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Vinsley respirait l’air glacial de l’après-midi. Adossé à l’immense arbre qui dominait la vallée, il savourait l’étendue de son domaine dans toute sa splendeur. Ce vieux chêne avait été son complice des années durant. Enfant déjà, il accourait jusqu’au sommet de la haute colline et se laissait aller ensuite à respirer l’odeur de la nature, à observer chaque fleur, chaque feuille, à commenter silencieusement les couleurs qui jaillissaient de toute part et lui donnaient l’agréable sensation de faire partie de ce décor, d’intégrer la toile peinte de la main de Dieu. Sa fierté de posséder un tel domaine s’était incrustée dans son caractère et cela l’avait rendu confiant, bienheureux et malgré tout un tant soit peu hautain. Son titre lui apportait le respect et la considération de tous ceux qu’il croisait. Il avait passé une grande partie de son existence attaché à ces valeurs familiales qui l’obligeaient à fréquenter des personnes qu’il jugeait inintéressantes et somme toute ridicules. Comment en aurait-il pu être autrement ? Son rang lui apportait cette puissance que tout le monde redoutait. Il se savait entouré d’envieux. Seul Marc pouvait se flatter de partager son amitié. La solitude l’avait accompagné de longues années. Malgré les voyages, les nouvelles rencontres, il se sentait incapable de briser le silence dont il s’entourait, comme pour se protéger. De retour à Stiverley, il n’avait qu’une hâte : se précipiter auprès du vénérable chêne et se laisser porter, doucement, par cette sensation de béatitude qui l’envahissait. Et si la solitude aujourd’hui lui était fidèle, puisqu’il avait su s’y prendre pour se lier à elle, comment en réchapper ? Saura t-il arrêter son mal ? Pourrait-il connaître ce doux sentiment confiant d’une guérison parfaite ? Si seulement Laura se montrait plus à même de le comprendre et arrêtait de le considérer comme le dernier des hommes. Si seulement il arrivait à lui parler sans risquer toujours un affrontement ou pire, une indifférence glaciale.

Laura.

Il revoyait son visage, ses yeux lumineux, son opulente chevelure auburn qui magnifiait l’ensemble. Elle était irrésistible et il sentait l’importance qu’elle avait pris dans sa vie. Pourtant, il avait voulu combattre ses sentiments, avait essayé de les réprimer. Mais il ne pouvait s’empêcher de penser à elle. Son émotion le gênait. Il n’avait jamais voulu connaître cette dépendance que l’amour engendrait. Il s’était toujours senti libre, heureux de vivre tel qu’il le désirait, sans attaches. Et voilà que maintenant la solitude lui semblait pesante. Il avait suffi d’un regard pour l’anéantir et pour lui faire réaliser que sa vie n’aurait plus le même sens sans Laura à ses côtés. Dieu, que ceci était étrange ! En avait-il rencontré des femmes ! Ne les avait-il pas toutes méprisées, leur trouvant une quelconque imperfection qui toujours réussissait à les éloigner de lui avec une facilité déconcertante ? Il se dit alors qu'il était capable d'en faire autant pour Laura. Il lui fallait trouver cette imperfection, dans les plus brefs délais, avant que son cœur ne s’épuise en battements désordonnés, en tiraillements incessants et douloureux.

Etait-ce un simple attrait physique ? Sa beauté le transportait.

Mais plus encore, la façon qu’elle avait de le regarder, sa voix toute à la fois douce et cassante, les paroles dures qu’elle lui lançait à toute occasion. Il fallait se rendre à l’évidence ; elle ne possédait pas ce raffinement des demoiselles de la haute société qui savaient se comporter de façon discrète. Laura était beaucoup trop virulente, ne savait pas se taire lorsque la situation l’ordonnait mais… c’était cela qui l’avait séduit.

Décidément, il fallait trouver autre chose.

Voyons, que pouvait-il lui reprocher ?

Son caractère buté que rien ne semblait abattre ?

Ses moqueries, son ironie, sa fâcheuse tendance à le pousser à bout ? Ou son sourire narquois qui s’accompagnait toujours d’une lueur pétillante dans son regard.

Le soleil qui illuminait sa chevelure rouge, la brume qui rehaussait son teint brillant, sa démarche, ses vêtements…

A chaque nouvelle tentative pour se persuader d’une imperfection, Vinsley se sentait encore plus mal qu’auparavant.

Tous ces détails ne lui apportaient qu’un déchirement plus intense et les différentes énumérations ne faisaient que l’émouvoir davantage. Juste Ciel ! Pourquoi lui plaisait-elle tant ?