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Le repas se révéla agréable pour Jennifer. Elle fut déçue de ne pas y voir Scott. Mais reçut bien vite l’information :
— Scott ne vit que la nuit ! expliqua avec amusement Will, Il nous évite tous autant que nous sommes.
— Pourquoi ? s’étonna Jennifer.
— Nos affaires ne vous regardent pas ! trancha soudain une voix derrière elle.
Jennifer sursauta alors que tous tournaient la tête vers Scott qui faisait une entrée remarquée.
— Je vous rajoute une assiette tout de suite, Monsieur James.
La cuisinière était visiblement effarouchée de voir son maître ici, à cette heure. Un étrange silence avait suivi la remarque peu amène de Scott et il paraissait s’en réjouir au plus haut point. Il plongea longuement dans le regard de Jennifer, comme pour l’effrayer davantage.
La malheureuse blêmit avant de détourner la tête vers la petite qui avait le nez collé dans son assiette.
— Que nous vaut le plaisir, mon cher frère ? intervint enfin Will, en articulant chaque mot.
— Je voulais m’assurer que notre invitée serait bien traitée, argua Scott en dévoilant un sourire féroce à son frère.
Le repas se déroula sous de curieux hospices et la conversation tombait à plat aussitôt qu’un sujet était lancé. Au café, alors que la petite Bridget avait quitté la table pour sa sieste, Scott étira ses longues jambes et se tourna ostensiblement vers Jennifer, oubliant la présence de son frère.
— Comment trouvez-vous la vie au manoir ?
La question surprit Jennifer au plus haut point et le ton faussement badin de Scott la mettait au supplice. Elle observa les flammes de l’impressionnante cheminée avant de répondre :
— Je suppose que la vie doit y être agréable pour quelqu’un qui aime se couper du monde.
Jennifer avait à peine sorti sa tirade qu’elle s’en voulut immédiatement. Mais de quoi se mêlait-elle ? Et pourquoi ce Scott James avait le don de la mettre sur des charbons ardents ?
— En d’autres termes, vous nous considérez comme des ours mal léchés, gronda Scott en la fixant plus longuement encore.
— Scott, ça suffit, l’avertit Will.
Comme s’il n’avait rien entendu, Scott poursuivit :
— Le manoir a été construit par un aïeul. Il voulait vivre loin de la civilisation. C’était un être brillant qui avait tout compris de l’humanité retorse.
— Je ne suis pas d’accord avec votre aïeul, murmura Jennifer, utilisant volontairement un chemin différent de celui où voulait l’emmener Scott.
— Pourquoi cela ? L’être humain n’est-il pas fondamentalement mauvais ?
— L’être humain est bon et peut même se surpasser dans certaines situations.
— Vous avez foi en la nature humaine. Vous êtes bien naïve, mademoiselle.
— Et vous, vous me semblez cynique, assena Jennifer, agacée.
L’insulte à peine voilée sembla enthousiasmer Scott, allumant même une curieuse étincelle dans son regard brun. Will tenta une nouvelle fois de s’interposer, mais renonça sous un commentaire acerbe de son frère. Il se leva et quitta la pièce, regrettant d’abandonner Jennifer aux griffes de Scott, mais incapable de lui tenir tête une fois de plus.