CHAPITRE XIX

BÉATITUDE

Le premier genre de connaissance a seulement pour objet les rencontres entre parties, d’après leurs déterminations extrinsèques. Le second genre s’élève jusqu’à la composition des rapports caractéristiques. Mais seul le troisième genre concerne les essences éternelles : connaissance de l’essence de Dieu, et des essences particulières telles qu’elles sont en Dieu et sont conçues par Dieu. (Ainsi, dans les trois genres de connaissance, nous retrouvons les trois aspects de l’ordre de la Nature : ordre des passions, ordre de composition des rapports, ordre des essences elles-mêmes.) Or les essences ont plusieurs caractères. D’abord, elles sont particulières, donc irréductibles les unes aux autres : chacune est un être réel, une res physica, un degré de puissance ou d’intensité. C’est pourquoi Spinoza peut opposer le troisième genre au second, en disant que le second genre nous montre en général que toutes les choses qui existent dépendent de Dieu, mais que seul le troisième genre nous fait comprendre la dépendance de telle essence en particulier1. Pourtant, d’autre part, chaque essence convient avec toutes les autres. C’est que toutes les essences sont comprises dans la production de chacune. Il ne s’agit plus de convenances relatives, plus ou moins générales, entre modes existants, mais d’une convenance à la fois singulière et absolue de chaque essence avec toutes les autres2. Dès lors, l’esprit ne connaît pas une essence, c’est-à-dire une chose sous l’espèce de l’éternité, sans être déterminé à connaître encore plus de choses et à désirer en connaître de plus en plus3. Enfin, les essences sont expressives : non seulement chaque essence exprime toutes les autres dans le principe de sa production, mais elle exprime Dieu comme ce principe lui-même qui contient toutes les essences et dont chacune dépend en particulier. Chaque essence est une partie de la puissance de Dieu, donc est conçue par l’essence même de Dieu, mais en tant que l’essence de Dieu s’explique par cette essence4.

La connaissance suprême comprend donc trois données. Une idée adéquate de nous-mêmes ou de notre propre essence (idée qui exprime l’essence de notre corps sous l’espèce de l’éternité) : chacun forme l’idée de sa propre essence, et c’est à cette idée que Spinoza pense lorsqu’il dit que le troisième genre montre comment une essence en particulier dépend de Dieu5. Une idée adéquate du plus grand nombre de choses possibles, toujours dans leur essence ou sous l’espèce de l’éternité. Une idée adéquate de Dieu, en tant que Dieu contient toutes les essences, et les comprend toutes dans la production de chacune (donc dans la production de la nôtre en particulier).

Le moi, les choses et Dieu sont les trois idées du troisième genre. En découlent des joies, un désir et un amour. Les joies du troisième genre sont des joies actives : en effet, elles s’expliquent par notre propre essence et « s’accompagnent » toujours de l’idée adéquate de cette essence. Tout ce que nous comprenons sous le troisième genre, y compris l’essence des autres choses et celle de Dieu, nous le comprenons du fait que nous concevons notre essence (l’essence de notre corps) sous l’espèce de l’éternité6. C’est en ce sens que le troisième genre n’a pas d’autre cause formelle que notre puissance d’agir ou de comprendre, c’est-à-dire la puissance de penser de Dieu lui-même en tant qu’elle s’explique par notre propre essence7. Dans le troisième genre, toutes les idées ont pour cause formelle notre puissance de comprendre. Toutes les affections qui suivent de ces idées sont donc par nature des affections actives, des joies actives8. Il faut concevoir que l’essence de Dieu affecte la mienne, et que les essences s’affectent les unes les autres ; mais il n’y a pas d’affections d’une essence qui ne s’expliquent formellement par cette essence elle-même, donc qui ne s’accompagnent de l’idée de soi comme cause formelle ou de la considération de la puissance d’agir.

De cette joie découlant de l’idée adéquate de nous-mêmes naît un désir, désir de connaître toujours plus de choses dans leur essence ou sous l’espèce de l’éternité. Mais, surtout, naît un amour. Car, dans le troisième genre, l’idée de Dieu à son tour est comme la cause matérielle de toutes les idées. Toutes les essences expriment Dieu comme ce par quoi elles sont conçues : l’idée de ma propre essence représente ma puissance d’agir, mais ma puissance d’agir n’est que la puissance de Dieu lui-même en tant qu’elle s’explique par mon essence. Il n’y a donc pas de joie du troisième genre qui ne s’accompagne de l’idée de Dieu comme cause matérielle : « Du troisième genre de connaissance naît nécessairement l’Amour intellectuel de Dieu ; car de ce genre de connaissance naît la joie qu’accompagne l’idée de Dieu en tant que cause9. »

 

Or, comment les joies actives du troisième genre se distinguent-elles de celles du second ? Les joies du second genre sont déjà actives, parce qu’elles s’expliquent par une idée adéquate que nous avons. Elles s’expliquent donc par notre puissance de comprendre ou d’agir. Elles impliquent que nous ayons la possession formelle de cette puissance. Mais bien que celle-ci ne paraisse plus susceptible d’augmentation, lui manque encore une certaine qualité, nuance qualitative individuelle qui correspond au degré de puissance ou d’intensité de notre essence propre. En effet, tant que nous en restons au second genre de connaissance, l’idée adéquate que nous avons n’est pas encore une idée de nous-mêmes, de notre essence, de l’essence de notre corps. Cette restriction paraîtra importante si l’on se rappelle quel est le point de départ du problème de la connaissance : nous n’avons pas immédiatement l’idée adéquate de nous-mêmes ou de notre corps parce que celle-ci n’est en Dieu qu’en tant qu’il est affecté par des idées d’autres corps ; nous ne connaissons donc notre corps que par des idées d’affections, nécessairement inadéquates, et nous ne nous connaissons nous-mêmes que par les idées de ces idées ; quant aux idées de corps extérieurs, quant à l’idée de notre propre corps ou de notre propre esprit, nous ne les avons pas, dans les conditions immédiates de notre existence. Or le second genre de connaissance nous donne bien des idées adéquates ; mais ces idées sont seulement celles de propriétés communes à notre corps et à des corps extérieurs. Elles sont adéquates parce qu’elles sont dans la partie comme dans le tout et parce qu’elles sont en nous, dans notre esprit, comme elles sont dans les idées des autres choses. Mais elles ne constituent nullement une idée adéquate de nous-mêmes, ni une idée adéquate d’une autre chose10. Elles s’expliquent par notre essence, mais ne constituent pas elles-mêmes une idée de cette essence. Au contraire, avec le troisième genre de connaissance, nous formons des idées adéquates de nous-mêmes et des autres choses telles qu’elles sont en Dieu et sont conçues par Dieu. Les joies actives qui découlent des idées du troisième genre sont donc d’une autre nature que celles qui découlent des idées du deuxième. Et, plus généralement, Spinoza est en droit de distinguer deux formes d’activité de l’esprit, deux modes sous lesquels nous sommes actifs et nous nous sentons actifs, deux expressions de notre puissance de comprendre : « ... Il est de la nature de la raison de concevoir les choses sous une espèce d’éternité [second genre], et il appartient aussi à la nature de l’esprit de concevoir l’essence du corps sous une espèce d’éternité [troisième genre] ; et à part ces deux choses, rien d’autre n’appartient à l’essence de l’esprit11. »

Toutes les affections, passives ou actives, sont des affections de l’essence dans la mesure où elles remplissent le pouvoir d’être affecté dans lequel l’essence s’exprime. Mais les affections passives, tristesses ou joies, sont adventices puisqu’elles sont produites du dehors ; les affections actives, les joies actives sont innées parce qu’elles s’expliquent par notre essence ou notre puissance de comprendre12. Pourtant tout se passe comme si l’inné avait deux dimensions différentes, qui rendent compte des difficultés que nous éprouvons à le rejoindre ou à le retrouver. En premier lieu, les notions communes sont elles-mêmes innées, comme les joies actives qui en découlent. Ce qui ne les empêche pas de devoir être formées, et d’être formées plus ou moins facilement, donc d’être plus ou moins communes aux esprits. L’apparente contradiction disparaît, si l’on considère que nous naissons séparés de notre puissance d’agir ou de comprendre : nous devons, dans l’existence, conquérir ce qui appartient à notre essence. Précisément, nous ne pouvons former des notions communes, même les plus générales, que si nous trouvons un point de départ dans des passions joyeuses qui augmentent d’abord notre puissance d’agir. C’est en ce sens que les joies actives qui découlent des notions communes trouvent en quelque sorte leurs causes occasionnelles dans des affections passives de joie : innées en droit, elles n’en dépendent pas moins d’affections adventices comme de causes occasionnelles. Mais Dieu lui-même dispose immédiatement d’une puissance d’agir infinie qui n’est susceptible d’aucune augmentation. Dieu n’éprouve donc aucune passion, même joyeuse, pas plus qu’il n’a d’idées inadéquates. Mais se pose aussi la question de savoir si les notions communes, et les joies actives qui en découlent, sont en Dieu. Étant des idées adéquates, les notions communes sont bien en Dieu, mais seulement en tant qu’il a d’abord d’autres idées qui les comprennent nécessairement (ces autres idées seront pour nous celles du troisième genre)13. Si bien que jamais Dieu, ni le Christ qui est l’expression de sa pensée, ne pensent par notions communes. Les notions communes ne peuvent donc pas, en Dieu, servir de principes à des joies correspondantes à celles que nous éprouvons dans le second genre : Dieu est exempt de joies passives, mais il n’éprouve même pas les joies actives du second genre qui supposent une augmentation de la puissance d’agir comme cause occasionnelle. C’est pourquoi, d’après l’idée du second genre, Dieu n’éprouve aucun sentiment de joie14.

Les idées du troisième genre ne s’expliquent pas seulement par notre essence, elles consistent dans l’idée de cette essence elle-même et de ses relations (relation avec l’idée de Dieu, relations avec les idées des autres choses, sous l’espèce de l’éternité). À partir de l’idée de notre essence comme cause formelle, à partir de l’idée de Dieu comme cause matérielle, nous concevons toutes les idées telles qu’elles sont en Dieu. Sous le troisième genre de connaissance, nous formons des idées et des sentiments actifs qui sont en nous comme ils sont immédiatement et éternellement en Dieu. Nous pensons comme Dieu pense, nous éprouvons les sentiments mêmes de Dieu. Nous formons l’idée de nous-mêmes telle qu’elle est en Dieu, et au moins en partie nous formons l’idée de Dieu telle qu’elle est en Dieu lui-même : les idées du troisième genre constituent donc une dimension plus profonde de l’inné, et les joies du troisième genre sont les seules vraies affections de l’essence en elle-même. Sans doute avons-nous l’air d’arriver au troisième genre de connaissance15. Mais, ici, ce qui nous sert de cause occasionnelle, ce sont les notions communes elles-mêmes, donc quelque chose d’adéquat et d’actif. Le « passage » n’est plus qu’une apparence ; en vérité, nous nous retrouvons tels que nous sommes immédiatement et éternellement en Dieu. « L’esprit possède éternellement ces mêmes perfections que nous nous sommes figuré lui arriver16. » C’est pourquoi les joies qui suivent des idées du troisième genre sont les seules à mériter le nom de béatitude : ce ne sont plus des joies qui augmentent notre puissance d’agir, ni même des joies qui supposent encore une telle augmentation, ce sont des joies qui dérivent absolument de notre essence, telle qu’elle est en Dieu et est conçue par Dieu17.

Nous devons encore demander : Quelle est la différence entre l’idée de Dieu du second genre et celle du troisième ? L’idée de Dieu n’appartient au second genre que dans la mesure où elle est rapportée aux notions communes qui l’expriment. Et les conditions de notre connaissance sont telles que nous « arrivons » à l’idée de Dieu par les notions communes. Mais l’idée de Dieu n’est pas en elle-même une de ces notions. C’est elle, donc, qui nous fait sortir du second genre de connaissance et nous révèle un contenu indépendant : non plus des propriétés communes, mais l’essence de Dieu, mon essence et toutes les autres qui dépendent de Dieu. Or, tant que l’idée de Dieu se rapporte aux notions communes, elle représente un être souverain qui n’éprouve aucun amour, aucune joie. Mais, nous déterminant au troisième genre, elle reçoit elle-même de nouvelles qualifications qui correspondent à ce genre. Les joies actives que nous éprouvons dans le troisième genre de connaissance sont des joies que Dieu lui-même éprouve, parce que les idées dont elles suivent sont en nous comme elles sont éternellement et immédiatement en Dieu. On ne verra donc nulle contradiction entre les deux amours successivement décrites dans le livre V de l’Éthique : amour pour un Dieu qui ne peut pas nous aimer, puisqu’il n’éprouve aucune joie ; amour pour un Dieu lui-même joyeux, qui s’aime et nous aime du même amour que celui dont nous l’aimons. Il suffit, comme le contexte l’indique, de rapporter les premiers textes au second genre de connaissance, les autres au troisième genre18.

Procédant de l’idée de nous-mêmes telle qu’elle est en Dieu, nos joies actives sont une partie des joies de Dieu. Notre joie est la joie de Dieu lui-même en tant qu’il s’explique par notre essence. Et l’amour du troisième genre que nous éprouvons pour Dieu est « une partie de l’amour infini dont Dieu s’aime lui-même ». L’amour que nous éprouvons pour Dieu, c’est l’amour que Dieu éprouve pour soi en tant qu’il s’explique par notre propre essence, donc l’amour qu’il éprouve pour notre essence elle-même19. La béatitude ne désigne pas seulement la possession d’une joie active telle qu’elle est en Dieu, mais celle d’un amour actif tel qu’il est en Dieu20. En tout ceci, le mot partie doit toujours s’interpréter de manière explicative ou expressive : n’est pas une partie ce qui compose, mais ce qui exprime et explique. Notre essence est une partie de Dieu, l’idée de notre essence est une partie de l’idée de Dieu, mais pour autant que l’essence de Dieu s’explique par la nôtre. Et c’est dans le troisième genre que le système de l’expression trouve sa forme finale. La forme finale de l’expression, c’est l’identité de l’affirmation spéculative et de l’affirmation pratique, l’identité de l’Être et de la Joie, de la Substance et de la Joie, de Dieu et de la Joie. La joie manifeste le développement de la substance elle-même, son explication dans les modes et la conscience de cette explication. L’idée de Dieu n’est plus simplement exprimée par les notions communes en général, c’est elle qui s’exprime et s’explique dans toutes les essences suivant la loi de production qui leur est propre. Elle s’exprime dans chaque essence en particulier, mais chaque essence comprend toutes les autres essences dans sa loi de production. La joie que nous éprouvons est la joie que Dieu lui-même éprouve en tant qu’il a l’idée de notre essence ; la joie que Dieu éprouve est celle que nous éprouvons nous-mêmes en tant que nous avons des idées telles qu’elles sont en Dieu.

 

Dès notre existence dans la durée, donc « durant » notre existence elle-même, nous pouvons accéder au troisième genre de connaissance. Mais nous n’y réussissons que dans un ordre strict, qui représente la meilleure manière dont notre pouvoir d’être affecté puisse être rempli : 1o) Idées inadéquates qui nous sont données, et affections passives qui s’ensuivent, les unes augmentant notre puissance d’agir, les autres la diminuant. 2o) Formation des notions communes à l’issue d’un effort de sélection portant sur les affections passives elles-mêmes ; les joies actives du second genre suivent des notions communes, un amour actif suit de l’idée de Dieu telle qu’elle se rapporte aux notions communes. 3o) Formation des idées adéquates du troisième genre, joies actives et amour actif qui suivent de ces idées (béatitude). Mais, tant que nous existons dans la durée, il est vain d’espérer n’avoir que des joies actives du troisième genre ou, seulement, des affections actives en général. Nous aurons toujours des passions, et des tristesses avec nos joies passives. Notre connaissance passera toujours par les notions communes. Tout ce à quoi nous pouvons nous efforcer, c’est à avoir proportionnellement plus de passions joyeuses que de tristesses, plus de joies actives du second genre que de passions, et le plus grand nombre possible de joies du troisième genre. Tout est question de proportion dans les sentiments qui remplissent notre pouvoir d’être affecté : il s’agit de faire en sorte que les idées inadéquates et les passions n’occupent que la plus petite partie de nous-mêmes21.

La durée se rapporte à l’existence des modes. On se rappelle que l’existence d’un mode est constituée par des parties extensives qui, sous un certain rapport, sont déterminées à appartenir à l’essence de ce mode. C’est pourquoi la durée se mesure par le temps : un corps existe aussi longtemps qu’il possède des parties extensives sous le rapport qui le caractérise. Dès que les rencontres en disposent autrement, le corps lui-même cesse d’exister, ses parties formant d’autres corps sous de nouveaux rapports. Il est donc évident que nous ne pouvons pas supprimer toute passion durant notre existence : les parties extensives, en effet, sont déterminées et affectées du dehors à l’infini. Aux parties du corps, correspondent des facultés de l’âme, facultés d’éprouver des affections passives. Aussi l’imagination correspond-elle à l’empreinte actuelle d’un corps sur le nôtre, la mémoire à la succession des empreintes dans le temps. Mémoire et imagination sont de véritables parties de l’âme. L’âme a des parties extensives, qui ne lui appartiennent que dans la mesure où elle est l’idée d’un corps, lui-même composé de parties extensives22. L’âme « dure », dans la mesure où elle exprime l’existence actuelle d’un corps qui dure. Et les facultés de l’âme renvoient elles-mêmes à une puissance, puissance de pâtir, puissance d’imaginer les choses d’après les affections qu’elles produisent dans notre corps, donc puissance de concevoir les choses dans la durée et en relation avec le temps23.

Les parties extensives appartiennent à l’essence sous un certain rapport et pendant un certain temps ; mais elles ne constituent pas cette essence. L’essence elle-même a une tout autre nature. L’essence en elle-même est un degré de puissance ou d’intensité, une partie intensive. Rien ne nous paraît plus inexact qu’une interprétation mathématique des essences particulières chez Spinoza. Il est vrai qu’une essence s’exprime dans un rapport, mais elle ne se confond pas avec ce rapport. Une essence particulière est une réalité physique ; c’est pourquoi les affections sont des affections de l’essence, et l’essence elle-même une essence de corps. Cette réalité physique est une réalité intensive, une existence intensive. On conçoit, dès lors, que l’essence ne dure pas. La durée se dit en fonction des parties extensives et se mesure au temps pendant lequel ces parties appartiennent à l’essence. Mais l’essence en elle-même a une réalité ou une existence éternelle ; elle n’a pas de durée, ni de temps qui marque l’achèvement de cette durée (aucune essence ne peut en détruire une autre). Spinoza dit exactement que l’essence est conçue « avec une certaine nécessité éternelle24 ». Mais cette formule, à son tour, n’autorise aucune interprétation intellectualiste ou idéaliste. Spinoza veut dire seulement qu’une essence particulière n’est pas éternelle par elle-même. Seule la substance divine est éternelle en vertu de soi-même ; mais une essence n’est éternelle qu’en vertu d’une cause (Dieu), d’où dérive son existence ou sa réalité d’essence. Elle est donc nécessairement conçue par cette cause ; elle est donc conçue avec la nécessité éternelle qui dérive de cette cause. On ne s’étonnera pas que Spinoza, dès lors, parle de « l’idée qui exprime l’essence de tel ou tel corps humain sous l’espèce de l’éternité ». Il ne veut pas dire que l’essence du corps n’existe qu’en idée. Le tort de l’interprétation idéaliste est de retourner contre le parallélisme un argument qui en fait partie intégrante, ou de comprendre comme une preuve de l’idéal un argument de la pure causalité. Si une idée en Dieu exprime l’essence de tel ou tel corps, c’est parce que Dieu est cause des essences ; il s’ensuit que l’essence est nécessairement conçue par cette cause25.

Le corps existe et dure pour autant qu’il possède actuellement des parties extensives. Mais il a une essence, qui est comme une partie intensive éternelle (degré de puissance). L’âme elle-même a des parties extensives, en tant qu’elle exprime l’existence du corps dans la durée. Mais elle a aussi une partie intensive éternelle, qui est comme l’idée de l’essence du corps. L’idée qui exprime l’essence du corps constitue la partie intensive ou l’essence de l’âme, nécessairement éternelle. Sous cet aspect, l’âme possède une faculté, c’est-à-dire une puissance qui s’explique par sa propre essence : puissance active de comprendre, et de comprendre les choses par le troisième genre sous l’espèce de l’éternité. En tant qu’elle exprime l’existence actuelle du corps dans la durée, l’âme a la puissance de concevoir les autres corps dans la durée ; en tant qu’elle exprime l’essence du corps, l’âme a la puissance de concevoir les autres corps sous l’espèce de l’éternité26.

Le Spinozisme affirme donc une distinction de nature entre la durée et l’éternité. Si Spinoza, dans l’Éthique, évite d’employer le concept d’immortalité, c’est que celui-ci lui paraît impliquer les plus fâcheuses confusions. Trois arguments se retrouvent, à des titres divers, dans une tradition de l’immortalité qui va de Platon à Descartes. En premier lieu, la théorie de l’immortalité repose sur un certain postulat de la simplicité de l’âme : seul le corps est conçu comme divisible ; l’âme est immortelle parce qu’indivisible, ses facultés n’étant pas des parties. En second lieu, l’immortalité de cette âme absolument simple est conçue dans la durée : l’âme existait déjà quand le corps n’avait pas commencé d’exister, elle dure lorsque le corps a cessé de durer. C’est pourquoi la théorie de l’immortalité entraîne souvent l’hypothèse d’une mémoire purement intellectuelle, par laquelle l’âme séparée du corps peut être consciente de sa propre durée. Enfin, l’immortalité ainsi définie ne peut être l’objet d’une expérience directe tant que dure le corps. Sous quelle forme survit-elle au corps, quelles sont les modalités de la survie, quelles sont les facultés de l’âme une fois désincarnée ? Seule une révélation pourrait nous le dire maintenant.

Ces trois thèses rencontrent chez Spinoza un adversaire déclaré. La théorie de l’immortalité ne se sépare pas d’une confusion de la durée et de l’éternité. D’abord, le postulat d’une simplicité absolue de l’âme ne se sépare pas lui-même de l’idée confuse d’une union de l’âme et du corps. Rapportant l’âme au corps, on oppose la simplicité de l’âme prise en un tout et la divisibilité du corps pris lui-même en un tout. On comprend que le corps a des parties extensives en tant qu’il existe, mais on ne comprend pas que l’âme possède aussi de telles parties pour autant qu’elle est l’idée du corps existant. On comprend (plus ou moins bien) que l’âme a une partie intensive absolument simple et éternelle qui constitue son essence, mais on ne comprend pas qu’elle exprime ainsi l’essence du corps, non moins simple et éternelle. En second lieu, l’hypothèse de l’immortalité nous invite à penser en termes de succession, et nous rend incapables de concevoir l’âme comme un composé de coexistences. Nous ne comprenons pas que, tant que le corps existe, la durée et l’éternité « coexistent » elles-mêmes dans l’âme comme deux éléments qui différent en nature. L’âme dure en tant que lui appartiennent des parties extensives qui ne constituent pas son essence. L’âme est éternelle en tant que lui appartient une partie intensive qui définit son essence. Nous ne devons pas penser que l’âme dure au-delà du corps : elle dure autant que le corps dure lui-même, elle est éternelle en tant qu’elle exprime l’essence du corps. Tant que l’âme est l’idée du corps existant, coexistent en elle des parties extensives qui lui appartiennent dans la durée, et une partie intensive qui la constitue dans l’éternité. Enfin, nous n’avons besoin de nulle révélation pour savoir sous quels modes et comment l’âme survit. L’âme reste éternellement ce qu’elle est déjà dans son essence, durant l’existence du corps : partie intensive, degré de puissance ou puissance de comprendre, idée qui exprime l’essence du corps sous l’espèce de l’éternité. Aussi l’éternité de l’âme est-elle objet d’une expérience directe. Pour sentir et expérimenter que nous sommes éternels, il suffit d’entrer dans le troisième genre de connaissance, c’est-à-dire de former l’idée de nous-mêmes telle qu’elle est en Dieu. Cette idée est précisément celle qui exprime l’essence du corps ; dans la mesure où nous la formons, dans la mesure où nous l’avons, nous expérimentons que nous sommes éternels27.

Que se passe-t-il quand nous mourons ? La mort est une soustraction, un retranchement. Nous perdons toutes les parties extensives qui nous appartenaient sous un certain rapport ; notre âme perd toutes les facultés qu’elle ne possédait qu’en tant qu’elle exprimait l’existence d’un corps lui-même doué de parties extensives28. Mais ces parties et ces facultés avaient beau appartenir à notre essence, elles ne constituaient rien de cette essence : notre essence en tant que telle ne perd rien en perfection quand nous perdons en extension les parties qui composaient notre existence. De toutes manières, la partie de nous-mêmes qui demeure, quelle qu’en soit la grandeur (c’est-à-dire le degré de puissance ou la quantité intensive), est plus parfaite que toutes les parties extensives qui périssent, et conserve toute sa perfection quand disparaissent ces parties extensives29. Bien plus, quand notre corps a cessé d’exister, quand l’âme a perdu toutes ses parties qui se rapportent à l’existence du corps, nous ne sommes plus en état d’éprouver des affections passives30. Notre essence cesse d’être maintenue dans un état d’enveloppement, nous ne pouvons plus être séparés de notre puissance : seule demeure en effet notre puissance de comprendre ou d’agir31. Les idées que nous avons sont nécessairement des idées adéquates du troisième genre, telles qu’elles sont en Dieu. Notre essence exprime adéquatement l’essence de Dieu, les affections de notre essence expriment adéquatement cette essence. Nous sommes devenus totalement expressifs, plus rien ne subsiste en nous qui soit « enveloppé » ou simplement « indiqué ». Tant que nous existions, nous ne pouvions avoir qu’un certain nombre d’affections actives du troisième genre, elles-mêmes en relation avec des affections actives du second genre, elles-mêmes en relation avec des affections passives. Nous ne pouvions espérer qu’une béatitude partielle. Mais tout se passe comme si la mort nous mettait dans une situation telle que nous ne pouvions plus être affectés que par des affections du troisième genre, qui s’expliquent elles-mêmes par notre essence.

Il est vrai que ce point soulève encore beaucoup de problèmes. 1o) En quel sens, après la mort, sommes-nous encore affectés ? Notre âme a perdu tout ce qui lui appartient en tant qu’elle est l’idée d’un corps existant. Mais demeure l’idée de l’essence de notre corps existant. Mais demeure l’idée de l’essence de notre corps telle qu’elle est en Dieu. Nous avons nous-mêmes l’idée de cette idée telle qu’elle est en Dieu. Notre âme est donc affectée par l’idée de soi, par l’idée de Dieu, par les idées des autres choses sous l’espèce de l’éternité. Comme toutes les essences conviennent avec chacune, comme elles ont pour cause Dieu qui les comprend toutes dans la production de chacune, les affections qui découlent des idées du troisième genre sont nécessairement des affections actives et intenses, qui s’expliquent par l’essence de celui qui les éprouve, en même temps qu’elles expriment l’essence de Dieu. 2o) Mais si, après la mort, nous sommes encore affectés, n’est-ce pas que notre pouvoir d’être affecté, notre rapport caractéristique, subsistent eux-mêmes avec notre essence ? En effet, notre rapport peut être dit détruit ou décomposé, mais seulement en ce sens qu’il ne subsume plus de parties extensives. Les parties extensives qui nous appartenaient sont maintenant déterminées à entrer sous d’autres rapports incomposables avec le nôtre. Mais le rapport qui nous caractérise n’en a pas moins une vérité éternelle en tant que notre essence s’exprime en lui. C’est le rapport dans sa vérité éternelle qui demeure avec l’essence. (C’est pourquoi les notions communes restent comprises dans les idées des essences.) De même, notre pouvoir d’être affecté peut être dit détruit, mais dans la mesure où il ne peut plus être effectué par des affections passives32. Il n’en a pas moins une puissance éternelle, qui est identique à notre puissance d’agir ou de comprendre. C’est le pouvoir d’être affecté, dans sa puissance éternelle, qui demeure avec l’essence.

Mais comment concevoir que, de toutes façons, nous jouissions après la mort d’affections actives du troisième genre, comme si nous retrouvions nécessairement ce qui nous est éternellement inné ? Leibniz adresse plusieurs critiques à la conception spinoziste de l’éternité : il lui reproche son géométrisme, les idées d’essences étant analogues à des formes ou figures mathématiques ; il lui reproche d’avoir conçu une éternité sans mémoire et sans imagination, tout au plus l’éternité d’un cercle ou d’un triangle. Mais une troisième critique de Leibniz nous semble plus importante, parce qu’elle pose le vrai problème final du Spinozisme : si Spinoza avait raison, il n’y aurait pas lieu de se perfectionner pour laisser après soi une essence éternelle d’autant plus parfaite (comme si cette essence ou idée platonique « n’était déjà dans la nature, soit que je tâche de lui ressembler ou non, et comme s’il me servirait après ma mort, si je ne suis plus rien, d’avoir ressemblé à une telle idée »)33. En effet, la question est : de quoi nous sert l’existence si, de toutes manières, nous rejoignons notre essence après la mort, dans de telles conditions que nous éprouvons intensément toutes les affections actives qui lui correspondent ? Nous ne perdons rien en perdant l’existence : nous ne perdons que des parties extensives. Mais de quoi sert notre effort durant l’existence si notre essence est de toutes façons ce qu’elle est, degré de puissance indifférent aux parties extensives qui ne lui furent rapportées que du dehors et temporairement ?

En fait, selon Spinoza, notre pouvoir d’être affecté ne sera pas rempli (après la mort) par des affections actives du troisième genre si nous n’avons pas réussi durant l’existence elle-même à éprouver proportionnellement un maximum d’affections actives du second genre et, déjà, du troisième. C’est en ce sens que Spinoza peut estimer qu’il conserve entièrement le contenu positif de la notion de salut. L’existence même est encore conçue comme une sorte d’épreuve. Non pas une épreuve morale, il est vrai, mais une épreuve physique ou chimique, comme celle des artisans qui vérifient la qualité d’une matière, d’un métal ou d’un vase.

Dans l’existence, nous sommes composés d’une partie intensive éternelle, qui constitue notre essence, et de parties extensives qui nous appartiennent dans le temps sous un certain rapport. Ce qui compte est l’importance respective de ces deux sortes d’éléments. Supposons que nous réussissions, dès notre existence, à éprouver des affections actives : nos parties extensives elles-mêmes sont affectées par des affections qui s’expliquent par notre seule essence ; les passions subsistantes sont proportionnellement moindres que les affections actives. C’est-à-dire : notre pouvoir d’être affecté se trouve proportionnellement rempli par un plus grand nombre d’affections actives que d’affections passives. Or les affections actives s’expliquent par notre essence ; les affections passives s’expliquent par le jeu infini de déterminations extrinsèques des parties extensives. On en conclut que, des deux éléments qui nous composent, la partie intensive de nous-mêmes a pris relativement beaucoup plus d’importance que les parties extensives. À la limite, quand nous mourons, ce qui périt n’est « d’aucune importance eu égard à ce qui persiste34 ». D’autant plus nous connaissons de choses par le deuxième et troisième genres, d’autant plus grande est relativement la partie de nous-mêmes éternelle35. Il va de soi que cette partie éternelle, prise en elle-même indépendamment des parties extensives qui s’y ajoutent pour composer notre existence, est un absolu. Mais supposons que, durant notre existence, nous restions remplis et déterminés par des affections passives. Des deux éléments qui nous composent, les parties extensives auront relativement plus d’importance que la partie intensive éternelle. Nous perdons d’autant plus en mourant ; c’est pourquoi seul craint la mort celui qui a quelque chose à en craindre, celui qui perd relativement davantage en mourant36. Notre essence n’en reste pas moins l’absolu qu’elle est en elle-même ; l’idée de notre essence n’en reste pas moins ce qu’elle est absolument en Dieu. Mais le pouvoir d’être affecté qui lui correspond éternellement reste vide : ayant perdu nos parties extensives, nous avons perdu toutes nos affections qui s’expliquaient par elles. Or nous n’avons pas d’autres affections. Quand nous mourons, notre essence demeure, mais comme un abstrait ; notre essence reste inaffectée.

Au contraire, quand nous avons su faire de la partie intensive l’élément le plus important de nous-mêmes. En mourant, nous perdons peu de choses : nous perdons les passions qui subsistaient en nous, puisque celles-ci s’expliquaient par les parties extensives ; dans une certaine mesure, nous perdons aussi les notions communes et les affections actives du second genre, qui n’ont de valeur autonome, en effet, qu’en tant qu’elles s’appliquent à l’existence ; enfin, les affections actives du troisième genre ne peuvent plus s’imposer aux parties extensives puisque celles-ci ne nous appartiennent plus. Mais notre pouvoir d’être affecté subsiste éternellement, accompagnant notre essence et l’idée de notre essence ; or ce pouvoir est nécessairement et absolument rempli par les affections du troisième genre. Durant notre existence, nous avons fait de notre partie intensive la part relativement la plus importante de nous-mêmes ; après notre mort, les affections actives qui s’expliquent par cette partie remplissent absolument notre pouvoir d’être affecté ; ce qui reste de nous-mêmes est absolument effectué. Notre essence telle qu’elle est en Dieu, et l’idée de notre essence telle qu’elle est conçue par Dieu, se trouvent entièrement affectées.

Il n’y a jamais de sanctions morales d’un Dieu justicier, ni châtiments ni récompenses, mais des conséquences naturelles de notre existence. Il est vrai que, durant notre existence, notre pouvoir d’être affecté se trouve toujours et nécessairement rempli : mais soit par des affections passives, soit par des affections actives. Or si notre pouvoir, tant que nous existons, est entièrement rempli par des affections passives, il restera vide, et notre essence abstraite, une fois que nous aurons cessé d’exister. Il sera absolument effectué, par des affections du troisième genre, si nous l’avons proportionnellement rempli par un maximum d’affections actives. D’où l’importance de cette « épreuve » de l’existence : existant, nous devons sélectionner les passions joyeuses, car seules elles nous introduisent aux notions communes et aux joies actives qui en découlent ; et nous devons nous servir des notions communes comme d’un principe qui nous introduit déjà aux idées et aux joies du troisième genre. Alors, après la mort, notre essence aura toutes les affections dont elle est capable ; et toutes ces affections seront du troisième genre. Telle est la voie difficile du salut. La plupart des hommes, la plupart du temps, restent fixés aux passions tristes, qui les séparent de leur essence et la réduisent à l’état d’abstraction. La voie du salut est la voie même de l’expression : devenir expressif, c’est-à-dire devenir actif – exprimer l’essence de Dieu, être soi-même une idée par laquelle l’essence de Dieu s’explique, avoir des affections qui s’expliquent par notre propre essence et qui expriment l’essence de Dieu.


1.  En É, V, 36, sc., Spinoza oppose la démonstration générale du second genre à la conclusion singulière du troisième genre.

2 É, V, 37, sc. Seuls des modes existants peuvent se détruire, aucune essence ne peut en détruire une autre.

3 Cf. É, V, 25-27.

4 É, V, 22, dem., et 36, prop.

5 Cf. É, V, 36, sc. (tout le contexte prouve qu’il s’agit pour chacun de sa propre essence, de l’essence de son propre corps : cf. V, 30, prop. et dem.).

6 É, V, 29, prop.

7 É, V, 31, prop : « Le troisième genre de connaissance dépend de l’esprit comme de sa cause formelle, en tant que l’esprit lui-même est éternel. »

8 É, V, 27, dem. Celui qui connaît par le troisième genre « est affecté de la plus grande joie (summa laetitia) ».

9 É, V, 32, cor.

10 C’est pourquoi les notions communes en tant que telles ne constituent l’essence d’aucune chose singulière : cf. É, II, 37, prop. Et en V, 41, dem., Spinoza rappelle que le second genre ne nous donne aucune idée de l’essence éternelle de l’esprit.

11 É, V, 29, dem. Il y a donc ici deux espèces d’éternité, l’une définie par la présence de la notion commune, l’autre par l’existence de l’essence singulière.

12 Sur les affections de l’essence en général, et sur l’adventice et l’inné, cf. É, III, explication de la définition du désir.

13 D’après É, II, 38 et 39, dem., les notions communes sont bien en Dieu. Mais seulement en tant qu’elles sont comprises dans les idées de choses singulières (idées de nous-mêmes et des autres choses) qui sont elles-mêmes en Dieu. Il n’en est pas ainsi pour nous : les notions communes sont premières dans l’ordre de notre connaissance. C’est pourquoi elles sont en nous source d’affections spéciales (les joies du second genre). Dieu au contraire n’éprouve d’affections que du troisième genre.

14 Cf. É, V, 14-20.

15 É, V, 31, sc. : « Bien que nous soyons maintenant certains que l’esprit est éternel en tant qu’il conçoit les choses sous l’espèce de l’éternité, cependant, pour expliquer plus facilement et faire mieux comprendre ce que nous voulons montrer, nous le considérons comme s’il commençait maintenant d’être, et de comprendre les choses sous l’espèce de l’éternité... »

16 É, V, 33, sc.

17 É, V, 33, sc.

18 Amour envers Dieu, du second genre : É, V, 14-20. Amour de Dieu, du troisième genre : É, V, 32-37.

19 É, V, 36, prop. et cor.

20 É, V, 36, sc.

21 Cf. É, V, 20, sc. ; 38, dem.

22 Sur les parties de l’âme, cf. É, II, 15. Sur l’assimilation des facultés à des parties, cf. É, V, 40, cor.

23 É, V, 23, sc., et 29, dem. (cette faculté de pâtir, d’imaginer ou de concevoir dans la durée est bien une puissance, parce qu’elle « enveloppe » l’essence ou la puissance d’agir).

24 É, V, 22, dem.

25 É, V, 22, dem. Cette démonstration se réclame précisément de l’axiome du parallélisme suivant lequel la connaissance de l’effet dépend de la connaissance de la cause et l’enveloppe. La formule de Spinoza species aeternitatis désigne à la fois l’espèce d’éternité qui découle d’une cause, et la conception intellectuelle qui en est inséparable.

26 É, V, 29, prop. et dem.

27 É, V, 23, sc. Cette expérience appartient nécessairement au troisième genre ; car le second genre ne possède pas l’idée adéquate de l’essence de notre corps, et ne nous fait pas encore savoir que notre esprit est éternel (cf. V, 41, dem.).

28 É, V, 21, prop. : « L’esprit ne peut rien imaginer et ne peut se souvenir des choses passées si ce n’est pendant la durée du corps. »

29 É, V, 40, cor. : « La partie de l’esprit qui persiste, de quelque grandeur qu’elle soit, est plus parfaite que l’autre. »

30 É, V, 34, prop. : « L’esprit n’est soumis que pendant la durée du corps aux sentiments qui se rapportent à des passions. »

31 É, V, 40, cor. : « La partie éternelle de l’esprit est l’entendement, par lequel seul nous sommes dits agir. Quant à cette partie que nous avons montré qui périt, c’est l’imagination elle-même, par laquelle seule nous sommes dits pâtir. »

32 En É, IV, 39, dem. et sc., Spinoza dit que la mort détruit le corps, donc « nous rend tout à fait inaptes à pouvoir être affecté ». Mais, comme le contexte l’indique, il s’agit des affections passives produites par d’autres corps existants.

33 LEIBNIZ, Lettre au Landgrave, 14 août 1683. Cf. Foucher de Careil, Réfutation inédite de Spinoza par Leibniz (Paris 1854). En faisant comme si l’éternité de l’âme spinoziste était semblable à celle d’une vérité mathématique, Leibniz néglige toutes les différences entre le troisième genre et le second.

34 É, V, 38 sc. Notre effort durant l’existence est ainsi défini, É, V, 39, sc. : former notre corps de telle manière qu’il se rapporte à un esprit au plus haut point conscient de soi-même, de Dieu et des choses. Alors, ce qui concerne la mémoire et l’imagination sera « à peine de quelque importance eu égard à l’entendement ».

35 É, V, 38, dem. : « D’autant plus de choses comprend l’esprit par le deuxième et le troisième genres de connaissance, d’autant plus grande en est la partie qui reste indemne. »

36 É, V, 38, prop. et sc.