En 1939, dans les mois qui précédèrent la guerre, Marie rendit visite à une amie de la famille, dans le XIe arrondissement de Paris, et lui offrit un petit coquetier en bois peint, décoré à la main. En 2009, sachant que nous allions nous rencontrer, l’amie enfouit le coquetier dans son sac pour me l’offrir. Depuis longtemps, il n’était plus assez présentable pour avoir sa place à table et les enfants et petits-enfants de cette amie, qui l’ont pourtant beaucoup utilisé, n’avaient aucune raison de lui attacher la moindre importance. Fendillé et délavé comme un bois roulé, le coquetier ne conserve que quelques taches de couleur dont il est difficile de dire avec certitude ce qu’elles ont pu représenter. Peut-être un papillon. Sur le pied, seul demeure tout à fait reconnaissable un nœud orange souligné de noir, comme on en voit sur les œufs de Pâques russes.

Je sais bien que les objets familiers sont synonymes d’aveuglement : nous ne les regardons plus et ils ne disent que la force de l’habitude. Mais le coquetier, dans le placard à vaisselle, et ne serait-ce que de façon très épisodique, a eu bien des occasions de susciter quelques bouffées de tendresse à l’égard de Marie. (Elle se faisait appeler Marie bien que son nom soit officiellement Maria.) Je me dis qu’on ne conserve pas un objet aussi modeste, et aussi défraîchi, pendant soixante-dix ans sans de sérieuses raisons. La crainte de le voir disparaître confirme cet attachement. Le petit coquetier, aujourd’hui, n’est donc pas seulement la concrétion d’un souvenir. Est-il abusif d’y voir la qualité même de ce souvenir, sa texture, quelque chose d’aussi incertain que le reflet d’une aura ?

*

Une paire de gants en cuir fin, de couleur crème, et un livre attendaient en permanence sur la petite tablette noire en verre teinté couvrant le radiateur, près de la porte d’entrée, dans l’appartement que nous habitions boulevard des Batignolles. Dans la rue, livre et gants dissimulaient l’étoile jaune chaque fois que nécessaire. Celle-ci devait être cousue à gauche sur la poitrine. C’est donc sa main droite que me tendait Marie pour traverser la rue. Elle était très agacée lorsque, au bord du trottoir et par manque d’attention, je me retrouvais à sa gauche. Avant de s’engager sur le passage clouté, il lui fallait donc passer derrière moi, ou faire un tour complet sur elle-même, pour venir saisir ma main gauche. Dans la foule, cette manœuvre était très compromettante. Si l’incident se reproduisait trop souvent, il n’allait pas sans un « tss ! » d’agacement1.

*

À tous les âges, j’ai rencontré des hommes et des femmes qui ont connu Marie à Istanbul, avant son départ pour la France, où elle immigre et se marie en 1936, et plus tard à Paris. Ils n’ont jamais prononcé son nom sans un petit sourire de tendresse, une émotion très réelle, parfois une exclamation : « Ah, Marie ! » De même, j’ai toujours senti un intérêt et une sympathie immédiats à mon égard. J’étais le fils de Marie et ce n’était pas rien. Enfant, puis adolescent, il n’était pas rare qu’on m’embrassât avec un mélange de stupeur, d’affection spontanée et d’admiration imméritée. Il arrivait même qu’on détournât le regard pour cacher une larme. Lorsque je m’éloignais, j’entendais une petite rumeur dans mon sillage : « C’est le fils de Marie ! » Je sentais sur moi des regards insistants et j’avais l’impression que ma présence gâchait un peu la fête, tout en constituant un événement.

Il m’a fallu longtemps pour comprendre qu’à Istanbul, bien des filles de son âge étaient jalouses de la beauté, du charme et de l’audace de Marie. Nombre de garçons en étaient amoureux. Plusieurs familles rêvaient de l’avoir pour belle-fille. Sa beauté pouvait expliquer l’intérêt des garçons, pas celui des familles. Il semble que le secret de Marie ait été, et à l’égal de sa beauté, une bonne humeur, un allant et une drôlerie communicatifs auxquels les belles-familles potentielles elles-mêmes n’étaient pas insensibles.

*

Une photo me montre, à l’âge de quatre ou cinq ans, avec des cheveux mi-longs retenus par une barrette, comme en portent les petites filles. Les cheveux sont légèrement bouffants et Marie, à l’évidence, vient de me recoiffer avec soin. Un col Claudine, glacé et amovible, retenu par une broche d’où pendent deux petites chaussures en bois, égaie ma blouse bleu marine. Le col, les deux poches factices et le bas des manches courtes sont bordés de « galon croquet » : un travail de couturière de quartier, à l’évidence. Sans doute a-t-elle reçu de Marie des instructions très précises.

Je me souviens parfaitement du col dur cisaillant le cou, d’un sentiment d’humiliation aussi : je me sens déguisé, mal à l’aise et furieux, car Marie et le photographe exigent, de surcroît, un sourire. En regardant la photo je sens, aujourd’hui encore, à quel point mon sourire est peu naturel. Je n’ai aucun autre souvenir d’avoir porté ce col glacé. Sans doute s’agissait-il de poser pour ma première photo d’identité destinée à un papier officiel. Peut-être Marie désirait-elle aussi conserver un ultime souvenir de ma petite enfance. En tout cas, il ne fait aucun doute que Marie prenait beaucoup de plaisir à m’habiller, qu’elle le faisait avec un soin extrême et qu’elle cultivait l’androgynie d’un enfant de cet âge en refusant de me faire couper les cheveux.

*

Nous sommes en 1930, ou 1931, à Kadiköy, un faubourg d’Istanbul sur la rive asiatique du Bosphore d’où la famille de Marie est originaire. Marie a quinze ou seize ans. Pendant les vacances scolaires, elle passe un après-midi en compagnie d’un petit groupe d’amis. Une photo la montre à cette époque jouant du banjo à côté d’un garçon grattant une guitare. Plusieurs jeunes filles sont, comme elle, élèves dans des écoles et collèges religieux français, ou dans les écoles de l’Alliance israélite universelle (voir Jacques). Parmi les garçons, beaucoup sont élèves au lycée français de Galatasaray. Ils aimeraient s’offrir une glace, mais calculent qu’ils n’ont pas assez d’argent. Quelqu’un lance l’idée de mendier en frappant aux portes, ce qui fait rire tout le monde. Marie décide de relever le défi. Elle trouve un drap de lit, le noue autour de sa taille, dissimule buste et cheveux en imitant l’aube et le voile des religieuses et sonne à la porte d’une villa cossue. Le petit groupe d’amis observe de loin Marie qui tient un long discours. Elle est, apparemment, très convaincante mais, lorsque le propriétaire revient avec quelques piastres, Marie est incapable de retenir plus longtemps un fou rire, relève le drap sur ses mollets et détale en courant.

Pour mon édification, l’unique témoin de cette scène, que j’ai interrogé bien des fois à Paris, n’a jamais manqué de souligner le détail suivant : Marie avait oublié d’ôter le rouge à lèvres pâle qu’elle portait lorsqu’elle n’allait pas en classe. Sans doute son premier rouge à lèvres. Pour le témoin, ce rouge est bien la preuve que Marie pouvait obtenir à peu près n’importe quoi, de n’importe qui.

*

Une grande malle vide en osier attendait dans la salle à manger du boulevard des Batignolles, sans doute en prévision d’un déménagement d’urgence qui n’a pas eu lieu. J’aimais me cacher dans la malle. La règle voulait que Marie et Jacques fassent mine de me chercher. Avant de soulever le couvercle, ils attendaient que je me trahisse en pouffant de rire à leur approche. J’ai dû me cacher dans cette malle des dizaines de fois. Et des dizaines de fois Marie et Jacques se prêtèrent au même petit rituel, s’interpellant haut et fort dans l’appartement pour se demander où je pouvais bien être caché.

*

Marie, pour rien au monde, n’aurait épluché un oignon, une échalote, ou une gousse d’ail, m’a-t-on répété cent fois dans ma famille. Elle prétendait que ses mains conservaient les odeurs plusieurs jours durant. On m’a toujours rappelé ce détail avec une petite note pincée de la voix. Une façon de dire, sans le dire, et malgré toute l’affection possible : « Elle était beaucoup trop coquette pour s’abaisser à des tâches aussi triviales. »

Mes mains, elles aussi, retiennent certaines odeurs jusqu’au lendemain en dépit de tous les savons, et parfois plus longtemps encore. Je suis donc seul à comprendre que la coquetterie de Marie n’était pas aussi déplacée qu’on veut bien le dire. Plusieurs proches m’ont fait remarquer, lorsque je participe à la confection d’un plat, que le lendemain, je les prends souvent à témoin de l’odeur persistante sur mes doigts. Et ils me rappellent aussi que j’ai évoqué dix ou vingt fois déjà cette particularité chez Marie, comme s’il s’agissait encore et toujours de la justifier.

*

Je mimais ma mort en m’allongeant sur le parquet, immobile, les bras en croix, comme le Christ. C’est sans doute devant un crucifix que j’ai entendu prononcer pour la première fois le mot « mort ». En tout cas, je croyais qu’on ne mourait que les bras en croix. J’entendais Marie qui allait et venait dans l’appartement, les pas de Jacques et les craquements du parquet sous son poids. J’avais beau fermer les yeux, personne ne s’inquiétait le moins du monde. Puisque j’accumulais toutes les preuves, comment pouvait-on deviner que je n’étais pas mort ? Ce fut longtemps un grand mystère.

*

La mémoire des parfums est située dans la partie la plus archaïque du cerveau, celle que nous conservons en commun avec nos lointains ancêtres amphibiens. Nous serions capables de distinguer jusqu’à trois mille odeurs. Le nourrisson qui pleure se calme aussitôt lorsque, pris dans les bras, il reconnaît l’odeur du cou de sa mère. Dans les bras de toute autre personne, il continue à pleurer. Dans les cliniques, et pendant les semaines qui suivent l’accouchement, on déconseille donc aux jeunes mères les parfums trop violents. Cette mémoire des parfums, affirme-t-on, ne se perd jamais et n’autorise pas la moindre confusion.

Le parfum qu’utilisait Marie est donc si bien ancré en moi que je le reconnais chez n’importe quelle femme, depuis mon plus jeune âge. Faute de nom, il n’en demeure pas moins inatteignable. Sans le point d’appui que représenterait une marque, la forme d’un flacon, une étiquette, un bouchon, ce parfum reste largement imaginaire. Sans le moindre début de preuve, il n’a pas même la force d’une intime conviction. Je n’ose pas imaginer pour autant tout ce que ce parfum a pu trancher à mon insu, et de prime abord, dans mes rapports avec les femmes.

*

Odeur entêtante, chaque fois que Marie ouvrait son sac à main : mélange de poudre de riz, de parfum, de rouge à lèvres. Dans l’armoire, le cuir de la pochette noire réservée aux tenues habillées (et que je reconnais très bien sur plusieurs photos) restait fortement imprégné de cette odeur composite. La pochette était beaucoup plus mystérieuse que le sac habituel puisque l’odeur survivait à toutes ses composantes, indéfiniment, semblait-il. Souvenir d’avoir plusieurs fois enfoui le visage dans le sac vide avec le sentiment d’être au cœur d’un mystère.

Aujourd’hui encore, au marché aux puces, il m’arrive d’ouvrir les vieux sacs à main, comme s’il restait là l’indice d’une présence. Si je n’y plonge plus le nez, j’ouvre les vieilles boîtes de poudre de riz, même vides. Je m’étonne que tout ce qu’elles évoquent soit resté si évident, si simple, quand personne, dans la foule, n’y prête la moindre attention. Tout le monde sait pourtant que l’odeur de la poudre de riz n’a pas changé depuis un siècle au moins, peut-être beaucoup plus.

*

Né, comme Marie, un 9 octobre.

*

À l’angle de la rue de Lévis et du boulevard des Batignolles, un sellier exposait dans sa devanture un cheval naturalisé. L’animal était sellé et harnaché. Il portait aussi une couverture, des œillères, des jambières et des oreillettes. Cette accumulation d’accessoires rendait le cheval terrifiant.

Boulevard de Clichy, la devanture du cabaret L’Enfer représentait une tête de diable grimaçant avec des cornes, des yeux exorbités et des crocs. Dans la journée, l’énorme bouche servant d’entrée était fermée par un rideau de fer. Que ce rideau soit toujours tiré, lorsque nous passions, n’enlevait rien à la menace qui planait sur tout le quartier.

Souvenir très net de la main de Marie qui, dans ces parages dangereux, me tirait à elle si je tentais de retarder l’échéance ou, au contraire, me retenait quand je hâtais le pas pour écarter au plus vite la menace. Là encore, un petit « tss ! » d’agacement était fréquent.

*

Six photos :

a) Marie, jeune immigrante en route vers Marseille sur le paquebot français Patria. En escale au Pirée, le 5 avril 1936, elle adresse, en français, une carte postale à son père, Albert Salem, demeurant 23, Yeldemen Sokak, dans le faubourg de Kadiköy. Marie annonce : « Nous avons fait un grand tour en auto, c’était merveilleux. » Le même jour, elle poste à sa sœur aînée, Fanny, et à sa cadette, Victoire, une photo prise sur le pont avant du paquebot. Marie pose près d’une haussière, dans une longue robe noire imprimée à motifs blancs. Le col, le bas des manches et le bas de la robe sont gansés d’une garniture blanche. Marie porte une large ceinture en cuir noir et des bottines à talons hauts. Elle sourit et, pour paraître plus naturelle, regarde vers le large. Au dos de la photo, elle indique à ses sœurs : « Ne faites pas attention, la photo n’est pas réussie. »

b) Marie en voyage de noces à Nice, au bras de Jacques, mon père, sur la promenade des Anglais, en décembre de la même année : long manteau noir bordé de renard gris. Col ample de même fourrure. Escarpins noirs à talons hauts. Pochette de cuir noir sous le bras. Sur la tête, un petit chapeau noir de type tyrolien, légèrement incliné, et terminé par une plume droite. Marie sourit en regardant le photographe. Sa tenue m’a toujours fait penser aux concours d’élégance automobile que l’on voyait au cinéma, pour clore les actualités. Dans mon souvenir, les séquences étaient invariablement tournées sur la promenade des Anglais ou, à Paris, dans le parc de Bagatelle.

c) Marie en compagnie de Jacques et de son beau-frère Joseph, au parc Monceau, à Paris : ample robe-manteau noire ouverte sur un imprimé à motifs blancs. Larges revers pointus en satin noir. Manches courtes. Rang de grosses perles fantaisie. À la main, la pochette de cuir noir (dans laquelle je plongeais le visage) et des gants vénitiens blancs. Tout le monde pose un peu. Marie baisse la tête, sans doute pour paraître moins grave, et, comme à Nice, regarde le photographe droit dans les yeux.

d) Marie me tenant dans ses bras : robe sombre à manches courtes ornée d’un col chemisier blanc. Le bas des manches est bordé d’un ourlet apparent de même couleur. Gros boutons blancs fantaisie. Sous la loupe, ces boutons semblent représenter une couronne royale. À la taille, grosse ceinture fantaisie en métal argenté. Large sourire, mais un peu figé, comme si la séance de pose avait trop duré.

e) Marie au parc Monceau, en compagnie de Jacques : elle porte le manteau bordé de renard qu’on lui voit sur la photo prise à Nice, mais il est ouvert sur une robe de lainage gris, un peu austère. La robe est égayée par des fronces sous le genou et un gros collier de perles fantaisie à pendentif. Ceinture noire en gros-grain à deux boucles de métal argenté. Sur la tête, béguin du même gris que la robe, orné d’un strass au-dessus du front. À la main, sac et gants noirs. La voilette est baissée à mi-visage.

f) Il existe une photo de groupe, prise à la campagne, et sur laquelle je figure aussi. Tout le monde a le même sourire de convention et s’évertue à rester immobile devant l’objectif, tout en paraissant aussi naturel que possible. Marie, elle, rit aux éclats, la bouche grande ouverte, sans la moindre retenue. Sur une seconde photo, prise au même endroit, à quelques minutes d’intervalle, les personnages se sont déplacés. L’un d’eux a disparu, sans doute pour remplacer le photographe. Un autre est entré dans le champ. Les figurants ont retrouvé le même sourire figé, mais Marie, cette fois, ne rit plus du tout. Elle est seule à ne pas même esquisser un sourire. Son front s’est plissé. La tête est baissée, la bouche crispée. Les yeux regardent le sol. Marie est ailleurs, distraite, peut-être un peu triste, comme un enfant qui s’ennuie.

*

Place Clichy, nous ne passions jamais devant la brasserie Wepler. La salle et la terrasse, jour et nuit, étaient occupées par des dizaines de soldats allemands en uniforme, l’établissement ayant été réquisitionné pour la troupe. On ne craignait rien puisque ces hommes n’étaient pas en service. Cependant, Juifs et femmes seules s’exposaient aux quolibets et aux sifflements des dizaines de consommateurs désœuvrés.

Je découvre, en écrivant le nom « Wepler », que, sans en avoir le moins du monde conscience, je continue à emprunter, place Clichy, le trottoir opposé, quelles que soient ma destination et ma provenance. De même, je ne suis entré au Wepler qu’une seule fois. Un écrivain américain, hébergé à proximité, m’y avait donné rendez-vous. Je me souviens très bien avoir songé, au téléphone, à lui proposer un autre lieu de rencontre, nécessairement plus difficile d’accès pour lui, avant de comprendre tout le ridicule de cette pensée.

*

Les cheveux de Marie formaient un cran prononcé sur la tempe droite. Curieusement, les photos montrent le même cran chez mon grand-père paternel ainsi que chez mon père. J’ai, tout naturellement, hérité de ce cran au même endroit. Il a disparu peu après la trentaine avec les premiers signes de calvitie et m’a gêné pendant toute mon adolescence, exactement comme il agaça toujours mon père. Celui-ci utilisa tous les subterfuges pour le maîtriser, y compris les plus ridicules (voir Jacques). Personnellement, dans les petites classes, au lycée, je collais la mèche rebelle avec du savon.

*

Les raisons de ma colère se sont perdues, mais je me revois très bien, assis, nu dans la baignoire, sous la douche froide que Marie m’administra ce jour-là. Je retrouve toute la puissance de mes hurlements, l’impression de suffoquer sous le jet. J’entends les cris de colère de Marie, sa voix aiguë, à son paroxysme, tandis qu’elle me maintient assis au fond de la baignoire et tente de se faire entendre, de me raisonner. Je ressens tout le poids de ses bras nus sur mes épaules tandis que je me débats. Je revois sa robe légère grise (nous sommes en été) tout éclaboussée par l’eau que je lui jette des deux mains, au comble de la fureur.

Pour en arriver à de telles extrémités, la lutte, c’est clair, avait été d’une violence homérique. Peut-être même avais-je frappé Marie. Après quoi, stupéfaits et vaincus tous deux, nous pleurâmes longtemps dans la petite salle à manger du boulevard des Batignolles, chacun dans notre coin : impuissance d’une jeune mère restée, à bien des égards, une enfant gâtée, désemparée face à un fils colérique, trop gâté lui aussi, et honteuse d’en être arrivée à cette extrémité ; hoquets et ultimes larmes d’un enfant à bout de nerfs, qui peine à retrouver sa respiration, et qui se sent vaincu, humilié et trahi. Conservé le souvenir de deux solitudes étanches, tandis que nous pleurions, que quelque chose ne pourrait pas être réparé. Souvenir aussi du visage grave et fermé de Jacques, ce soir-là. C’est sans doute cette gravité inhabituelle qui acheva de donner toute la mesure de l’événement.

*

Ma grand-mère maternelle n’a jamais manqué une occasion de me faire remarquer que nous avions le même grain de beauté sur l’épaule gauche : même taille, même couleur de café torréfié, même consistance granuleuse. Elle ajoutait que Marie avait, elle aussi, ce grain de beauté au même endroit et qu’il l’avait toujours fascinée. Marie fut donc émerveillée de retrouver ce grain de beauté chez son fils. Ma grand-mère, pointant le grain de beauté du doigt lorsqu’elle me voyait torse nu : « La marque de fabrique. »

*

Les jours où Marie ne portait pas l’étoile jaune, mon plus grand plaisir, sur la ligne de métro Dauphine-Nation par Barbès, consistait à me tenir debout, dans la première voiture, près du chef de train. Une petite vitre donnait sur la cabine du machiniste et offrait une vue sur la voie. Lorsqu’on s’apprêtait à aborder le tronçon aérien, j’observais le carré lumineux qui grossissait devant nous. Après quoi, il y avait toujours la déception du trou noir où nous allions nous engouffrer.

Marie se tenait derrière moi et regardait avec beaucoup d’intérêt, elle aussi. Le spectacle semblait « volé », et trois fois même : en tant que Juifs, nous n’aurions jamais dû voyager dans la première voiture ; ensuite nous étions seuls, avec le machiniste, à bénéficier d’une vue aussi privilégiée. La troisième raison était la plus troublante : le chef de train lui-même ne remarquait pas notre présence illégale. Sa casquette grise, son sifflet (pour rappeler les passagers à l’ordre), les deux boutons (l’un vert, l’autre rouge) commandant l’ouverture et la fermeture des portes lui conféraient pourtant une autorité indéniable.

Les jours avec étoile, nous montions dans le dernier wagon réservé aux Juifs. Comme je voyais aussi souvent Marie avec l’étoile que sans celle-ci, qu’elle m’entraînât vers la dernière voiture avait tout d’une punition. Marie le savait si bien qu’elle devançait toute contestation et serrait fermement ma main pendant que nous nous dirigions vers la queue du train.

*

Mes grands-parents maternels ont eu quatre garçons et trois filles. Comme Marie, leur plus jeune fils, David (voir ce nom), est mort en déportation. Ils m’ont cent fois répété que rien, ni personne, n’avait résisté à Marie. Lorsque je tentais d’en savoir davantage, les mêmes épithètes revenaient et elles ne m’apprenaient rien : « drôle », « belle », « affectueuse », « intelligente ».

Au-delà, mes grands-parents étaient au bord des larmes. Si je persistais à les interroger, mon entêtement passait pour un manque d’égards : je ne respectais pas leur peine. Très vite, leur visage se fermait : « Je t’en supplie, n’insiste pas ! » Plus je croyais approcher Marie et plus je découvrais une image brouillée par les larmes. Adolescent, je m’emportais d’autant plus volontiers contre ce mutisme que ma curiosité semblait m’être plus clairement reprochée. Tout se passait comme si Marie était restée la fille de ses parents sans être devenue la mère de son fils. Peut-être aurais-je appris davantage si j’avais su faire preuve de plus de patience, et sans doute aussi de psychologie. C’est donc en dehors de la famille que j’ai recueilli les très rares anecdotes qui tirent Marie des lieux communs et du flou, y compris lorsqu’il s’agit de ses rapports avec ses parents.

*

La montre que l’on voit à son poignet sur plusieurs photos est le meilleur exemple de la façon dont Marie subjuguait les uns et les autres. Jeune fille, elle se fit offrir par son père une précieuse montre en or blanc sertie de brillants, un bijou que mon grand-père maternel, modeste transitaire en douane dans le port d’Istanbul, n’avait jamais eu les moyens d’offrir à sa femme.

Marie n’appelait son père que par le diminutif judéo-espagnol de papiko (petit papa), ce qui montre toute l’emprise qu’elle avait sur un homme austère, rigide, intraitable sur bien des principes. Devant nourrir neuf personnes avec son seul salaire, il était de surcroît très regardant. Cependant, ses enfants n’ont manqué de rien et ont toujours fréquenté les meilleurs établissements scolaires d’Istanbul, tous payants.

Reste le mystère de la montre. Peut-être Marie savait-elle, seule, égayer la vie un peu terne de son père quand ses frères et sœurs le craignaient trop pour se permettre la moindre fantaisie à la maison. On s’aimait dans la famille de Marie, mais on devait aussi s’ennuyer beaucoup. On comprend la jalousie, jamais avouée, toujours suggérée, des six frères et sœurs. Victoire, la plus jeune sœur, et la dernière des sept enfants, n’a jamais caché, et elle le répète aujourd’hui encore, combien elle a souffert de devoir toujours porter les robes dont Marie ne voulait plus.

*

Souvenir des mi-bas blancs dont les élastiques laissaient des marques douloureuses sous les genoux. Partout où j’allais, j’enviais les enfants qui portaient des socquettes. Marie ne tolérait les socquettes que pour aller au square, ou à la campagne. Lorsque les élastiques d’origine étaient devenus trop lâches, et faute de pouvoir remplacer les mi-bas, on évitait les disgracieux accordéons en roulant le haut de la chaussette sur un élastique de pot à confiture. Plus serré que l’élastique d’origine, il laissait un sillon violacé, plus profond et plus douloureux encore. Les élastiques étaient aussi rares que les chaussettes neuves et n’empêchaient pas tout à fait celles-ci de se gondoler. Il fallait prendre grand soin de ne pas égarer les précieux élastiques.

Je me souviens de Marie se baissant inlassablement, dans la rue, pour relever mes chaussettes et rectifier le pli autour de l’élastique. Si un banc public se trouvait à proximité, je devais m’y hisser pour plus de facilité. De même, nous n’entrions jamais quelque part sans que Marie ait vérifié son maquillage sur la petite glace de son poudrier et, une dernière fois, tendu mes chaussettes.

*

Lorsqu’elle épouse Jacques, en 1936, Marie quitte sa condition de petite reine chez ses parents, à Istanbul, pour celle de petite reine à Paris, chez ses beaux-parents, qui l’ont immédiatement adoptée et l’adorent. Les trois frères de Jacques, tous célibataires à l’époque, sont, eux aussi, tombés sous le charme de leur belle-sœur. Sur les photos, on les voit qui tiennent Marie par le bras avec tendresse, ou lui enserrent les épaules, comme s’il s’agissait d’une petite sœur.

Les frères Cohen, tant qu’ils furent célibataires, vécurent chez leurs parents. Annette, la bonne qui aide à s’occuper de la maison (voir Mercado), est à cette époque la seule jeune femme de la famille. Les parents Cohen la considèrent comme leur fille et les quatre frères ne voyagent jamais sans rapporter un petit souvenir à leurs parents et un autre pour Annette.

À peine Marie entre-t-elle dans la famille Cohen qu’une grande complicité naît entre Annette et elle. Les deux jeunes femmes ont sensiblement le même âge et adorent cuisiner ensemble. La légende familiale veut qu’elles riaient si fort en s’activant à la cuisine que les frères Cohen quittaient l’un après l’autre leurs parents pour aller voir ce qui s’y passait. Jusqu’au moment où les parents, ne voyant personne revenir, se levaient à leur tour pour aller s’informer à la cuisine.

*

Souvenir de l’époque où Marie n’autorisait plus la poussette que sur une partie du trajet entre le parc Monceau et l’appartement du boulevard des Batignolles, à proximité de la place Clichy. Je marchais à côté de la poussette en tenant le montant d’acier. Lorsque nous allions au parc, et puisque les jardins publics étaient interdits aux chiens et aux Juifs, Marie ne portait pas l’étoile, au risque d’un contrôle d’identité qui nous aurait menés tout droit au commissariat, et avec les dangers afférents. (Les enfants n’étaient astreints au port de l’étoile qu’à partir de six ans et je n’avais pas encore cet âge.)

Au parc Monceau, j’avais l’impression d’être invisible puisque, contrairement aux jours avec étoile, nous pouvions entrer et nous asseoir à côté de n’importe qui, n’importe où, en toute impunité. Au retour du parc, je geignais pendant une grande partie du trajet en traînant les pieds, tant que je n’étais pas autorisé à monter dans la poussette.

*

À tous les âges, et pour peu que je m’aventure à pied entre le parc Monceau et la place Clichy, j’ai toujours eu l’impression d’une distance considérable. Elle est pourtant bien inférieure à celle de nombreux itinéraires parisiens auxquels je suis habitué. Tout se passe comme si, dans ce quartier où tous mes souvenirs remontent à la petite enfance, la mémoire avait toujours le pas sur les réalités. Est-il possible que le souvenir des jambes lourdes de l’enfant travaillé par la croissance, celui des chevilles ankylosées qui l’obligent à traîner les pieds parce qu’il a beaucoup couru dans les allées du parc restent si vifs, la vie durant ? Se peut-il, pour peu que la mémoire ne perde rien de ses repères, qu’on ne vienne jamais à bout de cette fatigue ?

*

En quittant le parc Monceau, Marie me hissait sur la margelle de la rotonde dessinée par Nicolas Ledoux. Je marchais aussi droit que possible, sans me tenir à la grille, fier que Marie consentît à me lâcher la main.

Je n’ai jamais manqué une occasion de jauger la hauteur de la margelle lorsque je passe devant l’entrée du parc : à peine plus haute qu’un tabouret de cuisine. Cependant, dès que je m’éloigne, c’est la vision que j’en avais enfant qui ressurgit et, avec elle, la tentation ancienne de me raccrocher à la grille.

S’il m’arrive aujourd’hui de traverser le parc Monceau, ce que je viens de voir s’estompe avec une rapidité déconcertante, à l’exception de la fausse ruine antique et du petit lac où je regardais les canards. Sans doute est-ce là que nous nous tenions le plus souvent, Marie et moi. C’est le seul endroit du parc, en tout cas, où l’idée de m’asseoir un instant aurait un sens. Cependant, je ne le fais jamais : les rares fois où je me suis exécuté, ce fut pour vérifier à quel point mon souvenir reste intact. Il n’y a donc rien à vérifier, encore moins à apprendre, et la sensation d’une solitude stérile me chasse très vite.

*

Dans les correspondances, et à la sortie du métro, il était fréquent que des soldats allemands soient postés de part et d’autre des escaliers, au sommet de la volée. En contre-plongée, ce sont donc leurs bottes que nous apercevions en premier lieu. Souvent, cette présence ralentissait le flux des passagers. Pas très difficile d’en déduire (aujourd’hui) qu’il s’agissait d’un contrôle d’identité. D’autres fois, la foule s’acheminait à peu près normalement. Sans doute la Gestapo recherchait-elle quelqu’un dont elle possédait le signalement. Presque toujours un homme en civil portant un feutre se tenait au milieu du flot. Quand nous étions parmi les derniers à quitter le quai (c’était souvent le cas lorsque nous avions voyagé dans la dernière voiture) il n’était pas rare que quelqu’un rebroussât chemin derrière nous et se mît à courir dans les couloirs. À la vue des bottes, la main de Marie se serrait sur la mienne. (Je sais, aujourd’hui, que les porteurs d’étoile étaient arrêtés chez eux, ou dans la rue, presque toujours avec un grand déploiement de policiers, et jamais par les Allemands eux-mêmes.) Sans doute Marie voulait-elle signifier qu’il ne fallait pas se retourner. Au sommet de la volée, les uniformes avaient quelque chose d’excitant : cela revenait à frôler la cage aux lions. Ces uniformes avaient une odeur spécifique. Je ne la retrouve qu’en ouvrant les paquets de galettes appelées en Allemagne « Knäckebrot ».

*

De même que les enfants ne portaient pas d’étoile jaune avant l’âge de six ans, la police française ne remettait aux Allemands que les nouveau-nés âgés de plus de six mois. Après son arrestation le 14 août, Marie fut donc internée à l’hôpital Rothschild en attendant que ma sœur Monique (voir ce nom), qui avait alors trois mois, ait l’âge requis pour le voyage vers Auschwitz, via Drancy.

Sous la quadruple garde des infirmières, de la gendarmerie française postée à l’entrée, d’inspecteurs de police en civil et de la Gestapo, les jeunes mères et leur nourrisson en instance de départ s’entassaient dans une salle commune surpeuplée. La promiscuité, les conditions d’hygiène exécrables, le manque de produits de première nécessité, les pleurs des nourrissons, la maigre nourriture, les couches séchant au pied des lits, l’angoisse, le manque de sommeil, transformaient la détention en cauchemar.

*

L’un de mes oncles maternels, avec une audace qu’on ne lui connaissait pas, explora tous les moyens de faire sortir Marie et Monique de l’hôpital prison, y compris en y pénétrant la nuit, par une porte de service, après avoir soudoyé une infirmière. Les chances de réussite étaient nulles. L’idée vint à mon oncle de recruter un truand à Pigalle : il aurait plus de sang-froid et saurait mieux tirer parti des failles de la surveillance.

Dans un bar, il rencontra un homme qui acceptait la mission. Il se faisait fort de ressortir avec Marie à son bras, à la fin de l’heure de visite. Il exigeait d’être payé à l’avance et demandait qu’on procurât à Marie une tenue de ville qu’elle dissimulerait sous son matelas. Elle irait se changer dans les toilettes quand il le lui demanderait. L’homme, de son côté, serait muni d’un flacon de chloroforme, de coton et d’un sac où dissimuler l’enfant sous du linge. Marie n’aurait qu’à prendre son bras et à regarder droit devant elle en passant les contrôles. Les papiers de l’inconnu étaient en règle. Il pouvait les montrer sans crainte. Une fois sur le trottoir, il estimerait sa tâche terminée et disparaîtrait.

À l’heure dite, l’homme était au pied du lit. Épuisée nerveusement, morte d’angoisse au sujet de Jacques, arrêté en même temps qu’elle et qui avait quitté Drancy le 2 septembre pour Auschwitz (on parlait à l’époque de « déportation vers l’Est »), Marie prit peur. Elle craignait aussi des représailles à mon encontre puisque j’avais échappé à la rafle du 14 août et faisais partie des « personnes recherchées ». Assise sur le bord de son lit, elle demeura prostrée, en larmes, incapable du sursaut d’énergie qu’on lui demandait. L’homme rencontré à Pigalle dut renoncer et restitua l’argent à mon oncle qui attendait au coin de la rue. L’inconnu se disait prêt à recommencer si on parvenait à raisonner Marie. L’occasion ne se représenta pas.

*

S’agissant de l’incapacité de Marie à prendre une décision ce jour-là, une cousine a beaucoup plus qu’une hypothèse, presque une certitude. Un peu plus âgée que moi, elle avait, avec sa mère, rendu visite à Marie les jours qui précédèrent la tentative infructueuse de l’homme de Pigalle. Marie expliqua qu’une voisine de lit aurait compris, à de menus détails, qu’on préparait son évasion. La voisine avait même avoué avoir fait un cauchemar. Dans son rêve, la Gestapo décidait de représailles après l’évasion réussie. La voisine de lit surveillait donc Marie, qui se savait observée. Peut-être les infirmières avaient-elles été mises au courant. Les jeunes mères savaient très bien ce que signifiait le mot « représailles » lorsqu’il s’appliquait aux proches et aux enfants. Il y avait, à l’hôpital, quelques antécédents d’évasions réussies.

*

Je suis assis sur le lit de Marie, à l’hôpital Rothschild. Elle pleure et m’embrasse, après quoi elle essuie ses larmes sur mes joues avec son mouchoir. Le mouchoir n’est plus qu’une petite boule de tissu humide qu’elle tourne et retourne entre ses mains. À peine m’a-t-elle essuyé que je me passe l’avant-bras sur le visage pour me sécher tout à fait. Pour cette raison, je redoute les baisers de Marie. De même, je la trouve laide. En quelques jours, ses cheveux sont devenus gris. Une grande mèche est presque blanche au milieu du crâne. Elle se plaint que des mèches entières lui restent entre les mains lorsqu’elle se coiffe. Marie et mon oncle m’expliquent qu’à l’hôpital, on soigne ses cheveux, qu’elle reviendra à la maison dès qu’elle sera guérie. Lorsque mon oncle veut l’embrasser, Marie le repousse et cache son visage derrière ses mains. Plus il veut l’embrasser et plus Marie pleure. Parfois, je fais rire Marie sans savoir pourquoi et, aussitôt après, elle se cache le visage entre les mains. Je ne comprends pas pourquoi elle n’est pas heureuse de nous voir. Dans la salle, beaucoup de femmes pleurent comme Marie. Il fait très chaud. L’odeur d’urine prend à la gorge. Tout le monde parle fort pour couvrir les cris des nourrissons. Les visiteurs se serrent dans l’allée exiguë qui sépare les lits. Il arrive que des personnes venues voir une voisine demandent à s’asseoir sur le lit de Marie. Je n’aime pas voir des étrangers assis sur son lit. Marie a peur de l’infirmière chef. Elle nous prévient chaque fois que celle-ci se montre dans la salle. L’infirmière chef a une grosse poitrine et des galons sur sa coiffe blanche. Postée à l’entrée de la salle commune, c’est elle qui annonce la fin de la visite en claquant des mains.

*

On ne sait pas comment l’oncle Joseph (voir ce nom), interné à Drancy depuis le 14 août, a pu apprendre que mes oncles ayant échappé aux rafles prenaient le risque de m’emmener voir Marie à l’hôpital Rothschild. Il ne fait aucun doute, en tout cas, qu’il avait rencontré dans ce camp des hommes et des femmes (sans doute aussi des enfants) arrêtés à la sortie de l’hôpital.

Mesurant tout ce que ces visites avaient de suicidaire, Joseph exhorta Marie à y mettre immédiatement fin. « Je veux que tu comprennes le danger que courent tous ceux qui viennent te voir », lui écrit-il dans un message griffonné avec un mauvais crayon, le 1er septembre 1943, veille de son propre départ pour Auschwitz. Joseph réussit à faire parvenir ce billet à Marie en l’adressant à un oncle paternel, et sans doute chez un voisin. Autour du camp, à Drancy, des hommes et des femmes de bonne volonté ramassaient les messages jetés par-dessus les barbelés, les mettaient sous enveloppe, recopiaient l’adresse, collaient un timbre et les postaient.

Dans sa lettre, Joseph ajoute : « C’est aussi vrai pour notre petit cousin que pour ses oncles. » Le message pouvant être intercepté, Joseph ne veut pas prendre le risque d’écrire mon prénom, ni même les mots « fils » ou « neveu ». « Cousin » lui paraît plus vague et Marie comprendra. Jacques, qui se tient aux côtés de Joseph à Drancy lorsqu’il rédige cette lettre comminatoire, ajoute un post-scriptum à sa femme. C’est pour exiger lui aussi de Marie, et malgré tout ce que cela signifie, « le sacrifice des visites ».

Des policiers en civil procédaient aux arrestations à la fin de l’heure de visite, dans les rues proches de l’hôpital Rothschild, sans doute après dénonciation par des infirmières. On arrêtait également les visiteurs aux abords du métro Picpus, la station la plus proche de l’hôpital. C’est vraisemblablement pour cette raison que nous venions et repartions toujours, mes oncles et moi, par la station Bel-Air.

La mise en garde de Joseph fut prise très au sérieux par Marie et par mes oncles. Il n’en restait pas moins inconcevable de rompre tout lien avec elle. À défaut de monter la voir dans la salle commune, nous nous contentâmes, désormais, de lui faire des signes depuis le trottoir tandis qu’elle se tenait debout derrière une fenêtre de la salle commune. Le message de Joseph eut un autre effet immédiat : affolée, Marie exigea de mes oncles qu’ils me fassent couper les cheveux au plus vite. Puisqu’on m’avait souvent vu dans la salle commune, elle pensait que je serais moins reconnaissable dans la rue. On me mena donc chez le coiffeur et l’on fit parvenir à Marie une mèche de mes cheveux longs.

*

Nous nous tenons sur le trottoir qui fait face à l’hôpital, mon oncle et moi, et agitons la main en direction de Marie. Elle est debout derrière une fenêtre fermée, la deuxième fenêtre en partant de la gauche, au deuxième étage. Mon oncle articule des mots sans les prononcer, mais parfois il ne peut s’empêcher de les dire à voix basse. Je remue, moi aussi, les lèvres en faisant semblant de dire quelque chose, parce que c’est ce qu’on semble attendre de moi, mais je n’ai rien à dire. Mon oncle fait des gestes, celui de manger ou de dormir, par exemple. Marie remue les lèvres et répond par d’autres gestes. Ce n’est pas à moi que s’adressent ces gestes. Marie a toujours son mouchoir humide roulé en boule à la main et ne cesse de s’essuyer le nez et les joues. De temps en temps, mon oncle me demande d’agiter la main. Je ne comprends pas pourquoi Marie est si malheureuse de nous voir. Je pense qu’elle est malheureuse parce que ses cheveux ne guérissent pas. Nous venons toujours avec une pochette en papier contenant un peu de nourriture. Sur le trottoir, mon oncle interpelle des inconnus à l’heure de la visite. Peu après, Marie brandit le petit paquet devant la fenêtre de la salle commune pour nous prouver qu’il lui a bien été remis.

*

Dans la salle commune, sans doute aurait-il été illusoire de vouloir lire pour se distraire. Pour des femmes arrachées à leur mari, à leur famille, et rongées par l’angoisse, on se demande quelles réponses les livres pouvaient encore apporter. Comme les autres détenues, Marie passait l’essentiel de son temps à s’occuper de son enfant (voir Monique), à le changer, à laver les couches dans les lavabos communs et à l’eau froide, à le nourrir, à l’endormir.

Une petite-nièce, dont le patronyme n’a rien de juif, était venue voir Marie à l’hôpital. Elle avait treize ans et portait un pull-over tricoté par Marie deux ou trois ans plus tôt. Marie remarqua que le pull-over était beaucoup trop court désormais pour une enfant en pleine croissance. Elle n’avait pas utilisé toute la laine et insista pour qu’on la lui apportât ainsi que des aiguilles à tricoter. Elle se mit immédiatement en devoir de rallonger les manches et les côtes.

— Des années durant, j’ai conservé ce petit pull-over de couleur rouille comme une relique, explique la petite-nièce. Aujourd’hui encore, il m’arrive de me demander ce qu’il a pu devenir.

*

Le 16 décembre 1943, Marie écrit à son frère Emmanuel et à sa belle-sœur Lily depuis Drancy, où elle a été transférée les jours précédents. On vient de lui apprendre qu’elle fera partie, avec sa fille Monique, du convoi qui quittera le camp le lendemain matin pour « je ne sais où ». Marie a acquis une certitude à Drancy : quelle que soit la destination, on ne revient pas. Elle écrit donc « hélas pour la dernière fois » : ce sont ses mots. La lettre est rédigée au crayon sur un papier quadrillé arraché à un cahier d’écolier. Elle est datée « jeudi matin ». Par prudence, l’adresse indiquée sous la signature est celle d’Henriette, une sœur de Lily, sa belle-sœur. Henriette ne porte pas un patronyme juif. La lettre ne met donc personne en danger. Comme tant d’autres, ce message sera jeté par-dessus les barbelés du camp et posté par un inconnu.

Conservée dans le portefeuille de mon oncle pendant des années, cette lettre a été si souvent relue que les pliures ont découpé la page en quatre rectangles égaux. Des lambeaux de phrase ont disparu, ou sont illisibles. De même, les larmes ont effacé quelques mots, ainsi, par endroits, que le quadrillage du papier. Marie a donc dû réécrire certains passages. À ces endroits, le papier est plus blanc, les traits de graphite plus pâles et l’écriture plus fine. J’ai tenté l’expérience avec un papier quadrillé : quelle que soit sa qualité, il suffit de l’humecter avec un doigt imprégné de salive pour voir le quadrillage disparaître. J’ai constaté de même que, sur un papier humide, les traits de crayon sont nécessairement plus fins et plus pâles, quel que soit l’état de la mine.

Dans cette dernière lettre, Marie parle surtout de Monique et de son fils, dont elle se demande s’il « reverra jamais ses parents ». Elle ne veut pas inquiéter outre mesure les destinataires et termine donc sa phrase par un point d’interrogation. Lorsqu’il s’agit de conclure, c’est le mot « adieu » qui lui vient à l’esprit. Étymologiquement, c’est le seul qui convienne, et Marie n’a pas la force de chercher un synonyme, ou un tour de phrase, qui donnerait le change. À côté de sa propre signature, elle a aussi signé pour sa fille Monique. Celle-ci a alors sept mois et deux jours. Le nom de Monique est calligraphié en plus petits caractères et le paraphe fait à peine le tiers de celui de Marie.

*

Le 23 mai 1996, décidant, malgré bien des réticences, d’assister au dévoilement d’une plaque à la mémoire des jeunes mères et des nourrissons internés à l’hôpital Rothschild, je suis sorti très à l’avance de chez moi. J’étais résolu à mettre mes souvenirs d’enfance à l’épreuve et à ne consulter aucun plan. Je n’étais retourné à l’hôpital que deux ou trois fois depuis l’enfance, et toujours en voiture. C’est un quartier que je connais mal. J’avais donc beaucoup de chances d’errer longtemps.

J’ai retrouvé l’hôpital avec une facilité déconcertante, empruntant sans hésiter la bonne sortie du métro Bel-Air, avant de tourner immédiatement à droite. L’hôpital n’est signalé par aucun panneau, mais le souvenir de la voie du métro aérien, qu’il faut longer avant d’emprunter une rue à angle droit, était un repère très sûr. Combien de fois avais-je fait ce trajet avec mes oncles ? Je suis incapable de le savoir, mais ce fut suffisant. À moins que le hasard, ce jour-là, ait très bien fait les choses. En tout cas, je suis arrivé bien avant l’heure prévue pour le début de la cérémonie et avec en tête ce vers du poète George Oppen : « Vieillir, quelle étrange aventure pour un petit garçon. »

Quelques minutes avant le début de la cérémonie, un événement se produisit que je n’avais pas prévu. Au deuxième étage, deux infirmières ouvrirent toute grande la fenêtre derrière laquelle se tenait Marie. Que cette fenêtre soit restée si longtemps fermée dans mon souvenir et qu’elle puisse s’ouvrir avec une telle facilité n’équivalait pas seulement à un séisme : le raclement des deux battants dans le chambranle, le grincement de la crémone, tout à fait perceptibles depuis le trottoir où je me tenais, me semblèrent sacrilèges. Quant à la distance considérable dont j’avais gardé le souvenir, je la voyais si bien abolie que j’aurais pu m’adresser aux infirmières sans avoir besoin d’élever la voix. Pendant quelques fractions de seconde, il fut clair que les deux jeunes femmes, plantées dans l’encadrement pour écouter les discours, n’avaient aucun droit d’être là. Elles n’avaient pas le droit d’être aussi jeunes, aussi désinvoltes, aussi innocentes. Une brève bouffée de violence m’envahit.

Ce choc passé, je compris que la présence des infirmières éclaircissait un détail resté nébuleux dans mon souvenir : plus que la largeur de la rue, c’est le bruit de la salle commune et la volonté de ne pas attirer l’attention sur elle qui imposaient à Marie de ne parler que par gestes, et en se contentant de remuer les lèvres derrière la fenêtre. Faute de quoi, il lui aurait fallu hurler. Nous avions assez souvent affronté le vacarme de cette salle, mes oncles et moi, pour savoir contre quoi luttait Marie. Le profond silence de l’hôpital, à peine la fenêtre ouverte, et en lieu et place des cris des nourrissons, m’ébranla donc aussi fortement que l’apparition des infirmières. Si ce silence me paraissait à ce point contre nature, c’est parce qu’il confirmait, et avec plus de cinquante ans de retard, l’absence des dizaines de jeunes mères et de leurs nourrissons. Est-ce bien ce qu’on veut dire lorsqu’on parle d’un « silence assourdissant » ? Cependant, rien ne nous avertit mieux de la proximité d’un gouffre que l’absence de bruit.

Un micro avait été installé au pied du bâtiment de brique rose, derrière la grille de l’hôpital, presque sous la fenêtre où se tenait Marie. Pour gagner la salle commune, nous devions franchir une seconde grille donnant accès au bâtiment proprement dit, puis monter quelques marches sous une arche de céramique grise et pousser une première porte vitrée débouchant sur la cage d’escalier. Ce micro, lui aussi, avait quelque chose de sacrilège : la fenêtre n’était pas très éloignée du lit de Marie (le quatrième sur la droite, dans la première rangée, lorsqu’on avait franchi la porte vitrée à double battant). Dans un tel silence, Marie n’aurait pas perdu un seul mot des discours qu’on s’apprêtait à prononcer en son nom quand les bruits de la salle ne lui laissaient aucune chance de se faire entendre. D’ailleurs, elle ne voulait pas être entendue : cela aurait équivalu à nous montrer du doigt sur le trottoir. Elle était donc condamnée à ne pouvoir ni parler ni se taire. Il me semblait, maintenant, que les deux infirmières n’avaient aucun droit non plus à un silence aussi recueilli, à l’endroit même où Marie avait été condamnée à se taire.

Les infirmières se tenaient droites, le visage grave, les yeux dans le vague, et les minutes passaient sans que je vienne à bout de ma stupéfaction. Les raisons étaient trop nombreuses et trop complexes pour que je prétende les démêler, mais je compris que l’âge des deux jeunes femmes n’était pas indifférent : elles n’étaient pas nées lorsque Marie se tenait au même emplacement. On évoquerait donc des événements qui se situaient pour elles à des années-lumière quand, pour moi, tout semblait s’être passé la veille. Cependant, l’enfant qui fixait cette fenêtre en agitant la main avait vingt-cinq ou trente ans de moins que les infirmières et je me souvenais qu’avec mes yeux, il s’agissait de très vieilles dames. Si elles ne portaient plus la coiffe blanche, galonnée ou non, elles ressemblaient étrangement à leurs consœurs qui terrorisaient si bien les jeunes mères. Elles avaient la même façon de planter les mains dans les poches de leur blouse, le même aplomb propre au personnel médical et, apparemment, la même froideur face à la douleur des autres. En dépit de leur recueillement, leur petit air détaché semblait vouloir dire quelque chose comme « le passé est le passé ». Ce que j’aurais voulu rectifier ainsi : il n’y a pas, avec le passé, les frontières que vous imaginez, et les infirmières, ici même, n’ont jamais cessé d’être des infirmières.

Un homme lut un curieux poème écrit pour la circonstance. Il commençait ainsi : « Dis, maman, comment se reproduisent les clémentines qui n’ont pas de pépins ? » Le Grand Rabbin dit un Kaddish. Des faisceaux de drapeaux tricolores ornaient la façade. Drapeaux, gerbes de fleurs, rubans d’associations, mystère des clémentines sans pépins, petit drap noir masquant la plaque et prière des morts semblaient satisfaire tout le monde. Les orateurs se succédèrent. Leur intonation de voix paraissait très étrange : ils haussaient le ton pour énoncer des vérités que l’assistance connaissait fort bien. Qu’elle soit venue si nombreuse en était la preuve. Les discours n’étaient pas dénués de sens. Ils étaient même pertinents. Simplement, les considérations générales sur l’Histoire, sur l’Humanité, sur le Crime étaient si graves que personne n’aurait songé à évoquer la solitude d’une jeune mère avec son bébé dans les bras, perdant ses cheveux, et qui, derrière une vitre, articulant des mots sans oser les prononcer, se découvrait chaque jour un peu plus abandonnée, un peu plus laide, un peu plus angoissée, et sans recours possible. Que le langage ait quelque chose à voir avec la perte et le deuil, je le savais depuis l’enfance : dans les trains, il suffisait d’un mur surgi à l’improviste, d’une courbe de la voie, pour qu’il faille parler au passé. Cependant, une seconde plus tôt encore, face aux évidences, le présent de l’indicatif lui-même était superflu. Devant son micro, l’orateur parlait donc au passé, mais comme si le passé ne se conjuguait jamais au présent. Cela aussi semblait tout à fait anachronique.

Ma rumination, une fois encore, n’allait pas au-delà des truismes, j’en étais conscient. Il n’empêche : j’avais choisi cet emplacement sur le trottoir, de l’autre côté de la rue et face à la fenêtre où se tenait Marie, sans même y réfléchir, comme nous le faisions alors, mes oncles et moi. L’assistance, au contraire (près de deux cents personnes), s’était massée le plus près possible de la petite estrade et du micro. On était venu écouter des mots. Que serait-on venu faire d’autre ? Mais ces mots semblaient d’autant plus éloignés des réalités qu’ils étaient assénés d’une voix plus ferme et semblaient mieux répondre à l’attente. Qu’on ne puisse rien rétorquer ne changeait rien à l’affaire, bien au contraire : les reprises d’un vêtement, quelle que soit l’habileté déployée, sont d’autant plus visibles qu’on cherche à mieux escamoter les trous.

À quelques mètres, et invisible dans la foule, une femme ne put retenir un sanglot. Une sœur, une fille, une cousine ? Sous l’avalanche des paroles, ses larmes n’avaient aucune chance de faire taire l’orateur, fût-ce une seconde, et par simple égard, comme on s’efface devant une porte pour laisser passer une personne que l’on veut honorer. Parce que mon silence était indissociable de celui de la foule, je me sentis honteux. Si je me souviens bien, l’orateur haussa même un peu le ton pour couvrir les pleurs. Il parlait de « devoir » et de « mémoire », mais les décennies écoulées semblaient plutôt lui avoir conféré des droits et ceux-ci avaient bien des raisons de paraître exorbitants. Pour ceux qui se souviennent, la mémoire ne relève ni du devoir, ni d’une fraternité posthume. Toute injonction à se tourner vers le passé ne paraît pas seulement risible, elle est presque insultante. Dans la foule, l’inconnue se voyait sommée de se recueillir alors même qu’elle semblait avoir tout le poids sur les épaules. Comment ne pas avoir le sentiment, et à tort sans doute, que cette femme était de trop, que sa place n’était plus là, que, dans la foule, ses larmes n’étaient plus recevables ?

Devant la façade de brique rose, sans doute l’inconnue retrouvait-elle, et peut-être était-elle la seule, toute l’angoisse qui creusait si bien le ventre dès qu’on apercevait la double grille de l’hôpital. Dans l’escalier menant à la salle commune, les visiteurs se hâtaient en silence. Le bonheur de retrouver un proche, comme on l’éprouve dans tout autre hôpital, et quelle que soit la gravité de la maladie, était hors de propos à Rothschild. Au contraire, plus les visiteurs approchaient de la salle commune, plus leur estomac se nouait et plus ils devenaient fébriles. Cette angoisse et cette fébrilité étaient si communicatives que même un enfant les ressentait : comment être certain que la femme et le nourrisson qu’on avait vus la veille étaient encore là ? Il était fréquent que le lit ait changé d’occupante le matin même. Les voisines étaient bien en peine de dire où la mère et l’enfant avaient été transférés. Les infirmières avaient ordre de se taire et l’infirmière chef était introuvable. À l’heure des visites, les hurlements étaient fréquents dans la salle commune. Cette angoisse de ne trouver qu’une inconnue ne se conjugue pas plus au passé qu’elle ne se confond avec les mots pour la dire.

Quelques personnes, dans l’assistance, montrèrent un brin d’agacement. Elles étaient venues écouter des discours, non les sanglots d’une inconnue. Deux jeunes femmes tendirent l’oreille en direction de l’orateur. Une troisième ne craignit pas de se pencher avec ostentation vers le micro. N’avait-elle pas traversé Paris pour écouter l’orateur ? Elle avait bien le droit de ne pas être dérangée.

*

Les dermatologues savent très bien de quoi souffrait Marie à l’hôpital Rothschild. La perte subite des cheveux n’a rien à voir avec l’alopécie qui concerne essentiellement les hommes. En l’occurrence, il s’agit d’une pelade. La pelade est toujours liée à un grave choc émotionnel et affecte des plaques entières du cuir chevelu. Marie avait donc raison d’affirmer que des mèches entières lui restaient entre les mains lorsqu’elle se coiffait. « On voit des personnes perdre une part importante de leur chevelure en quelques jours, voire en une seule nuit », explique un ancien chef de clinique de l’hôpital Saint-Louis.

En réalité, seuls tombent les cheveux qui ont conservé leur pigment. C’est pourquoi c’est entre vingt-cinq et trente ans que l’on observe les plus nombreux cas de pelade. Marie avait vingt-huit ans. Le peu de cheveux blancs qu’elle avait lors de son arrestation, le 14 août, étaient presque invisibles dans la masse des cheveux châtains. Il n’est donc pas étonnant qu’à l’hôpital Rothschild j’aie eu tant de mal à la reconnaître : sur certaines parties du crâne, il ne restait que de très fines mèches de cheveux blancs.


1.  L’italique distingue les souvenirs de l’enfant, reproduits aussi fidèlement que possible, comme autant de petites anamnèses, de ce que l’adulte a pu apprendre au fil des confidences, des rencontres, des années. S’y ajoutent quelques rares considérations personnelles, quand elles semblaient souhaitables, ou inévitables.