnon éclata de rire devant cette boutade si appropriée à Pâques.
Blandine se sentait dévastée. Revenir à La Nouvelle-Amsterdam représentait déjà un changement assez difficile en soi, sans y ajouter la détresse que provoquait la mort de Visser. De vieux sentiments de solitude et d’abandon remontaient en elle. Elle avait déjà perdu son premier père, elle venait de perdre le second.
Ils quittèrent le canal pour passer par les rues latérales, plus calmes. Drummond grimpa le perron de sa maison. Neuf semaines plus tôt, on l’avait fait descendre de force ces marches en le traitant d’espion et de traître. Cela lui semblait appartenir à un autre âge. Le platane devant son logis, nu à l’époque, portait maintenant de petits bourgeons verts.
Raeger avait fait réparer sa porte d’entrée, boucher le trou causé par la balle dans le linteau, remettre les pièces en ordre, balayer les morceaux de verre qui jonchaient le sol de l’atelier. Il s’était assuré que le propriétaire suédois toucherait ses douze guinées de loyer mensuel.
Mais quand Drummond et Blandine entrèrent, la cheminée était froide et les pièces avaient l’air comme suspendues hors du temps. Alors qu’ils allaient sans but de pièce en pièce, Blandine éclata finalement en sanglots, inconsolable. Elle s’assit, se releva abruptement, sortit dans la cour, puis rentra avec Drummond toujours à ses côtés.
Elle se sentait incapable de réfléchir correctement, elle n’avait pas envie de comprendre ce qu’elle faisait là. Pourquoi ? se demandait-elle encore et encore. Soudain plus fatiguée qu’elle ne l’avait jamais été, elle s’écroula sur le grand lit de Drummond, dans la chambre de maître, et, après avoir pleuré et s’être agitée pendant une demi-heure, veillée par son amant, elle sombra dans le sommeil.
Rêves de chute, de noyade, de perte de contrôle. Le witika fondait sur les toits de chaume de La Nouvelle-Amsterdam, telle une chauve-souris.
Elle fut réveillée par des coups frappés à la porte. Il faisait noir dans la chambre. Drummond n’était pas là. La peau d’ours était étendue sur elle, ce qui signifiait que les quelques affaires qu’ils avaient rapportées à bord de la chaloupe avaient été livrées. Combien de temps avait-elle dormi ?
Dans la pièce principale, des voix. Blandine reconnaissait de Klavier et le pasteur, Megapolensis. La voix de Drummond aussi, qui la réconforta.
« Il vaut mieux que cette affaire scandaleuse soit terminée, dit de Klavier.
— Est-elle terminée ? demanda Drummond.
— C’est évident, répondit Megapolensis, Aet Visser s’est attaqué aux enfants dont il avait la charge.
— Sa mort signe sa confession », ajouta de Klavier.
Blandine se leva et fit son apparition, tout ébouriffée, sur le seuil.
« Ça n’a rien d’évident », dit-elle.
Drummond vint près d’elle.
Le pasteur parut agacé, gêné.
« Mademoiselle Blandina, la salua-t-il.
— Ils sont venus nous lire nos chefs d’accusation, expliqua Drummond.
— Nous voulions vous attendre au débarcadère, dit de Klavier, mais ce malheureux incident avec le maître des orphelins nous a obligés à modifier nos plans. Et le dimanche de Pâques, encore ! »
Megapolensis choisit une approche plus sévère.
« Je m’étonne que vous soyez assez effrontés pour vous montrer ensemble dans le péché. Ce n’est pas une façon de présenter sa défense devant une cour ecclésiastique, ni devant aucune cour d’ailleurs. »
Edward passa ses bras autour de Blandine et l’embrassa tendrement. Elle avait le visage encore bouffi de sommeil, les yeux rouges à cause de ses larmes, mais il ne le voyait pas. En fait, il s’émerveillait qu’une femme ne soit jamais plus belle qu’au réveil.
« Vous vous couvrez tous les deux de honte, mais surtout vous, mademoiselle Blandina ! les accusa Megapolensis. Je ne peux rester plus longtemps dans cette pièce.
— Il le faut, pourtant, dit Drummond. Il le faut pour que vous puissiez me féliciter et souhaiter vos meilleurs vœux à Blandine.
— Quoi ?
— Les bans ont été lus à l’église hollandaise des Ésopus dimanche dernier, annonça Drummond. Vous ne pouvez plus l’appeler “Mademoiselle”.
— Vous êtes mariés ? »
Megapolensis était stupéfait.
« Nous le serons, si vous nous en faites l’honneur. »
Pour une fois, Megapolensis fut sans voix.
De Klavier avait l’air décontenancé. Il était venu accuser un espion et l’informer de la tenue d’un nouveau procès pour trahison, et il se retrouvait à lui taper dans le dos et à embrasser sa promise sur les joues. C’était vraiment la plus belle jeune fille de la colonie. Ce serait dommage de la brûler vive.
Megapolensis retrouva sa langue.
« De tout cœur, mes félicitations ! Bien sûr, j’officierai pour votre mariage. Je suis heureux, heureux, heureux pour vous !
— J’ai peur qu’à notre joie ne se mêle de la peine en raison de la mort de M. Visser, dit Blandine.
— Non, non ! s’écria Megapolensis. Ne voyez-vous pas ? Il était vraiment rongé par la culpabilité à cause de ses crimes. Comme a dit le schout : se donner soi-même la mort, c’est l’aveu de culpabilité le plus sûr qu’il pouvait nous offrir. Sa confession vous affranchit de tout soupçon, Blandine ! Votre procès sera purement pro forma. Il ne fait aucun doute pour moi que vous serez innocentée de toutes les accusations de sorcellerie et de diablerie.
— Oui, mais vous devrez quand même passer en jugement, dit de Klavier en une tentative pour réaffirmer la gravité de sa fonction. Et vous aussi », ajouta-t-il en se tournant vers Drummond.
Sortant un document de la poche de son gilet, il prit alors une attitude formelle.
« Edward Drummond, par décision du gouverneur, vous ne devez pas quitter la juridiction, vous devez vous présenter tous les jours, une fois par jour, au schout – c’est moi –, si vous prenez un avocat, vous devez en informer le bureau du gouverneur. Nous vous sommons de ne pas tenir de discours en public susceptible d’enflammer l’opinion, ni de vous entretenir avec des associés criminels. »
Drummond se demanda si Raeger entrait dans cette catégorie.
« Et une cérémonie de mariage ? demanda-t-il. Sera-t-elle autorisée ? »
Quand de Klavier et Megapolensis partirent, Drummond déboucha une bouteille de brandy et en versa quelques doigts dans un gobelet en étain, que Blandine et lui partagèrent.
« Tu as faim ? »
Elle fit signe que non.
« On pourrait aller au Lion, proposa-t-il.
— Un jour de fête ? L’âtre de la taverne doit rester froid. Par ordre du gouverneur.
— Peu importe. Je veux parler avec le weert, un homme intéressant, un ancien pirate, je crois. »
Le rire de Blandine se transforma aussitôt en larmes.
« Pourquoi a-t-il fait ça ? sanglotait-elle.
— Ma chérie… »
Drummond la serra à nouveau dans ses bras.
« Je veux aller chez moi, dit Blandine, le visage enfoui contre la poitrine de Drummond. Je veux rentrer, récupérer mes affaires et revenir ici passer la nuit avec toi.
— Alors, c’est ce que nous allons faire », dit-il.
Tibb Dunbar enfonça ses dents dans le lobe de l’oreille de Peer Gravenraet et ne voulut plus lâcher, malgré les coups de poing que Peer lui envoyait en plein visage. Le sang des deux garçons coulait et se mêlait. Tibb essaya encore de faire un croche-pied à Peer.
Les Lièvres avaient défié la bande des Hautes Rues et chaque groupe avait poussé en avant son champion. Les gladiateurs, Tibb et Peer, s’étaient retrouvés juste au-delà des quais de La Nouvelle-Amsterdam, dans une ruelle entre High Street et Slyck. Un combat à mort, avaient-ils juré tous les deux. Le champ de bataille était constitué de deux demi-cercles de spectateurs, les Lièvres du côté de la ville, les Hautes Rues du côté des quais.
Le prestige de Peer Gravenraet s’était considérablement accru chez les Lièvres depuis qu’il avait découvert le pied tranché la veille de Noël, au point qu’il avait pris la place qui lui revenait de plein droit à la tête de la bande. Les Lièvres recrutaient leurs membres parmi les enfants bien habillés de la colonie, ceux qui avaient une famille et qui, contrairement aux autres, avaient des colliers de wampum dans les poches.
Les Hautes Rues étaient d’origine plus loqueteuse. Ils tiraient leur nom de l’adresse de l’atelier derrière la taverne de Mlle Flamsteed, où beaucoup d’entre eux passaient des heures à couper du bois, à nettoyer le fumier des stalles ou à préparer des victuailles.
Être orphelin, telle était la condition sine qua non pour être membre des Hautes Rues.
Certains parmi eux travaillaient au service des familles des Lièvres. À la Saint-Nicolas, les enfants des Hautes Rues ne trouvaient pas de pièces d’or dans les souliers qu’ils avaient déposés devant la cheminée la veille au soir, ni de bonbons ou de soldats en bois. Lorsqu’ils se réveillaient, ils n’avaient que leur vieille paire de chaussures, vide et froide.
La discorde avait couvé entre les deux bandes tout au long de l’automne, et les batailles rangées s’étaient poursuivies pendant l’hiver et le printemps. Les Lièvres adoraient se moquer des Hautes Rues et de leur statut d’exploités. Ils dessinaient le signe du witika, un cercle et une croix, sur la façade de la Cruche, le quartier général officieux des Hautes Rues. Se faire prendre à jouer un tour pareil, c’était risquer une vraie rossée par les orphelins, mais le défi en valait la peine.
Les Lièvres s’effrayaient comme des idiots à se raconter des histoires sur le witika, mais ils se réjouissaient de savoir que le démon prenait toujours pour cible des orphelins. Ils étaient en sécurité, on les dorlotait dans la forteresse parentale, pas comme ces vauriens qui se faisaient dévorer, l’un après l’autre, par le monstre vorace.
« Que le witika t’attrape ! » était l’une des moqueries que les Lièvres lançaient aux Hautes Rues.
Et cela devait se terminer ainsi, Peer « le Rat » Gravenraet contre Tibb « Davey le Gitan » Dunbar, d’homme à homme, à mains nues.
Il n’y a pas pire bagarreur de rue qu’un gamin de douze ans.
« Pas de doigts dans les yeux », avait lancé le Lièvre Denny Bayard au début du combat, après quoi les adversaires s’étaient jetés l’un sur l’autre. Tous les deux avaient immédiatement cherché les yeux de l’autre.
L’œil gauche de Tibb Dunbar était déjà enflé et fermé, ce qui ne l’empêchait pas se battre avec celui qui lui restait. Il aimait les coups dans le torse, ça usait l’opposant. Peer, lui, avait tendance à viser la tête.
Deux adultes, venant de la ville, entrèrent dans la ruelle, mais les bandes étaient si passionnées qu’elles ignorèrent l’intrusion jusqu’à ce que Blandine et Drummond arrivent à leur hauteur. Ils se jetèrent dans la mêlée et séparèrent les combattants.
« Laissez-nous ! » cria Peer.
Les Lièvres huèrent mais n’osèrent pas se mesurer au formidable Drummond. Et ils n’auraient jamais osé frapper une femme.
« Peer ! s’écria Blandine. Tu saignes !
— Le schout ! »
De Klavier, arrivant des quais, s’exclama :
« Hé, vous ! Hé ! »
Les enfants se dispersèrent. De Klavier réussit à en attraper un, ou plutôt une, Laila Philipe, une fillette de dix ans, mais les autres lui échappèrent.
« Petite fripouille », grogna-t-il.
La tirant par le cou, le schout s’approcha de Blandine et Drummond.
« Les diablotins, dit-il. Qu’est-ce que vous faites là, vous deux ? »
Drummond rit et s’inclina.
« Nous sommes innocents, nous ne faisions que passer, dit-il. Même si je parierais plutôt sur les orphelins.
— Laissez-la, de Klavier, ordonna Blandine. C’est Laila Philipe. Elle est placée dans une bonne famille, ils vont s’inquiéter. »
De Klavier desserra son étreinte et la gamine détala vers les quais.
Les ennemis jurés, Tibb Dunbar et Peer Gravenraet, s’étaient enfuis dans la même direction et ils se glissèrent ensemble dans la cour d’un shipchandler, au milieu des tonneaux et des barils. Le souffle court, tous deux en sang, ils échangèrent un regard dans la pénombre.
« Joyeuses Pâques, lapin », dit Tibb. Les Hautes Rues appelaient toujours les Lièvres les « lapins ». De la même façon, les Lièvres appelaient toujours les Hautes Rues les « bas ».
« Bonne fête, le bas », répondit Peer.
Il n’est pas rare que des amitiés se nouent très vite dans l’euphorie qui suit un bon combat. Peer, l’oreille en lambeaux, tendit la main à un Tibb au visage tuméfié. Ce dernier la serra. Les deux garçons se mirent à rire de concert et ils s’en payèrent une bonne tranche, à se tordre les côtes, à tousser et à cracher des bouts de dents et des filets de sang.
Ainsi naquit l’alliance des Lièvres et des Hautes Rues.
La maison de Blandine, comme celle de Drummond, avait l’air hors du temps. Lace et Mally étaient venues ranger après la perquisition requise pour le procès en sorcellerie, et, pendant l’exil de leur maîtresse dans le Nord, elles avaient continué, sur l’insistance d’Antony, pour que l’endroit reste en ordre.
Mlle Blandina reviendra, se répétait Antony. La vie reprendra comme avant.
Cependant, à son retour, Blandine savait que rien ne permettrait de remonter le temps.
« Je ne veux pas rester ici », murmura-t-elle alors qu’elle traversait avec Edward sa chambre froide et vide.
Le crépuscule était tombé. Ils allumèrent des bougies, mais leur éclat ne suffisait pas à repousser l’obscurité.
« Nous avions dit que nous passerions la nuit chez moi, dit Drummond.
— Je te suivrai n’importe où. »
Ils s’embrassèrent.
« À Londres, à Batavia, à la Barbade.
— Et dans le Cain-tuck-kee. »
Blandine éclata de rire.
« Oui ! Le Cain-tuck-kee. Nous ouvrirons le premier entrepôt à l’ouest des montagnes.
— On m’a dit que tu possédais un lopin de terre à Beverwyck.
— C’est vrai ! s’exclama-t-elle en souriant.
— Bon, commençons par le commencement. Rassemble tes affaires et nous rentrerons à la maison.
— Je n’en ai pas pour longtemps.
— Je vais en face voir si Raeger est au Lion », annonça Drummond.
Il la laissa seule.
Dans sa groot kamer, Blandine passa la main sur les choses qu’elle allait laisser derrière elle. Ces objets épars lui semblaient étrangers, comme s’ils appartenaient à une tout autre femme. Robes, foulards, draps, peignes, épingles, pantoufles, lui paraissaient accessoires, mornes, inutiles. Elle décida qu’elle n’avait pas besoin de tout cela. Comme nous nous encombrons !
Mais la petite curiosité qu’Aet Visser lui avait offerte, la figurine gravée dans un os de baleine qu’il avait eue d’un capitaine de navire, elle l’emporterait. Blandine s’étonna qu’elle n’ait pas été confisquée comme preuve quand les chasseurs de sorcières avaient mené leurs recherches.
Si elle avait jeté un coup d’œil dehors par la fenêtre de sa groot kamer, Blandine aurait vu que quelqu’un la regardait. Elle se dépêchait d’empaqueter ses affaires. L’ombre masquée se rapprocha en flottant. Spectrale, immense. S’il n’y avait eu un mur et une fenêtre pour les séparer, elle aurait senti l’odeur du diable.
Et en effet, elle perçut la présence de la bête avant de la voir. Un picotement sur la nuque l’obligea à se tourner.
Le witika.
« Edward ? » chuchota Blandine.
Edward était parti.
Dehors, la silhouette bougea. Continuant à garder un œil sur la fenêtre, Blandine fouilla la pièce du regard. Son pistolet. Où était son manchon en renard ? Chez Drummond.
La forme monta les marches du jardin, ouvrit la porte en grand et entra pour faire face à Blandine. Elle n’arrivait pas à appréhender la stature énorme du witika. Il emplissait la pièce, le haut de son masque en peau de cerf et aux yeux vides effleurait le plafond. Aucun homme n’était si grand. Aucun homme ne faisait huit ou neuf pieds de haut, pas même Antony.
Blandine fit un geste pour fuir par l’autre porte, qui donnait dans Pearl Street, mais au même moment Foudre fit irruption de ce côté. Emporté par son élan, il agrippa ses cheveux au passage. Blandine hurla de douleur. Tous deux traversèrent la pièce en titubant et vinrent s’écraser contre le mur.
Le witika se dressait au-dessus d’eux, menaçant.
Foudre leva un couteau vers la gorge de Blandine.
Drummond arriva en courant, un pistolet armé dans chaque main. Il tira sur le witika. La détonation retentit, assourdissante, et un éclair brillant jaillit du canon. Une fumée blanche, sulfureuse, envahit la pièce.
« Lâche ton pistolet ! » cria Foudre.
Il passa le dos du couteau sur la gorge de Blandine, puis il le retourna et pressa le côté tranchant si fort que quelques gouttes de sang perlèrent. Sa perruque extraordinaire frottait contre le visage de Blandine.
Drummond n’avait pas la possibilité de tirer. Il lâcha l’arme encore chargée.
Le witika s’était inexplicablement évanoui dans la fumée. Mort ? Tombé ? Disparu ?
« Maintenant, tu… » commença Foudre, mais à cet instant Antony pénétra dans la pièce en poussant un hurlement et en se jetant sur le sang-mêlé. Percuté de plein fouet, Foudre, libérant Blandine, enfonça profondément son couteau dans la poitrine du géant. Le corps immense d’Antony se plia en deux et s’effondra.
Blandine ramassa le pistolet de Drummond et tira en pleine tête. Foudre s’écroula instantanément. Sa perruque maculée de sang s’étala sur le sol, révélant la cicatrice de son crâne. Un grand filet rouge coulait de la balafre, là où la balle avait percé un trou fumant.