La philosophie de Spinoza est une « logique ». La nature et les règles de cette logique font l’objet de la méthode. La question de savoir si la méthode et la logique du Traité de la réforme sont tout entières conservées dans l’Éthique est une question importante ; mais elle ne peut être résolue que par l’examen du Traité lui-même. Or celui-ci nous présente deux parties distinctes. La première partie concerne le but de la méthode ou de la philosophie, le but final de la pensée : elle porte en principe sur la forme de l’idée vraie1. La seconde partie concerne surtout les moyens d’atteindre ce but ; elle porte sur le contenu de l’idée vraie2. La première partie anticipe nécessairement sur la seconde, comme le but prédétermine les moyens grâce auxquels on l’atteint. C’est chacun de ces points qu’il faut analyser.
Le but de la philosophie ou la première partie de la méthode ne consistent pas à nous faire connaître quelque chose ; mais à nous faire connaître notre puissance de comprendre. Non pas nous faire connaître la Nature, mais nous faire concevoir et acquérir une nature humaine supérieure3. C’est dire que la méthode, sous son premier aspect, est essentiellement réflexive : elle consiste dans la seule connaissance de l’entendement pur, de sa nature, de ses lois et de ses forces4. « La méthode n’est rien d’autre que la connaissance réflexive ou l’idée de l’idée »5. À cet égard, on ne verra nulle différence entre l’Éthique et le Traité de la réforme. L’objet de la méthode est aussi bien le but final de la philosophie. Le livre V de l’Éthique décrit ce but, non pas comme la connaissance de quelque chose, mais comme la connaissance de notre puissance de comprendre ou de notre entendement ; on en déduit les conditions de la béatitude, comme pleine effectuation de cette puissance. D’où le titre du livre V : De potentia intellectus seu de libertate humana.
« Puisque la méthode est la connaissance réflexive elle-même, ce principe qui doit diriger nos pensées ne peut être rien d’autre que la connaissance de ce qui constitue la forme de la vérité6. » En quoi consiste ce rapport de la forme et de la réflexion ? La connaissance réflexive est l’idée de l’idée. Nous avons vu que l’idée de l’idée se distinguait de l’idée, pour autant que nous rapportions celle-ci dans son être formel à la puissance d’exister, celle-là dans son être objectif à la puissance de penser. Mais, d’un autre point de vue, l’idée prise dans son être formel se rapporte déjà à la puissance de penser. En effet, l’être formel de l’idée, c’est son existence dans l’attribut pensée. Or cet attribut n’est pas seulement un genre d’existence, c’est aussi la condition sous laquelle on rapporte à quelque chose une puissance de penser, de comprendre ou de connaître. Dieu sous l’attribut pensée a une puissance absolument infinie de penser. Une idée dans l’attribut pensée a une puissance déterminée de connaître ou de comprendre. La puissance de comprendre qui appartient à une idée, c’est la puissance de penser de Dieu lui-même, en tant qu’elle « s’explique » par cette idée. On voit donc que l’idée de l’idée, c’est l’idée considérée dans sa forme, en tant qu’elle possède une puissance de comprendre ou de connaître (comme partie de la puissance absolue de penser). En ce sens, forme et réflexion s’impliquent.
La forme est donc toujours forme d’une idée que nous avons. Encore faut-il préciser : il n’y a de forme que de la vérité. Si la fausseté avait une forme, il nous serait impossible de prendre le faux pour le vrai, donc de nous tromper7. La forme est donc toujours forme d’une idée vraie que nous avons. Il suffit d’avoir une idée vraie pour qu’elle se réfléchisse, et réfléchisse sa puissance de connaître ; il suffit de savoir pour savoir qu’on sait8. C’est pourquoi la méthode suppose qu’on ait une idée vraie quelconque. Elle suppose une « force innée » de l’entendement qui ne peut pas manquer, parmi toutes ses idées, d’en avoir une au moins qui soit vraie9. La méthode n’a nullement pour but de nous faire acquérir une telle idée, mais de nous faire « réfléchir » celle que nous avons, ou de nous faire comprendre notre puissance de connaître.
Mais en quoi consiste cette réflexion ? La forme ne s’oppose pas au contenu en général. L’être formel s’oppose à l’être objectif ou représentatif : l’idée de l’idée, c’est l’idée dans sa forme, indépendamment de l’objet qu’elle représente. En effet, comme tous les attributs, la pensée est autonome ; les modes de la pensée, les idées, sont donc automates. C’est dire qu’ils dépendent uniquement de l’attribut pensée dans leur être formel : ils sont considérés « sans relation à un objet10 ». La forme de l’idée s’oppose donc à son contenu objectif ou représentatif. Mais elle ne s’oppose nullement à un autre contenu que l’idée posséderait elle-même indépendamment de l’objet qu’elle représente. En fait, nous devons nous garder d’une double erreur concernant le contenu, mais aussi la forme de l’idée. Soit la définition de la vérité comme correspondance d’une idée et de son objet. Il est certain qu’elle ne nous apprend rien sur la forme de l’idée vraie : d’où pourrait-on savoir qu’une idée convient avec l’objet ? Mais elle ne nous apprend rien, non plus, sur le contenu de l’idée vraie ; car une idée vraie, d’après cette définition, n’aurait pas plus de réalité ou de perfection interne qu’une fausse11. La conception de la vérité comme correspondance ne nous donne aucune définition du vrai, ni matérielle ni formelle ; elle nous propose seulement une définition nominale, une dénomination extrinsèque. Or on pensera peut-être que « le clair et le distinct » nous donnent une meilleure détermination, c’est-à-dire une caractéristique interne du vrai tel qu’il est dans l’idée. En fait, il n’en est rien. Pris en eux-mêmes, le clair et le distinct portent bien sur le contenu de l’idée, mais seulement sur son contenu « objectif » ou « représentatif ». Ils portent également sur la forme, mais seulement sur la forme d’une « conscience psychologique » de l’idée. Ainsi ils nous permettent de reconnaître une idée vraie, précisément celle que la méthode suppose, mais ne nous donne aucune connaissance du contenu matériel de cette idée ni de sa forme logique. Bien plus, le clair et le distinct sont incapables de dépasser la dualité de la forme et du contenu. La clarté cartésienne n’est pas une, mais double ; Descartes nous invite lui-même à distinguer une évidence matérielle, qui serait comme la clarté et la distinction du contenu objectif de l’idée, et une évidence formelle, clarté qui porte sur la « raison » de notre croyance à l’idée12. C’est ce dualisme qui se prolongera dans la division cartésienne de l’entendement et de la volonté. Bref, il manque au cartésianisme, non seulement de concevoir le vrai contenu, comme contenu matériel, et la vraie forme, comme forme logique de l’idée, mais de s’élever jusqu’à la position de « l’automate spirituel » impliquant l’identité des deux.
Il y a un formalisme logique, qui ne se confond pas avec la forme de la conscience psychologique. Il y a un contenu matériel de l’idée, qui ne se confond pas avec un contenu représentatif. Il suffit d’accéder à cette vraie forme et à ce vrai contenu pour concevoir en même temps l’unité des deux : l’âme ou l’entendement comme « automate spirituel ». La forme, en tant que forme de vérité, ne fait qu’un avec le contenu de l’idée vraie quelconque : c’est en pensant le contenu d’une idée vraie que nous avons que nous réfléchissons l’idée dans sa forme, et que nous comprenons notre puissance de connaître. Dès lors, on voit pourquoi la méthode comporte une seconde partie, et pourquoi la première anticipe nécessairement sur cette seconde. La première partie de la méthode ou le but final concerne la forme de l’idée vraie, l’idée de l’idée ou l’idée réflexive. La seconde partie concerne le contenu de l’idée vraie, c’est-à-dire l’idée adéquate. Cette seconde partie est comme le moyen subordonné au but, mais aussi comme le moyen dont dépend la réalisation du but. Elle demande : En quoi consiste le contenu de l’idée, c’est-à-dire l’idée comme adéquate ?
L’idée vraie est, du point de vue de la forme, l’idée de l’idée ; et du point de vue de la matière, l’idée adéquate. De même que l’idée de l’idée se définit comme idée réflexive, l’idée adéquate se définit comme idée expressive. Le terme « adéquat », chez Spinoza, ne signifie jamais la correspondance de l’idée avec l’objet qu’elle représente ou désigne, mais la convenance interne de l’idée avec quelque chose qu’elle exprime. Qu’est-ce qu’elle exprime ? Considérons d’abord l’idée comme la connaissance de quelque chose. Elle n’est une vraie connaissance que dans la mesure où elle porte sur l’essence de la chose : elle doit « expliquer » cette essence. Mais elle n’explique l’essence que dans la mesure où elle comprend la chose par sa cause prochaine : elle doit « exprimer » cette cause même, c’est-à-dire « envelopper » la connaissance de la cause13. Tout est aristotélicien dans cette conception de la connaissance. Spinoza ne veut pas dire simplement que les effets connus dépendent des causes. Il veut dire à la manière d’Aristote que la connaissance d’un effet dépend elle-même de la connaissance de la cause. Mais ce principe aristotélicien se trouve renouvelé par l’inspiration paralléliste : que la connaissance aille ainsi de la cause à l’effet doit se comprendre comme la loi d’une pensée autonome, l’expression d’une puissance absolue dont toutes les idées dépendent. Il revient donc au même de dire que la connaissance de l’effet, prise objectivement, « enveloppe » la connaissance de la cause, ou que l’idée, prise formellement, « exprime » sa propre cause14. L’idée adéquate, c’est précisément l’idée comme exprimant sa cause. C’est en ce sens que Spinoza rappelle que sa méthode se fonde sur la possibilité d’enchaîner les idées les unes aux autres, l’une étant « cause complète » d’une autre15. Tant que nous en restons à une idée claire et distincte, nous n’avons que la connaissance d’un effet ; ou si l’on préfère, nous ne connaissons qu’une propriété de la chose16. Seule l’idée adéquate, en tant qu’expressive, nous fait connaître par la cause, ou nous fait connaître l’essence de la chose.
On voit dès lors en quoi consiste la seconde partie de la méthode. Nous sommes toujours supposés avoir une idée vraie, nous la reconnaissons à sa clarté. Mais, même si la « force innée » de l’entendement nous assure à la fois cette reconnaissance et cette possession, nous restons encore dans le simple élément du hasard (fortuna). Nous n’avons pas encore une idée adéquate. Tout le problème de la méthode devient celui-ci : Comment arracher au hasard nos pensées vraies ? C’est-à-dire : comment faire d’une pensée vraie une idée adéquate, qui s’enchaîne avec d’autres idées adéquates ? Nous partons donc d’une idée vraie. Nous avons même avantage, en fonction de notre dessein, à choisir une idée vraie, claire et distincte, qui dépende en toute évidence de notre puissance de penser, n’ayant aucun objet dans la nature, par exemple l’idée de sphère (ou de cercle)17. Cette idée, nous devons la rendre adéquate, donc la rattacher à sa propre cause. Il ne s’agit pas, comme dans la méthode cartésienne, de connaître la cause à partir de l’effet ; une telle démarche ne nous ferait rien connaître de la cause, sauf précisément ce que nous considérons dans l’effet. Il s’agit, au contraire, de comprendre la connaissance que nous avons de l’effet par une connaissance elle-même plus parfaite de la cause.
On objectera que, de toutes manières, nous partons d’un effet connu, c’est-à-dire d’une idée supposée donnée18. Mais nous n’allons pas des propriétés de l’effet à certaines propriétés de la cause, lesquelles seraient seulement comme des conditions nécessaires en fonction de cet effet. Partant de l’effet, nous déterminons la cause, serait-ce par « fiction », comme la raison suffisante de toutes les propriétés que nous concevons qu’il possède19. C’est en ce sens que nous connaissons par la cause, ou que la cause est mieux connue que l’effet. La méthode cartésienne est une méthode régressive et analytique. La méthode spinoziste est une méthode réflexive et synthétique : réflexive parce qu’elle comprend la connaissance de l’effet par la connaissance de la cause ; synthétique parce qu’elle engendre toutes les propriétés de l’effet à partir de la cause connue comme raison suffisante. Nous avons une idée adéquate dans la mesure où, de la chose dont nous concevons clairement certaines propriétés, nous donnons une définition génétique, d’où découlent au moins toutes les propriétés connues (et même d’autres que nous ne connaissions pas). On a souvent remarqué que les mathématiques chez Spinoza avaient exclusivement le rôle d’un tel processus génétique20. La cause comme raison suffisante est ce qui, étant donné, fait que toutes les propriétés de la chose le sont aussi, et, étant supprimé, fait que les propriétés le sont toutes également21. Nous définissons le plan par le mouvement de la ligne, le cercle par le mouvement d’une ligne dont une extrémité est fixe, la sphère par le mouvement d’un demi-cercle. Dans la mesure où la définition de la chose exprime la cause efficiente ou la genèse du défini, l’idée même de la chose exprime sa propre cause : nous avons fait de l’idée quelque chose d’adéquat. C’est en ce sens que Spinoza dit que la seconde partie de la méthode est d’abord une théorie de la définition : « Le point principal de toute cette seconde partie de la méthode se rapporte exclusivement à la connaissance des conditions d’une bonne définition22... »
D’après ce qui précède, la méthode spinoziste se distingue déjà de toute démarche analytique ; pourtant elle n’est pas sans une apparence régressive. La réflexion emprunte la même apparence que l’analyse, puisque nous « supposons » d’abord une idée, puisque nous partons de la connaissance supposée d’un effet. Nous supposons connues clairement certaines propriétés du cercle ; nous nous élevons jusqu’à la raison suffisante d’où toutes les propriétés découlent. Mais en déterminant la raison du cercle comme le mouvement d’une ligne autour d’une de ses extrémités nous n’atteignons pas encore une pensée qui serait formée par elle-même ou « absolument ». En effet, un tel mouvement n’est pas contenu dans le concept de ligne, il est lui-même fictif et réclame une cause qui le détermine. C’est pourquoi, si la seconde partie de la méthode consiste d’abord dans la théorie de la définition, elle ne se réduit pas à cette théorie. Un dernier problème se présente : Comment conjurer la supposition dont on est parti ? Par-là même, comment sortir d’un enchaînement fictif ? Comment construire le réel lui-même, au lieu d’en rester au niveau des choses mathématiques ou des êtres de raison ? Nous arrivons à la position d’un principe à partir d’une hypothèse ; mais il faut que le principe soit d’une nature telle qu’il s’affranchisse entièrement de l’hypothèse, qu’il se fonde lui-même et fonde le mouvement par lequel nous y arrivons ; il faut qu’il rende caduc, aussitôt que possible, le présupposé dont nous sommes partis pour le découvrir. La méthode spinoziste, dans son opposition à Descartes, pose un problème très analogue à celui de Fichte dans sa réaction contre Kant23.
Spinoza reconnaît qu’il ne peut pas immédiatement exposer « les vérités de la nature » dans l’ordre dû24. C’est-à-dire : il ne peut pas immédiatement enchaîner les idées comme elles doivent l’être pour que le Réel soit reproduit par la seule puissance de la pensée. On n’y verra pas une insuffisance de la méthode, mais une exigence de la méthode spinoziste, sa manière à elle de prendre du temps. Car, en revanche, Spinoza reconnaît aussi qu’il peut très vite arriver au principe absolu dont toutes les idées découlent dans l’ordre dû : la méthode ne sera parfaite que lorsque nous posséderons l’idée de l’Être parfait ; « dès le début donc il nous faudra veiller à ce que nous arrivions le plus rapidement possible à la connaissance d’un tel être ». Il faut que « nous commencions, aussitôt que faire se peut, par les premiers éléments, c’est-à-dire par la source et l’origine de la Nature » ; « conformément à l’ordre, et pour que toutes nos perceptions soient ordonnées et unifiées, il faut que, aussi rapidement que faire se peut et que la raison l’exige, nous recherchions s’il y a un Être, et aussi quel il est, qui soit la cause de toutes choses, afin que son essence objective soit aussi la cause de toutes nos idées25 ». Il arrive que les interprètes déforment ces textes. Il arrive aussi qu’on les explique comme s’ils se rapportaient à un moment imparfait dans la pensée de Spinoza. Il n’en est pas ainsi : qu’on ne puisse pas partir de l’idée de Dieu, qu’on ne puisse pas dès le début s’installer en Dieu, est une constante du spinozisme. Les différences de l’Éthique avec le Traité de la réforme sont réelles, mais elles ne portent pas sur ce point (elles porteront seulement sur les moyens utilisés pour arriver le plus vite possible à l’idée de Dieu).
Quelle est la théorie du Traité de la réforme ? Si nous considérons une régression à l’infini, c’est-à-dire un enchaînement infini de choses qui n’existent pas par leur propre nature ou dont les idées ne sont pas formées par elles-mêmes, nous reconnaissons que le concept de cette régression n’a rien d’absurde. Mais en même temps, et c’est là le vrai sens de la preuve a posteriori classique, il serait absurde de ne pas reconnaître ceci : que les choses qui n’existent pas par leur nature sont déterminées à exister (et à produire leur effet) par une chose qui, elle, existe nécessairement et produit ses effets par soi. C’est toujours Dieu qui détermine une cause quelconque à produire son effet ; aussi bien Dieu n’est-il jamais, à proprement parler, cause « lointaine » ou « éloignée »26. Nous ne partons donc pas de l’idée de Dieu, mais nous y arrivons très vite, dès le début de la régression ; sinon, nous ne pourrions même pas comprendre la possibilité d’une série, son efficience et son actualité. Peu importe, dès lors, que nous passions par une fiction. Et même, il peut être avantageux d’invoquer une fiction pour arriver le plus vite possible à l’idée de Dieu sans tomber dans les pièges d’une régression infinie. Par exemple, nous concevons la sphère, nous formons une idée à laquelle aucun objet ne correspond dans la nature. Nous l’expliquons par le mouvement du demi-cercle : cette cause est bien fictive, puisqu’il n’y a rien dans la nature qui soit produit de cette façon ; elle n’en est pas moins une « perception vraie », mais dans la mesure où elle est jointe à l’idée de Dieu comme au principe qui détermine idéalement le demi-cercle à se mouvoir, c’est-à-dire qui détermine cette cause à produire l’idée de sphère.
Or tout change dès que nous arrivons ainsi à l’idée de Dieu. Car cette idée, nous la formons par elle-même et absolument. « S’il y a un Dieu ou quelque être omniscient, il ne peut former absolument aucune fiction27. » À partir de l’idée de Dieu, nous déduisons toutes les idées les unes des autres dans « l’ordre dû ». Non seulement l’ordre est maintenant celui d’une synthèse progressive ; mais, prises dans cet ordre, les idées ne peuvent plus consister en êtres de raison, et excluent toute fiction. Ce sont nécessairement des idées de « choses réelles ou vraies », des idées auxquelles correspond quelque chose dans la nature28. À partir de l’idée de Dieu, la production des idées est en elle-même une reproduction des choses de la nature ; l’enchaînement des idées n’a pas à copier l’enchaînement des choses, il reproduit automatiquement cet enchaînement, dans la mesure où les idées sont produites, elles-mêmes et pour leur compte, à partir de l’idée de Dieu29.
Il est certain que les idées « représentent » quelque chose, mais précisément, elles ne représentent quelque chose que parce qu’elles « expriment » leur propre cause, et expriment l’essence de Dieu qui détermine cette cause. Toute les idées, dit Spinoza, expriment ou enveloppent l’essence de Dieu, et, en tant que telles, sont des idées de choses réelles ou vraies30. Nous ne sommes plus dans le processus régressif qui rattache une idée vraie à sa cause, même par fiction, pour s’élever aussi vite que possible à l’idée de Dieu : ce processus déterminait seulement en droit le contenu de l’idée vraie. Nous suivons maintenant une démarche progressive, excluant toute fiction, allant d’un être réel à un autre, déduisant les idées les unes des autres à partir de l’idée de Dieu : alors, les idées s’enchaînent conformément à leur contenu propre ; mais aussi leur contenu se trouve déterminé par cet enchaînement ; nous saisissons l’identité de la forme et du contenu, nous sommes certains que l’enchaînement des idées reproduit la réalité comme telle. Comment cette déduction se fait en détail, nous le verrons plus tard. Il nous suffit pour le moment de considérer que l’idée de Dieu, comme principe absolu, s’affranchit de l’hypothèse dont nous étions partis pour nous élever jusqu’à elle, et fonde un enchaînement des idées adéquates identique à la construction du réel. Donc la seconde partie de la méthode ne se contente pas d’une théorie de la définition génétique, mais doit s’achever dans la théorie d’une déduction productive.
La méthode de Spinoza comporte donc trois grands chapitres, chacun étroitement impliqué par les autres. La première partie de la méthode concerne la fin de la pensée : celle-ci consiste moins à connaître quelque chose qu’à connaître notre puissance de connaître. De ce point de vue, la pensée est considérée dans sa forme : la forme de l’idée vraie, c’est l’idée de l’idée ou l’idée réflexive. La définition formelle de la vérité est la suivante : l’idée vraie, c’est l’idée en tant qu’elle s’explique par notre puissance de connaître. La méthode, sous ce premier aspect, est elle-même réflexive.
La deuxième partie de la méthode concerne le moyen de réaliser cette fin : une idée vraie quelconque est supposée donnée, mais nous devons en faire une idée adéquate. L’adéquation constitue la matière du vrai. La définition de l’idée adéquate (définition matérielle de la vérité) se présente ainsi : l’idée en tant qu’elle exprime sa propre cause, et en tant qu’elle exprime l’essence de Dieu comme déterminant cette cause. L’idée adéquate, c’est donc l’idée expressive. Sous ce second aspect, la méthode est génétique : on détermine la cause de l’idée comme la raison suffisante de toutes les propriétés de la chose. C’est cette partie de la méthode qui nous mène à la plus haute pensée, c’est-à-dire qui nous conduit le plus vite possible à l’idée de Dieu.
La seconde partie s’achève dans un troisième et dernier chapitre, qui concerne l’unité de la forme et du contenu, du but et du moyen. Il en est chez Spinoza comme chez Aristote, où la définition formelle et la définition matérielle en général morcellent l’unité réelle d’une définition complète. Entre l’idée et l’idée de l’idée, il n’y a qu’une distinction de raison : l’idée réflexive et l’idée expressive sont une seule et même chose en réalité.
Comment comprendre cette unité dernière ? Jamais une idée n’a pour cause l’objet qu’elle représente ; au contraire, elle représente un objet parce qu’elle exprime sa propre cause. Il y a donc un contenu de l’idée, contenu expressif et non représentatif, qui renvoie seulement à la puissance de penser. Mais la puissance de penser est ce qui constitue la forme de l’idée comme telle. L’unité concrète des deux se manifeste quand toutes les idées se déduisent les unes des autres, matériellement à partir de l’idée de Dieu, formellement sous la seule puissance de penser. De ce point de vue, la méthode est déductive : la forme, comme forme logique, et le contenu, comme contenu expressif, se réunissent dans l’enchaînement des idées. On remarquera combien Spinoza insiste sur cette unité dans l’enchaînement. Au moment même où il dit que la méthode ne se propose pas de nous faire connaître quelque chose mais de nous faire connaître notre puissance de comprendre, il ajoute que nous ne connaissons celle-ci que dans la mesure où nous connaissons le plus de choses possible liées les unes aux autres31. Inversement, quand il montre que nos idées sont causes les unes des autres, il en conclut que toutes ont pour cause notre puissance de comprendre ou de penser32. Mais surtout, le terme « automate spirituel » témoigne de l’unité. L’âme est une espèce d’automate spirituel, c’est-à-dire : En pensant nous n’obéissons qu’aux lois de la pensée, lois qui déterminent à la fois la forme et le contenu de l’idée vraie, qui nous font enchaîner les idées d’après leurs propres causes et suivant notre propre puissance, si bien que nous ne connaissons pas notre puissance de comprendre sans connaître par les causes toutes les choses qui tombent sous cette puissance33.
En quel sens l’idée de Dieu est-elle « vraie » ? On ne dira pas d’elle qu’elle exprime sa propre cause : formée absolument, c’est-à-dire sans l’aide d’autres idées, elle exprime l’infini. C’est donc à propos de l’idée de Dieu que Spinoza déclare : « La forme de la pensée vraie doit résider dans cette pensée même, sans aucun rapport avec d’autres pensées34. » Il peut paraître étrange, cependant, que Spinoza ne réserve pas l’application d’un tel principe à l’idée de Dieu, mais l’étende à toutes les pensées. Au point qu’il ajoute : « Il ne faut pas dire que la différence (du vrai et du faux) provient de ce que la pensée vraie consiste à connaître les choses par leurs causes premières, en quoi certes elle différerait déjà beaucoup de la fausse. » Nous croyons que ce texte obscur doit s’interpréter ainsi : Spinoza reconnaît que la connaissance vraie se fait par la cause, mais il estime qu’il n’y a là encore qu’une définition matérielle du vrai. L’idée adéquate, c’est l’idée comme exprimant la cause ; mais nous ne savons pas encore ce qui constitue la forme du vrai, ce qui donne de la vérité même une définition formelle. Là comme ailleurs, nous ne devons pas confondre absolument ce qui s’exprime et l’exprimé : l’exprimé, c’est la cause, mais ce qui s’exprime, c’est toujours notre puissance de connaître ou de comprendre, la puissance de notre entendement. C’est pourquoi Spinoza dit : « Ce qui constitue la forme de la pensée vraie doit être cherché dans cette pensée même et être déduit de la nature de l’entendement35. » C’est pourquoi aussi il dira que le troisième genre de connaissance n’a pas d’autre cause formelle que l’âme ou l’entendement lui-même36. Il en est de même de l’idée de Dieu : l’exprimé, c’est l’infini, mais ce qui s’exprime est la puissance absolue de penser. Il fallait donc joindre le point de vue de la forme à celui de la matière, pour concevoir finalement l’unité concrète des deux telle que la manifeste l’enchaînement des idées. C’est seulement de cette façon que nous parvenons à la définition complète du vrai, et que nous comprenons le phénomène total de l’expression dans l’idée. Non seulement l’idée de Dieu mais toutes les idées s’expliquent formellement par la puissance de penser. Le contenu de l’idée se réfléchit dans la forme, exactement comme l’exprimé se rapporte ou s’attribue à ce qui s’exprime. C’est en même temps que toutes les idées découlent matériellement de l’idée de Dieu, et formellement de la puissance de penser : leur enchaînement traduit l’unité des deux dérivations.
Nous n’avons une puissance de connaître, de comprendre ou de penser que dans la mesure où nous participons à la puissance absolue de penser. Ce qui implique à la fois que notre âme est un mode de l’attribut pensée, et une partie de l’entendement infini. Ces deux points concernent et renouvellent un problème classique : Quelle est la nature de notre idée de Dieu ? Selon Descartes, par exemple, nous ne « comprenons » pas Dieu, mais nous n’en avons pas moins une idée claire et distincte ; car nous « entendons » l’infinité, ne serait-ce que négativement, et nous « concevons » la chose infinie de façon positive, ne serait-ce que partiellement. Notre connaissance de Dieu n’est donc limitée que de deux façons : parce que nous ne connaissons pas Dieu tout entier, parce que nous ne savons pas comment ce que nous connaissons de lui se trouve compris dans son éminente unité37. Il n’est certes pas question de dire que Spinoza supprime toute limitation. Mais, bien qu’il s’exprime parfois d’une manière proche de celle de Descartes, il interprète les limites de notre connaissance dans un contexte entièrement nouveau.
D’une part, la conception cartésienne présente ce mélange de négation et d’affirmation qu’on retrouve toujours dans les méthodes d’analogie (on se rappelle les déclarations explicites de Descartes contre l’univocité). Chez Spinoza, au contraire, la critique radicale de l’éminence, la position de l’univocité des attributs, ont une conséquence immédiate : notre idée de Dieu n’est pas seulement claire et distincte, mais adéquate. En effet, les choses que nous connaissons de Dieu appartiennent à Dieu sous cette même forme où nous les connaissons, c’est-à-dire sous une forme commune à Dieu qui les possède et aux créatures qui les impliquent et les connaissent. Il n’en reste pas moins que, chez Spinoza comme chez Descartes, nous ne connaissons qu’une partie de Dieu : nous ne connaissons que deux de ces formes, deux attributs seulement, puisque notre corps n’implique rien d’autre que l’attribut étendue, notre idée, rien d’autre que l’attribut pensée. « Et par suite l’idée du corps enveloppe la connaissance de Dieu en tant seulement qu’il est considéré sous l’attribut de l’étendue... et par suite l’idée de cette idée enveloppe la connaissance de Dieu en tant qu’il est considéré sous l’attribut de la pensée et non sous un autre38. » Bien plus, chez Spinoza, l’idée même de parties de Dieu est mieux fondée que chez Descartes, l’unité divine étant parfaitement conciliée avec une distinction réelle entre attributs.
Pourtant, même sur ce second point, la différence entre Descartes et Spinoza reste fondamentale. Car, avant de connaître une partie de Dieu, notre âme est elle-même « une partie de l’entendement infini de Dieu » : nous n’avons en effet de puissance de comprendre ou de connaître que dans la mesure où nous participons à la puissance absolue de penser qui correspond à l’idée de Dieu. Dès lors, il suffit qu’il y ait quelque chose de commun au tout et à la partie pour que ce quelque chose nous donne de Dieu une idée, non seulement claire et distincte, mais adéquate39. Cette idée qui nous est donnée n’est pas l’idée de Dieu tout entière. Elle est pourtant adéquate, parce qu’elle est dans la partie comme dans le tout. On ne s’étonnera donc pas qu’il arrive à Spinoza de dire que l’existence de Dieu ne nous est pas connue par elle-même : il veut dire que cette connaissance nous est nécessairement donnée par des « notions communes », sans lesquelles elle ne serait même pas claire et distincte, mais grâce auxquelles elle est adéquate40. Quand Spinoza rappelle au contraire que Dieu se fait connaître immédiatement, qu’il est connu par lui-même et non par autre chose, il veut dire que la connaissance de Dieu n’a besoin ni de signes, ni de procédés analogiques : cette connaissance est adéquate parce que Dieu possède toutes les choses que nous connaissons lui appartenir, et les possède sous la forme même où nous les connaissons41. Quel rapport y a-t-il entre ces notions communes qui nous donnent la connaissance de Dieu et ces formes elles-mêmes communes ou univoques sous lesquelles nous connaissons Dieu ? Nous devons encore remettre à plus tard cette dernière analyse : elle déborde les limites du problème de l’adéquation.
1. Cf. TRE, 39 : Una methodi pars ; 106 : Praecipua nostrae methodi pars. Suivant les déclarations de Spinoza, l’exposé de cette première partie se termine en 91-94.
2. TRE, 91 : Secundam partem. Et 94.
3. TRE, 37 (et 13 : Naturam aliquam humanam sua multo firmiorem).
4. TRE, 106 : Vires et potentiam intellectus. Lettre 37, à Bouwmeester (III, p. 135) : « On voit clairement quelle doit être la vraie méthode, et en quoi elle consiste essentiellement, à savoir dans la seule connaissance de l’entendement pur, de sa nature et de ses lois. »
5. TRE, 38.
6. TRE, 105.
7. Cf. É, II, 33, dem.
8. É, II, 43, prop. (Ce texte se concilie parfaitement avec celui du Traité de la Réforme, 34-35, selon lequel, inversement, il n’est pas besoin de savoir qu’on sait pour savoir.)
9. TRE, 33 : « L’idée vraie, car nous avons une idée vraie... » ; 39 : « Avant toute chose doit exister en nous une idée vraie, comme instrument inné... » Cette idée vraie supposée par la méthode ne pose pas de problème particulier : nous l’avons et la reconnaissons par la « force innée de l’entendement » (TRE, 31) c’est pourquoi Spinoza peut dire que la méthode n’exige rien d’autre qu’une « toute petite connaissance de l’esprit » (mentis historialam), du genre de celle qu’enseigne Bacon : cf. Lettre 37, à Bouwmeester (III, p. 135).
10. É, II, 21 sc.
11. Cf. CT, II, ch. 15, 2.
12. Dans ses Réponses aux secondes objections, Descartes présente un principe général : « Il faut distinguer entre la matière ou la chose à laquelle nous donnons notre créance, et la raison formelle qui meut notre volonté à la donner » (AT, IX, p. 115). Ce principe explique selon Descartes que la matière étant obscure (matière de religion), nous n’en ayons pas moins une raison claire de donner notre adhésion (lumière de la grâce). Mais il s’applique aussi dans le cas de la connaissance naturelle : la matière claire et distincte ne se confond pas avec la raison formelle, elle-même claire et distincte, de notre croyance (lumière naturelle).
13. La définition (ou le concept) explique l’essence et comprend la cause prochaine : TRE, 95-96. Elle exprime la cause efficiente : Lettre 60, à Tschirnhaus (III, p. 200). La connaissance de l’effet (idée) enveloppe la connaissance de la cause : É, I, axiome 4, et II, 7, dem.
14. TRE, 92 : « La connaissance de l’effet consiste exclusivement à acquérir une connaissance plus parfaite de la cause. »
15. Lettre 37, à Bouwmeester (III, p. 135). Telle est la concatenatio intellectus (TRE, 95).
16. TRE, 19 et 21 (sur cette insuffisance de l’idée claire et distincte, cf. chapitre suivant).
17. TRE, 72.
18. Par exemple nous avons l’idée du cercle comme d’une figure dont tous les rayons sont égaux : ce n’est que l’idée claire d’une « propriété » du cercle (TRE, 95). De même dans la recherche finale d’une définition de l’entendement, nous devons partir des propriétés de l’entendement clairement connues : TRE, 106-110. Tel est, nous l’avons vu, le requisit de la méthode.
19. Ainsi, à partir du cercle comme figure aux rayons égaux, nous formons la fiction d’une cause, à savoir qu’une ligne droite se meut autour d’une de ses extrémités : fingo ad libitum (TRE, 72).
20. Ce qui intéresse Spinoza dans les mathématiques n’est nullement la géométrie analytique de Descartes mais la méthode synthétique d’Euclide et les conceptions génétiques de Hobbes : Cf. LEWIS ROBINSON, Kommentar zu Spinozas Ethik, Leipzig, 1928, pp. 270-273.
21. TRE, 110.
22. TRE, 94.
23. Fichte, non moins que Kant, part d’une « hypothèse ». Mais, contrairement à Kant, il prétend arriver à un principe absolu qui fait disparaître l’hypothèse de départ : ainsi, dès que le principe est découvert, le donné doit faire place à une construction du donné, le « jugement hypothétique » à un « jugement thétique », l’analyse à une genèse. M. Guéroult dit fort bien : « À quelque moment que ce soit, [La Doctrine de la science] affirme toujours que, le principe devant valoir à lui seul, la méthode analytique ne doit pas poursuivre d’autre fin que sa propre suppression ; elle entend donc bien que toute l’efficacité doit rester à la seule méthode constructive. » (L’Évolution et la structure de la Doctrine de la science chez Fichte, Les Belles-Lettres, 1930, t. I, p. 174.)
24. Spinoza a invoqué « l’ordre dû » (debito ordine) TRE, 44. En 46, il ajoute : « Si par hasard quelqu’un demande pourquoi moi-même n’ai pas tout d’abord et avant tout exposé dans cet ordre les vérités de la Nature, une fois dit que la vérité se manifeste elle-même, je lui réponds, et en même temps lui conseille... de bien vouloir d’abord considérer l’ordre de notre démonstration. » [La plupart des traducteurs supposent qu’il y a une lacune dans ce dernier texte. Et ils considèrent que Spinoza se fait à lui-même une « objection pertinente ». Ils considèrent que, plus tard, dans l’Éthique, Spinoza aurait trouvé le moyen d’exposer les vérités « dans l’ordre dû » (Cf. KOYRÉ, trad. du TRE, Vrin, p. 105). Il ne nous semble pas qu’il y ait la moindre lacune : Spinoza dit qu’il ne peut pas dès le début suivre l’ordre dû, parce que cet ordre ne peut être atteint qu’à un certain moment dans l’ordre des démonstrations. Et loin que l’Éthique corrige ce point, elle le maintient rigoureusement, comme nous le verrons au chapitre XVIII.]
25. TRE, 49, 75, 99. [Dans ce dernier texte aussi, beaucoup de traducteurs déplacent et ratio postulat pour le faire porter sur l’ensemble de la phrase.]
26. É, I, 26, prop.
27. TRE, 54.
28. Cf. É, V, 30, dem. : « ... Concevoir les choses en tant qu’elles se conçoivent par l’essence de Dieu comme des êtres réels. »
29. TRE, 42.
30. É, II, 45, prop. : « Toute idée de quelque corps ou de chose singulière existant en acte enveloppe nécessairement l’essence éternelle et infinie de Dieu. » (Dans le scolie, et aussi dans le scolie de V, 29, Spinoza précise que les choses existant en acte désignent ici les choses comme « vraies ou réelles » telles qu’elles découlent de la nature divine, leurs idées sont donc les idées adéquates.)
31. TRE, 40-41.
32. Lettre 37 à Bouwmeester (III, p. 135).
33. L’« automate spirituel » apparaît en TRE, 85. Leibniz pour son compte, qui n’emploie pas l’expression avant le Système nouveau de 1695, semble bien l’emprunter à Spinoza. Et malgré la différence des deux interprétations, l’automate spirituel a un aspect commun chez Leibniz et chez Spinoza : il désigne la nouvelle forme logique de l’idée, le nouveau contenu expressif de l’idée, et l’unité de cette forme et de ce contenu.
34. Cf. TRE, 70-71.
35. TRE, 71.
36. É, V, 31, prop.
37. Sur la distinction entre l’infinité (entendue négativement) et la chose infinie (conçue positivement, mais non pas entièrement), cf. DESCARTES, Réponses aux premières objections, AT, IX, p. 90. La distinction cartésienne des quatrièmes réponses, entre conception complète et conception entière s’applique aussi dans une certaine mesure au problème de la connaissance de Dieu : la Méditation IV parlait de l’idée de Dieu comme celle d’un « être complet » (AT, IX, p. 42), bien que nous n’en ayons pas une connaissance entière.
38. Lettre 64, à Schuller (III, p. 205).
39. É, II, 46, dem. : « Ce qui donne la connaissance de l’essence éternelle et infinie de Dieu est commun à toutes choses et est également dans la partie et dans le tout ; par conséquent cette connaissance sera adéquate. »
40. TTP, ch. 6 (II, p. 159) : « L’existence de Dieu, n’étant pas connue par elle-même, doit nécessairement se conclure de notions dont la vérité soit si ferme et inébranlable... » et la note 6 du TTP (II, p. 315) rappelle que ces notions sont les notions communes.
41. Cf. CT, II, ch. 24, 9-13.