12

Seth fixa Arrowroot, qui ne parut pas impressionné.

— Vous ne devriez pas être sur mon toit à poser des bardeaux ? demanda ce dernier.

— Vous savez bien que je ne peux pas, tant qu’ils sont là. Quelque chose me dit que vous vous amusez beaucoup. Vous tenez votre petite vengeance.

— Pas vraiment. La dernière chose que je veux, c’est voir le gouvernement — et ne vous y trompez pas, le FBI représente le gouvernement américain — creuser la terre sacrée des Eriés. J’attends juste qu’ils déterrent un objet sacré ou un os pour mettre le holà. Et l’agent Armstrong le sait bien, même s’il se conduit comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.

— Mettre le holà comment ?

— Ils nous balancent leurs acronymes — GPR, FBI, BCI. Je lui ai donné ma réponse : LPRTA.

Arrowroot et Linc Armstrong s’étaient donc déjà parlé.

— Ce qui signifie ?

De toute évidence, l’homme aimait bien prendre des airs supérieurs avec lui. Malgré sa présence sur les lieux et sa suffisance, Seth devinait parfois chez lui une espèce de défi, propre à cacher sa culpabilité. Mais de là à tirer sur de jeunes gens qu’il ne connaissait même pas, dans l’intention de les tuer ?

— Il s’agit de la Loi de Protection et de Rapatriement des Tombes des Amérindiens1, une loi fédérale datant de 1990, répondit Arrowroot, parlant comme l’avocat qu’il était. Pendant bien trop longtemps, ce pays a volé non seulement les terres des Amérindiens, mais aussi les restes humains de leurs ancêtres, leurs objets funéraires et sacrés. Mais cette loi stipule que s’ils en trouvent un seul — que ce soit avec leur radar ou même seulement une pelle —, la fouille s’arrête immédiatement, jusqu’à ce que les ethnologues et les observateurs tribaux arrivent pour préserver et restituer tout ce qu’ils trouvent.

— Monsieur Arrowroot, je suis désolé que les Amérindiens aient perdu leurs terres, mais les gens de ma communauté creusent des tombes à la main sur cette colline depuis près d’un siècle, et ils n’ont jamais découvert d’objets comme ceux auxquels vous faites allusion.

— Pas qu’on sache. Même pas de têtes de flèches dans les champs ? Mon peuple était connu pour ses flèches empoisonnées, et il utilisait toujours une colline comme celle-ci pour les enterrements. Savez-vous ce qu’ils cherchent exactement ? demanda-t-il d’un geste de la tête vers le cimetière.

Seth en avait assez. Son Daad aurait sûrement trouvé une réponse apaisante, mais pas lui.

— Peut-être une chose que vous avez enterrée là ?

— Maintenant, écoutez-moi, dit Arrowroot en agitant un doigt. Vous voulez ce travail sur mon toit, oui ou non ? Dans ce cas, vous devriez vous mettre au boulot.

— Je peux envoyer quelqu’un d’autre, si vous ne voulez pas de moi, mais je ne peux pas commencer comme prévu, étant donné ce qui se passe ici.

— Oui, d’accord. Je serais drôlement secoué, moi aussi, si je pensais que ces salauds allaient s’amuser à creuser la tombe de ma femme.

Seth tourna vivement la tête pour regarder ce qui se passait en bas de la colline. Armstrong, le shérif et les deux hommes au radar s’étaient regroupés et discutaient, quasiment sur la tombe de Lena. Brusquement, Armstrong sortit son téléphone, hochant la tête et faisant de grands gestes, tandis que ses trois acolytes tiraient l’appareil vers la tombe de Miriam Kauffman.

— Vous me direz ce qu’ils ont trouvé, cria Arrowroot dans le dos de Seth, qui dévalait la colline et s’arrêta près de la barrière, tout près de la tombe de Miriam.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il au shérif. Qu’avez-vous trouvé ?

Le temps que le shérif s’approche, l’évêque Esh et Ben Kauffman l’avaient rejoint. L’évêque semblait à bout de souffle.

— Je suis désolé, Seth, dit le shérif, mais je n’ai le droit de rien dire pour l’instant. Vous serez un des premiers à savoir, si ça donne quelque chose. Ils doivent d’abord examiner les autres tombes dont le gazon a été relevé.

— Dites-moi juste une chose, shérif, insista Seth en retenant l’homme par l’épaule, juste au-dessus de son badge.

Il se rappelait combien l’agent Armstrong avait insisté pour que Seth regarde son badge du FBI, la première fois qu’il l’avait interrogé sur la fusillade. Armstrong était un homme fier, mais le shérif était plus facile d’abord.

— Lena Lantz est toujours enterrée là, n’est-ce pas ? Elle n’a pas été… dérangée, comme le gazon ?

— Oui, Seth. Autant que nous sachions, son cercueil et son corps sont intacts.

Seth poussa un grand soupir.

— Alors, il y a bien autre chose, enterré à côté de son cercueil ?

— Plus tard, Seth. Je vous promets que vous, les Kauffman et l’évêque, serez les premiers à savoir ce que nous aurons découvert.

Seth aurait pu tomber à genoux, mais il se contenta de hocher la tête. Cela ne pouvait pas empirer encore, pensa-t-il, au moment même où un hélicoptère de Channel 9 News/Cleveland, comme c’était écrit sur la carlingue, commença à survoler la scène, soulevant les ficelles et les chapeaux amish dans les airs, tandis qu’une personne à bord se penchait, une caméra à la main.

*  *  *

Hannah, qui aidait Amanda Stutzman à nettoyer les pièces communes de l’auberge, fut la première à apprendre ce qui se passait lorsque Lily Freeman rentra de son jogging matinal. Cette dernière portait une tenue de sport rose fuchsia avec des raies blanches. Même si elle était essoufflée et en nage — et néanmoins élégante —, elle s’empressa de mettre Amanda et Hannah au courant des événements, à savoir les recherches avec le radar, la foule au cimetière et les journalistes qui planaient littéralement au-dessus de la scène.

— Leur hélicoptère soulevait plein de poussière et de feuilles… Comme si j’avais besoin de ça dans mes cheveux, et mes yeux avec mes lentilles, teintées en vert qui plus est. Je portais des lunettes avant de partir d’ici, mais à l’époque, tout était différent.

Elle tapota l’épaule d’Hannah.

— Ainsi donc, vous êtes la survivante de cette horrible fusillade. Dieu merci, vous n’avez pas été touchée. Amanda m’a dit que vous alliez travailler ici. Malgré ce bandage au poignet, vous avez l’air de très bien vous débrouiller.

— Je vais commencer la rééducation cette semaine, ce qui est bon signe, j’imagine. Mais savez-vous s’ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient, au cimetière ?

— Ça me rend dingue — le shérif aussi, je peux vous le dire parce qu’il est pris entre deux feux. Je connais encore cet homme mieux qu’il ne se connaît lui-même.

Une remarque qui risquait de ne pas plaire à Ray-Lynn.

Que pouvait-il bien y avoir d’enterré dans ces tombes ? Hannah pensait toujours à une espèce de trésor. Comment son propriétaire allait-il pouvoir le réclamer sans se trahir ? S’il était dans la tombe de Lena, Seth en hériterait-il ? Ou l’église amish ? Elle envisagea de passer au cimetière, une fois son travail terminé. A moins que ce ne soit une erreur, compte tenu de la horde de journalistes qu’elle avait réussi à éviter jusque-là, et qui ne manquerait pas de lui tomber dessus… Elle imaginait déjà les regards curieux jetés sur les gens de sa communauté. Et elle portait seule l’entière responsabilité de tous ces terribles événements.

— Je suppose que vous allez travailler sur votre livre, mais aimeriez-vous un thé ou un en-cas, Lily ? demanda Amanda, tirant Hannah de ses pensées morbides.

Ainsi, cette femme écrivait un livre. Au sujet de sa vie dans le Nevada ? Sur ce qui différenciait Homestead de Las Vegas ? Restait à espérer qu’elle n’allait pas utiliser ce qui se passait ici comme scénario pour un roman policier.

— Du café, mais plus de gâteaux pour l’instant, merci, répondit Lily en tapotant son ventre plat. J’adore vos pâtisseries, Amanda, mais je dois conserver ma ligne et ce n’est pas chose facile, en pays amish. Vous avez l’air de ne pas avoir de problèmes de ce côté-là, Hannah, mais peut-être n’avez-vous pas encore attrapé votre bus ?

Elle eut un petit rire léger, mais qui sonnait faux. En fait, il fallut une bonne minute à Hannah pour comprendre qu’elle parlait d’hommes et non de bus. Que pouvait-on conclure de cette réflexion ? Qu’elle avait l’intention de récupérer Jack, ou qu’elle avait quelqu’un d’autre en vue ?

*  *  *

Il faisait presque nuit, le dimanche soir, quand la voiture du shérif Freeman, sa rampe stroboscopique allumée sur le toit, se faufila entre plusieurs voitures et trois camions de télévision hérissés d’antennes, garés sur le bas-côté devant la maison des Esh. Par deux fois, le père d’Hannah était sorti pour leur demander de bien vouloir quitter sa propriété. Leurs véhicules bloquaient maintenant un côté d’Oakridge Road, la route qui passait devant la ferme.

L’évêque ouvrit la porte au shérif avant même qu’il frappe et la referma derrière lui. Mamm, Naomi et Hannah avaient offert du cidre et des beignets aux personnes rassemblées : Ben et Anna Kauffman, Seth et ses parents, Eben et Anna, et plusieurs anciens de l’Eglise. Hannah vit les épaules de Seth se raidir. Elle mourait d’envie de s’approcher de lui pour frotter son dos, ou du moins le toucher pour le réconforter.

Le silence se fit tandis qu’ils se tournaient tous vers le shérif pour écouter ce qu’il avait à dire. Celui-ci ôta son chapeau à larges bords et le fit tourner entre ses mains.

— D’abord, commença-t-il, je vous promets qu’en partant, je délogerai ces vautours de journalistes et leur dirai de rester hors de votre propriété et de la route.

— Nous vous en remercions, dit Daad. L’agent Armstrong doit-il venir aussi ?

— Il est occupé avec les nouveaux développements dans cette affaire.

— Voulez-vous vous asseoir ? Accepterez-vous du café et des beignets ? demanda Daad.

Hannah avait envie de hurler devant ces politesses, mais c’était la façon de faire des Amish.

— Non, merci. Je dois retourner au… Faire en sorte que ça ne s’ébruite pas. Je ne sais pas comment vous l’annoncer, après tout ce qui s’est déjà passé.

Ses yeux se posèrent un instant sur Hannah, avant qu’il ne détourne le regard pour revenir sur Daad.

— Les cercueils de vos défunts n’ont pas vraiment été dérangés. Vous pouvez donc être rassurés sur ce point.

— Pas « vraiment » dérangés ? répéta Seth. Qu’avez-vous découvert avec ce radar ? Y avait-il la même chose dans les quatre tombes que vous avez sondées ?

— La quatrième, celle d’Amos Miller, est tellement récente que nous pensons que le gazon n’a tout simplement pas repoussé, avec ce temps froid. Mais dans les trois autres — celles des Lantz, Kauffman et Zook… Il semblerait qu’il y ait eu un second enterrement par-dessus le cercueil original — deux corps par tombe. Nous ne savons pas encore dans quoi ils sont enveloppés.

Tout le monde resta bouche bée, l’air choqué. Le cœur d’Hannah battait si fort qu’elle pensa que les autres devaient l’entendre. Finalement, certains commencèrent à murmurer, attendant que l’évêque prenne la parole, mais son père se contenta de poser sa main sur le dossier d’une chaise. L’espace d’un instant, son regard dur se posa sur sa fille, mais il se reprit bien vite. L’estomac d’Hannah se serra. La rendait-il responsable de tout ce qui arrivait ? Seth croisa les bras et Mme Kauffman se mit à pleurer.

— Ces autres corps n’appartiennent pas à notre communauté, affirma Seth. Personne ne manque. Pas même parmi ceux qui sont en période de rumspringa ou qui nous ont quittés pour partir dans le monde… Nous savons où ils sont. J’étais présent quand quatre hommes en qui j’ai toute confiance ont refermé la tombe de ma femme, après son enterrement. Mais ces découvertes vont vous obliger à l’ouvrir de nouveau.

— L’agent Armstrong ne va pas tarder à recevoir un mandat du tribunal qui lui en donne le droit. Une pelleteuse arrivera lundi matin — demain — et ça ne devrait pas prendre longtemps.

Hannah devina le désespoir de son père. Comme d’habitude, il essayait de se contrôler, mais elle pouvait voir son menton trembler.

— Parce que vous êtes comme les sépulcres sur lesquels on marche sans le savoir, dit-il finalement.

— Un verset de la Bible ? demanda le shérif en fronçant les sourcils. Un bon, en tout cas.

Seth vint se mettre à côté de l’évêque.

— J’ai déjà eu l’occasion de manier des pelleteuses pour creuser des fondations sur plusieurs chantiers de construction, dit-il. Elles sont efficaces, mais même si le conducteur est habile, elles peuvent vraiment abîmer le sol. Ces cercueils sont en pin, shérif. Je ne veux pas que vous utilisiez de pelleteuse sur la tombe de ma femme, et si la loi vous donne le droit de creuser, ce sera fait à la main, avec nos propres pelles.

— Ya, au moins ça, approuva l’évêque. Les hommes de notre communauté creuseront, pas cette machine qui pourrait casser d’autres pierres tombales et les briser.

Hannah se mordit la lèvre. Comme une pierre jetée dans l’étang où elle avait l’habitude de nager avec ses amis, les ondes provoquées par son acte ne cessaient de se propager et de grandir. Et elle ne doutait pas que c’était ainsi que son propre Daad voyait les choses.

— J’en parlerai avec l’agent Armstrong, répondit le shérif. Mais je n’accepterai cela, Seth, que si les autres ici sont d’accord.

Tout le monde hocha la tête.

— Je vous appellerai demain matin de bonne heure. Pour l’instant, je vais faire dégager tous ces gens des médias et faire part à l’agent Armstrong de votre suggestion. Cela me paraît une bonne idée. Pas seulement le fait que vous vouliez coopérer, mais parce que creuser respectueusement est le moins que le gouvernement puisse faire, s’il ne veut pas s’attirer de mauvaise publicité. Nous avons peut-être utilisé des technologies modernes pour détecter ces nouveaux cadavres, mais votre aide semble être la meilleure solution. Merci à tous… de ne pas vous y opposer.

— Nous voulons nous aussi découvrir qui a pu faire une chose pareille, répondit le père d’Hannah en hochant la tête. Et pourquoi ces corps ont été cachés parmi les nôtres.

Hannah s’efforça de conserver son calme tandis que tout le monde prenait congé, mais une fois qu’ils furent tous partis, elle courut se réfugier au sous-sol de la maison. Dans l’obscurité familière, elle se dirigea vers le coin le plus reculé, après la machine à laver, après les étagères de conserves de légumes et de fruits qui brilleraient comme des arcs-en-ciel si elle allumait. Elle connaissait bien cet endroit, où elle venait parfois se cacher quand elle était petite. Elle et Seth s’étaient une fois glissés ici pendant que les autres chantaient dans la grange. Profitant de ces quelques instants ensemble, quand tout le monde était occupé aux préparatifs du repas, ils avaient échangé des baisers et des caresses jusqu’à ce qu’elle en ait la tête qui tourne.

Elle s’assit sur un vieux tapis, posé au milieu des caisses de vaisselle empruntée en vue du repas de mariage de Naomi, et se mit à pleurer. Ces larmes lui firent du bien… la purifièrent. Finalement, elle pouvait exprimer sa frustration et sa douleur d’avoir trahi son peuple, son erreur d’avoir amené ses amis étrangers au cœur du territoire amish, d’avoir dérangé la tranquillité du cimetière, et pire : sa peur d’être toujours amoureuse de Seth.

Elle pleura à gros sanglots, ce qu’elle n’avait pas fait depuis son départ de la maison, mais comme elle l’avait fait quand Seth lui avait appris qu’il allait épouser Lena. Il n’y avait pas de mal à pleurer un bon coup, parfois, se dit-elle en essuyant ses larmes et en se mouchant. Son père était en colère contre elle et ne lui avait pas pardonné. Le mariage de Naomi devait avoir lieu dans trois jours, et elle avait probablement gâché cela aussi. Si elle n’était pas revenue, les journalistes n’auraient pas envahi les lieux — par deux fois. Mais d’un autre côté, il fallait découvrir les circonstances de la mort de ceux qui avaient été enterrés dans leurs tombes. Il était possible qu’ils aient tous été assassinés comme Kevin.

Elle se figea et retint son souffle en entendant des bruits de pas dans l’escalier. Des pas lourds, ceux d’un homme. Le souvenir de sa course dans le labyrinthe lui revint à la mémoire. Elle ne voulait pas que sa famille — et particulièrement son Daad — la trouve ainsi. Qui d’autre cela pouvait-il être ? Elle aurait dû quitter la Home Valley, retourner à… Mais retourner où, et vers quoi ?

— Hannah ! lança une voix grave. Tu es là, dans le noir ?

Seth ! Il n’était donc pas reparti chez lui ?

— Ya, dans le noir.

Elle essuya ses joues humides et refoula ses larmes. Au moins, il n’avait pas l’air d’avoir de lampe, pensa-t-elle.

Elle entendit un choc quand il se cogna dans l’obscurité.

— Ach ! murmura-t-il.

Elle se sentit de nouveau partagée. Elle voulait être avec lui, et pourtant, il était bien la dernière personne qu’elle avait envie de voir à cet instant.

— J’avais juste besoin d’être seule, dit-elle, en espérant qu’il comprendrait le message.

— J’ai déposé mes parents à la maison, expliqua-t-il.

Ses yeux s’étaient de toute évidence habitués à l’obscurité, et il se rapprocha.

— Puis je suis revenu m’excuser auprès de l’évêque pour avoir parlé à sa place au shérif, au cimetière et ici. Mais il m’en a été reconnaissant. Alors que je prenais de nouveau congé, j’ai demandé à Naomi si elle pouvait aller te chercher, et c’est elle qui m’a dit que tu étais ici. Tu as pleuré. Je suis désolé. Désolé pour ça et pour tout… D’avoir tout gâché entre nous.

— L’eau a coulé sous les ponts, comme on dit.

— Vraiment ? Je crois que nous nous battons toujours contre les rapides, pas seulement avec cette pagaille au cimetière, mais en nous retrouvant après… après tout ça.

— Je me sens coupable. Je m’en veux tellement d’avoir amené mes amis ici, de cette fusillade, du viol des tombes… Et en même temps, si d’autres personnes ont été tuées, nous devons savoir de qui il s’agit et pourquoi.

— Peut-être un tueur en série… c’est ce que pense Armstrong, je parie. Le genre de chose qui peut faire avancer sa carrière.

— Tu es dur avec lui.

— Je sais. « Tu ne jugeras point. » Mais je crois qu’il a des vues sur toi, pas seulement en temps que témoin, mais en temps que femme.

— Certainement pas ! protesta-t-elle.

Mais les signes ne trompaient pas, et Seth les avait remarqués.

— Ne parlons pas de lui maintenant, dit-il en s’asseyant près d’elle. Je veux te dire une fois pour toutes combien je regrette ce qui s’est passé avec Lena. Je regrette que cela ait entraîné ton départ.

— Je… Je comprends. D’ailleurs, Lena a sa part de responsabilité. Je sais qu’il ne faut pas dire du mal des morts, mais comme ils disent dans le monde, « il faut être deux pour danser ».

— Le monde t’attire-t-il toujours autant ? demanda-t-il, se penchant si près qu’elle sentit son souffle sur sa joue. Pourrais-tu revivre ici, un jour ?

— Je ne sais pas. C’est trop tôt, trop… Il se passe trop de choses.

— J’ai parlé au shérif avant qu’il parte. Il m’a dit que, quoi qu’ils trouvent dans les tombes, ils allaient contrôler toutes les tombes, à présent. Ça risque de prendre du temps pour enquêter sur ces corps, trouver leur identité, même avec les méthodes scientifiques modernes. J’espère au moins que ça signifie que tu resteras encore quelque temps. Et j’entends bien trouver quelques réponses moi-même.

— John Arrowroot ?

— Lui et n’importe quelle autre piste que nous… que je pourrais découvrir.

Il toucha son bras, puis sa main remonta jusqu’à sa joue et la caressa. Sachant qu’il allait sentir ses larmes, elle recula.

— Tout va bien, dit-il d’une voix apaisante. Tout ça me donne envie de pleurer, à moi aussi. Ne t’en veux pas, Hannah. Je… j’espère que l’évêque ne t’en tient pas rigueur, mais je sais qu’il juge encore sévèrement… ton départ.

— Sévèrement… C’est un bon mot.

— Mais peut-être que tout ça est la volonté de Dieu. Pour que tu reviennes, pour qu’à travers toi, ces choses terribles soient découvertes et peut-être résolues.

— J’aimerais bien le croire. Comme quand j’étais enfant et que je me cachais ici, quand j’avais fait une bêtise, en pensant qu’ainsi personne ne le saurait.

Seth s’approcha et elle eut envie de se jeter à son cou, de s’accrocher à lui et…

Comme s’il lisait dans ses pensées, il l’attira contre lui et la serra dans ses bras.

Elle s’abandonna, étonnée de trouver ce mouvement si naturel, si nécessaire. Et elle en fut terrifiée, presque autant que de marcher dans le labyrinthe sombre ou dans les allées du cimetière par une nuit sans lune.

1. 1. Native American Graves Protection and Repatriation Act.